dimanche 26 avril 2009

J'ai dû faire de mon mieux, tu ne m'as jamais prise au sérieux -brownie less is more-

En rentrant déjeuner mercredi midi j'ai trouvé un paquet bleu enrubanné de vert sur mon assiette. Suite à plusieurs atermoiements les jours précédents patiemment supportés par G.("Je veux pas lire ce dont tout le monde parle!" "Et puis c'est Sumimasen que je voulais! C'est pas juste qu'il soit en réimpression!" [...] "En fait ça a l'air trop bien, je le veux trop!" "Il est dans aucune librairie! J'en ai marre de cette ville sans librairie digne de ce nom!" On en reparlera.), il s'était mis en quête de Tokyo Sanpo et j'adore le feuilleter dans le désordre à tout moment de la journée (avant d'aller me coucher, en grignotant quelques biscuits, en buvant une tasse de thé au yuzu, juste avant de partir au travail). J'aimerais bien savoir dessiner comme ça. Mes crayons de couleur, achetés à la Albertina sous l'insistance de G. qui a beaucoup d'indulgence pour les gros chats ou les parts de gâteau que je griffonne sur mon agenda, s'impatientent.
Un autre livre dont j'aime tourner les pages à l'improviste est arrivé par la Poste il y a quelques temps déjà après avoir été convoité sur le site de la Cocotte et admiré à la librairie du Palais de Tokyo où l'hiver dernier, après avoir bien ri au musée Guimet avec une fille qui porte avec désinvolture des souliers vernis, nous sommes allées nous désaltérer et rêvasser en regardant la nuit tomber (après j'ai repris le métro, je me suis perdue dans Barbès et, grâce à un gentil boulanger, j'ai retrouvé mon chemin et j'ai pu dîner comme prévu en délicieuse compagnie à Afghani, recommandé par une fille de bon conseil, on le savait déjà).
Ce livre parle de nourriture (son emballage, les lieux où on la consomme, ce qui l'attend dans le futur...) mais il parle aussi des gens, et le chapitre que je préfère décortique les habitudes alimentaires de quelques archétypes et permet ainsi de voir l'intérieur de leur frigo, ce qui selon moi, avec les étagères de bibliothèque, donne une idée assez précise de la personne que l'on a en face de soi (même si mon quotidien me rappelle aussi que la psyché peut réserver quelques surprises). Merci Mingou d'avoir été attentive!




Cette semaine j'avais aussi pour mission de faire des blondies mais ce gâteau est diabolique: si délicieux qu'il a été dévoré sans que je n'aie eu le temps de le photographier. Les blondies, à déguster avec un verre de lait froid en rentrant du cinéma où vous vous êtes endormis malgré Jeanne Balibar, ont le goût de cookie au chocolat mais offre davantage de mâche, ce qui procure encore plus de plaisir!
Hier j'ai voulu en refaire sauf que la veille, nous avions été un peu déçus par un gâteau au chocolat et à la farine de sarrasin servi à la fin d'un repas pourtant délicieux dans un nouveau restaurant rennais (de ça aussi je reparlerai) et nous étions restés sur cette petite frustration de gâteau au chocolat. Ainsi, alors que nous vaquions dans divers lieux mercantiles (où G. a eu l'élégance de ne pas remarquer que la bande sonore était constituée par des chansons de Vincent Delerm et Radiohead) s'est élevé le désir commun d'avoir pour le goûter le pendant du blondie, à savoir un brownie. "Aux noix de pécan" a dit mon amoureux élégant (mais il se trouve que la prochaine fois, je le ferai plutôt aux noisettes ou aux amandes).
Bon, je conçois qu'il y a des gâteaux plus avant-gardistes mais ça peut toujours servir d'avoir une chouette recette de brownie sous la main, une recette sur laquelle on peut compter en toute occasion (un changement de service par exemple). Comme le brownie de Rose Bakery a toujours beaucoup de succès et qu'une testeuse exigeante m'a confirmé la justification, j'ai d'abord ouvert le grand livre vert mais comme je voulais être bien sûre de mon choix, j'ai aussi regardé comment faisait Nigella et j'ai finalement choisi sa version des brownies (qu'elle a servi en carrés assemblés en pyramide et surmontés de longues bougies pour l'anniversaire de son mari) qui ne diffère que très peu finalement de celle de Rose Bakery.
La recette est simplissime mais il y a deux points cruciaux: la qualité du chocolat (j'ai pris du guanaja de Valrhona) et la durée de la cuisson (j'ai laissé 11 minutes dans un four préchauffé à 180° en ayant divisé les proportions par 3, le centre était un peu "cru" mais pas coulant, on doit pouvoir laisser jusqu'à 13-14 min, mais après ça risque d'être trop cuit).

Le brownie de Nigella
Pour 48 carrés (un moule de 33x23 dit-elle. J'ai divisé par trois et fait cuire dans un moule de 20cm de diamètre)

-375g de chocolat noir à pâtisser (125)
-375g de beurre demi-sel (125)
-6 oeufs (2)
-500g de sucre (170)
-225g de farine (75)
-1 cuillère à soupe d'extrait de vanille (1cc)
-des noix de pécan, des noisettes, des amandes ou même rien du tout, c'est vous qui voyez

Faire fondre le chocolat et le beurre au bain-marie.
Fouetter le sucre et les oeufs, verser la vanille.
Ajouter le chocolat fondu une fois qu'il aura un peu refroidi et bien mélanger.
Verser la farine, bien mélanger.
Verser dans un moule recouvert de papier cuisson et laisser cuire 25 minutes dans un four préchauffé à 180° pour un gâteau de cette taille mais seulement 11 à 13 minutes si vous divisez les proportions par trois. Si vous y plantez un couteau, il ressort un peu sale mais pas avec de la pâte toute coulante dessus.
C'est très bon avec un peu de fromage blanc (pour les Rennais, celui qui est vendu en pot chez Sébastien Balé est extra: crémeux, frais, avec un goût de vacances à la campagne).

La semaine ne fut pas que remplie de douceur. J'ai dit au revoir à quelques patients du service, j'ai porté des collants et un pull noir un jour où toutes les filles autour de moi étaient en robes légères et tuniques en lin, j'ai fait deux séances catastrophiques chez madame C., pleines de larmes et de propos vains. J'étais très préoccupée par S., parce qu'on devait aller au cinéma, et dîner quelque part, mais qu'en fait, parce qu'il a fait quelque chose de blessant et d'incompréhensible, on ne se parle plus et il me manque un peu.

jeudi 23 avril 2009

Partir en voyage et apprendre à faire un lit (à Vienne)

Ma voisine côté hublot avait une frange blonde, une robe bleue qui brillait beaucoup et un petit perfecto en cuir vieilli.
L’hôtesse vêtue de rouge nous a servi une barquette de raviolis avec une sauce aux champignons et pour le dessert une crème chocolat et café dans une petite boîte triangulaire.
La fenêtre de la chambre d’hôtel donnait sur une cour où règnait un marronnier centenaire majestueux qui déployait des branches tentaculaires. J’ai bien aimé l’édredon blanc et très épais.
J’ai bien aimé aussi les maisons d’Egon Schiele, ses arbres tristes et crépusculaires,
j’ai bien aimé les spaghettis au pesto d’ail des ours et aux écrevisses servis chez Wrenkh (bien que la sauce à l’orange et au chili qui recouvrait le tout ne se soit absolument pas révélée indispensable),
j’ai bien aimé le canapé en cuir sur lequel j’ai fait la sieste chez Phil en écoutant des chansons acidulées (il y avait aussi un abat-jour très joli, un service à thé vintage, les livres de Miranda July et Marjane Satrapi en allemand),


je suis restée très longtemps devant un tableau de Jérôme Bosch, et dans la même salle, j’ai trouvé très belle la Lucrèce de Cranach,
j’ai bien aimé déguster d’étonnantes petites tartines chez Trzesniewski au milieu de vieilles dames toutes adeptes l’air de rien des toasts de pain noir au hareng et aux oignons doux avec un grand verre de bière. J’ai trouvé cela délicieux et émouvant, G. quant à lui a choisi un jus couleur myrtille et il paraît que Kafka adorait ça,


j’ai bien aimé la tarte aux pommes acidulée, fondante, craquante, achetée presque à la sauvette chez Suppito, un endroit tenu par une artiste bretonne et un docteur viennois où l’on peut venir chercher des soupes originales, saines et colorées vendues dans un joli conditionnement (et je suppose que l’on peut aussi feuilleter les nombreux livres de cuisine alignés sur les étagères en bois clair),


j’ai bien aimé la terrasse du café Sperl, le pianiste du café Central, le goulash épicé et le jus d’orange frais servis avec une gentillesse remarquable au café Diglas, l’ombre de Thomas Bernhard sur les banquettes en velours du café Braunerhof, mais le café que j’ai préféré, celui où j’ai demandé à passer la dernière soirée, c’est le Kleines café avec son monsieur mystérieux dînant seul en terrasse avec le regard triste et inspiré, un groupe d’amis qui partageait des tartines, une fille à lunettes qui avait l’air sympa, des garçons qui voyageaient avec le guide Phaidon, une autre fille qui faisait découvrir la ville à ses parents et puis pour favoriser l’addiction un chocolat chaud parfait et du pain croustillant et moelleux qui allait très bien avec du fromage, du jambon ou du saucisson,
j’ai bien aimé le brownie à Kantine,


j’ai bien aimé les chaises colorées à Milo,


j’ai bien aimé l’installation sonore de Nam June Paik, son piano bariolé, la passoire suspendue,


j’ai bien aimé les sashimis du restaurant japonais de la place Albertina mais j’ai préféré le dîner chez EN, leur vaisselle délicate, les gyozas bien grillés et goûteux, le goût de la glace aux haricots rouges (une grande première pour moi !),
j’ai bien aimé la maison de Freud mais j’ai hâte de retourner à Londres voir son divan,
j’ai bien aimé le tour de grande roue un peu désuète au Prater,
mais ce que j’ai préféré par-dessus tout, ce fut la surprise de voir pour la première fois La maman et la putain à la cinémathèque locale au milieu d’une faune hétéroclite réunissant universitaires barbus et garçons branchés chevelus. Ce fut un moment indescriptible, la sensation d’assister à quelque chose d’exceptionnel bien qu’il soit ancien. Après le film, dans la nuit bien avancée, nous sommes allés goûter la buchteln tiède du café Hawelka, franchement délicieuse malgré le serveur exécrable. G. a dit : « Je ne pensais pas que ce serait aussi bien ».

mardi 7 avril 2009

Les sandwiches de Georges Perec, le poulet coco aux graines de moutarde de Nigel (et un restaurant qui n'est pas comme avant)

Une énigme (pas très compliquée) pensée par Georges Perec et recopiée sans scrupules dans mon agenda Moleskine noir sur la page lignée qui fait face à la semaine quatorze lors d'un moment de désoeuvrement dans une librairie qui fermait tard.

Les sandwiches
Quatre amis partent en pique-nique: Alain, Brigitte, Charles et Denise. Chacun emporte un sandwich différent: salade, fromage, poulet, rosbif.
Si l'on vous dit que:
-ce qui garnit le sandwich d'Alain est de couleur jaunâtre,
-Brigitte est végétalienne,
-Charles ne supporte pas les laitages,
-Denise n'aime pas la viande,
saurez-vous attribuer un sandwich à chacun?

Le sandwich-club que vous voyez ci-dessus est celui que l'on vous servira, uniquement au déjeuner, chez Marc Angelle, sur la jolie place de la Parcheminerie.
Il y a quelques années, lors d'un été où ma tenue préférée consistait en une jupe rose, une chemise rayée et des sandalettes, nous avions dîné un peu par hasard (ou sur les recommandations d'une personne que j'ai préféré oublier) dans l'ancien restaurant de ce même Marc Angelle. C'était une adresse très discrète, sur une artère particulièrement laide de la ville, coincée entre un garage automobile et un livreur de pizzas à domicile. La façade n'était guère engageante, l'intérieur paraissait sombre et sans éclat, aucun menu n'était apparent.
Mais nous y sommes quand même entrés (c'était un petit évènement parce que G. était encore interne et les tarifs pratiqués n'étaient pas tout à fait ceux auxquels nous étions habitués).
Nous avons été accueillis par une grande dame au physique de diva, toute enveloppée dans une longue robe bleue pleine de plis. Elle nous a proposé de passer "au jardin, tellement agréable en cette saison". Les tables étaient dressées sur la pelouse, entre des arbres dont je ne me rappelle plus la variété. Des lampions colorés y étaient suspendus.
Menu unique donc pas de choix à faire et cela allait très bien avec l'ambiance légère et inconséquente. La dame en bleu a achevé de nous ouvrir l'appétit en apportant sur une petite assiette en porcelaine blanche des gougères au fromage juste assez chaudes pour être fondantes sans brûler les doigts et des tranches d'andouille qui renfermaient en leur centre un morceau de lard rôti (ce n'est pas glamour mais il se trouve que c'est très bon!).
Ce soir-là, il y eut du foie gras poêlé avec des figues rôties puis dans un joli plat ovale deux bars entiers allongés sur des petits légumes, enfin une salade de fruits servie avec une tuile à la nougatine et une délicieuse glace à la vanille. A la table d'à côté, une famille fêtait un anniversaire.
Je crois que nous avions bien aimé le charme désuet de l'endroit, les apparitions de la dame en bleu, sa façon lyrique d'annoncer les plats, le goût un peu ancien qu'ils avaient, leur simplicité maîtrisée. Assis au milieu du jardin d'un cuisinier, on avait l'impression d'avoir remonté un temps qui n'en finissait pourtant pas de s'étirer langoureusement.
Il y a quelques mois, j'ai appelé pour réserver mais, comme l'occasion revêtait une certaine importance, je m'étais inquiétée du menu. La jeune fille au téléphone m'informa alors que le restaurant s'était depuis peu délocalisé, et qu'il y avait désormais une "vraie carte". Je lui ai demandé de nous garder une table, curieuse et excitée.
Mais désormais, quand on va chez Marc Angelle, on n'est plus accueilli par une dame en bleu mais par deux jeunes filles un peu froides, un peu pressées, comme un peu étonnées d'être là. Le décor est très contemporain, gris, prune et argent. Les chaises sont blanches avec un dossier bien droit. Tout est rutilant, la machine à café, la trancheuse à jambon, les miroirs où sont inscrites les suggestions du jour. Ce soir-là, la sauce du filet mignon était sans intérêt et le pavé de saumon lui faisait concurrence dans l'inexistence. On a eu une sensation étrange en partant.
Un autre soir (nous avons toujours quelques difficultés à nous convaincre de la perte définitive de diverses choses), j'ai constaté que le risotto aux saint-jacques n'était pas vraiment passionnant mais G. s'est régalé d'une pièce de boeuf (saignante à souhait) sauce écarlate servie avec des pommes de terre impec.
Alors le soir, c'est quelque peu aléatoire et il y a d'autres endroits où mieux dîner, mais j'avoue que j'aime bien y aller déjeuner avec G., qui a un grand faible pour les frites parfaites qui accompagnent le sandwich-club (bien que ce dernier ne recueille pas toutes mes faveurs mais il faut dire que je suis difficile. En fait, j'aime les clubs dont le pain est écroûté et toasté, renfermant en son sein tiède, du poulet rôti, de la poitrine fumée en très fine tranche croustillante, de la salade, des tranches de tomates, quelques rondelles d'oeuf dur et de la très bonne mayonnaise). Ceci dit, ils servent parfois un plat super bon, à savoir ces pâtes aux asperges et au saumon relevées de graines germées et d'une sauce à l'huile d'olive et au citron absolument délicieuse.


Il n'y a aucun lien direct, si ce n'est la satisfaction gustative, mais les samedis soirs un peu froids, si vous envisagez de traîner au milieu de vos nouveaux coussins, fleuris ou pas, bien enveloppée par un plaid chaleureux ou les bras de votre amoureux, à feuilleter des magazines sans conséquence ou à lire votre roman du moment, vous pouvez décider un peu plus tôt dans l'après-midi, après avoir convoité une nouvelle paire de tennis étoilée, d'acheter tout ce qu'il vous faut pour faire le poulet coco aux graines de moutarde de Nigel (je suppose que ce plat conviendra très bien aussi si vous décidez d'inviter une psychanalyste blonde éthérée, un garçon qui aime la danse contemporaine et un jeune homme qui lit cent cinquante mille livres par semaine. Par contre, si vous décidez de convier votre linguiste préférée, il faudra faire autre chose, à cause du coco...)


Le poulet coco aux graines de moutarde de Nigel
Pour quatre personnes


-un poulet bien élevé coupé en morceaux
-1+1/4 cc de graines de cumin
-2+1/2 cc de graines de coriandre
-2+1/2 cc de graines de moutarde noire
-1+1/4cc de curcuma
-un piment rouge égrainé
-un pouce de gingembre râpé
-3 oignons grossièrement émincés
-2 gousses d'ail écrasées
-une boîte de tomates pelées
-une poignée de feuilles de curry
-400mL de lait de coco
-du nuoc mam pour assaisonner à votre goût

Faire revenir le poulet dans un peu d'huile, le faire légèrement dorer puis réserer au chaud.
Réunir dans un pilon les différentes graines, les écraser sans insister.
Les faire revenir dans la cocotte qui a auparavant accueilli le poulet puis ajouter le piment, le gingembre, l'ail et les oignons. Remuer constamment puis ajouter le curcuma, les tomates et les feuilles de curry. Laisser cuire une dizaine de minutes puis ajouter le lait de coco.
Qaund le mélange aura tiédi, ajouter les morceaux de poulet et laisser cuire jusqu'à obtenir une sauce épaisse et parfumée (environ 30-45 minutes).
Très bon avec du riz tout simple.

Sur ce, je vais aller recoudre des boutons en écoutant Raphaël E. ou Dominique A., je ne sais pas encore.

jeudi 2 avril 2009

Le genre de truc qui vous fait lever la nuit -un chat, une sonate, un gâteau aux pommes-

Quand on veut aller au cinéma à Rennes, plusieurs chemins sont possibles. On peut choisir de traverser la Vilaine, passer devant Léon le cochon dont s'échappe dans une désespérante prévisibilité la même odeur de viande chaude à l'huile (pour être honnête, la première fois que j'y ai mangé, c'était en compagnie d'une fille assez étrange qui portait un béret rouge et souffrait de maladies imaginaires. Absorbée par sa converstaion, je n'avais pas prêté attention au contenu de l'assiette. La seconde fois, c'était un dimanche soir avec G. -et le dimanche soir, dîner dehors est une chose assez compliquée à Rennes. Il y avait un restaurant indien qu'on aimait bien, même si tout n'y était pas bon, mais il a fermé depuis peu-. Il faut reconnaître que l'ambiance générale est un peu triste, je ne sais pas à quoi cela tient exactement. Ce soir-là, j'avais mangé de l'agneau, avec une sauce à l'ail vraiment pas mauvaise mais c'était sans éclat; on s'ennuie un peu, bouchée après bouchée), on tourne dans la rue Vasselot, on jette un oeil à la vitrine de la librairie pour enfants, on critique haut et fort un faux restaurant japonais (une pure imposture: des brochettes achetées à l'hypermarché asiatique du coin, du poisson de très moyenne qualité tranché par un quidam, un personnel occidental, une musique d'ambiance chinoise), on se dit que quand même, peut-être qu'il faudrait essayer le salon de thé et, si l'on n'est pas trop en retard, on s'arrête devant la vitrine de Même pas peur du loup pour choisir le prochain coussin ou la couleur de la carpe japonaise Madame Mo qui irait bien dans le salon (la rouge et rose, d'après moi). Au bout de la rue, on aperçoit les vitres immenses du TNB et parfois, la queue de jeunes gens au sein desquels ma soeur ne déparerait pas, qui attend l'ouverture de l'Ubu.
Même si j'ai beaucoup d'affection pour le TNB (j'y ai vu Isabelle Huppert dans une pièce de Sarah Kane et Jeanne Balibar qui m'avait trouvée bien jeune pour aimer Desplechin), j'avoue que je trouve le bâtiment très laid avec son petit côté soviétique qui le rend franchement déprimant les jours de pluie. Pour accèder aux salles de cinéma il faut monter un interminable et immense escalier en colimaçon qui me rappelle chaque fois que je devrais faire davantage d'exercice physique. A l'étage au-dessous, il y a un restaurant que je ne recommande à personne même si vous pourriez être tentés par les grands lustres et la vue sur la rue. J'y suis allée un mercredi soir avec S., avant un séminaire de psychanalyse et après que S. ait subi, non sans son habituelle appréhension en cette occasion,une séance réussie chez le coiffeur. Il portait ce soir là une jolie chemise et une veste en velours. Il fallait faire vite mais on a quand même eu le temps d'affronter la malveillance du serveur (qui nous rudoie pour qu'on change de table ou qui ne révèle qu'en fin de repas que le vin servi n'était pas celui demandé), de constater l'amertume du foie gras et l'exceptionnelle insapidité du parmentier de poisson.
Il y a deux salles de cinéma au TNB et dans la plus grande d'entre elles, j'ai vu le dernier film de Sophie Fillières qui est très précisément le genre de film que j'aurais fait si j'avais pu en faire. Heureusement, il y a des gens qui s'en chargent pour moi. J'ai beaucoup aimé la désinvolture pleine de doute de Chiara Mastroianni, son anniversaire, son ordinateur, ses séances d'analyse et sa façon de casser les oeufs (par contre pour le marbré au chocolat, je me fierais plutôt à cette recette-là). Il y a aussi une jeune fille, une khâgneuse qui porte des jolis foulards, danse avec classe et pense à apporter des petits goûters. Allez-y un dimanche après-midi avant de boire un chocolat chaud dans votre tasse préférée accompagné d'un croissant fondant et délicatement beurré (ce qui n'était pas précisément le cas du mien, acheté chez Cozic. Il était bon mais force est de constater que pour l'instant, le meilleur croissant rennais reste celui de la boulangerie rue de Paris (la petite, rouge et jaune, surtout pas l'autre, orange et noire)).


Sinon, un autre chemin possible pour aller au cinéma est de remonter la rue Edith Cavell et de longer le Parlement pour prendre la rue Hoche. Une halte attentive est recommandée devant la vitrine bleue et élégante du Chercheur d'Art (peut-être que vous serez tentés de vous arrêter aussi devant celle de la boutique colorée d'à côté mais si vous vous approchez suffisamment, vous verrez que ce déluge de couleurs et de motifs n'est pas des plus convaincants) où vous aurez envie d'un livre sur Lewis Caroll ou de celui avec les photos de Gisèle Freund. Si l'heure s'y prête et si l'envie vous vient, vous pouvez vous arrêter au Nabuchodonosor où il arrive de déguster ce genre de chose:


Après, il faudra prendre la rue de Bertrand et supporter ses objets de convoitise (une guirlande Tsé-Tsé, une étole rose, du parfum Dyptique). Au bout de la rue, vous tournez à droite et vous avancez jusqu'à l'Arvor, le fidèle refuge des mes premières années de médecine. L'adorable ouvreur chinois n'est plus aussi présent (et je n'ai donc pas à trouver une réplique acceptable lorqu'il se moque gentiment des films de Rohmer "Mais personne ne parle comme ça dans la vie!" ou de Tsaï Ming Liang ("Ils passent leur temps à manger des nouilles!") et il y aurait beaucoup à faire pour rendre le lieu plus vivant (créer un bar à l'étage par exemple) mais bon, là aussi, j'ai eu des émotions mémorables et dimanche dernier, j'ai été toute retournée par le film d'horreur de Kyoshi Kurosawa que seule une pièce de Debussy viendra adoucir. Dans Tokyo sonata des désirs se révèlent, des femmes se perdent pour mieux se retrouver, des garçons apprennent le piano sur des claviers silencieux, les mensonges s'accumulent jusqu'à écraser ceux qui les formulent. Allez-y vite!


La part de gâteau sur la première photo est l'ultime rescapée d'un délicieux gâteau aux pommes dont la recette est issue de la toujours inspirée Smitten kitchen. Je l'ai fait avec des minuscules pommes acidulées trouvées au marché de la Place Saint-Germain et du sucre demerara, goûteux et parfumé.

Pour un beau gâteau ou une douzaine de muffins
-130g de farine T110
-100g de farine T65
-100g de beurre salé bien mou
-85g de sucre roux
-25+60g de sucre demerara
-1 oeuf
-250mL de lait ribot
-1 cuillère à soupe de cannelle
-1 cuillère à café de levure
-4 pommes épluchées et coupées en gros dés

Mélanger les farines, la levure et la cannelle. Réserver.
Fouetter le beurre avec le sucre roux et 25g de sucre demerara. Ajouter l'oeuf puis le lait en mélangeant bien entre les deux.
Incorporer délicatement le premier mélange (ce n'est pas grave s'il reste des grumeaux) et ajouter les pommes.
Verser dans le moule et saupoudrer la surface du gâteau avec le reste de demerara.
Faire cuire une trentaine de minutes dans un four à 180°.
Très bon avec un peu de crème fraîche épaisse.