mardi 7 avril 2009

Les sandwiches de Georges Perec, le poulet coco aux graines de moutarde de Nigel (et un restaurant qui n'est pas comme avant)

Une énigme (pas très compliquée) pensée par Georges Perec et recopiée sans scrupules dans mon agenda Moleskine noir sur la page lignée qui fait face à la semaine quatorze lors d'un moment de désoeuvrement dans une librairie qui fermait tard.

Les sandwiches
Quatre amis partent en pique-nique: Alain, Brigitte, Charles et Denise. Chacun emporte un sandwich différent: salade, fromage, poulet, rosbif.
Si l'on vous dit que:
-ce qui garnit le sandwich d'Alain est de couleur jaunâtre,
-Brigitte est végétalienne,
-Charles ne supporte pas les laitages,
-Denise n'aime pas la viande,
saurez-vous attribuer un sandwich à chacun?

Le sandwich-club que vous voyez ci-dessus est celui que l'on vous servira, uniquement au déjeuner, chez Marc Angelle, sur la jolie place de la Parcheminerie.
Il y a quelques années, lors d'un été où ma tenue préférée consistait en une jupe rose, une chemise rayée et des sandalettes, nous avions dîné un peu par hasard (ou sur les recommandations d'une personne que j'ai préféré oublier) dans l'ancien restaurant de ce même Marc Angelle. C'était une adresse très discrète, sur une artère particulièrement laide de la ville, coincée entre un garage automobile et un livreur de pizzas à domicile. La façade n'était guère engageante, l'intérieur paraissait sombre et sans éclat, aucun menu n'était apparent.
Mais nous y sommes quand même entrés (c'était un petit évènement parce que G. était encore interne et les tarifs pratiqués n'étaient pas tout à fait ceux auxquels nous étions habitués).
Nous avons été accueillis par une grande dame au physique de diva, toute enveloppée dans une longue robe bleue pleine de plis. Elle nous a proposé de passer "au jardin, tellement agréable en cette saison". Les tables étaient dressées sur la pelouse, entre des arbres dont je ne me rappelle plus la variété. Des lampions colorés y étaient suspendus.
Menu unique donc pas de choix à faire et cela allait très bien avec l'ambiance légère et inconséquente. La dame en bleu a achevé de nous ouvrir l'appétit en apportant sur une petite assiette en porcelaine blanche des gougères au fromage juste assez chaudes pour être fondantes sans brûler les doigts et des tranches d'andouille qui renfermaient en leur centre un morceau de lard rôti (ce n'est pas glamour mais il se trouve que c'est très bon!).
Ce soir-là, il y eut du foie gras poêlé avec des figues rôties puis dans un joli plat ovale deux bars entiers allongés sur des petits légumes, enfin une salade de fruits servie avec une tuile à la nougatine et une délicieuse glace à la vanille. A la table d'à côté, une famille fêtait un anniversaire.
Je crois que nous avions bien aimé le charme désuet de l'endroit, les apparitions de la dame en bleu, sa façon lyrique d'annoncer les plats, le goût un peu ancien qu'ils avaient, leur simplicité maîtrisée. Assis au milieu du jardin d'un cuisinier, on avait l'impression d'avoir remonté un temps qui n'en finissait pourtant pas de s'étirer langoureusement.
Il y a quelques mois, j'ai appelé pour réserver mais, comme l'occasion revêtait une certaine importance, je m'étais inquiétée du menu. La jeune fille au téléphone m'informa alors que le restaurant s'était depuis peu délocalisé, et qu'il y avait désormais une "vraie carte". Je lui ai demandé de nous garder une table, curieuse et excitée.
Mais désormais, quand on va chez Marc Angelle, on n'est plus accueilli par une dame en bleu mais par deux jeunes filles un peu froides, un peu pressées, comme un peu étonnées d'être là. Le décor est très contemporain, gris, prune et argent. Les chaises sont blanches avec un dossier bien droit. Tout est rutilant, la machine à café, la trancheuse à jambon, les miroirs où sont inscrites les suggestions du jour. Ce soir-là, la sauce du filet mignon était sans intérêt et le pavé de saumon lui faisait concurrence dans l'inexistence. On a eu une sensation étrange en partant.
Un autre soir (nous avons toujours quelques difficultés à nous convaincre de la perte définitive de diverses choses), j'ai constaté que le risotto aux saint-jacques n'était pas vraiment passionnant mais G. s'est régalé d'une pièce de boeuf (saignante à souhait) sauce écarlate servie avec des pommes de terre impec.
Alors le soir, c'est quelque peu aléatoire et il y a d'autres endroits où mieux dîner, mais j'avoue que j'aime bien y aller déjeuner avec G., qui a un grand faible pour les frites parfaites qui accompagnent le sandwich-club (bien que ce dernier ne recueille pas toutes mes faveurs mais il faut dire que je suis difficile. En fait, j'aime les clubs dont le pain est écroûté et toasté, renfermant en son sein tiède, du poulet rôti, de la poitrine fumée en très fine tranche croustillante, de la salade, des tranches de tomates, quelques rondelles d'oeuf dur et de la très bonne mayonnaise). Ceci dit, ils servent parfois un plat super bon, à savoir ces pâtes aux asperges et au saumon relevées de graines germées et d'une sauce à l'huile d'olive et au citron absolument délicieuse.


Il n'y a aucun lien direct, si ce n'est la satisfaction gustative, mais les samedis soirs un peu froids, si vous envisagez de traîner au milieu de vos nouveaux coussins, fleuris ou pas, bien enveloppée par un plaid chaleureux ou les bras de votre amoureux, à feuilleter des magazines sans conséquence ou à lire votre roman du moment, vous pouvez décider un peu plus tôt dans l'après-midi, après avoir convoité une nouvelle paire de tennis étoilée, d'acheter tout ce qu'il vous faut pour faire le poulet coco aux graines de moutarde de Nigel (je suppose que ce plat conviendra très bien aussi si vous décidez d'inviter une psychanalyste blonde éthérée, un garçon qui aime la danse contemporaine et un jeune homme qui lit cent cinquante mille livres par semaine. Par contre, si vous décidez de convier votre linguiste préférée, il faudra faire autre chose, à cause du coco...)


Le poulet coco aux graines de moutarde de Nigel
Pour quatre personnes


-un poulet bien élevé coupé en morceaux
-1+1/4 cc de graines de cumin
-2+1/2 cc de graines de coriandre
-2+1/2 cc de graines de moutarde noire
-1+1/4cc de curcuma
-un piment rouge égrainé
-un pouce de gingembre râpé
-3 oignons grossièrement émincés
-2 gousses d'ail écrasées
-une boîte de tomates pelées
-une poignée de feuilles de curry
-400mL de lait de coco
-du nuoc mam pour assaisonner à votre goût

Faire revenir le poulet dans un peu d'huile, le faire légèrement dorer puis réserer au chaud.
Réunir dans un pilon les différentes graines, les écraser sans insister.
Les faire revenir dans la cocotte qui a auparavant accueilli le poulet puis ajouter le piment, le gingembre, l'ail et les oignons. Remuer constamment puis ajouter le curcuma, les tomates et les feuilles de curry. Laisser cuire une dizaine de minutes puis ajouter le lait de coco.
Qaund le mélange aura tiédi, ajouter les morceaux de poulet et laisser cuire jusqu'à obtenir une sauce épaisse et parfumée (environ 30-45 minutes).
Très bon avec du riz tout simple.

Sur ce, je vais aller recoudre des boutons en écoutant Raphaël E. ou Dominique A., je ne sais pas encore.

19 Comments:

Blogger the_young_dude said...

et pourtant la géométrie de ce sandwich était parfaite...good toasting is the key!

08 avril, 2009 05:08  
Anonymous Léa said...

Dommage que ce petit paradis ait changé, en lisant cette description saisissante d'authenticité, je mourrais d'envie d'y courir déguster quelques gougères au jardin... un autre endroit peut-être, un autre lieu qu'il nous reste à découvrir... l'authenticité et la simplicité c'est ce qu'il y a de meilleur (enfin pour moi).
Le poulet semble divinement bon et même de bon matin, avec un café à la main, il me fait très envie... Merci de partager cette recette !

08 avril, 2009 08:05  
Blogger Miette said...

Que tu écris bien... Un délice de te lire et de découvrir tes recettes (et tes petits coins de paradis gourmands) !

Bises,

Miette

08 avril, 2009 08:18  
Blogger 7tourvercors said...

Voilà mes résultats docteur :
A->P
B->S
D->F
C->R
C'est grave ?
Moment de lecture toujours aussi plaisant. Comme ces gougères en fait.

08 avril, 2009 11:33  
Anonymous MaRong said...

J'ai les mêmes résultats que 7tourvercors, ça doit être bon signe. Sauf que je ne comprends pas pourquoi Alain change de nom pour s'appeler Anne en plein milieu de son sandwich. L'effet poulet ?
En tout cas, j'ai acheté cette semaine une boite de lait de coco en me demandant ce que j'allais bien pouvoir cuisiner avec. La réponse est toute trouvée ! Merci Patoumi !

08 avril, 2009 12:50  
Blogger betterave.urbaine said...

J'ai trouvé les mêmes réponses à la devinette qui me semble particulièrement simple pour du Perec... et je partage ton plaisir pour l'écoute de Raphaël E. et Dominique A., aimes-tu aussi Matthieu B., plus léger mais si touchant ?

08 avril, 2009 13:53  
Anonymous Camille said...

Nous avons le même format de Moleskine, donc, celui qui permet un grain de folie, une citation, une adresse ou une (des) liste(s).

(La politesse du poulet me semble aussi essentielle dans l'affaire)

08 avril, 2009 16:14  
Blogger julie said...

Délicieuse quête de saveurs perdues qui me met l'eau à la bouche... surtout de ce côté-ci du monde, royaume de la frite et du Starbucks !

08 avril, 2009 19:49  
Anonymous Grand Chef said...

Il y aussi ce genre de trucs dans le Moleskine rouge de Ma Femme* (sauf qu'à la week 14, sur la page des lignes, il y a une recette de gigot à l'italienne!).

Je pense qu'Alain mange celui à la salade (c'est un sandwich à l'endive, il y a sans doute des gens comme ça); Brigitte celui au fromage; Charles celui au rosbif et Denise celui au poulet, parce qu'en général les gens qui n'aiment pas la viande parlent de viande rouge, pas de volaille.

J'avais une autre idée, mais j'ai oublié!

Sinon, comment ça se passe pour le jeu de La Mangue? tu veux que je t'envoie une brioche, c'est ça?! Je suis pas sûr que ça se conserve suffisamment, malheureusement!

... ah et super, "ton" film! On a adoré! Continue comme ça! ;o)

09 avril, 2009 17:59  
Blogger patoumi said...

Pia: mais oui, je suis tellement d'accord! Mais tout le monde n'a pas l'air décidé à passer en mode grillé!
Léa: Merci! J'aime beaucoup moins le nouvel endroit, qui semble s'être conformé au conformisme.
Miette:Merci!
Emilie: Mille baisers, en espérant qu'en 2009, nous partagerons des gougères
MaRong: merci pour cette lecture attentive! Le poulet est super bon (j'ai rajouté un peu de maggi et pas mal de nuoc mam)
Betterave: finalement j'ai écouté Raphaël Enthoven, j'adore sa voix (c'est mon côté midinette). J'ai eu ma phase Mathieu, c'est passé, mais ça reviendra sûrement!
Camille: je connais d'autres chics filles qui ont le même!
Julie: jamais mis les pieds dans un Starbucks, ça me paraît tout à fait exotique en fait.
Grand Chef: décidément, ces agendas sont très courus! Moi aussi je note des recettes, et je fais des petits dessins des ingrédients. Quelle dommage pour la brioche! (je crois que c'est ce que j'admire le plus chez vous dans la mesure où les miennes ne sont que des briques beurrées)
Et puis aussi, contente que le film vous ait plu! A bientôt! Continuez d'écrire!

10 avril, 2009 02:44  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Moi, je dois être un peu ringarde, parce que je n'ai pas ce fameux Moleskine... enfin bon... bref.

Merci de penser à la linguiste :-)

12 avril, 2009 10:47  
Anonymous gourmeline said...

j'aime te lire, ça m'apaise. merci

14 avril, 2009 23:16  
Blogger patoumi said...

Mingou: oui enfin bon c´est bien aussi de ne pas avoir le meme truc que tout le monde.
Gourmeline: merci! J´espere que tout va bien!

15 avril, 2009 00:00  
Anonymous Gourmandises et gf said...

La recette du poulet me plait beaucoup,merci !

15 avril, 2009 07:28  
Blogger croukougnouche said...

chère Patoumi, merci pour ce blog découvert gràce à celui de Natalia kriskova...
C' est tellement réjouissant de mêler l' écriture à ce qui se mange ,
çà correspond à quelque chose de si évident: la cuisine , l' exultation des papilles va de pair avec une anticipation intellectuelle du plaisir à venir , vos textes sont absolument réjouissants, j' attends les prochains avec délectation!!

16 avril, 2009 14:21  
Anonymous Natalia said...

Illusoire en effet de penser convertir le palais de la linguiste (!) à la noix coco... même avec une recette de Nigel... (et en plus elle avoue qu'elle n'a pas de Moleskine !). J'accepterais sans doute d'en manger un club pas tout à fait conforme à mes exigences (proches des tiennes) dans le cadre que tu décris.

19 avril, 2009 08:22  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Chère Natalia, tu fais erreur : j'ai tout un tas de Moleskine (il y en a même un qui me servait de mémo de linguistique) ! Mais pas celui mentionné dans le billet ;-)

Pour le reste, tu as parfaitement raison. Il est tout à fait inutile d'essayer de me convertir à la noix de coco. Les quelques fois où je me suis fait avoir m'ont suffi.

19 avril, 2009 17:38  
Blogger patoumi said...

Gluten free: merci!
Croukougnouche: tous les fins lecteurs de natalia sont les bienvenus! Je me dépêche d'écrire un nouveau billet!
Natalia: c'est fou qu'elle n'aime pas les bounty quand même (j'adore les rouges au choco noir)
Mingou: les Moleskine ont beau être très répendus, je les adore!

21 avril, 2009 20:14  
Blogger Unknown said...

Coucou, je me demande: C'est qui le Matthieu dont vous parlez?

06 août, 2015 01:22  

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