jeudi 25 octobre 2007

Les parties remises et le gratin de pommes aux amaretti de sa nonna

C'est vrai, j'avoue:
-un soir où G. était de garde, je me suis lancée dans la confection d'une brioche selon les règles de l'art, j'ai pétri la pâte jusqu'à la crampe, j'ai laissé lever tranquillement près du radiateur de mon bureau (que j'avais allumé exprès au minimum pour l'occasion) sous mon torchon préféré. Pour m'encourager, je m'étais préparée des spaghetti carbonara aux knackis (ouh la honte!) dans une assiette à fleurs mais je suis rassurée, il existe une autre fan de cela (et même que G. a appelé au moment où j'aspirais ma première bouchée et je me souviens de mon "Ichi cha va et toi?") et je voulais qu'il trouve en rentrant une délicieuse brioche dorée et rebondie. Bon, j'écourte le suspense, ce fut un immense fiasco, il règnait une atroce odeur de levain dans l'appartement, j'ai tout jeté à la poubelle. Heureusement, G. avait acheté des croissants.
Et je n'ai jamais osé refaire de brioche.
-j'ai passé le permis deux fois sans succès et je n'ai jamais repris de cours de conduite.
-j'ai arrêté la guitare avant même de savoir en jouer.
-j'ai arrêté le violoncelle parce que je ne voulais pas me donner la peine de bien en jouer.
-j'ai arrêté la danse classique parce que je n'en pouvais plus de mon reflet au milieu de toutes les petites filles occidentales sur les miroirs immenses qui tapissaient la salle de danse.
-j'ai jeté un énorme tiramisu à la crème de marrons à la poubelle parce que j'avais été tellement contente de manipuler une poche à douille que j'en ai oublié que la crème de marrons, c'est sucré. Très sucré. Trop sucré.
-je suis partie d'hypokhâgne parce que j'avais peur de constater que je n'étais pas si brillante qu'on me l'avait prédit.
-je n'ai jamais fini le canevas à mes initiales que m'avait acheté ma maman.
-je ne sais plus parler le cambodgien et je n'arrive pas à m'y remettre. Je le comprends parfaitement mais les mots mettent un temps fou sur ma langue avant de former une phrase.
-je n'ose pas demander à la grande fille pâle aux yeux bleus qui vend des pizzas ce qu'est devenue A. A. était une brune longiligne qui portait été comme hiver une longue redingote noire, elle fumait des Gauloise, elle faisait du théâtre dans mon lycée et avait une belle voix grave de tragédienne. J'étais très impressionnée. Je lui avais écrit une lettre après l'avoir vue dans une pièce de Koltès et nous nous retrouvions de temps en temps autour d'un café. Et puis A. est partie faire des études à Paris. La dernière fois que je l'ai eue au téléphone, c'était au travers du plastique froid du combiné de l'internat d'hypokhâgne, je lui disais que je ne pouvais pas rester là, que finalement j'allais faire médecine. Elle était au lycée Molière et s'est mise à pleurer en disant qu'elle ne tiendrait pas, je me souviens de son "J'ai mal partout". Il se trouve que la fille aux yeux bleus des pizzas était la meileure amie de A. mais je n'ose rien et quand je demande "Une grande Etna s'il vous plaît", je détourne systématiquement le regard.
Pour mes vingt ans ma maman m'a offert Apprendre à finir.
Alors c'est vrai, je baisse souvent les bras, je lâche le volant, je suis d'une vélléité inégalable, mais cette fois-ci je ne me résigne pas. Je repasse l'internat pour être ce que j'ai très tôt voulu être quand j'ai commencé médecine (psychiatre); tant pis, il faut à nouveau réviser et apprendre par coeur un tas de choses pas toujours très interessantes, il faut accepter de prendre un poste dans un labo tout pourri pendant au moins six mois, il faut ravaler son orgueil, affronter les regard méprisants, survivre aux gardes des urgences, ne pas pleurer en cachette, on tient sa ligne, on reste droite (en étant une fille de gauche).
Fragile mais déterminée comme une statue de Giacometti.
Et l'on peut sècher une séance de pitanalyse pour aller au cinéma voir Deux vies plus une, un film où Emmanuelle Devos, brillante, console de grands chagrin en allant discuter avec le fantôme de son père au cimetière (et puis elle fait des gâteaux au chocolat en forme de coeur pendant que Gérard Darmon tartine des Krisprolls de rillettes).
En regardant la nuit tomber toujours plus tôt, on peut réviser dans la cuisine en surveillant la cuisson d'un castellana, le gratin de pommes aux amaretti qu'aimait préparer la grand-mère ligure de Larissa Bertonasco, l'auteur d'un un joli livre de recettes et d'histoires acheté chez un bouquiniste pour le prix de trois pains au chocolat.


Le gratin de pommes aux amaretti de sa nonna (recette légèrement modifiée)
Pour un moule carré de quinze cm de côté

-500g de pommes (ici des reines des reinettes) pelées et coupées en tranches épaisses
-3 cuillères à soupe de rapadura
-un demi verre de jus d'orange
-25cL de lait
-20g de beurre salé
-1 cuillère à soupe de farine
-un demi oeuf
-80g d'amaretti (j'ai trouvé ceux de la marque Sapori recommandés par la nonna!)

Mettre les pommes tranchées dans le plat à gratin, saupoudrer d'une cuillère à soupe de rapadura et du jus d'orange et enfourner environ 40 minutes dans un four préchauffé à 160°.
Pendant de temps, porter le lait additionné du reste de sucre à ébullition.
Dans une petite casserole, faire fondre le beurre dans la farine à feu doux puis ajouter le lait sucré bouillant. Mélanger jusqu'à ce que le mélange épaississe.
Retirer alors la casserole du feu et laisser un peu refroidir avant d'incorporer le demi oeuf.
Verser cette crème sur les pommes cuites puis répartir les amaretti écrasés sur toute la surface.
Faire cuire environ une demie heure à 150°.
C'est délicieux tiède mais aussi très bon froid, le lendemain.

vendredi 19 octobre 2007

Un cheesecake à l'orange et au chocolat (de fille!)

Une personne de confiance m'a avoué, lors de notre première rencontre autour d'un verre de jus de pomme et un autre de pamplemousse (le mien), que l'un de ses proches était persuadé que derrière Patoumi se cachait un individu du genre masculin. Cela m'a successivement vexée (cet adjectif reflète assez bien mon état d'esprit du moment, je suis effectivement d'une susceptibilité redoutable, la moindre remarque me met hors de moi, tant et si bien que G. s'est habitué à m'appeler Vexoumi -je rappelle aux non-initiés que Patoumi n'est pas mon vrai prénom, mais vous pouvez m'appeler comme ça quand même, j'aime bien-), amusée puis interrogée. Y'a-t-il si peu de féminité dans les billets de l'Alibi? Ou alors cette féminité est-elle si peu subtile qu'elle paraît feinte? (J'avoue que ces réflexions sont bien futiles au vu de l'actuelle marche du monde mais bon, je ne me sens pas du tout capable d'avoir une dialectique cohérente à exprimer sur des sujets aussi épineux que celui, éternel, de l'existence de Dieu -par exemple.)
Bon alors c'est vrai: je ne sais pas comment on utilise un mascara, je ne suis jamais allée chez une esthéticienne, je porte essentiellement des sous-vêtements Petit Bateau (comme depuis que j'ai dix ans), je ne me fais jamais de masques relaxants ou de gommages exfoliants, je trouve que Brad Pitt, Tom Cruise et Bruce Willis aussi appétissants qu'une soupe de navets, je n'ai pas un seul bijou, je n'arrive pas à porter des Dim'up, je marche toujours sur des semelles plates, je n'ai que trois sacs et trois paires de chaussures (bon ok, quatre avec mes bottes en caoutchouc pour les balades sylvestres mais je ne crois pas qu'on puisse évoquer une quelconque féminité quant à ces objets), je n'ai pas le sourcil épilé (le croirez-vous? C'est fou, j'ai bien observé mon entourage et je suis arrivée à la désespérante conclusion que j'étais la seule à avoir le sourcil, hum, naturel), les décolletés plongeants m'angoissent...
Du coup, vous imaginez Patoumi en bottes en plastique et col roulé, le sourcil fourni et la peau grasse.
Et pourtant...

Il y a une pile de Elle et pas qu'à table dans les toilettes (car je ne peux me résoudre à les garder dans mon bureau, j'ai peur que le fantôme de Jane Austen les voie et me trouve écervelée), l'hiver je porte un petit beret en tweed avec un noeud sur le côté, mes jambes ne connaissent que les jupes (ou les jeans les jours de ballades sylvestres), j'aime bien écrire des lettres à mes copines sur du beau papier et mettre tout ça dans une jolie enveloppe avec un chouette timbre, j'essaie vainement de faire un régime, je suis hermétique à la formule un (et au sport en général mais il faut croire que certains s'en étaient déjà aperçus), j'aime les alignements de Repetto, j'ai fait de la danse classique dans un tutu bleu ciel (mais pas longtemps parce que j'étais très embêtée d'être la seule immigrée du cours), j'aurais voulu ressembler à Anna Mouglalis ou Shu Qi ou Maggie Cheung, j'écris un journal intime depuis que j'ai onze ans (je n'en ai jamais eu un avec un cadenas en forme de coeur mais je crois que celui de l'année de mes quatorze ans était à l'effigie de James Dean), j'aime bien pleurer au cinéma, j'aime préparer mon Poulain du matin avec une cuillère rose...


Alors je rassure tout le monde: je suis une vraie fille!
Qui fait des cheesecakes...


Le cheesecake à la marmelade d'orange et au chocolat
Pour deux moules à charnière de 11cm de diamètre et 4cm de haut

Pour la base (qui reste très crousti après cuisson!)
-75g de spéculoos
-75g de sprits
-60g de beurre salé fondu

Pour la crème
-300g de fromage frais
-150g de crème fraîche
-10g de nature à tartiner (un fond de barquette à finir...)
-1 oeuf
-1 cuillère à café de sucre
-170g de marmelade d'orange

Ecraser les biscuits.
Les mélanger au beurre fondu et répartir la préparation dans les moules en tassant un peu.
Faire cuire quinze minutes à 180° (surveiller, les bords sont à peine dorés).
Réserver au frais pendant que vous préparez la crème.
Pour cela, mélanger tous les ingrédients, sans insister.
La répartir sur les bases biscuitées et faire cuire une heure à 140°. Le centre est encore tremblotant. Laisser refroidir à température ambiante avant d'entreposer au réfrigérateur au moins une nuit.
Servir avec une sauce au chocolat que vous aurez préparée avec votre chocolat préféré, fondu avec un peu d'eau ou de lait.

Les illustrations sont des détails d'une boîte 100drine (c'est quand même très fille de collectionner ça, non?)

mardi 9 octobre 2007

Le potimarron du capitaine Haddock

On ne les voit pas souvent manger, dans les albums de Tintin. Il est certain qu'entre deux trafics d'esclaves et la mystérieuse disparition d'éminents scientifiques, on n'a pas vraiment le temps de se mettre à table. Ainsi les poulets rôtis sont ils dévorés sans façon à l'arrière d'un wagon citerne rempli de Loch Lomon, les miches de pains dérobées à un poste frontière syldave sont avalées rapidos au milieu des rochers et, si l'on prend le temps de commander dans un restaurant du szlaszec aux champignons, c'est uniquement dans le but de faire progresser l'enquête. On sait s'adapter aux nourritures locales, pour preuve cette tsampa goûtée sur les hauteurs tibétaines. Milou se doit de se prononcer sur une ratatouille aux piments et j'ai appris ce que signifiait "al dente" vers l'âge de sept ans en voyant la Castafiore renverser une marmite entière de spaghetti sur le crâne de son geôlier (moustachu si je me souviens bien). J'ai appris à lire avec L'Etoile mystérieuse et quand je n'arrivais pas à dormir dans ma chambre rose de petite fille (persuadée qu'il y avait un monstre à longues dents dans l'armoire blanche ou un type louche caché sur le balcon sur lequel donnait la grande fenêtre de ma chambre), j'avalais frénétiquement les aventures de Tintin dont les lectures répétées n'altèrent mystérieusement pas le plaisir. Je n'ai pourtant pas la trempe d'une aventurière, et je n'aime guère les récits rocambolesques, je préfères les histoires de salon, où il ne se passe que peu de choses dans le fond, mais il y a dans les Tintin un étrange charme que je n'explique pas. Moi qui déteste la science fiction, j'aime par dessus-tout l'histoire d'extra-terrestres de Vol 714 pour Sydney (il nous arrive, à la terrasse de café ou sur des plages de sable brûlant de sortir des petits carnets de bataille navale achetés dans une boutique branchée de Coimbra -où il y avait un super joli teeshirt turquoise avec un arbre rose- et de faire une partie comme ça, pour rigoler. Je perds systématiquement et je pense toujours au petit écran qui permet de tricher dans l'avion de M.Carreidas).

L'album que je préfère, c'est Tintin au Tibet. Et vous?
Je n'ai pas relu d'aventures de Tintin depuis une dizaine d'années, il m'arrive juste de les feuilleter et je crois que si je les aime bien, c'est à cause du souvenir de leur lecture apaisante dans la chambre qui, bien qu'elle fût rose, n'en était pas moins pour moi le temple de tous les monstres.
En petit hommage à ces compagnons de nuits sans sommeil, une jolie recette de potimarron farci au haddock, sur une idée de G. (qui montre toujours quelques réticences quand je m'empare avec un enthousiasme sans doute excessif des jolis cucurbitacés qui s'alignent joliment sur l'étal du maraîcher -je n'y peux rien, le plaisir des yeux est parfois aussi important que celui des papilles, j'ai acheté l'autre jour des yaourts parce que le pot était beau. Heureusement, ils étaient très bons-).


Le potimarron du capitaine Haddock
Pour deux personnes

-2 petits potimarrons
-120g de haddock
-3 tranches de pancetta
-3 gousses d'ail
-1 échalote
-du persil
-1 cuillère à soupe de crème fraîche
-1 demie boule de mozzarella
-1 oeuf
-un trait de sirop d'érable
-du poivre du moulin

Pocher le haddock cinq minutes dans une casserole frémissante d'eau et de lait. Une fois prêt, le réserver.
Hacher l'ail, l'échalote et le persil. Emincer la pancetta, couper la mozzarella en tout petits cubes.
Rassembler tous les ingrédients dans un saladier et bien amalgamer. Rajouter le haddock préalablement émietté.
Couper le chapeau des potimarrons et les vider. Remplir la cavité ainsi créée avec la farce. Remettre les chapeaux et faire cuire à 180° environ 45 minutes (surveiller, arrêter quand la peau des potimarrrons a noirci par endroit).
Délicieux et surprenant.

Loin des auteurs dont tout le monde parle (et dont les qualités littéraires sont parfois inversement proportionnelles à l'espace médiatique qu'ils occupent), Line Anselem avait sorti en 2006 chez Allia un petit livre très joli et très chouette qui m'a ravi de pages en pages par son ton à la fois naïf et érudit, son humour doux et léger, cette maîtrise très particulière qu'il faut avoir pour parler de l'enfance sans avoir l'air mièvre et puis aussi les multiples évocations culinaires dispersées le long du livre. Petites histoires de la rue Saint Nicolas raconte l'enfance de Line, petite fille juive marocaine, dans l'appartement parisien qu'elle partage avec son père, un homme très pieux qui sait choisir les pastèques, sa mère qui fait une divine gelée de coing, sa soeur Esther et son frère Jimy. Elle évoque aussi les autres habitants de leur immeuble qu'il leur arrive de croiser au marché d'Aligre, dont l'inénarrable Madame Tchitchi qui aime préparer du tilleul aux enfants. Entre la sortie cinéma des Aristochats et la découverte simultanée chez une amie de L'île aux enfants ("Casimir a l'air bête") et de la recette du coq au vin, Line Anselem sait aussi évoquer les différentes fêtes juives non sans une certaine gourmandise. Il y a les gâteaux du samedi soir mais aussi le menu de Pessah (les fèves et les pois chiches frits, les tripes sauce à l'ail, au vinaigre et aux oeufs, la salade d'orange amère, l'agneau à la sauce jaune et les grandes patates sautées, l'agro de sido, ce sirop de citron au goût de caramel...) et celui de Rosh Hashana avec les olives, les jujubes, la grenade et tous les légumes qui cuisent dans une marmite avec de la cannelle et une demie tête de veau! J'ai aussi appris ce en quoi consistaient la dafina et le jeu bélola.
Un livre précieux. Et j'ai été heureuse d'apprendre que je n'ai pas été la seule petite fille à dormir sur un canapé vert jusqu'à l'âge de six ans.