vendredi 28 mars 2008

En aparté (2) -il y a des choses qu'on ne sacrifie pas aux printemps qui tardent-

Les jeudis midis ont une texture toute particulière depuis que j'ai décidé d'essayer chaque semaine un nouvel endroit où déjeuner. J'ai l'impression de revêtir mon trench d'Inspectrice Gadget et je me sens investie d'une mission de grande importance (j'ai un petit malaise en écrivant cela parce que je viens d'écouter une émission de France Culture sur les bourreaux ordinaires. On se sent tout petit et tout futile quand on a entendu Jean Hatzfeld ou Rithy Panh. Je me suis longtemps demandée d'où venait mon intérêt pour la Shoah, jusqu'à ce que je sois capable de m'avouer que ce n'était qu'une façon de se préoccuper, en se maintenant à distance, du génocide qui avait touché mon propre peuple).
Ce midi, sous un soleil hésitant, j'ai choisi d'aller aux Pieds dans le plat, un tout petit restaurant en face de l'Eglise du Vieux Saint-Etienne où j'avais vu un soir d'hiver une pièce de Fassbinder qui s'appelait "Preparadise sorry now". J'avais remarqué Les pieds dans le plat en sortant du très joli salon de thé-restaurant-librairie (qui sert l'été un délicieux gaspacho fraise-tomate) situé juste à côté, Histoire de thés, un soir après avoir bu un thé Ikebana avec une gentille bloggueuse. J'ai un avis très mitigé sur Histoire de thés, il faudrait que j'y retourne (probablement très prochainement vu l'ardoise qu'il y avait aujourd'hui, affichant du pain perdu à l'orange et de la tarte à la nougatine).
J'avais appelé la semaine dernière aux Pieds dans le plat pour réserver une table à dîner, mais la dame m'avait gentiment expliqué que le soir, elle n'ouvrait que pour des soirées privées. Qu'il fallait alors lui indiquer le nombre de personnes (au moins dix) et qu'on pouvait ensuite établir un menu ensemble. Elle avait l'air gentille. Je m'étais promis d'essayer dès qu'un déjeuner dehors se présenterait.
Quand je suis arrivée, un peu après midi, elle m'a d'abord dit que tout était réservé (argh) mais finalement, elle m'a laissée m'installer à une petite table "où les gens arriveraient tard" (ouf). Elle m'enjoignit de plutôt m'asseoir avec vue sur l'église "C'est quand même plus joli".
L'endroit est tout petit mais on n'a pas l'impression d'étouffer. Aux murs il y a des gravures, le mobilier est en bois foncé, les tables sont en galva patiné ou recouvertes de papier journal verni. Il y a des petits bouquets de roses dispersés et au dessus de la porte des cuisines, une discrète Cène. Je vais aux toilettes me laver les mains et je suis contente d'y voir, parmi d'autres choses en noir et blanc, une vieille carte de téléphone, 50 unités, avec Jeanne Moreau, le combiné à l'oreille dans Ascenseur pour l'échafaud (je crois).
Au menu ce jour-là:
Deux entrées:
*Nem de sardine (que choisira mon voisin et qui a l'air délicieux)
*Tomates, pesto et mozzarella (vue la saison, j'ai du mal à croire à ce plat mais bon)
Trois plats:
*Boeuf à la marocaine
*Tourte de crevettes aux légumes verts et au curry léger
*Tartiflette
Un plateau de fromages AOC
Deux desserts:
*Tiramisu
*Fondant au chocolat et crème anglaise
Rien de très révolutionnaire mais de délicieux parfums se mêlaient à la bande-son très rock des années soixante, créant ainsi un climat des plus engageants.
En apercevant l'assiette de mon autre voisin qui avait choisi le boeuf à la marocaine, je décidai d'opter pour la même chose. En attendant (très peu de temps) d'être servi, on peut compulser les Libé mis à disposition.
La dame, tout en douceur et carré châtain, m'a alors apporté une assiette fumante où j'ai pu mélanger sans complexe ma semoule cuisson parfaite à la sauce réduite et parfumée qui accompagne sans les noyer le boeuf si fondant qu'on pourrait le manger à la petite cuillère et les légumes qui assurément ne sortent pas d'une boîte. Ce plat n'a rien d'inédit, ni d'innovant mais il est parfaitement réalisé, c'est tout à fait ce qu'on a envie de manger un jour un peu froid, en regardant les nuages au-dessus d'une église, entre deux grandes plages de travail. Si je ne finis pas mon assiette, c'est vraiment par coquetterie.


La clientèle qui m'entoure peu à peu est presque exclusivement masculine, toute en pulls col V et écharpes en laine. Ils parlent de graphisme, de Patti Smith et du programme du festival Mythos.
J'avais d'abord pensé à goûter au tiramisu et puis j'ai songé que je n'aimais que mon tiramisu, aux pavesini et avec une couche de chocolat fondu sur chaque couche de crème et j'avoue que j'ai choisi le fondant au chocolat avec une certaine résignation. C'est quand même un dessert très éprouvé. J'en étais déjà lasse avant d'y avoir goûté. Mais c'est alors qu'elle m'apporta un large triangle sombre, recouvert de cacao, dont la pointe reposait sur une nappe raisonnable de crème anglaise, vraisemblablement maison. La première bouchée leva mes réticence. C'était très bon, pas gras, pas trop sucré, chocolaté juste ce qu'il faut. Rien de spectaculaire, juste un goût très agréable. J'ai fini ma part et j'ai même un peu raclé mon assiette bordée de boutons de roses avec plaisir.


L'addition m'est annoncée avec presque timidité et je quitte ravie Les pieds dans le plat, me promettant d'y amener G. dès que l'occasion se présenterait.
Les pieds dans le plat
43 rue de Dinan
35000 Rennes
0299673155


Merci à Arnaud Cathrine, pour le titre.

mardi 25 mars 2008

Même si l'on y tient vraiment, restons de glace, restons élégants -concombre, crabe et gingembre-

Ce jeudi-là, je n'avais pas vraiment le choix. Personne pour m'écrire un petit mot d'absence, pas de grippe qui me clouerait au lit, pas de grève inopinée des transports et l'angoisse n'a pas encore été élevée au rang de motif valable pour ne pas assister à une sorte de grande réunion avec tous les gens qui font dans la vie la même chose que moi. Ou plutôt qui font dans la vie ce que j'aimerais bien faire.
Depuis plusieurs nuits déjà je m'endormais en redoutant ce moment. D'habitude, je m'invente une excuse, un gros mensonge dit en toute innocence, et je charge une personne charitable d'effectuer pour moi ce genre de formalité. Mais cette fois-ci, l'issue n'étant pas certaine, il aurait été fort imprudent d'y couper.
J'avais prévu, pour me prémunir de ma timidité et de ce qu'on pourrait appeler une certaine phobie sociale (ce qui me retient de poser ce diagnostic, c'est que ce handicap n'apparaît que dans certains contextes très particuliers, et notamment quand je me sens en position de grande nullité pas rapport aux forces en présence. Nulle parce que moche, nulle parce que bête, nulle parce que pas bien classée, nulle parce que grosse, nulle parce que chaussures sales... Tout est bon), de m'acheter un objet doudou, un vêtement par exemple, dont je serais si contente que quoi qu'il m'arriverait, je resterais digne et classe (classe comme cette jeune fille blonde, avec une frange, qui portait des low boots bleu gris, un pardessus noir, un grand foulard rose, un badge Jacqueline Lacan -je veux le même!- et qui affectait un regard peut-être trop pensif pour être honnête au concert de Alela Diane, samedi dernier dans une minuscule MJC de quartier. J'étais debout au premier rang et, sans que je ne puisse rien y faire, j'ai pleuré sans être prévenue quand elle a chanté Oh!my mama).
Alors j'avais repéré une blouse bleue Les petites et une espèce de truc au Comptoir, vert à pois, avec un noeud dans le dos. Mais, par manque de temps et probablement de motivation, je me suis convaincue qu'on n'était jamais aussi bien que dans des tenues éprouvées. J'ai choisi une jupe bleue asymétique et un peu floue, un tee shirt blanc et par-dessus, un petit haut indescriptible, avec des pois, plissé et à nouer dans le dos. Ca a l'air bizarre comme ça, mais c'est pas mal. Et puis on ne voit pas qu'il faudrait arrêter de manger des tartines de pain beurrées et miellées si on veut espérer un jour remettre des jeans sans s'arrêter de respirer.
Ce midi-là, G. ne pouvait rentrer déjeuner; je me suis concocté avec une rapidité qui m'a moi-même déconcertée, un peu de riz sauté à la saucisse chinoise. J'ai avalé un demi pamplemousse sans presque m'en apercevoir et j'ai essayé de faire des exercices de relaxation très personnels (j'écoute et je chante du, hum vous l'aurez deviné, Vincent Delerm). Ca m'a un peu rappelé la demi-heure qui précède les épreuves de l'internat, mais en cent fois moins pire, quand même. Il y a des avant-goûts dont on aimerait se passer.
Je suis partie un peu en retard, une vieille habitude que je ne saurais expliquer. Dans le métro, il y avait une trentaine d'enfants déguisés en cosmonautes, dans des combinaisons en aluminium.
J'ai monté l'escalier en colimaçon en me félicitant de n'avoir croisé personne. Je distinguais des rires, des bribes de conversation, des odeurs de café, en provenance du rez-de-chaussée, où les internes se retrouvent après avoir -mal- déjeuné. Je me suis assise sur un vieux clic clac couleur prune et j'ai attendu. Dans ces cas-là, je suis toujours tétanisée à l'idée qu'on m'adresse la parole, j'ai peur de mes propres réactions (car voyez-vous, on n'entend pas que des choses intelligentes ou bienveillantes dans ce genre de comité finalement très comme il faut).
J'avais un peu mal au coeur en voyant tous ces gens qui se destinent de façon certaine à ce que je ne fais que convoiter, je me suis demandée ce qu'ils avaient de plus que moi. J'avais le coeur qui se gorgeait de larmes. J'ai vu leur insouciance et leur assurance, j'ai vu comme mon avenir était incertain. On voudrait parfois être certain que tous les efforts et les sacrifices seront payés en retour.
J'ai quitté cet endroit la bouche sèche et les jambes molles. Je ne pouvais me résoudre à reprendre le métro, j'avais besoin de grand air. J'ai dévalé les rues à toute allure, j'ai vu qu'un antiquaire avait ouvert, j'ai regardé la vitrine d'un bouquiniste, le menu d'un restaurant, les vitraux d'une église, un chat qui s'enfuyait, les maraîchers de la place Sainte Anne installer leurs étals.
A la maison, j'ai fait du thé, j'ai écouté un peu de musique et puis j'ai essayé de me concentrer sur le travail. L'heure du goûter était déjà bien dépassée quand je me suis décidée à enfourner la pâte de madeleines au citron que j'avais laissée reposer au frigo avant de partir. J'ai fait trois fournées de madeleines archi bossues et parfumées mais malgré ma vigilance et mes ajustements de température, toutes sans exceptions furent irrémédiablement carbonisées sur leur face inférieure. Je n'avais pas le courage de maudire le four à gaz. J'ai monté un peu le volume de la radio et j'ai patiemment retiré tout ce qui était charbonneux.
G., en rentrant, m'a serrée fort. On a mangé toutes les madeleines, finalement.
Le lendemain, alors que je contemplais des Repetto dans une vitrine après une fastidieuse journée de travail, j'entends que l'on m'appelle. Je me retourne et je me retrouve nez à nez avec une vieille camarade de promo que je reconnais bien malgré un bronzage qui me donnerait presque envie de prendre une carte d'abonnement à "Hâlée toute l'année" et plusieurs kilos en moins (je n'ose pas lui demander si elle aime les tartines beurrées et miellées). Elle me parle de Nice et du fait d'aller skier tous les weekends, elle parle vite et un peu fort, en gros elle est super contente d'elle, de ce qu'elle fait, de la vie en général. Alors c'est un peu dur d'articuler "Ben, je repasse l'internat parce que j'étais super mal classée, j'ai pas eu ce que je voulais alors j'ai pris un poste super pourri où l'on me demande de faire des trucs genre "Tiens Patoumi, et si tu nous listais tous les produits d'entretien utilisés à l'hôpital?" et ça fait bien six mois que je n'ai vu aucun patient, ça me manque. Le weekend je révise et les prochaines vacances... c'est dans tellement longtemps que je n'ose même pas y penser"
Je suis rentrée à toute vitesse à la maison, j'ai eu envie de me coucher.
J'aurais pu lui dire quand même: "Mais est-ce-que tu as déjà fait du Kani kyuri ikomi?"
Ces petits disques de concombre sont farcis d'un mélange très délicat de crabe et de gingembre mariné (que la recette préconisait rouge mais j'en ai cherché en vain) et se dégustent très frais avec une sauce sucrée et acidulée à la fois. C'est une recette de Sophie Brissaud qui a décidément plus d'une corde à son arc.

Kani kyuri ikomi, une recette issue de La table du thé
-un concombre de bon diamètre
-une petite poignée de cresson blanchie, rafraîchie et hachée au couteau
-60g de chair de crabe émiettée
-2 cuillères à soupe de gingembre mariné émincé
-du sel

La sauce Sambai-zu
-2 cuillères à soupe de vinaigre de riz
-2 cuillères à soupe de dashi*
-3 cuillères à café de sucre
-2 cuillères à café de sauce soja
-du sel

Préparer la sauce en mélangeant tous les ingrédients puis en les portant à ébullition. Réserver et laisser refroidir.
Eplucher le concombre en lui taillant un pyjama (laisser une bande de peau sur deux).
Le frotter avec un peu de sel fin et le laisser reposer un quart d'heure. Au bout de ce temps, le rincer, le couper en deux et retirer à l'aide d'un couteau bien affûté ou d'un vide pomme, toutes ses graines et un peu de chair.
Pour bien faire, il faudrait fendre le concombre en deux (comme pour un sandwich) et étaler une couche de crabe, puis une couche de cresson puis une couche de gingembre.
Comme je manquais de patience ce jour-là, j'ai délicatement mélangé tous les ingrédients de la farce et j'en ai rempli la cavité formée dans le concombre.
Il s'agit ensuite de laisser reposer au réfrigérateur avant de découper des trances de 1 cm d'épaisseur que l'on aura plaisir à tremper dans la sauce Sambai-zu avant de déguster.
*Pour le dashi, il en existe de déjà prêt dans les épiceries asiatiques. J'avais choisi cette fois-ci de le préparer en suivant les instruction de Sophie Brissaud. Pour un demi litre de dashi, il vous faut un demi litre d'eau, 10g de copeaux de bonite sèchée et un morceau d'algue kombu d'environ dix cm de longueur.
On oublie le kombu pendant quatre heures dans l'eau. Au bout de ce temps, on porte l'eau à frémissement et on attend trois minutes en veillant bien à ce que le mélange ne bout pas. On retire du feu, on récupère le kombu et on verse la bonite. On laisse infuser un quart d'heure puis on filtre au travers d'une passoire doublée d'un linge que l'on retire ensuite délicatement puis que l'on presse pour récupérer tout le liquide retenu par la bonite.
L'art de la patience. Une recette à ne pas faire en écoutant du hard rock.

mercredi 19 mars 2008

San Remo, le printemps en fleurs, au loin j'entends battre ton coeur -poulet ivre et hérétique-

1. Une semaine en automne, une nuit pluvieuse, un immense lit à baldaquin dans un château abandonné
La voiture s'est engagée sur un chemin pierreux, étroit et sinueux. Je repliai la carte du Périgord et la balançai sans ménagement dans la boîte à gants où elle alla rejoindre dans un improbable désordre d'autres cartes routières défraîchies d'avoir trop servies, des lunettes de soleil bien inutiles vu le contexte et un paquet de cigarettes bleu, vestige de l'époque où G. en fumait avec beaucoup de classe mais j'avoue que je suis bien contente de ne plus profiter de leur odeur qui me faisait mal aux poumons. Les essuie-glaces officiaient en rythme. Nous ne disions rien, à la fois inquiets et excités. Nous distinguâmes bientôt une grange sur la gauche, puis un grand portail. Cela correspondait aux indications que la châtelaine m'avait données au téléphone. Il s'agissait alors de donner deux coups de klaxon. G. s'exécuta et apparut alors, derrière le portail, dans la lumière blafarde des phares, une dame au visage ridé, vêtue d'une veste de chasse bleu marine, portant un foulard un peu chic quoique vieillot et des bottes en plastique. Elle tient deux lampes de poches, elle nous ouvre et je descends de la voiture quelque peu ankylosée par la route que nous avons parcourue. Au-dessus de moi, de grands arbres indiscrets balançaient les quelques feuilles dont ils étaient encore parés. Dans une atmosphère qui n'aurait pas déplu à la famille Brontë, elle nous conduisit jusqu'à notre vaste chambre, glaciale mais absolument irrésistible, avec portraits de famille, cheminée, armoire gigantesque, lit à baldaquin, verres à pied et carafe sur un plateau en argent pour les déshydratations impromptues. Deux heures plus tard, l'aubergiste chez qui nous avions -très bien- dîné, nous dira: "Ah bon? Vous dormez au château? Elle l'ouvre encore en cette saison? Il fait quand même très froid!" Elle n'avait pas tort mais les quatre couvertures en laine épaisse qui nous recouvrirent cette nuit de novembre-là nous assurèrent un doux sommeil.

2. Du taleggio, de la saucisse piquante, les vendredis soirs, The Squid and the Whale
Si le taleggio, ce fromage à pâte molle originaire de Lombardie, qui ressemble un peu au maroilles mais qui est plus doux quand il est jeune, se marie très bien à la poire dans un risotto à la Laura Zavan, on peut aussi, pour une dînette réconfortante et improvisée, le couper en petits dés et en parsemer une pâte brisée toute prête (ouh la honte! Mais je vous rappelle qu'on est vendredi et puis même Sonia Ezgulian avoue acheter de la mousse au chocolat industrielle) préalablement recouverte d'un bon coulis de tomates, riche et parfumé, et des tranches de saucisse piquante achetées chez votre traiteur italien préféré en même temps que quelques mini babas dont G. ne fait qu'une bouchée. Quelques minutes dans un four bien chaud et vous récupérez une "tartizza", fumante et parfumée. Parfois, dans des élans d'enthousiasme qui remettent à bien plus tard les promesses de régime adressées à moi-même, je prépare des "tartizzas schizophrènes". Sur l'une des moitié de la pâte, l'assortiment sus-décrit, sur l'autre, une très fine couche de crème (de Roland Lécrivain, un agriculteur qui élève des Froment du Léon, dont le lait est fleuri, crémeux, trop bon!), du poivre du moulin, une fondue de poireaux, des tranches de vraies saucisses de Strasbourg et du comté râpé. Pas glamour pour deux sous mais aux qualités éprouvées. Si j'aimais manger devant la télé, alors je regarderai, en coupant des bouchées fumantes de tartizza dégoulinantes de fromage, The squid and the whale, ce joli film de Noah Baumbach, qui rappelle avec finesse et discrétion les atermoiements de l'adolescence, l'hésitation, les identifications, les désillusions sur désillusions.
"-Pourquoi l'as-tu quittée? (cette fille super gentille qui lit Kafka et t'invite une fois par semaine au restaurant chinois avec sa famille)
-Parce que je pensais trouver mieux.
-Mais mieux comment?
-..."



3. Des spartiates, un pantalon roulotté, un tee shirt avec des petites pommes imprimées

4. Des sardines au barbecue, des tomates cerises, du tamarin

L'été, sur la terrase de mes parents, on fait parfois griller quelques sardines extra fraîches. C'est la tâche qui revient à mon papa. Ma maman, quant à elle, a fait griller à sec des tomates cerises qu'elle se fait une fierté de récolter elle-même dans le jardin. Quand leur peau consent à lâcher leur chair parfumée sous l'effet de la chaleur, elle transvase le tout dans un petit bol où elle a râpé un peu de sucre de palme. Elle ajoute du nuoc mam, de la pâte de tamarin, une petite gousse d'ail émincée. Elle mélange bien puis parsème d'une large poignée de ciboulette (qui vient du même jardin est-elle contente de préciser).
Il s'agit alors de recouvrir les sardines brûlantes de cette mixture couleur sang, fruitée, acidulée. J'adore. Mais pour en manger, il faudrait consentir à aller plus souvent chez mes parents et donc arrêter d'angoisser à cette perspective.

5. Un baiser, mon plaid en flanelle rouge, le canapé gris-bleu
Pour être au mieux de mes capacités cognitives et pour mon bien-être corporel, l'idéal serait de faire chaque jour une petite sieste post prandiale avant de retourner au labo. Pour peu que l'on ait testé un nouveau restaurant (italien à côté de la maison par exemple. Je vous en reparlerai) ou que la conversation ait été un peu animée ou encore que j'aie tenu absolument à poursuivre mon roman en cours, la sieste passe à la trappe. J'essaie alors de somnoler dans le métro, mais quatre stations, c'est un peu court. Le problème, c'est que l'envie de dormir est souvent irrépressible et, comme mon activité intellectuelle n'est pas précisément dynamisante, il m'arrive un peu trop souvent de m'endormir outrageusement dans mon bureau de sous-sol du labo. Suffisamment longtemps pour me réveiller en sursaut et m'apercevoir que j'ai sur le front un érythème avec la marque des coutures de mon pull. La honte. J'essaie de reprendre le plus dignement possible un air sérieux et inspiré et je sors me faire un thé.

6. Du pain frais, du foie gras et des figues
Je n'ai pas beaucoup d'estime pour le pain de mie qui accompagne parfois le foie gras (sauf si c'est dimanche soir, qu'il n'y a plus que ça à la boulangerie, et qu'on a envie de finir le bocal de foie gras entamé la veille après être rentrés du cinéma). Je préfère de loin une belle tranche de pain frais, à la mie dense et à la croûte craquante. C'est un petit dîner que j'aime bien et qu'on peut parfois s'offrir grâce aux grands-parents de G., qui habitent le sud ouest et nous gratifient régulièrement de divers foie gras et autres confits.

7. Des saints-jacques crues, de la mangue et du citron vert
Comme le carpaccio dégusté un soir à Concarneau avec du sable dans les cheveux.

8. Une très bonne amie qui saurait vous aider à choisir un joli sac, un salon de thé l'après-midi, une vive discussion autour de Simone de Beauvoir, un échange d'anecdotes sur Marie Antoinette, quelques biscuits qui sortent du four de l'une ou de l'autre
Un petit fantasme.

9. Une tartine de pain, du beurre demi sel de Ploeuc-sur-lié, du miel de bourdaine reçu par la Poste en provenance de quelqu'un qui, entre autres qualités, sait nager le dos crawlé
S'il me suffit de traverser deux rues pour trouver du beurre Bordier (et je peux rester regarder, fascinée, les dames en tablier blanc, battre le beurre frais avant de lui donner sa forme définitive et de l'emballer avec une dextérité acrobatique), je trouve qu'il est quand même moins bon que le modeste beurre artisanal costarmoricain vendu dans mon monop enveloppé dans son humble papier bleu et blanc. Il est tendre, moelleux, il a goût de lait et de grand air. Alors dire du beurre Bordier (très bon lui aussi quand même), que c'est le meilleur beurre du monde, c'est un peu exagéré.

10.Du thé de Pâques, un roman, une fin d'après-midi
La perspective qui me donne le courage de filer au labo illico presto (je suis déjà en retard)

Je n'ai pas du tout respecté les règles du jeu, j'espère que Lisanka, Annie et Natalia ne m'en voudront pas!

Le poulet ivre est un petit plat que j'aime bien déguster à T'cha, une discrète maison de thé du sixième arrondissement. La serveuse d'un certain âge en baskets Nike peut paraître un peu revêche mais elle s'adoucit avec la fréquence de nos passages. Il règne dans cet endroit une sérénité très particulière, le temps est suspendu, limite il n'y a plus d'internat à passer, on peut passer sa vie en bord de mer à lire, écrire, boire du thé et manger des langoustines. Ce poulet, au goût et au parfum très particuliers, est servi avec une petite sauce au soja et au sésame. C'est un prodige de délicatesse et de force à la fois.
Mon poulet ivre de dimanche dernier n'a certainement pas été conçu dans les règles de l'art mais le résultat fut quand même très concluant, c'est un vrai bonheur d'arroser du riz bien chaud de cette sauce au goût unique.

Le poulet ivre et hérétique
-un poulet (de 1,3kg d'après la balance de nos gentilles volaillères du marché)
-4 gousses d'ail
-un gros pouce de gingembre
-3 échalotes
-250mL de vin de Shao Xing
-un trait de sirop d'érable
-du sel, du poivre du moulin et, quoi qu'on en dise, de l'huile d'olive

Ecraser les gousses d'ail et râper le gingembre dans la cocotte destinée à recueillir l'oiseau. Verser le sirop d'érable, disposer les échalotes.
Masser le poulet avec l'huile d'olive, le sel et le poivre. Le placer dans la cocotte.
Ajouter le vin.
Poser le couvercle sur la cocotte et enfourner pendant deux heures et demie dans un four à 120°
Au bout de ce temps, retirer le couvercle et poursuivre la cuisson pour dorer un peu le volatile.
Trop bon!

Merci à Florence, Rose et Gwen pour ce qu'elles savent.

mercredi 5 mars 2008

La rousse en imper qui m'empêchait de prendre l'ascenseur -le gâteau à l'orange de Momo-

Des secrets qui m'embêtent, j'en ai tout un paquet: j'ai pleuré devant Le cercle des poètes disparus (il se trouve qu'avec l'âge, j'exècre ce film dont l'issue est finalement très peu crédible); quand il reste des demi-oeufs lors de mes moments de pâtisserie, je les mets dans un petit mug blanc, je les passe au micro ondes puis je déguste mon oeuf ainsi cuit avec du ketchup ou du maggi; je connais un type qui ressemble vraiment beaucoup à Vincent Delerm et cela me met un peu mal à l'aise; j'aime bien le foie de veau; je ne savais pas qui était George Michael; j'ai beaucoup de mal à me supporter en maillot de bain; j'ai longtemps fait ce cauchemar où je suis au pied d'un immeuble en verre à la structure particulièrement labyrinthique. Il se trouve que G. habite dans les hauteurs de ce bâtiment tout en transparence et en fragilité. Pour accèder à son étage, je suis censée prendre l'ascenseur. Un ascenseur souvent compliqué, avec plusieurs fonctions à côté des classiques boutons désignant les étages. Il me fait un peu penser à l'ascenseur de Being John Malkovich. J'avais vu ce film un trente et un décembre, dans le cinéma de la petite ville de mes parents. J'appréhendais, comme de coutume, les réjouissances un peu forcées imposées par la date et je m'étais réfugiée au cinéma. Dans mon rêve, il y a toujours une rousse en imper qui m'empêche d'arriver là où je veux, elle m'embrouille avec le fonctionnement de l'ascenseur, elle répète "Tu n'y arriveras pas, tu n'y arriveras pas". Elle a souvent la bouche très rouge et des escarpins, avec des petits talons je crois. Comme les parois de l'ascenseur sont également translucides, au gré des allers retours que fait l'appareil (car je suis induite en erreur par la rousse en imper, je n'arrive pas à me décider pour un étage, elle me trouble trop), je ne fais que scruter les vitres des appartements à la recherche de la silhouette de G. Mais il n'est nulle part et je reste extrêmement angoissée dans cet ascenseur avec cette très belle rousse en imper qui me sourit froidement.
Je déteste ce rêve et je voudrais que cette rousse en imper cesse de m'empêcher de dormir.
Pendant l'absence de G., qui dure encore, j'ai écouté en boucle des histoires de rivières de janvier, de saisons blanches et austères, de jour sous somnifères, des vacanciers qui partent aux sports d'hiver, Modiano sous un réverbère, envisager de relire Hervé Guibert, j'ai avalé sur la table de la cuisine pas toujours nettoyée un gratin de ravioli à l'appenzeller, un pita burger, un curry aux crevettes et aux litchees, des crêpes au chocolat, de la brioche avec du beurre, j'ai écouté à la radio des papous faire les zouaves, de la musique contemporaine, Laëtitia Masson parler des "gens qui n'y arrivent pas", une interview de Vincent D., des souvenirs d'Yves Simon et plusieurs fois, les informations, je suis allée au marché où j'étais redevenue, pour ceux qui ont la mémoire courte "Mademoiselle", j'ai acheté un magazine plein de futilité avec une très mauvaise actrice française en couverture, j'ai cédé à la tentation d'un beau torchon plein de poupées russes et d'oiseaux qui n'existent pas, et à celle d'un cahier qui m'intimide encore tant je le trouve joli, je n'ai pas vu le temps passer lors d'une conversation téléphonique, j'ai envisagé mille fois d'appeler J.M., je suis restée déconcertée par les convictions politiques de L., j'ai vu la dernière saison d'un vieux soap opera, j'ai revu toute la neuro à grand renfort de crèmes au chocolat dégustées dans le bureau, j'ai plongé mon visage dans la garde robe de G.
J'ai lu un recueil de nouvelles pour adolescents où celle écrite par Olivier Adam, dont le début me paraissait pourtant laborieux, m'a chaviré le coeur. Lisez, offrez La cinquième saison. On y parle d'un garçon qui veut être psychiatre et qui lit Roland Barthes, d'une fille qui rescense dans un cahier tous les endroits où l'on peut tranquillement faire la sieste, d'un garçon qui attend son amoureuse un trente et un décembre, d'une fille sur la plage en novembre, une autre enfin qui aime se réciter quand elle a peur du silence, sa chanson préférée:
Le roi a fait battre le tambour,
Pour voir toutes ses dames
Et la première qu'il a vue
Lui a ravi son âme.

Pour occuper les longues soirées, un peu de pâtisserie. Un soir des petits puddings à la banane et au tapioca, un autre une charlotte à la banane et au chocolat (j'attends de voir le résultat), un autre un petit gâteau à l'orange, délicieux de simplicité, parfumé comme dans un rêve. Une recette que Sonia Ezgulian tient de Momo qui jamais ne cède "ni à la panique ni à la colère".


Le gâteau à l'orange de Momo , une recette issue d'un livre de l'Epure très vitaminé
J'ai divisé les proportions par deux, ce qui est parfait pour un petit moule de onze cm de diamètre et quatre cm de hauteur. Si vous multipliez par deux, je pense que ça convient bien pour un moule à manqué de vingt cm de diamètre
Les proportions qui suivent sont celles que j'ai utilisées (donc déjà divisées par deux)

-une orange bio
-60g de sucre roux
-50g de beurre demi sel bien mou
-75g de farine
-un oeuf
-un demi paquet de levure chimique
-un peu de sucre glace

Fouetter le sucre avec le beurre, ajouter l'oeuf puis le zeste d'une demie orange ainsi que le jus d'un quart d'orange (à peu près!)
Bien mélanger avant d'incorporer la farine puis la levure.
Verser dans le moule que vous avez choisi et faire cuire environ trente minutes dans un four préchauffé à 180°.
Vérifier la cuisson avec un cure dent. Si elle est effective, se lâcher avec une fourchette en faisant plein de trous à la surface du gâteau. Verser alors le reste du jus d'orange, saupoudrer de sucre glace et admirer avant de déguster.