lundi 30 novembre 2009

From a room -udon au canard laqué de ma maman-

Dimanche matin je me réveille dans une chambre à l'étage de la maison de mes parents, quelque part en Bretagne, loin de tout.
Comme les volets ne se replient pas en un accordéon parfait, une lumière grise un peu poussiérieuse nimbe la pièce. G. dort encore, visage doux. On s'est couché tard la veille, mes parents avaient fait un feu de cheminée dont il fallait profiter jusqu'à son épuisement. Maman avait cuisiné pas mal de choses; son gâteau au chocolat avec sa ganache addictive a, comme d'habitude, remporté un franc succès. Les chocolats apportés de Rennes faisaient bien pâle figure. Ma soeur était restée à Paris où se fêtaient des anniversaires et où se pendaient des crémaillères.
Dans la pénombre ce matin-là, je distingue bien les cartes postales envoyés par les copines lors des étés que je ne passais jamais ailleurs qu'ici, les cartes de voeux des correspondantes anglo-saxonnes avec leurs paillettes, les photos des Beatles en hiver, en automne, une photo noir et blanc des types de Radiohead, époque OK computer, le portrait de Rimbaud démultiplié (je les collectionnais), des publicités début de siècle pour du chocolat, des biscuits, Anna Mouglalis dans des tissus russes, l'affiche de L'âge des possibles, et celle d' A bout de souffle (il y a d'ailleurs aussi une photo où Godard est en grande discussion avec Belmondo et Seberg qui a noué un petit foulard à pois autour de son gracieux visage), Tintin, le Tricheur à l'as de carreau, des nymphea ad nauseam, Albert Einstein.
J'entends mon père descendre pourtant sur le pointe des pieds l'escalier en bois. Il va chercher des croissants, du pain frais, mais pas à la boulangerie d'à côté non tu comprends ils ont changé de propriétaire, tout est trop salé maintenant. Force est de constater que les tartines une heure plus tard, avec leur beurre salé et leur confiture de myrtilles seront délicieuses malgré la conversation laborieuse, mais c'est normal, on n'est pas encore bien réveillé.
Dans la chambre, où il fait de plus en plus clair et où l'on entend désormais la pluie sur les petites tuiles, rien n'a changé. Ni le mobilier en pin, ni la tapisserie abricot. Je repense à toutes ces lettres écrites à des garçons qui ne les ont jamais reçues, à toutes ces chansons de Pulp que j'essayais de traduire, à toutes ces dissertations, ces tubes à essai et ces bechers dessinés pour les TP de sciences-physiques, tous ces arbres généalogiques pour ceux de SVT, le conflit israelo-palestinien et l'agriculture aux Etats-Unis, les équations différentielles, les barycentres et Sénèque dans le texte, toutes ces heures passées à extraire des gémissements lamentables d'un violoncelle souffreteux, tous ces espoirs déçus quant à telle fille que l'on voudrait tellement connaître, toutes les confidences des copines sur leur famille, tous ces bols de muesli au chocolat enfilés en écoutant la radio (hommage à Marguerite Duras, lecture de textes d'Hervé Guibert, semaine spéciale François Truffaut), tous ces doutes qui m'empêchaient de dormir. J'ai eu un peu envie de pleurer mais je n'en ai pas eu le temps, j'ai senti des lèvres dans mon cou.


J'étais un peu dans cette ambiance-là aujourd'hui, à regretter quelque chose sans bien savoir quoi. Il a beaucoup plu et j'étais assise à l'arrière d'une voiture, sans avoir grand chose à dire aux autres passagers. Je suis passée à la maison poser mes sacs avant d'aller à la pitanalyse et là, trop bien, une enveloppe jaune sur la table de la cuisine et puis un mail d'une fille qui a joué dans un de mes films préférés. Enorme émotion. Qui m'a permis aussi de nuancer le week end chez mes parents, passé dans le vent et la pluie. Il se trouve que le four de ma maman est tombé en rade alors que j'allais y enfourner des financiers au thé matcha, du coup elle n'a pas pu cuire son canard laqué et me l'a confié tout entier pour que mon vieux four à gaz s'en charge. Je me suis sentie investie d'une certaine responsabilité et du coup, j'ai passé deux heures à côté du four, à arroser l'oiseau entre deux pages de mon roman pourri. C'était franchement délicieux avec du riz, du concombre et du piment mais ce soir, j'ai voulu changer. J'ai préparé un bouillon à partir de la carcasse, parfait pour un bol de udon bien chaud, avec un oeuf et de la ciboulette. C'était terriblement réconfortant, j'ai voulu vous en parler immédiatement sauf que la connection internet est devenue subitement inaccessible. Je ne pouvais pas attendre et c'est comme ça que je me retrouve à écrire, en robe d'été (flemme de me changer pour sortir), dans un bar associatif où un serveur à la gentillesse discutable m'a servi un verre de jus pomme-mûre heureusement irrésistible.

vendredi 27 novembre 2009

Caresse photographiée sur ma peau, sensible -poulet, piment d'Espelette et potimarron-

Ma peau se souvient du soleil qui brûle un peu et des crèmes qui sentent bon après. Elle se souvient aussi de la fraîcheur de l'eau et de son mouvement entêtant. Du sable qui colle et du sel qui laisse des traces. Des gouttes de sorbet au citron qui dégoulinent. D'une main qui passe dans mes cheveux.
Mais là, automne difficile, qui va bien avec une chanson de Beth Gibbons, rassurante et triste.
En fait, rien n'est vraiment grave. Ni le fait d'avoir cassé une lunch box japonaise en descendant du bus bondé, ni d'avoir perdu une écharpe adorée, ni de devoir finir un roman super nul bêtement acheté juste parce que la couverture était jolie, ni l'idée définitive qu'on ne sera jamais Maurizio Pollini (même quand il se trompe), Martha Argerich ou Glenn Gould. Le moment le plus difficile fut peut-être quand, un dimanche à l'hôpital, j'ai reçu un message qui disait "Docteur Patoumi vous êtes là? J'ai besoin de vous. J'ai peur."
Un petit peu difficile.
Mille envies pressantes pour avoir d'autres souvenirs de cet automne: relire dans un désordre brouillon Freud, Nigella Lawson et la biographie de François Truffaut, écouter Deleuze parler du désir, téléphoner à des gens qu'on aime bien (en fait j'ai très envie d'appeler quelqu'un en particulier, quelqu'un qui m'avait dit un jour "Tiens ta voix a changé, j'aime bien" mais je n'ose pas, j'ai peur de décevoir), photographier le ciel ou le reflet de mon sac et de mes pieds dans le miroir qu'il y a à côté du chauffeur de bus, dévorer les soirs où elle est à la carte la soupe au chocolat du Tire-Bouchon (un dessert décadent avec de la glace à la vanille au milieu d'un chocolat chaud extra avec deux madeleines au beurre salé), recommencer à écrire un journal.
Et puis un mercredi après-midi préparer de la mousse au chocolat et une cocotte de poulet au piment d'Espelette avec dans un coin de la cuisine un concert qui défile sur l'ordi (et si jamais vous le regardez, vous m'y verrez de profil).
Pour le poulet, c'est assez simple, ça plaira à toutes les filles qui ont séduit autrefois des garçons en leur offrant des biscuits et qui inventaient des mensonges fumeux pour ne pas aller à la piscine.


Il faut bien mélanger dans une cocotte un petit potimarron épluché et coupé en morceaux, quatre petites pommes de terre coupées en deux, quatre gousses d'ail écrasées mais pas épluchées, un oignon en quartier, une tranche de lard rôti en lamelles, un peu de sel, du sirop d'érable et de l'huile d'olive. Après, on recouvre tout ça de cuisses de poulet bien élevé massées d'une goutte d'huile d'olive, d'un peu de sel et plein de piment d'Espelette. On couvre et on oublie au four le temps d'aller voir si l'on est au moins capable de jouer North Avenue au piano. On découvre un peu à la fin pour griller le poulet, c'était bon et réconfortant (et ça nous a donné envie de regarder Mélo d'Alain Resnais, allez savoir pourquoi).

mercredi 18 novembre 2009

Haut bas fragile -la daube que vous ne verrez jamais-

Cet automne, mon coeur s'emballe sans ménagement.
Un soir, je suis à l'hôpital jusqu'au lendemain encore. Je dois téléphoner à une patiente, vue plus tôt dans l'après-midi. Les sonneries restent sans réponse. J'appelle cinq, dix, quinze, dix-huit fois. Rien. Un silence glaçant, un silence de mort, entre les sonneries. Je regrette tout: de lui avoir donner une ordonnance (ce qui signifie qu'elle a des médocs à disposition), de ne pas l'avoir hospitalisée, d'être juste nulle et de ne pas avoir fait un autre métier (genre libraire, grand reporter, concertiste, un autre métier quoi. Comme s'ils étaient plus simples). Il y a eu un temps éternellement long entre le moment où je me décide à réagir de façon radicale tout en étant limitée par la fait d'être coincée à l'hôpital un soir où il pleut vraiment beaucoup et fort en plus et celui où j'entends "Allo Docteur Patoumi? Non mais ça va en fait, je vais bien." Je me suis écroulée sur une chaise (j'avais remué ciel et terre). Pendant tout le temps où l'angoisse m'a habitée, je me suis sentie extrêmement seule, démunie, réduite à rien.
Pour dédramatiser l'hôpital et ses horreurs, il y a la lecture salvatrice d'une super bande dessinée tendue par une jeune fille joyeuse et bien élevée à la Régalade, restaurant qui porte définitivement bien son nom (mais soyez raisonnables quant à la terrine si vous ne voulez pas être tentée par la piscine le lendemain -personnellement ce ne fut pas mon cas mais j'ai cru comprendre que pour certaines personnes courageuses, en fait si).


Hier soir, il faisait évidemment nuit quand j'ai posé mon sac dans l'entrée encombrée (mais sinon le reste de l'appartement est plutôt propre si jamais vous veniez prendre le thé). J'avais un plan assez précis qui nécessitait de se rendre dans une multinationale de la culture (ça veut dire quoi? C'est un endroit avec des étages et qui vous accueille avec les trucs qui se vendent le plus dans leur domaine d'activité. Ce qui est présenté sur les tables est absolument convenu. Y'a aussi un grand type qui fouille votre sac. Et, rapport à la première assertion, des piles entières du nouvel Anna Gavalda). Toujours pareil quand quelque chose de bien m'attend: l'excitation cohabite avec l'appréhension de ne plus avoir cette excitation une fois la chose passée. Cela explique les circonvolutions à travers la ville alors que tout pouvait se faire en ligne droite. J'ai croisé une marchande de crêpes qui nettoyait son billig, des bottes bleues pas mal mais pas assez hautes, des bottes noires vraiment bien mais trop hautes, un magasin de thés dont la vendeuse n'est pas super gentille (je vous préviens, n'allez pas lui demander la composition de ses thés... Il ne me parait pourtant pas évident de deviner ce qui se cache derrière Montagne de jade. Si?), les bouquinistes étaient quant à eux partis depuis longtemps déjà.
Dans la multinationale (j'ai oublié de préciser que depuis la fermeture de Rennes musique -le disquaire que fréquentait autrefois Etienne Daho-, il n'y a plus d'endroit indépendant où l'on peut en acheter, de la musique), je suis montée à l'étage, j'ai attrapé ça (je deviens prévisible, veuillez m'excuser mais j'ai trouvé pire que moi), j'ai filé à la caisse où il y avait une queue monstre. Une dame avec un chignon m'a souri l'air attendri. Elle tenait à la main un exemplaire du nouvel Anna Gavalda...
Je ne vais pas m'éterniser là-dessus mais j'ai quand même envie de vous dire que les photos sont vraiment jolies (notamment celles prises dans la loge, l'assiette qui refroidit, les comptoirs des cafés, les cieux et la neige et, la couverture d'un vieux numéro des Inrocks qui fait partie de mes préférées), que les paroles de Souchon du début sont super touchantes même si l'on n'est pas directement concerné, que le texte sur les temps morts d'une tournée est troublant et émouvant. Reste la petite tristesse de ne pas le connaître vraiment.


Un jour en novembre, il y eut aussi les journées de l'Ecole de la Cause Freudienne sur le thème: Comment on devient analyste au XXIème siècle. Ca a l'air sérieux comme ça, d'ailleurs ça l'est, mais passées les premières minutes d'angoisse générées par toutes ces personnes qui connaissent Lacan sur le bout des doigts, c'était pas mal du tout. Tout comme l'éclair au chocolat et le flan pâtissier achetés à un corner Dalloyau au sous-sol de l'immeuble qui abritait les conférences. Le parc ci-dessous, juste à côté, fut un endroit plutôt stratégique pour la dégustation. Il y eut vers la fin une projection d'une documentaire de Gérard Miller qui passera à la télévision en janvier prochain. On pouvait y voir un jeune homme qui expliquait "Après toutes ces années de pitanalyse, on ne peut pas dire que j'ai changé, je suis toujours le même, j'ai les mêmes centres d'intérêt MAIS j'ai enfin réussi à faire ce que je voulais vraiment", entendez par là qu' il a écouté son désir et pas le reste. Et il en avait l'air très heureux.


Que voulait représenter le dessin de la première photo?
Figurez-vous que le week end dernier, j'ai préparé une daube (une recette d'Alain Ducasse issue de son dernier livre qui est plutôt bien). C'était assez long à faire, il fallait d'abord faire mariner (quarante-huit heures à l'avance!) du boeuf (de la queue, du gîte, du paleron) avec du vin, une orange, des grains de poivre, du thym, des carottes et des oignons. Après il fallait faire bouillir un peu le vin, faire dorer un peu le boeuf puis la garniture aromatique et cuire le tout avec du bouillon de poule pendant trois heures. Ici, la daube est restée au four presque cinq heures parce qu'on est allé au cinéma voir un film super nul (par contre le Resnais, allez-y, c'est réjouissant bien que fort triste). J'avais prévu d'en apporter dans ma lunchbox pour le lendemain et c'était délicieux réchauffé et mélangé à des pâtes (même si j'étais un peu déstabilisée par le fait qu'autour de moi les gens mangeaient des steaks de soja avec de la quinoa, des yaourts 0% et des fruits minuscules). Comme tout le monde sait que les plats mijotés sont difficiles à photographier, j'ai voulu faire un dessin. Vous voyez le désastre. Pas facile d'avoir autant de talent que certaines.

mardi 10 novembre 2009

Il aurait fallu qu'il fallait

Il a presque quinze jours, j'ai posté une enveloppe vert tilleul à la salle de spectacle d'une ville un peu douteuse (entendez par là un nom pas très joli). J'ai sacrifié l'un des trois adorables timbres Georges Perec* envoyés par ma Bruxelloise préférée, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas. J'ai rempli trois grandes feuilles d'une écriture serrée, fébrile. J'avais fait un brouillon mais je ne l'ai pas utilisé. Je n'ai pas osé me relire, j'avais peur que cela me retienne d'expédier le tout. Je voulais imprimer des petites photos en noir et blanc de films que nous aimons bien mais je n'ai pas eu le temps.
Mercredi dernier, je passe la nuit à l'hôpital et, suite à des recherches capillaires sophistiquées, je m'applique à dormir les cheveux mouillés.
Jeudi matin, pour ne pas réveiller G. j'entre sur la pointe des pieds dans l'appartement tout silencieux, j'essaie de ne pas tâcher mon manteau avec le sac en papier des croissants frais.
Jeudi midi, je déjeune dans une vieille fringue parce que je ne veux pas risquer de tâcher la chemise rose A.P.C. achetée un soir d'hiver l'année dernière dans une boutique qui porte un nom de fleur.
Jeudi après-midi, dans la voiture je dors un peu. Il y a beaucoup de monde sur les routes.
Pour patienter dans la ville la nuit tombée, nous achetons des chocolats et des livres mais je ne trouve désespérément pas le modèle Beauty couleur star de Repetto (pour tout vous dire, j'ai essayé des bottes et j'avais l'air déguisée).
E. nous rejoint dans une librairie et j'aime beaucoup l'imprimé de sa chemise dont le col dépasse de son pull en V.
Autour d'une petite table en bois, nous buvons ensuite chacun un liquide différent (un Syrah, un Montlouis-sur-Loire, un... J'ai oublié. J'ai faillit choisir le jus de tomate rose mais en fait non) et un serveur fort gentil apporte une planche débordante de fromages (du Selles-sur-Cher, un Roquefort, du Reblochon peut-être) et puis des petits toasts de rillettes, du chorizo, du jambon cru aussi épais que du papier-cigarette.
Nous manquons de nous perdre une demi-douzaine de fois sur le périphérique nantais.
J'ai découvert avec horreur l'architecture abominable de la salle du concert, qui avoisinait directement un supermarché dont le nom reste pour moi une énigme.
La moyenne d'âge du public m'a un peu inquiétée.
J'aime beaucoup la façon qu'a Vincent Delerm de prononcer les chiffres et notamment l'histoire du peignoir bleu trois mille deux cent fois dans la chanson qui ouvre le concert.
J'étais ravie (de le voir, de l'entendre, du moment Jacques Tati, de L'amour en fuite) et triste (le public était très froid, les gens ne reprenaient pas les chansons, j'en ai vus qui baîllaient et ma voisine visiblement coincée se demandait pourquoi Rouen).
Il y a juste eu un rappel (alors que j'avais un souvenir ému du caractère interminable du Bataclan début juillet), il est réapparu et il a dit quelque chose comme "Ce qui est bien en tournée, c'est qu'il arrive qu'on reçoive du courrier, il y a des gens qui écrivent et puis qui viennent vous voir le soir. Et là j'étais super content, j'ai reçu une lettre d'une fille, elle me parle de sa chanson préférée, que je ne chante pas souvent sur scène alors voilà, je vais la chanter ce soir"
J'ai arrêté de respirer.
Un quart d'heure plus tard, j'étais face à Vincent Delerm, devant sa loge. Il portait un pull bleu marine avec des boutons à l'épaule gauche.
"Tu m'avais déjà écrit, non? Comme je n'avais plus de nouvelles, je croyais que tu avais décroché..."
Comment lui dire? Que lui dire?
J'ai plein de regrets: ne pas avoir fait une photo floue de lui, ne pas lui avoir dit... je ne sais pas comment dire en fait.
Heureusement, il y a la lettre de trois pages.

*Rapport à cet instant-là.