lundi 23 février 2009

You'll never live like common people -meatballs for my sister-

Je suppose que j'étais en train de jouer à la dînette, ou alors je lisais un livre de la Bibliothèque rose, ou, dernière option envisageable, je dessinais la même éternelle maison avec son ciel bleu et son pommier, quand on m'a annoncé l'éventualité d'avoir un petit frère, ou une petite soeur. Ma réaction fut sans appel: "Si ça arrive, je le tue".
On remarquera l'emploi du masculin. Il me paraissait, dans un raisonement primaire simpliste, absolument inconcevable d'accueillir entre mes parents et moi un être qui n'aurait ni le même corps, ni les mêmes occupations que moi (et voyez-vous, j'avais déjà quelques animosités envers les activités sportives en général et envers le football en particulier). Mais je n'avais pas du tout envie non plus d'une embarrassante petite soeur, qui risquerait d'être en rivalité avec moi (et de me vaincre, puisque je me pensais déjà forcément moindre que quiconque). En revanche, je fantasmais avec regret un grand frère qui n'existerait jamais mais que j'imaginais beau et fort, connaissant par coeur les capitales du monde, le nom des constellations et sachant dessiner les personnages de mes dessins animés préférés. Et aussi très bon en mathématiques.
J'aimais bien m'ennuyer je crois, j'aimais déjà le silence des activités solitaires et puis surtout, une autre présence en chair et en os entre mes parents et moi me filait une frousse folle. Alors même s'il s'était agi d'une petite soeur, sa venue me semblait bien embarrassante.
On ne m'a évidemment pas demandé mon avis. Il faut croire que j'ai eu quelques difficultés à accepter la réalité de la chose puisqu'une amnésie totale m'empêche de me souvenir de la grossesse de ma mère, puis de l'arrivée de ma soeur, au début de l'été. Je ne sais plus du tout si j'ai pu ressentir de la déception, de la haine ou une grande joie (quand même, ça m'étonnerait). Ce voile sur mes affects de l'époque m'inquiète un peu, il est vrai.
Je me rappelle d'une robe blanche en fin tricot, avec un nuage bleu, un coeur rose et une étoile jaune. Elle ne pouvait pas dormir sans la robe de nuit rayée de ma mère. Il y avait à la maison toute une collection de biberons, de boîtes de lait en poudre (qui devenaient parfois des pots à crayons), des couches dans des caisses en carton, du talc, du savon qui sentait bon. Après il y a eu les petits pots qui me fascinaient (à cause de leurs intitulés genre "dinde et petits légumes" alors qu'on ne voyait qu'une purée marron. J'imaginais une dinde passée à la moulinette) et les biscuits tout doux que j'aimais bien grignoter aussi.
Je ne me souviens pas du tout des premiers contacts avec ma soeur, ses cheveux, sa peau sous ma main. Je n'aimais pas trop les rapports physiques et je ne crois pas qu'elle ait profité d'un traitement de faveur.
Je crois bien que je la trouvais jolie quand même. Elle était minuscule, avec des yeux très noirs.
Je ne me souviens plus bien, j'ai beau essayer.
Après je l'ai vue apprendre à lire sur les genoux de ma mère, avec la méthode Boscher (To-to-est-tê-tu). Elle m'a piqué des livres dans la bibliothèque, elle les semait allègrement dans la maison, parfois sous des sablés bretons décrépits sur une feuille de papier ("C'est pour voir ce que devient la nourriture si on ne la mange pas"). Elle portait des pull-over que tricotait ma mère, avec un toucan, ou un dauphin, ou Picsou dans sa piscine de pièces, ou une petite souris allant à l'école avec son cartable.
Elle a appris à jouer de la clarinette.
Un jour, elle est rentrée avec des lunettes qui lui mangeaient le visage.
Elle a lu mon journal intime et elle disait parfois au téléphone que je n'étais pas là alors que pas du tout.
Elle n'aimait pas particulièrement la cuisine de ma mère et, devant les curries fumants, les soupes épaisses et parfumées, les sautés frémissants, elle faisait souvent la grimace et réclamait un croque-monsieur, une pizza ou une assiette de saucisson sec. Elle avait un faible pour un plat très simple, "un plat du pauvre" que faisait parfois ma mère tout exprès pour elle, dans un grand bol blanc: il s'agit de battre deux oeufs en omelette puis d'ajouter une petite gousse d'ail dégermée, du nuoc mam, de la ciboulette, du poivre, un peu d'huile, un peu d'eau et de faire cuire le tout au bain-marie. Ma soeur adore ça, avec du riz bien chaud.
Elle a regardé avec moi des films sur le canapé, l'été, quand tout le monde était couché. Elle avait adoré Smoking/No smoking et la scène de poker dans Manhattan murder mystery. Nous avons lu ensemble les romans de Judy Blume, publiés à L'école des loisirs. Elle voulait être astrophysicienne (mais elle n'aimait pas la physique), vétérinaire (mais elle n'aimait pas les animaux), chanteuse (mais elle chantait faux).
Elle vit désormais à Paris, dans un petit appartement, près du Jardin des plantes. Elle a des activités aussi diverses qu'étudier les sciences politiques, faire de la promo en province avec des chanteurs ringards ou partager avec de jeunes chanteuses branchées des dim sum du Bon Marché. Elle a l'air rudement heureuse, c'est chouette.
On ne s'appelle quasiment jamais, on s'écrit encore moins, mais je crois qu'on aime bien se retrouver de temps en temps chez les parents. Elle ne demande plus de croque-monsieur ou de pizza, et elle téléphone souvent à maman pour lui demander comment elle fait, par exemple, son délicieux porc au caramel. Elle aime bien aussi, repartir à Paris avec un cake aux pépites de chocolat ou des madeleines au caramel au beurre salé ou une grande part de tarte aux pommes. Ou un beau saucisson sec, soigneusement emballé.
Il se trouve qu'elle m'a appelé aussi il y a quelques temps, parce qu'elle voulait faire des boulettes pour des copains. Je lui donné ma recette fétiche, et j'ai eu envie d'en faire aussi, alors voilà.

Des boulettes pour les copains

On mélange dans un saladier avec des mains bien propres environ 500g de veau haché (elle a eu un mini hachoir, il n'y a pas longtemps), 100g de mortadelle hachée (ou du jambon cru ou de la pancetta), trois échalotes dodues hachées, du persil plat ciselé, du parmesan râpé, de la mie de pain trempée dans du lait et bien essorée, un oeuf, du poivre et un trait de sirop d'érable.
On forme des boulettes après s'être fariné les mains.
On les fait dorer dans un petit peu d'huile d'olive avant de les transvaser dans un plat où l'on ajoute des tomates séchées en lanières, des petits oignons et un peu de vin blanc (ou de bouillon, ou d'eau chaude).
On enfourne jusque ça sente bon.

lundi 9 février 2009

Au loin on voit les neiges qui fondent -les pâtes qu'on servirait aux lecteurs secrets-

Il s'agit d'un lendemain de garde pendant laquelle j'ai mangé des gâtochatô (les petits-beurres monop bio recouverts de chocolat noir avec une jolie tour carrée à la place d'un écolier désuet et qui me rappelle les promesses de château de sable sur la plage de Biarritz), deux bols de coquillettes au gruyère et des tartines de fromage de chèvre, le tout copieusement arrosé de thé, ce qui a soulevé quelques obscures interrogations chez mon co-interne qui a eu la gentillesse de me réchauffer une part de pizza malheureusement insipide.
Il pleut ce matin de larges gouttes, la ville est grise et détrempée, je m'interroge sur ma motivation à aller jusqu'à la rue Hoche pour acheter un pain pita (qui irait pourtant bien avec le poulet froid et les tomates séchées du potentiel sandwich du déjeuner).
G. dessine silencieusement dans son joli bureau.
Il fait si sombre que quelques lumières artificielles éclairent encore l'appartement.
(...)
Parfois je reçois des petits mots fantastiques de lecteurs discrets.
Des jeunes femmes qui lisent les billets sous la couette, des étudiantes qui les lisent en cachette, entre deux révisions, des garçons mystérieux qui ne disent rien d'eux, des filles érudites qui écrivent des encyclopédies, des mamans de jeunes internes, des bibliothécaires enthousiastes, des propriétaires de poissons rouges au nom énigmatique... Je me surprends parfois à imaginer un grand dîner avec tout ce joli monde autour d'une vaste table et sous des lampions colorés nous siroterions des liquides pétillants.
Je me demande qui sont les lecteurs silencieux, est-ce qu'il y a un garçon qui aime les échecs et les Nocturnes de Chopin, un autre qui coupe les toasts avant de les tartiner (et pas l'inverse) et porte des chaussettes rayées, un autre qui fume des gauloises brunes en lisant Rainer Maria Rilke? Est-ce qu'il y a des filles qui surveillent de près la nouvelle collection APC, qui n'arrivent pas à trouver de bottes à leur pied, qui ne sucrent jamais leur yaourt et qui connaissent par coeur toutes les répliques d'Alvy Singer? Des filles qui ont une collection de porte-monnaie, qui restent assises pendant le générique de fin ou qui peuvent avoir envie de pleurer devant un bouquet d'anémones au coeur violet pâle?
Envie de vous connaître et envie du mystère à la fois, c'est tellement étrange.
Ce que je sais, c'est que si j'invitais des lecteurs secrets (ou pas), je leur ferais peut-être une belle sauce bolognaise, à déguster aussi proprement que possible avec les spaghettis maison d'Italie Gourmande, un vrai régal pour les pastavores!


Une sauce bolognaise un peu comme Laura Zavan
Pour quatre personnes


-125g de boeuf haché
-125g de veau haché
-50g de pancetta
-50g de chair à saucisse
-3 carottes en petits dés
-3 oignons en petits dés
-1 gousse d'ail
-15g de cèpes séchés
-1 verre de vin rouge
-2 clous de girofle
-250g de tomates en boîte
-une douzaine de tomates cerise
-de l'huile d'olive, du sirop d'érable, du poivre du moulin

Faire tremper les cèpes une demi-heure dans un bol d'eau tiède.
Faire revenir les légumes dans de l'huile d'olive avec une bonne cuillère à soup de sirop d'érable.
Quand ils s'attendrissent, ajouter les viandes et faire lentement revenir jusqu'à ce que le mélange accroche un peu. Verser alors le vin rouge.
Ajouter les cèpes en petits morceaux avec leur eau de trempage ainsi que les clous de girofle.
Laisser cuire à petit feu une quinzaine de minutes avant d'ajouter les tomates et de continuer à laisser cuire, lentement, jusqu'à ce que la sauce épaississe, devienne sirupeuse et brillante.
Servir avec des spaghettis al dente, du poivre du moulin et plein de parmesan!

Et puis sinon, une des grandes émotions de la semaine dernière fut de confectionner un gâteau au chocolat au lait et à la marmelade de citron dans un bol Margrethe rouge en écoutant Raphaël Enthoven parler de Roméo et Juliette. Ce gâteau tout collant de caramel acidulé et parfumé avait un goût exquis d'amour à mort (mais il n'était absolument pas photographiable).