vendredi 29 février 2008

En aparté (1) -sur le verre Duralex, j'ai huit ans-

Finalement le jeudi midi, même sans avoir oublié ses clés, pour peu que l'on ait vaincu les dernières résistances de timidité qui peuvent retenir de déjeuner seule au restaurant, on peut faire preuve d'un autre genre de témérité et essayer des endroits pour lesquels la réticence initiale n'était peut-être pas fortuite.
Hier midi, sortie un peu plus tôt du labo avec une très bonne nouvelle téléphonique, je décide d'aller déjeuner au Bazar Saint Guillaume. Coincé entre un salon de beauté et une galerie d'art dans l'une des plus anciennes rues de Rennes, il bénéficiait d'un a priori plutôt favorable vu que B., qui aime les Repetto, Vanessa Bruno et le risotto va parfois y bruncher. Il se rappelle aussi à nous tous les samedis matins, se trouvant sur le chemin le plus agréable menant au marché mais G. était toujours resté très dubitatif, nettement plus interessé par la galerie d'art.
Je descend une station de métro plus tôt, pour finir de me décider; dans une vitrine de jolies timbales fleuries, dans une autre, des spartiates parfaites (et hors de prix). Je veille à ne pas glisser sur les pavés mouillés de la rue qui longe l'église Saint Sauveur, j'arrive au Bazar Saint Guillaume.


L'endroit est charmant, il y a un étage tout en mobilier dépareillé, grands lustres, miroirs et vieille machine à écrire. Au rez-de-chaussée, la cuisine américaine colorée où le chef coupe des champignons côtoie des alcôves à banquettes qui ont l'air confortables, il y a une pile de Régal dans un coin, des étagères avec des plats à tagine, des sachets de farine, quelques livres de cuisine.


Je m'installe à une table en hauteur, la serveuse est souriante et m'apporte du pain frais (cependant un peu trop blanc à mon goût), un petit pot de beurre et de l'eau fraîche. Elle pose sur la nappe en papier blanc la carte du jour.
Les entrées me rappellent un peu les menus du self du lycée (que j'ai pourtant peu fréquenté) mais bon, il y a des gens très bien qui ont fait des livres sur ce que l'on mange dans les cantines alors... Alors, faites votre choix: charcuterie, celeri remoulade ou tzatziki (et un autre truc que j'ai oublié). Je me passe d'entrée de toute façon. A suivre, du hachis parmentier ou une pièce de boeuf (quoi, d'où, rien n'est écrit) ou un sauté de veau ou des filets de hareng à l'huile ou une tarte des Causses. Cette dernière m'intrigue, un peu, puis m'énerve, beaucoup. J'apprends qu'il s'agit d'une tarte aux légumes et à l'emmental qui, assure-t-on à mes voisines tout en blondeur, est un fromage des Causses. Hum.
Je choisis le sauté de veau. Je l'attendrai un temps suffisamment long pour être un peu lassée de l'endroit. Il faut dire que la musique de mauvaise station de radio n'arrange pas les choses. Je lis Les belles années de Mademoiselle Brodie, un petit roman pas aussi intéressant que la couverture est jolie mais bon, ça va, ça m'occupe l'esprit.
La serveuse finit par arriver avec une grande assiette carrée et là, devant les cubes de viande baignant dans une sauce beigeasse, devant la purée qui n'a aucune tenue, devant les pommes de terre sans relief, je revois définitivement le spectre de la cantine. Tout me revient, la macédoine de légume, le concombre à l'eau, la langue de boeuf sauce madère et ses macaroni tout mous, le poisson carré et son riz très jaune, le gâteau de semoule et son coulis gluant, les cantinières qui préviennent: "Si tu ne finis pas tes lentilles -avec les petits cailloux qu'il y a dedans?-, tu vas pas en récré". Tout ça devant cette grande assiette blanche et carrée.
Alors, la viande était pleine de substance gélatino cartilagineuse indésirable, la sauce était insipide et la purée n'offrait aucune mâche (elle était douteusement lisse, liquide et pâle). Ce que j'ai préféré, c'était les feuilles de salade bien croquantes et parfaitement assaisonnées. C'est un peu court. J'ai demandé à la gentille serveuse de la moutarde qui n'est jamais arrivée.
A la table d'à côté, ma blonde voisine raconte comment son compagnon oublie d'aller chercher les enfants à l'école tant il est absorbé par sa console de jeux. La clientèle est très variée, entre couple bobo, copines de shopping et vieux parents. Je crois bien que je suis la plus jeune de la salle.
Pleine d'une intrépidité que je ne soupçonnais pas, je décide de prendre un dessert. Fromage blanc et miel? Fondant au chocolat? Des trucs dont je ne me souviens pas? Finalement deux boules de glace annoncées "artisanales". Elles arriveront, après un certain temps, dans un joli petit ramequin noir et mat, un peu comme ceux qui contiennent le Saint Félicien. La glace immaculée (j'ai choisi coco et citron) se détache avec classe sur la céramique sombre. Elles sont délicieuses, parfumées et onctueuses. Si bonnes que je ne regrette même pas l'absence de biscuit croquant qui aurait pu les accompagner.
Au moment de règler l'addition, très raisonnable, je patiente presque le temps qu'il m'a fallu pour déguster ma glace, le cuisinier me fait un grand sourire et je suis toute gênée par cet endroit joli avec des gens gentils mais où la nourriture n'est pas exactement délectable. C'est dommage, j'aimais bien le nom...
Bon, la semaine prochaine, j'essaie de faire mieux!


Le bazar Saint Guillaume
4 rue Saint Guillaume
35000 Rennes
0299782191
N'essayez surtout pas les pâtisseries de la boulangerie qui fait l'angle avec la rue de la monnaie, elles sont aussi gélatineuses qu'un mauvais sauté de veau.

Toujours plus décousu, je vous invite à lire le très beau et très juste billet de Sophie Brissaud qui s'est retrouvée à Angelina devant un éclair au chocolat que la sophistication rendait à la fois dense et immatériel. Une chouette réflexion sur les affres de la recherche permanente d'innovation.
Et puis pour un voyage immobile, il y a le blog de Lisa, frais et décoiffant comme une bonne vodka.
Ce matin, lever plus qu'à l'aube parce que G. prenait un avion très tôt pour le sud, retrouver d'autres gens qu'il aime. Je regarde un peu tétanisée l'ascenseur s'ébranler, encore en pyjama sur le palier, puis je regagne l'appartement, plongé dans un silence assourdissant. Je m'applique à conserver le goût de ses baisers.

lundi 25 février 2008

Un genre de Charlotte Carrington -Kashmiri rogan josh-

Il est vrai que j'ai quitté la maison un peu précipitamment jeudi matin.
Je me souviens que petite, je me réveillais bien avant l'heure programmée sur mon réveil rose et blanc avec un panda dessus (alors que je n'aime pas spécialement les pandas. Je ne suis pas une grande fan des animaux en général. Je crois que je les aime mal: mes poissons rouges souffraient probablement d'une légère surcharge pondérale vu que j'avais tout le temps peur qu'ils meurent de faim. Leur calvaire s'acheva qui plus est de terrible façon puisque pleine de bons sentiments, j'avais voulu précéder mes parents dans le changement de leur eau et que celle que j'avais mise dans leur aquarium fut suffisamment chaude pour les pocher. Désolée poissons), je lisais alors, selon l'époque, Tintin, Picsou, Je bouquine, Les enfants Tillerman, L'école des quatre jeudis, les contes bleus et rouges du chat perché, les romans de Judy Blume, ceux de Roald Dahl, je crois que j'ai même lu La petite maison dans la prairie (mais pas les huit tomes, ce n'était pas tout à fait ma tasse de thé). Il y avait aussi une série dans la bibliothèque verte qui racontait les aventures d'un garçon dans un pensionnat anglais, Bennett je crois il s'appelait. C'était bien cette heure de lecture matinale, avant d'aller tranquillement boire mon chocolat chaud avec, quand j'en avais envie, une tartine de beurre salé et de gelée de mûres (de la marque Boin, je m'en souviens bien). Bon, on le sait, j'ai détesté l'école primaire, son cortège d'activités débiles et d'instits haïssables (naïvement, je demande à mon instit de CE2 pourquoi la fosse des Mariannes porte ce nom. Réponse immédiatement crachée au visage: "Et toi, pourquoi tu t'appelles Patoumi?" Ah, j'adore).
Enfin, tout ça pour dire qu'à cette époque, je préparais mon cartable la veille au soir et que mes vêtements de la journée, repassés par ma maman, étaient posés sur le fauteuil crapaud jaune d'or que j'ai encore dans mon bureau.
Mes réveils sont bien plus agités désormais. Il me faut toujours un temps de répit entre l'extinction du minuscule réveil offert par mon papa et maintes fois oublié dans des chambres de garde et la verticalisation. Et toujours cette même question absurde posée à G.: "Pourquoi faut-il toujours se lever?" Je me dirige d'un pas encore ensommeillé vers la cuisine où, après avoir mis du lait à chauffer dans une toute petite casserole (je faisais ça au micro ondes avant qu'il ne décide de bouder et que le service de réparations ne se fasse un peu attendre. De toute façon, force est de constater que le chocolat est meilleur avec du lait à la casserole. Mais c'est plus long. Et j'ai souvent déjà dix grandes minutes de retard sur le programme), je bois un petit verre d'eau puis un petit verre de jus de pamplemousse. Il arrive alors que nous entamions une conversation de la plus haute importance au-dessus de nos tasses respectives ("A-t-on vraiment besoin d'une sorbetière?") et là, c'est l'horreur, le retard s'accumule. Je me félicite de ne pas savoir me maquiller, la toilette se résume ainsi au strict nécessaire (enfin, je m'applique quand même à avoir le teint frais donc passage obligé par la solution micellaire et la crème légère), il y a juste les cheveux (si longs, toujours plus longs...) à démêler. Ce n'est pas toujours parfait de ce côté. Je précise, pour les gens inquiets de mon hygiène au demeurant irréprochable, que j'ai l'habitude de me doucher le soir. Cet horaire a fait l'objet de moult débats avec G., adepte de la douche matinale et pour qui passer du pyjama directement à la tenue de la journée relève de l'hérésie alors que je ne peux concevoir de m'endormir sans m'être débarrassée de tout ce que j'ai croisé dans la journée. Et oui, on ne parle pas que de films scandinaves et de littérature russe.
Le retard ne cesse de s'aggraver et il faut encore s'habiller. Evidemment rien n'est prévu à l'avance, évidemment rien n'est jamais repassé, évidemment j'ai oublié de passer récupérer des pulls au pressing, évidemment, je file mon collant au dernier moment.
J'arrive quand même à quitter la maison et dans le métro, je peux enfin souffler (et là je me rends compte qu'une nouvelle journée dans le labo tout pourri commence et une tristesse sourde gonfle ma poitrine).
Alors ce jeudi là n'avait pas très bien commencé pour diverses raisons que je me félicite d'avoir oubliées. Pour ne plus penser, le temps du déjeuner, à l'abysse de consternation dans lequel me plonge chaque nouvelle tâche qu'on me demande (un truc aussi profond que la fosse des Mariannes), j'avais décidé ce jour-là d'aller chercher quelques sushis au restaurant japonais qu'il y a à côté de la maison (à défaut d'y aller avec une copine comme je l'aurais voulu et écrit la veille à la reine du cookie. Je me plains beaucoup, je sais. Il paraît que ça s'inscrit dans ma symptomatologie d'hystérique) et j'ai passé la fin de la matinée à me demander si j'allais prendre des niguiris, des makis ou des sashimis.
Les jeunes femmes qui travaillent au Fuji sont d'une gentillesse et d'une délicatesse rares, elles m'ont accueillie avec une chaleur qui a cruellement contrasté avec l'attitude de mes collègues de travail. J'ai choisi un moriawase et elles m'ont promis, après avoir jeté un oeil au maître sushi (je ne sais pas si ça se dit mais je l'appellle comme ça) que je pouvais repasser dans cinq minutes. J'ai voulu profiter de ce temps pour aller poser mon sac à la maison, parce que ce jour-là, il était vraiment lourd et encombrant. Or, au moment où je m'apprêtais à traverser le parking de l'appartement, au moment même où je passais devant la vitrine du magasin d'antiquités du vingtième siècle dont je vois l'étage depuis la fenêtre de mon bureau, je m'aperçois, en fouillant dans mon sac acheté à Sintra, que mes clés n'y sont pas. Il y a bien mon porte monnaie 100drine en plastique rose, ma trousse porte feuille en plastique rouge 10 swedish designers, un tube de baume à lèvres scandinave, un paquet à demi vide de mouchoirs en papier, mon carnet Moleskine rouge, un autre noir au cas où j'aurais tellement de bonnes idées que je finirais l'autre dans la journée, un bic bleu, un stabylo d'une couleur indéfinissable, un livre de neuro, un autre de gynéco, mon carnet-répertoire avec tous les trucs à ne pas oublier pour l'internat, Guerre et paix, ma carte de métro dans l'étui turquoise des cartes de transports londoniens , plus de portable parce que j'ai perdu mon chargeur et surtout pas de clés accrochées à une petite poupée russe en tweed rose. Argh. J'ai dû les oublier dans ma précipitation matinale. G. rentre tous les jours déjeuner avec moi sauf le jeudi, où il travaille à une heure de Rennes. Je ne vois pas d'autre solution que de déjeuner au japonais, sans copine mais bon.
Alors que ma petite barquette plastique m'attendait sagement sur le comptoir, les gentilles jeunes filles du Fuji, pleines de sollicitude, m'ont installée à une table un peu en retrait, m'ont apporté des petits raviolis brûlants, un thé dans une jolie théière et un nouveau moriawase dans une belle boîte laquée. J'ai mangé avec beaucoup de concentration, n'ayant pas d'autre centre d'intérêt, si ce n'est la conversation de mes voisins les plus directs qui évoquaient l'existence d'un salon de thé apparemment très chouette derrières les fortifications malouines. J'ai contemplé la beauté des niguiris et admiré la parfaite régularité des sashimis. J'ai rêvé un petit instant devant l'harmonie des formes et des couleurs. Ce petit repas était délicieux. Regrettant de ne pouvoir passer l'après midi en leur compagnie comme l'avaient gentiment proposé les gracieuses serveuses, j'ai repris le chemin du travail, songeant un instant avec émotion à ma petite brosse à dents rose et mon dentifrice vert (je suis une maniaque du brossage des dents). Ne pouvant me résoudre à regagner immédiatement le labo alors que je disposais encore d'un peu de temps, j'ai vaqué entre librairies et boutiques (ah tiens un sarouel pour la maison!), j'ai hésité par deux fois à acheter le Elle de la semaine (argument pour: les menus vintage concoctés par Laura Zavan. Argument contre: tout le reste), j'ai fini par jeter mon dévolu sur une boîte de biscuits pour adoucir mon après-midi.


Rien à voir avec tout cela si ce n'est qu'il fut concocté un autre jeudi (celui de la semaine précédente), la recette d'un agneau rogan josh infiniment délectable issue d'un très joli livre de chez Picquier qui vous donne faim sans une seule photo, grâce à la seule évocation des épices et du ressenti de son auteur. Une vraie bible de la cuisine indienne dont j'ai déjà fait trois recettes hautement recommandables mais j'ai une petite préférence pour le rogan josh, onctueux et parfumé. J'ai passé un très bon moment à rassembler toutes les épices dans le mortier, je trouve ça vraiment très délassant d'ouvrir les cosses de cardamome.

Kashmiri rogan josh (presque dans les règles de l'art)
Pour trois personnes (qui ont faim)

-650g d'épaule d'agneau coupée en cubes
-1 gros oignon haché
-4 échalotes hachées
-3 gousses d'ail écrasées
-5 grosses cuillères à soupe de pulpe de tomates
-un gros pouce de gingembre râpé
-1 cuillère à soupe de poivre blanc et noir moulu
-1,5 cuillère à café de garam massala
-2 cuillères à café de cumin moulu
-1,5 cuillères à café de cardamome verte moulue
-1 cuillère à café de graines de pavot
-2 cuillères à café de coriandre moulue
-1 cuillère à café de curcuma
-1/3 cuillère à café de macis moulu
-1/2 cuillère à café de piment de cayenne
-1 piment rouge haché
-330ml de lait ribot
-5 cuillères à soupe de crème fraîche
-1 cube de bouillon de légumes bio
-500mL d'eau

Préparer une pâte en mélangeant toutes les épices dans un mortier et en ajoutant un peu d'eau et de sel. Laisser reposer.
Faire dorer l'agneau dans de l'huile d'olive.
Reserver au chaud, jeter l'excédent d'huile et faire revenir dans la même cocotte l'oignon, l'ail et les échalotes. Les faire légèrement brunir avant d'ajouter la pulpe de tomate et la pâte d'épices. Bien mélanger, laisser cuire un peu et ajouter environ 400mL de bouillon préparé en diluant le cube dans de l'eau chaude. Couvrir et laisser mijoter environ dix minutes.
Ajouter alors les cubes d'agneau, puis le lait ribot et la crème fraîche.
Faire cuire à feu très doux pendant quatre heures en surveillant bien que le fond n'attache pas. Rajouter du bouillon si besoin.
Servir avec du riz bien chaud et un peu de coriandre ciselée, si vous aimez!

Un billet pas très cohérent je vous l'accorde mais qui tente de répondre sans en avoir l'air aux demandes de révélations fracassantes formulées avec toujours beaucoup de gentillesse par Rose, Noémie, la croquette, Pascale et Mika. Il me semble qu'il y a un peu plus de six de mes lubies secrètes dans ce texte!

lundi 18 février 2008

Ils viennent juste de s'inscrire dans la chorale de Riquewihr -les petites galettes aux oeufs de poisson de ma maman-

A la demande de mes parents, j'ai cessé de leur téléphoner un jour sur deux comme j'avais pris l'habitude de le faire lorsque j'ai quitté leur maison. Cette fréquence ne se justifie pas par une abondance d'évènements à raconter. Les conversations suivent d'ailleurs un rythme assez routinier -horreur, le mot est lâché-. Vont-ils bien, ont-ils eu des nouvelles de ma soeur, de quoi vont-ils dîner... Dans ce flot d'informations capitales, se glissent diverses réactions de ma maman sur la marche du monde -c'est une obsessionelle de l'actualité. La radio, les journaux, la télé, il faut qu'elle se tienne au courant- et des questions angoissées de mon papa sur mon travail. Il y a aussi quelques inévitables considérations météorologiques.
Il s'agit davantage de maintenir le lien car je vis avec deux peurs au ventre: celle qu'il leur arrive quelque chose (mais quoi? On se le demande) et l'autre, bien plus égoïste, qu'ils pensent que je les oublie. Et que je peux jouir de certains plaisirs sans penser à eux, alors qu'il n'est pas évident que ma maman ait très envie de partager avec moi le visionnage d'un film russe quasi muet. Honnêtement, je pense qu'elle préfère un reportage sur le scandale des transfusions clandestines en Chine (ils sont accrocs aux reportages divers et variés, ils regardaient même Thalassa, le vendredi soir). Mais quand je vois quelque chose de beau (L'année dernière à Marienbad) ou quand je goûte quelque chose de bon (les california makis de G. ou la salade au foie gras de Miremont ou un mille feuille au matcha), j'ai le coeur qui se serre à l'idée que mes parents, partis de si loin avec comme seule fortune un bébé malingre et malade, ne puissent en profiter avec moi. Il y a toujours cette fraction de seconde où je pense indéfectiblement à eux, alors même que l'expérience a prouvé que nous n'avions pas les mêmes centres de jouissance.
Je crois qu'il est très compliqué de s'occuper à la fois de son propre bonheur et de celui de ses parents (je dis cela parce que parfois, au téléphone, j'ai l'impression que ma maman est triste, qu'elle me cache quelque chose, alors qu'en fait, elle est juste fatiguée, ou déçue de ce qu'elle a cuisiné, ou dépitée par l'actuelle politique intérieure, or cette sensation que j'ai qu'il se passe quelque chose de grave juste parce qu'elle est moins enjouée que d'habitude va me faire délirer pendant dix bonnes minutes sur une éventuelle maladie incurable, qu'elle me dissimule, ou d'impossibles dettes, qui vont les clouer au pilori). J'ai en somme souvent l'impression que mes parents sont en danger.
Cette patoumi est complètement folle. C'est elle qu'il faut soigner.
Ces pensées autour de l'insécurité potentielle qui règne autour de mes parents ainsi que ce quasi automatisme à les associer par la pensée à mes jouissances, qu'elles soient menues ou grandioses, n'existent que pendant un temps très court, de l'ordre de l'évaporation mais elles ne disparaissent pas, comme je l'aurais cru, avec l'âge.
Il y a pourtant mille choses que je reproche à mes parents. Parmi elles, cette histoire que ma maman aimait me raconter lorsque j'étais petite:
Une veuve sans le sou se voit frappée d'une terrible maladie, longue, torpide et très douloureuse. Elle n'a pour veiller sur elle que sa petite fille, à peine adolescente, qui s'épuise nuit et jour à soigner sa petite maman chérie (et dans un coin de la pièce, une photo du papa, qui n'est jamais revenu du front, veille sur elles avec bienveillance. Ca c'était pas dans l'histoire d'origine mais ça a aurait pu). Bien entendu, elles sont très pauvres, n'ont aucune économie, et comme la maman ne peut plus aller travailler (elle a un travail genre esclave dans une richissime famille qui aurait fondé sa fortune sur tout un tas d'actes immoraux dignes de l'UMP), l'heure est plus que grave.
Un jour, la maman, cachectique, est vraiment à l'agonie. La faim, la douleur et la fièvre la font délirer. Elle se met à rêver tout haut de dodus poissons grillés, de tournedos saignants et de canards laqués. Sa pauvre fille, frémissante d'angoisse à l'idée de laisser sa mère mourir sous ses yeux, se précipite dans la cuisine, se tranche un large bout de cuisse (qu'elle n'a pourtant pas épais vues les conditions de vie générales), le met dans une poêle et l'apporte fumant à sa maman sur le point d'expirer. Trop confuse pour poser des questions, la pauvre maman se jette sur le morceau de viande et, au fur et à mesure de sa mastication, se sent revivre. Les forces lui reviennent, la fièvre s'estompe, les douleurs cèdent. Elle embrasse sa fille qu'elle bénit de toute son âme.
Et oui patoumi, rappelle-toi que seule ta propre chair pourra sauver ta maman des pires souffrances. Ahem.
Et pourtant, pourtant, malgré les milliers de reproches que j'aurais à leur faire, malgré les scènes de colère, les pleurs, les paroles blessantes et tous ces trucs qui vous font vous retirer dans votre chambre d'ado en les maudissant, le moindre de leur tracas, la moindre anxiété dans leur voix, le moindre fléchissement de moral m'angoisse et il se trouve que je serai effectivement prête à me trancher un bout de cuisse pour mes parents.
Un peu de la même façon, même si je n'aime que modérément la tapisserie de leur maison, les suspensions, le mobilier ou la vaisselle, je les appréhende avec beaucoup d'affection, j'y vois des années de labeur et de sacrifices et j'aime passer quelques weekends dans cette maison chaleureuse, où l'on discute autour du feu de cheminée et où l'on a le droit de se brûler les lèvres sur des nems qui sortent à peine du wok où ils sont en train de frire sous l'oeil attentif de ma maman.
Elle nous demande systématiquement ce qui nous ferait plaisir quand nous lui annonçons que nous viendrons pour le weekend et il arrive, assez souvent, que nous lui réclamions des petites galettes aux oeufs de poisson. Ce classique de mon enfance à déguster bien chaud avec du riz, des rondelles de concombre, de tomate, voire d'aubergine crue, a un goût assez prononcé. Il ne faut avoir peur ni de l'ail, ni du nuoc mam. Elles sont moelleuses et terriblement addictives.
Le poissonnier ayant conservé les oeufs que renfermait l'abdomen du merlan acheté extra frais samedi matin, j'ai demandé à ma maman la recette par téléphone. L'extraction d'information fut, comme toujours assez difficile à obtenir dans la mesure où elle fait beaucoup de choses à l'oeil en matière de cuisine. J'ai donc ajusté comme je pouvais après plusieurs essais. Comme nous les avons toutes dévorées en un déjeuner, j'en conclus que ce n'était pas trop raté.

Les petites galettes aux oeufs de poisson de ma maman
Pour une quinzaine de galettes

-100g d'oeufs de poisson
-200g de poitrine de porc fraîche
-3 échalotes
-3 gousses d'ail
-1 oignon émincé
-2 oeufs
-2 cuillères à soupe d'eau
-4 cuillères à soupe de nuoc mam
-3 cuillères à soupe de sucre
-du poivre du moulin

Retirer, si besoin est, la couenne de la poitrine de porc.
La couper en morceau et la hacher finement avec l'ail et echalote.
Verser cette préparation dans un saladier. Ajouter les oeufs de poisson (après avoir retiré la membrane qui les enveloppe), les oeufs (de poule bien élevées), l'oignon émincé très finement, l'eau, le sucre et le nuoc mam. Poivrer.
Bien amalgamer le tout.
Faire chauffer un peu d'huile dans une poêle, déposer des petites louches de la préparation et faire cuire en sorte que les galettes soient bien cuites, dorées et moelleuses (en fait, ça se cuit un peu comme des pancakes sauf qu'on ne guette pas l'apparition des bulles à la surface, on surveille délicatement qu'une face soit dorée avant de retourner la galette).
Pour être sûr que les galettes seront assaisonnées à votre goût, prélever une petite quantité de la préparation et la faire cuire en avant-première. Goûter et ajuster selon le ressenti.
Ma maman aime bien ajouter de la ciboulette de son jardin.

Une autre recette spéciale maman? Essayez ses bahn çao!

mardi 12 février 2008

Ne change rien pour que tout soit différent -des petites tartes passion, gingembre et citron-

Quand G. est de garde, comme vendredi dernier, les soirées ont une texture toute particulière. Je le vois préparer son sac, avec les affaires de toilettes, les vêtements propres pour le lendemain, le petit panier repas pour éviter de mettre les pieds entre les murs recouverts de peintures obscènes de l'internat et se retrouver à ne manger que des pots de fromage blanc parce qu'il n'y a que du hachis parmentier tout marron et aqueux, on dirait qu'il part en voyage. Je prévois toujours un millier d'activités potentielles pour combler son absence: louer un film qu'il n'aura de toute façon jamais envie de regarder, téléphoner à L. qui vient d'envoyer une jolie carte de Paris, faire une guirlande de cartes de restaurant pour accrocher dans la cuisine, écouter des vieilles cassettes de vieux concerts de Vincent Delerm, écrire sur du joli papier à lettres japonais à J.M., traîner dans des boutiques...
Mais une fois que G. a quitté l'appartement, une fois que la voiture quitte le parking et s'éloigne prestement vers d'hostiles contrées, le silence de son absence met un voile un peu poisseux sur toutes ces bonnes résolutions: si je loue un dvd à la machine, il faudra aller le rendre et l'idée désagréable de sortir en pleine nuit toute seule l'emporte sur celle de regarder un film qui, de toute façon, avait de grandes chances de n'être que médiocre, je ne sais pas ce que j'aurais d'intéressant à raconter à L., ni à J.M., dont je n'ai pas eu de nouvelles depuis trop longtemps et qui doit m'avoir oubliée, les cassettes sont dans une boîte à chaussures en équilibre au sommet de ma bibliothèque, les attraper me paraît terriblement périlleux, je n'ai pas trouvé de petites pinces à linge comme je voulais pour la guirlande et je ne me sens pas le courage d'affronter les vendeuses moyennement accueillantes du seul endroit où je serais susceptible d'en trouver, les vitrines des boutiques me renvoient des silhouettes froides et sans âmes. Alors, dans l'appartement si silencieux que j'entends presque battre mon coeur, j'allume toutes les lampes du salon pour faire comme si et je vais sagement dans mon bureau où je travaille consciencieusement comme si de rien n'était.
Jusqu'à ce que je m'aperçoive que je ne vais pas être interrompue par G. me demandant si je suis prête pour le dîner. Je retarde toujours un peu ce moment-là, pour que la soirée passe plus vite. J'attends d'être affamée pour me décider à regagner la cuisine. J'allume la radio. Il y a des archives d'entretiens avec Olivier Messiaen; ce soir-là, il parle de ses voyages au Japon, des lanternes qui tremblent, du cri des oiseaux. J'écoute avec concentration en préparant du risotto aux épinards et au pécorino. J'ai bien fait attention de prendre le téléphone avec moi parce que je sais que G. va appeler, mais tout dépend du travail qui l'attend là-bas.
J'interromps la cuisson du risotto: le téléphone sonne. Il est étonnant de constater qu'on peut avoir tout un roman à raconter à une personne qu'on a quittée il n'y a que quelques heures et même si l'on n'a pas fait grand chose de passionnant pendant ce temps, du moment que cette personne est chère à votre coeur.
Je raccroche et je reviens à mon risotto. Je le déguste avec la frustration de ne pouvoir dire à G.: "C'est super réussi, non?"
Il n'y a que l'absorption par le travail qui arrive à faire supporter l'absence. Parfois, je suis contente qu'il y ait dans les placards du chocolat ou des biscuits. Une fois, comme il s'agissait d'une garde où G. pouvait rentrer à minuit, j'avais préparé un fondant aux pommes caramélisées, j'avais adoré l'accueillir dans une maison qui embaumait le sucre cuit.
Je m'applique à retarder le plus possible le moment d'aller me coucher, je veux être sûre d'être suffisamment épuisée pour sombrer dans le sommeil sans trop avoir à penser. Je traîne, je feuillette des magazines, parfois je fais même semblant de faire un peu de ménage.
Je ne ferme aucun des volets de l'appartement quand G. n'est pas là, j'aime bien les lumières de la ville. J'ai souvent peur, quand je suis sous la douche, qu'un psychopathe donne un coup de hache dans la porte de l'entrée. J'écourte la douche. J'enfile un pyjama très doux et je me couche à la place de G., dans le grand lit froid. Je remonte très haut la couverture bleu nuit. Je lis un livre de cuisine indienne jusqu'à être tellement épuisée que je n'arrive plus à suivre les lignes. Alors je me résouds à éteindre la petite lampe japonaise et je m'endors, en espérant de toutes mes forces que G. aura la nuit la plus calme possible.
Ces matins-là, j'ai beau en rêver, je n'arrive jamais à faire la grasse matinée. Je me réveille comme les jours de travail (ce qui est un gros sacrifice car j'adore dormir) sauf que personne ne me raconte ses rêves et qu'il n'y a pas l'odeur du café dans la cuisine. Quand G. n'a pas à travailler le lendemain, il arrive peu de temps après, avec toujours quelques croissants et parfois même des magazines. Mais cette fois-ci, je savais bien qu'il faudrait patienter jusqu'à midi.
Ces moments-là me rappellent la vie avant G., quand parfois je passais le weekend sans avoir personne à qui parler; je finissais par me demander, le dimanche soir, si je retrouverai l'usage de la parole.
Je reste longtemps en pyjama, j'essaie de travailler avant de partir au marché où je choisis avec soin tout ce qui pourrait faire plaisir à G.: du bar très frais, des kiwis bio pas trop mûrs, des pommes rouges et jaunes, douces et acidulées à la fois, des champignons très blancs, du fromage... Il y a un plaisir inouï à penser à l'autre devant tant de gourmandises.
Et puis tout va très vite. Les légumes sont épluchés, râpés, le bar vient s'y allonger avant d'être glissé au four; on n'a même pas le temps de faire des petits toasts de fromage de chèvre au citron et aux herbes et d'autres au chorizo qu'on entend une clé dans la serrure de la porte d'entrée et mon coeur s'ouvre comme une fleur.
Roland Barthes essaie désespérément dans Fragments d'un discours amoureux, d'écrire un haïku qui dirait l'absence de l'être aimé aussi efficacement que Bashô:
La pleine lune d'automne,
Tout le long de la nuit
J'ai fait les cent pas autour de l'étang.
Il envie ce tout le long de la nuit qui dit si bien la tristesse mais il ne parvient pas à son tour, à restituer cette attente-là, il n'arrive pas à "ajuster", c'est toujours trop ou pas assez. Il finit par conclure:
Savoir qu'on n'écrit pas pour l'autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j'aime, savoir que l'écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu'elle est précisément là où tu n'es pas - c'est le commencement de l'écriture.


Essayez ces tartes de l'amour, dont la recette est extraite d'une très jolie nouveauté aux éditions de l'Epure; délicates, piquantes et acidulées, peut-être qu'elles auraient plu à Barthes? Elles ont en tout cas conquis G. et ont déjà quelques fans! Je ne ferai plus jamais une autre pâte sucrée que celle-là, juste un peu vanillée, craquante et fondante à la fois.


Les petites tartes passion, gingembre et citron
Pour 8 tartelettes de 11cm de diamètre

La pâte sucrée
-230g de farine de ble
-20g de farine de maïs
-95g de sucre glace
-1 oeuf battu
-150g de beurre très mou
-30g de poudre d'amandes
-2 pincées de fleur de sel
-une demie gousse de vanille

La crème
-2 oeufs entiers
-2 jaunes d'oeuf
-100g de sucre
-un citron vert
-deux citrons jaunes
-10g de gingembre râpé
-5 fruits de la passion (j'en ai mis sept parce que le maraîcher m'en avait offert deux)
-100g de beurre fondu
-une demie gousse de vanille

Pour la crème, faire infuser la gousse de vanille fendue et grattée avec le gingembre dans le beurre dans une casserole à fond épais. Réserver.
Fouetter les oeufs et le sucre jusqu'à ce que le mélange blanchisse. Ajouter le jus des citrons ainsi que le zeste du citron vert. Y ajouter le jus des fruits de la passion que vous aurez recueilli grâce à une petite passoire.
Retirer la gousse de vanille du beurre fondu et verser le mélange citronné.
Poser la casserole sur un feu très doux et laisser cuire sans jamais cesser de mélanger jusqu'à épaississement. Cela dure environ un quart d'heure. La texture est parfaitement lisse et sans grumeaux; si vous goûtez ça tiède, vous trouverez déjà cela très bon. Laisser refroidir à température ambiante avant de réfrigérer (j'avais préparé cette crème la veille de la dégustation).
Pour la pâte, utiliser les crochets du batteur électrique.
Malaxer le beurre pour l'assouplir puis ajouter le sucre glace, la poudre d'amandes, la vanille grattée, l'oeuf et enfin les farines en mélangeant bien entre chaque ingrédient.
Arrêter de battre quand la pâte forme une boule. La placer dans du papier film, l'écraser un peu en un disque un peu épais et la laisser au réfrigérateur (j'avais aussi fait cette opération la veille).
Etaler la pâte sur environ 4mm de diamètre, foncer les moules à tarte et les faire cuire à blanc environ 10 minutes à 180°. Surveiller, ça va très vite.
Les laisser refroidir puis répartir la crème à la passion.
Partager le plaisir de la dégustation avec quelqu'un que vous aimez.

mercredi 6 février 2008

Les nuits américaines -des pancakes comme à RB-

La vie est parfois comme un rêve qui ne craint pas d'être interrompu par le réveil tant il s'y passe peu de choses. Le travail, quand il n'est pas un minutieux exercice de mémoire, consiste à faire des listes de produits dont on ne soupçonnait même pas l'existence ou d'établir une infinité de graphiques dont on voudrait que les lignes qui se croisent deviennent des rails et nous emmènent loin, bien loin de ce bureau de sous sol, poussiéreux et inondé les jours de pluie. On a envie de rentrer à la maison, d'enfiler le pantalon tout mou à rayures roses et de se mettre au lit.
Oh mais non! Patoumi ne se laisse pas abattre de la sorte (et surtout pas par une blonde binoclarde qui porte des mini jupes en jean à surpiqûres marron!). Pour tenir bon, outre le fait de rêver derrière son bureau à des vacances qu'elle imagine à la fois ensoleillées, brumeuses, citadines et pleines de verdure (comment ça c'est impossible? C'est pas grave parce que de toute façon les prochaines vacances sont si lointaines que l'on peut espérer ce qui nous chante), on peut se griser de plaisirs minuscules et précieux: goûter un nouveau thé, participer à des concours où l'on peut gagner des objets en série limitée, écrire à des gens qu'on ne connaît pas et découvrir avec ravissement des vies qu'on ne soupçonnait pas, essayer avec G. de nouveaux restaurants (à nos risques et périls mais bon, ça fait des souvenirs!), faire des canelonis, commander les dernières nouveautés aux éditions de L'Epure, observer dans les vitrines ce qui pourraient être de futures chaussures, acheter du kouign amann aux pommes, et puis aller au cinéma.
Jadis, autrefois, naguère, les salles obscures remplissaient des offices très différents selon les circonstances: un refuge où l'on peut pleurer tranquillement en cas de chagrin qui rend l'appartement insupportable -et on peut dire que les larmes, c'est à cause du film, comme avec les oignons- ou bien, comme lors de l'après midi qui précédait la première soirée que je devais passer avec G., un lieu de spectacle qui occupe l'esprit quand celui-ci est absolument indomptable vu l'excitation générée par la situation. Maintenant, les chagrins se font plus rares et se noient s'ils adviennent dans la réalisation d'un cake aux fruits confits, ou des baisers, un livre et des litres de thé; les phases de surexcitation n'ont plus besoin de se dissimuler, ni d'être canalisées, elles se contentent d'être vécues, et peuvent être partagées.
Quatre propositions de films outre atlantiques, très loin des histoires d'appartements, d'amours adolescentes et de bus qui passent à minuit quatre comme j'ai l'habitude d'aimer mais qui m'ont bien plu. Faites votre choix!
Un tout petit film passé inaperçu, Shotgun stories, pour lequel je traînais un peu les pieds parce que l'Arkansas me paraissait moins glamour que Paris (alors, ce que j'espère aussi, c'est que cette petite sélection vous évitera, si l'envie vous en prend, d'aller voir le prochain Klapisch. Je sais, je sais, il a fait un film pour les sans-papiers et il a écrit une lettre à NS, il n'en reste pas moins que son film est rempli de clichés populistes en plus d'être moche -comme la bande annonce passe systématiquement, j'ai eu le temps d'observer-. J'ai par ailleurs déjà entendu M. Klapisch a la radio et je n'ai pas du tout du tout aimé son ton très suffisant, ce truc à la fois "je-suis-proche-du-peuple" et "je-vais-vous-apprendre-ce qu'est-le cinéma". Bon ok, c'est subjectif mais j'ai besoin de le dire: je ne le supporte pas!). En fait, même au fin fond de l'Arkansas, on se demande de façon plutôt touchante si l'on est prêt à épouser une femme qui vous aime quand on n'en a jamais aimé aucune autre et que l'on n'a rien d'autre à lui offrir pour l'instant qu'une toile de tente. Tendue et limpide à la fois, violente sans surenchère, l'histoire se déploie vers un dénouement qu'on n'avait pas imaginé. Et quel plaisir de discuter de tout cela devant le feu de cheminée de votre crêperie préférée. Chouette soirée.
Un dimanche soir, j'ai faillit improviser malgré moi une oeuvre abstraite sur les murs de la cuisine en mixant une soupe carottes/patates douces/pecorino alors que j'écoutais, une fois n'est pas coutume, Le masque et la plume, cette émission de France Inter où il s'agit plus de faire un bon mot qu'une critique constructive (j'ai été très longtemps fidèle à ce rendez vous du dimanche soir jusqu'au jour où ils ont parlé de Three times de Hou Hsiao Hsien. Ils en ont beaucoup ri, tournant le film en ridicule, et Emmanuel Burdeau, qui avait écrit un très bel article sur le sujet dans les Cahiers, s'est retrouvé étouffé par une bande de personnes ricanante et méprisante. Il n'a même pas eu le courage (ou l'opportunité) de les contredire ou de se défendre. Au décours d'un mail, je lui expliquais que je n'écouterai plus jamais Le masque, tant j'avais trouvé cela déplaisant et il avait de lui-même avoué qu'il s'agit plus pour les protagonistes de se mettre en scène que de donner un avis éclairé sur les films. Bref.). Ce dimanche-là, mon mixeur girafe a dangereusement valsé quand Pierre Murat expliquait qu'Into the wild ne lui avait pas déplu mais que bon quand même, il fallait vraiment être "un petit con" pour décider de tout plaquer comme ça pour aller faire le malin tout seul en Alaska. Cher Pierre Murat, je tenais à vous dire que si petit con il y a, il n'est peut-être pas dans le film. Il est des troubles de la personnalité, qui ne relèvent pas de la connerie, et qui font que vous n'envisagez ni le monde ni les relations aux autres sous le même angle que nous, pauvres névrosés, et vous, qui pour faire un bon mot n'hésitez même pas à raconter l'issue du film dans le détail. Alors c'est vrai que j'ai trouvé les scènes de canoë kayak un peu longues mais cela n'est rien à côté du plaisir, non dénué de tristesse, que j'ai éprouvé. J'ai eu peur, j'ai eu froid, j'ai eu faim, et le lendemain, j'y ai tout de suite repensé en me réveillant, ce qui est pour moi un critère de qualité.
De Tim Burton, on n'aime pas dire du mal. De toute façon, j'ai bien aimé tous ceux que j'ai vus (peut-être que les autres sont nuls?) avec un gros faible pour ses Noces funèbres. Il y a à nouveau une jeune fille très douce qui est abusée, un affreux méchant libidineux dont il faut se venger, un mariage qui a du mal à se concrétiser mais, et ce n'est pas ce que j'ai préféré, cette fois-ci sur fond de comédie musicale. J'ai trouvé qu'ils s'époumonnaient beaucoup et que parfois, ils étaient même un peu niais mais Helena Bonham Carter fait les pies les plus dégueulasses du monde avec une classe folle. L'histoire est un peu dure mais je mentirais si je disais que je n'ai pas eu de plaisir devant ce film. Parfait après un dîner à Zenzoo pendant lequel on déguste du porc croustillant aux kumquats confits en sirotant un thé aux perles à la noix de coco.
Et puis il y eut No country for old men, sa bonbonne de gaz, son psychopathe à perruque (et oui Aurélie, un mythe s'effondre!), ses courses poursuites, ses pile ou face, ses fractures ouvertes, ses gros billets, ses chemises à carreaux et ses motels crasseux... On a la bouche sèche et le coeur qui bat à cent cinquante mais bizarrement, ce n'est pas déplaisant.
Bon, après ces films pleins de sang, de vomis et de coups de fusils, j'avoue que quand même, j'ai une petite préférence pour ceux qui se passent dans des appartements ou en bord de mer avec, par exemple, un type qui aime une fille qui aime un type qui aime le type qui aime la fille. Et s'il y a des tartines de pain beurré, ça n'en est que mieux! Bien sûr, vous pouvez préférer (re)voir La nuit américaine...
Pour ne pas contenter que l'esprit, des pancakes prêts en un rien de temps, qui n'ont rien à envier à ceux qui sont servis dans les dinners américains (avec leurs serveuses à badge, le café à volonté et les oeufs frits très frits). Si vous ne les sucrez pas, ils peuvent même faire office de blinis pour accompagner le saumon fumé que vous avez acheté samedi matin au marché à un très gentil poissonnier moustachu.


Les pancakes de Rose Bakery
Pour une quinzaine de pancakes

-2 oeufs
-220mL de lait ribot
-75g de beurre fondu et refroidi
-190g de farine, semi complète si vous voulez
-un sachet de levure
-une cuillère à soupe de sucre

Mélanger d'une part les oeufs, le lait et le beurre; d'autre part la farine, la levure et le sucre.
Amalgamer sans insister ces deux préparations.
Laisser reposer le temps de vider le lave vaisselle.
Dans une poêle beurré, faire cuire vos pancakes à feu doux, les retourner quand des petites bulles apparaissent à leur surface.
Si vous avez des myrtilles ou de fines tranches de banane, vous pouvez en disperser quelques unes juste avant de retourner le pancake.
Déguster chaud et profiter de ce dimanche après-midi qui commence.

D'autres recettes façon Rose Bakery
Un cheesecake épuré
Une tarte aux abricots et au chocolat
Des shortbreads à la farine de riz
Un risotto aux légumes rôtis
Des scones vraiment très simples

vendredi 1 février 2008

Une fille à La Cocotte

La semaine dernière, c'était au tour de G. de passer un concours.
Comme le train partait à l'heure du thé, la dégustation d'une tarte aux pommes juste après l'ébranlement du wagon s'imposait, malgré le regard accusateur du type que j'avais en vis à vis, un monsieur à lunettes qui a passé son temps à remplir des grilles de sudoku tandis que son épouse, emmitouflée dans une écharpe en cachemire lisait un roman de Patricia Highsmith avant de s'endormir avec un masque sur les yeux.
Les veilles de concours sont des moments très particuliers (un mélange d'épuisement psychique où l'on trouve stérile de lire une énième fois ses cours tout en étant dans l'incapacité de ne pas le faire pour avoir l'esprit occupé) et je suis pour ma part d'une humeur exécrable, mais G. est resté d'un calme olympien. Pour le dîner, nous avons traversé quelques rues, nous sommes passés devant le Lucernaire, sa jeune et joyeuse clientèle et nous avons dîné Chez You, un joli restaurant très tranquille qui a su harmonieusement mêler une ambiance de bistrot à un certain dépaysement asiatique. Le serveur était très occidental, ce qui est un peu étrange, mais les cuisiniers et la jeune fille qui surgit de l'escalier avec des bols brûlants sont bien de là-bas. A la table d'à côté, trois amis d'une cinquantaine d'années s'extasient sans fin sur le contenu des leurs assiettes et critiquent sans concession une pièce de théâtre montée par quelqu'un de leur connaissance. Tout était délicieux et savamment épicé: la salade de papaye verte au piment, le tigre qui pleure (un coeur de rumsteack servi saignant avec une sauce qui brûle le palais juste comme il faut), le canard au curry rouge et aux litchis, étonnant.
Sur le chemin du retour, nous n'avons cessé d'observer les fenêtres des appartements derrière lesquelles on devinait des bibliothèques, une cuisine, un étudiant qui révisait.
Le lendemain, je suis descendue presque en pyjama sous mon manteau jusqu'à Bread and roses où j'ai pris un pain au chocolat et un scone aux raisins et, un peu comme presque toutes les mamans ont toujours peur de ne pas avoir fait assez à manger, je me suis aussi arrêtée à la boulangerie à l'angle que forment la rue Madame et la rue de Vaugirard pour y prendre une brioche toute replète et dorée qui eut une minute plus tard les faveurs de G.
S'en suivirent un long trajet en RER à travers des banlieues grises et atones puis une longue attente dans un couloir nu avant d'être enfin libérés, dégagés de toute perspective anxiogène.
Et le lendemain après-midi, avec encore en tête les photos de la comtesse de Castiglione vues quelques heures auparavant, nous sommes allés à La Cocotte.


La dernière fois, l'ambiance y était un peu tendue, entre la démarcheuse Marabout autoritaire qui voulait à tout prix refourguer leurs livres sur les verrines et Laura Zavan qui avait laissé sa voiture en double file le temps de déposer tout un tas de courses destinés à faire les tiramisus pour à sa dédicace du lendemain. Cette fois-ci, il y avait un monsieur d'un certain âge qui sirotait tranquillement un café en lisant le journal et trois jeunes femmes absolument insupportables d'arrogance, de narcissisme et de voix qui font mal aux oreilles. Mais je les ai mises de côté et je me suis concentrée sur les jolis livres et les petits objets plein de charme qui jonchent les tables et les étagère de La Cocotte.


Je sais qu'il y a déjà eu de nombreux articles sur cette librairie mais, en toute franchise, c'est très mérité. Les ouvrages mis en avant ne sont pas ceux que l'on voit partout, il y a une vraie sélection, exigeante et pleine de goût. Parmi les livres, qui ne parlent pas que de cuisine, sont semés des tas de jolis objets, précieux ou adorables de futilité, entre la manique en crochet violet, la poubelle en papier, le calendrier gourmand, les petits carnets, les cahiers pour lesquels je suis encore encore étonnée d'avoir résisté (hum, un coup de Radoumi peut-être?)... Les livres de L'Epure sont dans des barquettes en aluminium, c'est chouette. Et puis, sur une petite table, à côté de torchons très classes (on peut leur préférer ceux de chez LZC, je ne sais que choisir), des nourritures terrestres: de la confiture de lait, des dulcellows, des biscocottis, et, dans de magnétisantes boîtes recouvertes de toile de Jouy, des cocottines, dont je ne soupçonnais pas, avant d'y avoir goûté, l'important effet addictif. Il s'agit de petits sablés un peu croquants mais très fondants (la texture ressemble un peu aux petites galettes de la maman de Martin Winckler) parfumés à la fleur d'oranger et au citron et qui sont réunis deux à eux par de la confiture de lait. G. a dit: "C'est la première fois que des biscuits achetés sont aussi bons que ceux que tu fais!" Leur seul défaut: il n'y en avait pas assez dans la boîte.


C'est un très bel endroit pour retrouver des copines et même qu'après, comme c'est ouvert jusqu'à vingt heures, on pourrait dîner dans la même rue au Bistrot Paul Bert ou Au temps au temps... Après l'internat pour celles qui veulent bien?
Et que ramène-t-on de La Cocotte?
Une jolie bande dessinée suisse


A vos fourneaux d'Adrienne Barman aux éditions La joie de lire
Alice, Béa, Margerite, Olivia et tous leurs amis nous apprennent le temps d'une planche, à faire en vrac, de la confiture de mirabelles, des spaghetti aux oignons confits, de la crème au rhum ou du gratin de pâtisson. Pas mal du tout.

Un très beau livre canadien, sobre et élégant, multiplement primé


L'appareil aux éditions de la Pastèque
Entre d'audacieux menus élaborés par des chefs de Montréal (peut-être aurez-vous envie de vous lancer dans le tian de homard, vinaigrette au miso ou les pétoncles à l'unilatéral, croûte de panco et caviar de mulet. Je suis pour ma part assez tentée par la tarte au fromage de chèvre, chutney d'ananas et cardamome ou la soupe au lait de coco et granité au jus de ugli ou encore la terrine de citron au sarrasin) se glissent des histoires en bandes dessinées, et certaines planches feraient de très agréables posters pour jolies cuisines. La typo est très soignée, la mise en page est graphique et pleine d'allure. Un livre précieux.

Un livre qui me divise


Une singulière gourmandise de Bernard Faucon aux éditions William Blake
Le titre, la photographie de couverture et la postface annoncée de Hervé Guibert m'ont tout de suite attirée. Les intitulés de certaines recettes m'ont, sans que je puisse de façon cartésienne l'expliquer, émue jusqu'à la moëlle: Printemps un peu désinvolte; Dernière semaine de juin, une fois encore; Les beaux jours reviendront. Certaines photos sont jolies, plusieurs mettent un peu mal à l'aise. La postface de Guibert (qui n'est pas en soi un si beau texte que cela, et pourtant, j'aime beaucoup comme il écrit) était en réalité destinée à un autre livre. Et surtout, il se trouve que monsieur Bernard Faucon a un ton suffisant que je trouve un peu déplaisant. Un petit côté détenteur du bon goût qui me gêne. Mais bon, c'est juste mon avis.
Dans le train du retour, nous avons fait une partie de pictionnary gastronomique et, après un baiser, je me suis endormie.
Il y a quelques jours, assise en tailleur sur la banquette de mon bureau, enveloppée dans mon plaid en flanelle rouge, j'ai fini le coeur serré Le journal d'Hélène Berr. D'abord il y a eu un article dans les Inrocks, et puis ils en ont lu un extrait un midi sur France Culture. J'en ai parlé pendant tout le déjeuner à G. et le soir même, en rentrant du travail, il m'a tendu un paquet cadeau bleu et doré. J'ai tout de suite abandonné la lecture de Guerre et Paix pour commencer celle du journal d'Hélène B.
Je reste hantée par la trajectoire de cette jeune femme qui a vingt et un ans en 1942. Violoniste, anglophile, amoureuse, elle aime cueillir les framboises et les groseilles, elle aime aussi les chocolats onctueux et les cigarettes russes, elle ne peut se résoudre à porter l'étoile jaune qu'elle considère comme une preuve d'obéissance aux lois allemandes mais elle finit par se raviser "[...]je trouve que c'est une lâcheté de ne pas le faire, vis à vis de ceux qui le feront. Seulement, si je le porte, je veux toujours être très élégante et très digne, pour que les gens voient ce que c'est".
Elle résiste, par la pensée, en tenant scrupuleusement son journal où elle consigne toutes les abominations perpétrées alors contre le peuple juif, en réfléchissant sans fin sur le sens de tout cela, ce mal absurde et absolu qui s'abat sur eux, mais elle résiste aussi par les actes, en ne fuyant pas et en s'investissant dans la cause des enfants juifs. Hélène Berr aimait Alice au pays des merveilles, les sonnets de Shakespeare, Keats, Tolstoï, Rilke, Paul Valéry et Tchekhov (elle retient cette phrase d'Oncle Vania: "Nous nous reposerons Oncle Vania, nous nous reposerons." -quand nous serons morts-).
La dernière partie du journal est oppressante d'angoisse, les arrestations se multiplient, elle écrit: "Penser que si je suis arrêtée ce soir (ce que j'envisage depuis longtemps), je serai dans huit jours en Haute-Silésie, peut-être morte, que toute ma vie s'éteindra brusquement, avec tout l'infini que je sens en moi".
Patrick Modiano, qui préface le journal, pense à Arthur Rimbaud (que j'ai alors eu envie de relire de façon très urgente) en se souvenant d'Hélène Berr. Au printemps 1872, il écrit dans La chanson de la plus haute Tour:

Par délicatesse
J'ai perdu ma vie