mercredi 18 novembre 2009

Haut bas fragile -la daube que vous ne verrez jamais-

Cet automne, mon coeur s'emballe sans ménagement.
Un soir, je suis à l'hôpital jusqu'au lendemain encore. Je dois téléphoner à une patiente, vue plus tôt dans l'après-midi. Les sonneries restent sans réponse. J'appelle cinq, dix, quinze, dix-huit fois. Rien. Un silence glaçant, un silence de mort, entre les sonneries. Je regrette tout: de lui avoir donner une ordonnance (ce qui signifie qu'elle a des médocs à disposition), de ne pas l'avoir hospitalisée, d'être juste nulle et de ne pas avoir fait un autre métier (genre libraire, grand reporter, concertiste, un autre métier quoi. Comme s'ils étaient plus simples). Il y a eu un temps éternellement long entre le moment où je me décide à réagir de façon radicale tout en étant limitée par la fait d'être coincée à l'hôpital un soir où il pleut vraiment beaucoup et fort en plus et celui où j'entends "Allo Docteur Patoumi? Non mais ça va en fait, je vais bien." Je me suis écroulée sur une chaise (j'avais remué ciel et terre). Pendant tout le temps où l'angoisse m'a habitée, je me suis sentie extrêmement seule, démunie, réduite à rien.
Pour dédramatiser l'hôpital et ses horreurs, il y a la lecture salvatrice d'une super bande dessinée tendue par une jeune fille joyeuse et bien élevée à la Régalade, restaurant qui porte définitivement bien son nom (mais soyez raisonnables quant à la terrine si vous ne voulez pas être tentée par la piscine le lendemain -personnellement ce ne fut pas mon cas mais j'ai cru comprendre que pour certaines personnes courageuses, en fait si).


Hier soir, il faisait évidemment nuit quand j'ai posé mon sac dans l'entrée encombrée (mais sinon le reste de l'appartement est plutôt propre si jamais vous veniez prendre le thé). J'avais un plan assez précis qui nécessitait de se rendre dans une multinationale de la culture (ça veut dire quoi? C'est un endroit avec des étages et qui vous accueille avec les trucs qui se vendent le plus dans leur domaine d'activité. Ce qui est présenté sur les tables est absolument convenu. Y'a aussi un grand type qui fouille votre sac. Et, rapport à la première assertion, des piles entières du nouvel Anna Gavalda). Toujours pareil quand quelque chose de bien m'attend: l'excitation cohabite avec l'appréhension de ne plus avoir cette excitation une fois la chose passée. Cela explique les circonvolutions à travers la ville alors que tout pouvait se faire en ligne droite. J'ai croisé une marchande de crêpes qui nettoyait son billig, des bottes bleues pas mal mais pas assez hautes, des bottes noires vraiment bien mais trop hautes, un magasin de thés dont la vendeuse n'est pas super gentille (je vous préviens, n'allez pas lui demander la composition de ses thés... Il ne me parait pourtant pas évident de deviner ce qui se cache derrière Montagne de jade. Si?), les bouquinistes étaient quant à eux partis depuis longtemps déjà.
Dans la multinationale (j'ai oublié de préciser que depuis la fermeture de Rennes musique -le disquaire que fréquentait autrefois Etienne Daho-, il n'y a plus d'endroit indépendant où l'on peut en acheter, de la musique), je suis montée à l'étage, j'ai attrapé ça (je deviens prévisible, veuillez m'excuser mais j'ai trouvé pire que moi), j'ai filé à la caisse où il y avait une queue monstre. Une dame avec un chignon m'a souri l'air attendri. Elle tenait à la main un exemplaire du nouvel Anna Gavalda...
Je ne vais pas m'éterniser là-dessus mais j'ai quand même envie de vous dire que les photos sont vraiment jolies (notamment celles prises dans la loge, l'assiette qui refroidit, les comptoirs des cafés, les cieux et la neige et, la couverture d'un vieux numéro des Inrocks qui fait partie de mes préférées), que les paroles de Souchon du début sont super touchantes même si l'on n'est pas directement concerné, que le texte sur les temps morts d'une tournée est troublant et émouvant. Reste la petite tristesse de ne pas le connaître vraiment.


Un jour en novembre, il y eut aussi les journées de l'Ecole de la Cause Freudienne sur le thème: Comment on devient analyste au XXIème siècle. Ca a l'air sérieux comme ça, d'ailleurs ça l'est, mais passées les premières minutes d'angoisse générées par toutes ces personnes qui connaissent Lacan sur le bout des doigts, c'était pas mal du tout. Tout comme l'éclair au chocolat et le flan pâtissier achetés à un corner Dalloyau au sous-sol de l'immeuble qui abritait les conférences. Le parc ci-dessous, juste à côté, fut un endroit plutôt stratégique pour la dégustation. Il y eut vers la fin une projection d'une documentaire de Gérard Miller qui passera à la télévision en janvier prochain. On pouvait y voir un jeune homme qui expliquait "Après toutes ces années de pitanalyse, on ne peut pas dire que j'ai changé, je suis toujours le même, j'ai les mêmes centres d'intérêt MAIS j'ai enfin réussi à faire ce que je voulais vraiment", entendez par là qu' il a écouté son désir et pas le reste. Et il en avait l'air très heureux.


Que voulait représenter le dessin de la première photo?
Figurez-vous que le week end dernier, j'ai préparé une daube (une recette d'Alain Ducasse issue de son dernier livre qui est plutôt bien). C'était assez long à faire, il fallait d'abord faire mariner (quarante-huit heures à l'avance!) du boeuf (de la queue, du gîte, du paleron) avec du vin, une orange, des grains de poivre, du thym, des carottes et des oignons. Après il fallait faire bouillir un peu le vin, faire dorer un peu le boeuf puis la garniture aromatique et cuire le tout avec du bouillon de poule pendant trois heures. Ici, la daube est restée au four presque cinq heures parce qu'on est allé au cinéma voir un film super nul (par contre le Resnais, allez-y, c'est réjouissant bien que fort triste). J'avais prévu d'en apporter dans ma lunchbox pour le lendemain et c'était délicieux réchauffé et mélangé à des pâtes (même si j'étais un peu déstabilisée par le fait qu'autour de moi les gens mangeaient des steaks de soja avec de la quinoa, des yaourts 0% et des fruits minuscules). Comme tout le monde sait que les plats mijotés sont difficiles à photographier, j'ai voulu faire un dessin. Vous voyez le désastre. Pas facile d'avoir autant de talent que certaines.

22 Comments:

Blogger Emily said...

C'est très proustien le sentiment de vouloir et ne pas vouloir quelque chose; il m'arrive parfois de regarder les mêmes films au lieu d'en voir de nouveaux simplement pour prolonger cette excitation avant de les regarder (c'est un peu bête, je sais). Ce matin tu m'a fais partager ton angoisse avec le téléphone qui sonne dans le vide mais aussi de la joie quand tu as trouvé cette nouveauté de VD (je suis aussi incorrigible avec Ingmar Bergman ou Proust, je te le jure) et cette belle promenade au parc - merci! Quant au dessin, il me plaît bien et je le trouve mignon - j'aurais trop de honte de montrer mes efforts pitoyables!

18 novembre, 2009 07:45  
Blogger Cécile said...

Voilà une des raisons pour lesquelles je n'aurais jamais pu faire ce métier, je suis une véritable éponge émotionnelle et affective, j'ai bcp de difficultés à prendre de la distance, en aucun cas je n'aurais su me protéger. J'ai bcp d'admiration pour ce que toi et d'autres faîtes. Et la remarque de ce garçon me semble si juste...
Je ne suis pas fan de Vincent Delerm mais j'aime assez la façon que tu as de raconter cette relation particulière: pourquoi se soigner de quelque chose (ou plutôt qqn) qui vous fait du bien sans vous faire de mal?
Le dernier passage concernant le dessin est irrésistible. Et tu as un talent que bcp t'envient sans doute!

18 novembre, 2009 08:35  
Blogger (les chéchés) said...

cette angoisse... j'admire la façon dont tu gères, la tendresse avec laquelle tu racontes, je ne sais pas comment le dire, mais ça fait du bien.
et tu suggères tellement bien ce qui se passe dans tes casseroles, on t'imagine dans ta cuisine, verser, mélanger, te laisser bercer par les parfums de cette recette diablement longue qui sait prolonger le plaisir gustatif jusqu'au lendemain...

18 novembre, 2009 08:46  
Blogger Anne-Cécile said...

Moi aussi je trouve que les pâtes accompagnent très bien les plats mijotés, et dans un autre style j'aime aussi le quinoa, d'ailleurs je ne sais toujours pas s'il faut dire "le" ou "la" (F. dit comme toi), mais les steaks de soja et les yaourts 0% me tentent peu... Je préfère les éclairs au chocolat ;)
Sinon, je trouve que ta daube est dessinée façon "destructuré", c'est original :)
Dis, tu pourras nous tenir au courant si tu sais quand va passer le documentaire de Gérard Miller? J'aimerais bien le voir...
En tout cas, je t'envoie beaucoup de courage pour les longues journées d'automne (et bientôt d'hiver) émotionnellement chargées.

18 novembre, 2009 10:15  
Blogger the_young_dude said...

J'aime bien ta description des déjeuners des gens avec leurs "petits" déjeuners, on imagine des personnes en train de manger des aliments miniatures. Vive les bons plats de nos grand-mères (dont ta daube, sans doute succulente..)

18 novembre, 2009 10:20  
Blogger Gracianne said...

J'aime bien l'idee de passer de Lacan a Dalloyau, tu as une idee tres particuliere des gourmandises.
Mais si il est mignon ton dessin :) Moi je ne m'y risquerais pas, je me dontente de faire des daubes et de les manger. Les yaourts 0% ne passeront pas.

18 novembre, 2009 10:28  
Anonymous lathelize said...

C'est très inquiétant de savoir qu'on a une responsabilité sur des personnes adultes, que leur vie des fois peut dépendre de décisions qu'on prend machinalement parce c'est notre quotidien. Je fais un métier très différent du tien mais je connais cette angoisse abyssale et je me dis souvent pour quoi ne pas être libraire ou kiné...
Je suis une lectrice assidue de ton blog et je l'apprécie énormément...

18 novembre, 2009 11:58  
Anonymous rose said...

La simple apparition du mot "pitanalyse" me met toujours en joie, mais en plus il semble parfaitement convenir dans la citation que tu fais, ce bilan à la fois optimiste et modeste. Bises (et ouf pour cette patiente...)

18 novembre, 2009 15:44  
Anonymous Florence said...

Juste un petit signe Patoumi. Je suis débordée de travail mais je vous lis toujours avec assiduité et plaisir. Moi aussi j'ai fait une daube avant-hier, et j'ai les mêmes angoisses que vous à l'hôpital.
Bises.

18 novembre, 2009 18:22  
Blogger L'oeuf qui chante said...

Je trouve ça admirable de faire le métier que tu fais, et très courageux. Quand je vois le peu de prises de risques que je prends dans le mien... Et je comprends ton inquiétude, parce que dès que quelqu'un ne réponds pas assez vite à un message ou à un appel ou est en retard, j'ai tendance à m'inventer les pires des scénarios (surtout quand c'est quelqu'un à qui je tiens beaucoup). C'est sûrement une des raisons pour lesquelles je serais incapable de faire ce que tu fais...
Sinon, pour ce qui est de Vincent, du moment que toi, ça te fait plaisir et que tu en retires quelque chose de positif, n'écoute pas les autres. Tout le monde à ses petites obsessions, parfois incompréhensibles, et aimer quelqu'un, même si c'est une personne qu'on ne connaît pas vraiment, ça n'a rien de honteux. Qui a décrété comment et pourquoi on aime ? Moi, ça fait longtemps qu'un artiste ne m'a donné envie d'acheter un CD, mais j'aimerais bien...
Enfin, je trouve ça bizarre d'appeler un plat une daube, ça me semble peu appétissant... Et quand je vois tout le bœuf (ma bête noire) que tu as mis dedans, ça me donne encore moins envie... Mais je suis sûre que tu l'as très bien préparé !

PS : j'ai vu que tu avais mis un lien sur mon blog, c'est gentil (mais il ne fallait pas te sentir obligée).

18 novembre, 2009 19:55  
Blogger patoumi said...

Vanessa: c'est gentil pour le dessin! Je t'ai envoyé une lettre, j'ai peur qu'elle se soit perdue... Y'avait trois pages! (les gens vont croire que j'écris toujours trois pages)
Cécile:c'est un métier difficile mais passionnant quand on aime savoir qui sont les gens qu'on croise. Et c'est chouette ce que tu dis sur VD!
Les chéchés: ah oui, c'est vraiment un plat qui éprouve la patience!
Anne-Cécile: en fait comme je ne mange jamais de quinoa, je répète ce que j'entends, sans même vérifier, ouh! Mais je crois aussi que les deux se disent. Je vais surveiller la date du doc et je ferai un petit rappel!
Pia: et bien je t'en fais quand tu veux!
Gracianne: je me souviens très bien de ta cocotte avec la daube super parfumée (pas pour les enfants tu avais dit) et la saucez qui avait réduit.
Lathelize: merci!
Rose:ouf, tu l'as dit, j'ai cru mourir.
Florence: ah là là; je ne désespère pas venir un jour à Nantes pour vous!
L'oeuf qui chante: cette daube (j'aime bien le côté vieillot de la chose) était succulente, vraiment moelleuse grâce à la queue de boeuf et puis aussi, d'une manière générale, je ne fais jamais rien juste par politesse.

18 novembre, 2009 20:24  
Blogger L'oeuf qui chante said...

Tant mieux alors, et merci ! La politesse, c'est parfois trop contraignant !

18 novembre, 2009 21:16  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Voyons Patoumi, tout le monde sait ce qu'il y a dans le Montagne de Jade ! ;-)
Et puis, les plats mijotés, c'est certes impossible à photographier, mais à dessiner, c'est encore pire... (enfin, en ce qui me concerne...)

Tu fais un métier admirable.

18 novembre, 2009 22:01  
Blogger patoumi said...

Mingou: ouais, c'est exactement ce que le regard de la vendeuse avait eu l'air de dire... Mais tu connais cette marque "Rêves de thés"? La boutique a ouvert en face du magasin de vaisselle japonaise (ce matin, il y avait un gros carton de livraison juste devant). A très bientôt!

19 novembre, 2009 00:10  
Blogger Julie said...

J'ai envie de daube maintenant et c'est que 8h00 du matin!!!

19 novembre, 2009 08:07  
Anonymous rennette said...

d'accord je me demandais dans quelle boutique de thé tu étais allée... c'est donc bien celle que j'avais vu s'installer dernièrement... je vais y faire un tour pour voir si l'humeur est meilleure..
tu sais ce que je pense de votre métier et combien il est important que vous soyez là... mais c'est également un cheminement pour vous et certainement une remise en question permanente...
quand au CD de VD j'y cours... trop beau... pour la BD à feuilleter...

19 novembre, 2009 12:12  
Blogger patoumi said...

Ulije: étant donné que je peux avaler absolument tout au petit-déjeuner, je comprends très bien cette envie de daube!
Rennette: alors peut-être qu'on parlera de tout ça devant un thé? Avez-vous justement essayé le salon dethé sur la place du champ Jacquet, (j'ai faillit y aller sur un repos de garde et puis j'ai préféré rester à la maison faire du piano)

20 novembre, 2009 00:19  
Anonymous Laurence said...

Oui, c'est un beau et difficile metier. Vous sauvez des vies sans vous en rendre toujours compte, car les gens a qui vous apprenez a etre heureux (du moins avec eux-memes) reprennent le fil de leur existence en laissant derriere eux les remerciements...

Que c'est agreable, en tout cas, de vous lire...
... et dans mon exil, j'ignorais presque tout de la belle musique de VD, dont on m'avait parle, certes, que j'avais oublie, helas (donc, double merci, car j'aime beaucoup cette decouverte).

Laurence

20 novembre, 2009 06:20  
Blogger patoumi said...

Laurence: c'est vraiment dur quand on entend quelqu'un vous dire "J'ai besoin de vous. J'ai peur" mais on est rudement heureux quand la même personne vous écrit et vous dit "Je vais bien. Merci" Je suis contente que VD traverse les frontières!

23 novembre, 2009 00:44  
Blogger croukougnouche said...

vive les plats mijotés , ils revigorent les jours gris où l'humidité vous pénètre jusqu'à la moelle: j'ai réconforté une tablée ravie ce dernier samedi avec une potée campagnarde : bouillon gouteux ,dans une grosse cocotte en fonte , avec légumes à foison( chou -blanchi
préalablement, carottes navets , poireaux,céleri-branche , haricots blancs géants , oignons piqués de clous de girofle et gousse d'ail en chemise) , lard fumé , palette salée et saucisses de Montbéliard + pommes de terre en options pour les acharnés, cuites à par à la vapeur...
le triomphe , je vous dis!!
réchauffé , c'est encore plus plus
Chère Patoumi , ton dessin est ravissant ! et ceux qui veulent voir ta daube n'ont qu'à l'essayer ,à te lire , le goût , le fondant ,le fumet : on les a direct!

23 novembre, 2009 18:10  
Blogger Miss Popote said...

Moi j'aime beaucoup ton dessin!

25 novembre, 2009 15:41  
Blogger patoumi said...

Croukougnouche: ton plat a l'air réjouissant!
Miss Popotte: si j'envie les dessins de Mingou, tu ne peux pas savoir comme j'aimerais écrire comme toi!

27 novembre, 2009 10:32  

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