mercredi 19 mars 2008

San Remo, le printemps en fleurs, au loin j'entends battre ton coeur -poulet ivre et hérétique-

1. Une semaine en automne, une nuit pluvieuse, un immense lit à baldaquin dans un château abandonné
La voiture s'est engagée sur un chemin pierreux, étroit et sinueux. Je repliai la carte du Périgord et la balançai sans ménagement dans la boîte à gants où elle alla rejoindre dans un improbable désordre d'autres cartes routières défraîchies d'avoir trop servies, des lunettes de soleil bien inutiles vu le contexte et un paquet de cigarettes bleu, vestige de l'époque où G. en fumait avec beaucoup de classe mais j'avoue que je suis bien contente de ne plus profiter de leur odeur qui me faisait mal aux poumons. Les essuie-glaces officiaient en rythme. Nous ne disions rien, à la fois inquiets et excités. Nous distinguâmes bientôt une grange sur la gauche, puis un grand portail. Cela correspondait aux indications que la châtelaine m'avait données au téléphone. Il s'agissait alors de donner deux coups de klaxon. G. s'exécuta et apparut alors, derrière le portail, dans la lumière blafarde des phares, une dame au visage ridé, vêtue d'une veste de chasse bleu marine, portant un foulard un peu chic quoique vieillot et des bottes en plastique. Elle tient deux lampes de poches, elle nous ouvre et je descends de la voiture quelque peu ankylosée par la route que nous avons parcourue. Au-dessus de moi, de grands arbres indiscrets balançaient les quelques feuilles dont ils étaient encore parés. Dans une atmosphère qui n'aurait pas déplu à la famille Brontë, elle nous conduisit jusqu'à notre vaste chambre, glaciale mais absolument irrésistible, avec portraits de famille, cheminée, armoire gigantesque, lit à baldaquin, verres à pied et carafe sur un plateau en argent pour les déshydratations impromptues. Deux heures plus tard, l'aubergiste chez qui nous avions -très bien- dîné, nous dira: "Ah bon? Vous dormez au château? Elle l'ouvre encore en cette saison? Il fait quand même très froid!" Elle n'avait pas tort mais les quatre couvertures en laine épaisse qui nous recouvrirent cette nuit de novembre-là nous assurèrent un doux sommeil.

2. Du taleggio, de la saucisse piquante, les vendredis soirs, The Squid and the Whale
Si le taleggio, ce fromage à pâte molle originaire de Lombardie, qui ressemble un peu au maroilles mais qui est plus doux quand il est jeune, se marie très bien à la poire dans un risotto à la Laura Zavan, on peut aussi, pour une dînette réconfortante et improvisée, le couper en petits dés et en parsemer une pâte brisée toute prête (ouh la honte! Mais je vous rappelle qu'on est vendredi et puis même Sonia Ezgulian avoue acheter de la mousse au chocolat industrielle) préalablement recouverte d'un bon coulis de tomates, riche et parfumé, et des tranches de saucisse piquante achetées chez votre traiteur italien préféré en même temps que quelques mini babas dont G. ne fait qu'une bouchée. Quelques minutes dans un four bien chaud et vous récupérez une "tartizza", fumante et parfumée. Parfois, dans des élans d'enthousiasme qui remettent à bien plus tard les promesses de régime adressées à moi-même, je prépare des "tartizzas schizophrènes". Sur l'une des moitié de la pâte, l'assortiment sus-décrit, sur l'autre, une très fine couche de crème (de Roland Lécrivain, un agriculteur qui élève des Froment du Léon, dont le lait est fleuri, crémeux, trop bon!), du poivre du moulin, une fondue de poireaux, des tranches de vraies saucisses de Strasbourg et du comté râpé. Pas glamour pour deux sous mais aux qualités éprouvées. Si j'aimais manger devant la télé, alors je regarderai, en coupant des bouchées fumantes de tartizza dégoulinantes de fromage, The squid and the whale, ce joli film de Noah Baumbach, qui rappelle avec finesse et discrétion les atermoiements de l'adolescence, l'hésitation, les identifications, les désillusions sur désillusions.
"-Pourquoi l'as-tu quittée? (cette fille super gentille qui lit Kafka et t'invite une fois par semaine au restaurant chinois avec sa famille)
-Parce que je pensais trouver mieux.
-Mais mieux comment?
-..."



3. Des spartiates, un pantalon roulotté, un tee shirt avec des petites pommes imprimées

4. Des sardines au barbecue, des tomates cerises, du tamarin

L'été, sur la terrase de mes parents, on fait parfois griller quelques sardines extra fraîches. C'est la tâche qui revient à mon papa. Ma maman, quant à elle, a fait griller à sec des tomates cerises qu'elle se fait une fierté de récolter elle-même dans le jardin. Quand leur peau consent à lâcher leur chair parfumée sous l'effet de la chaleur, elle transvase le tout dans un petit bol où elle a râpé un peu de sucre de palme. Elle ajoute du nuoc mam, de la pâte de tamarin, une petite gousse d'ail émincée. Elle mélange bien puis parsème d'une large poignée de ciboulette (qui vient du même jardin est-elle contente de préciser).
Il s'agit alors de recouvrir les sardines brûlantes de cette mixture couleur sang, fruitée, acidulée. J'adore. Mais pour en manger, il faudrait consentir à aller plus souvent chez mes parents et donc arrêter d'angoisser à cette perspective.

5. Un baiser, mon plaid en flanelle rouge, le canapé gris-bleu
Pour être au mieux de mes capacités cognitives et pour mon bien-être corporel, l'idéal serait de faire chaque jour une petite sieste post prandiale avant de retourner au labo. Pour peu que l'on ait testé un nouveau restaurant (italien à côté de la maison par exemple. Je vous en reparlerai) ou que la conversation ait été un peu animée ou encore que j'aie tenu absolument à poursuivre mon roman en cours, la sieste passe à la trappe. J'essaie alors de somnoler dans le métro, mais quatre stations, c'est un peu court. Le problème, c'est que l'envie de dormir est souvent irrépressible et, comme mon activité intellectuelle n'est pas précisément dynamisante, il m'arrive un peu trop souvent de m'endormir outrageusement dans mon bureau de sous-sol du labo. Suffisamment longtemps pour me réveiller en sursaut et m'apercevoir que j'ai sur le front un érythème avec la marque des coutures de mon pull. La honte. J'essaie de reprendre le plus dignement possible un air sérieux et inspiré et je sors me faire un thé.

6. Du pain frais, du foie gras et des figues
Je n'ai pas beaucoup d'estime pour le pain de mie qui accompagne parfois le foie gras (sauf si c'est dimanche soir, qu'il n'y a plus que ça à la boulangerie, et qu'on a envie de finir le bocal de foie gras entamé la veille après être rentrés du cinéma). Je préfère de loin une belle tranche de pain frais, à la mie dense et à la croûte craquante. C'est un petit dîner que j'aime bien et qu'on peut parfois s'offrir grâce aux grands-parents de G., qui habitent le sud ouest et nous gratifient régulièrement de divers foie gras et autres confits.

7. Des saints-jacques crues, de la mangue et du citron vert
Comme le carpaccio dégusté un soir à Concarneau avec du sable dans les cheveux.

8. Une très bonne amie qui saurait vous aider à choisir un joli sac, un salon de thé l'après-midi, une vive discussion autour de Simone de Beauvoir, un échange d'anecdotes sur Marie Antoinette, quelques biscuits qui sortent du four de l'une ou de l'autre
Un petit fantasme.

9. Une tartine de pain, du beurre demi sel de Ploeuc-sur-lié, du miel de bourdaine reçu par la Poste en provenance de quelqu'un qui, entre autres qualités, sait nager le dos crawlé
S'il me suffit de traverser deux rues pour trouver du beurre Bordier (et je peux rester regarder, fascinée, les dames en tablier blanc, battre le beurre frais avant de lui donner sa forme définitive et de l'emballer avec une dextérité acrobatique), je trouve qu'il est quand même moins bon que le modeste beurre artisanal costarmoricain vendu dans mon monop enveloppé dans son humble papier bleu et blanc. Il est tendre, moelleux, il a goût de lait et de grand air. Alors dire du beurre Bordier (très bon lui aussi quand même), que c'est le meilleur beurre du monde, c'est un peu exagéré.

10.Du thé de Pâques, un roman, une fin d'après-midi
La perspective qui me donne le courage de filer au labo illico presto (je suis déjà en retard)

Je n'ai pas du tout respecté les règles du jeu, j'espère que Lisanka, Annie et Natalia ne m'en voudront pas!

Le poulet ivre est un petit plat que j'aime bien déguster à T'cha, une discrète maison de thé du sixième arrondissement. La serveuse d'un certain âge en baskets Nike peut paraître un peu revêche mais elle s'adoucit avec la fréquence de nos passages. Il règne dans cet endroit une sérénité très particulière, le temps est suspendu, limite il n'y a plus d'internat à passer, on peut passer sa vie en bord de mer à lire, écrire, boire du thé et manger des langoustines. Ce poulet, au goût et au parfum très particuliers, est servi avec une petite sauce au soja et au sésame. C'est un prodige de délicatesse et de force à la fois.
Mon poulet ivre de dimanche dernier n'a certainement pas été conçu dans les règles de l'art mais le résultat fut quand même très concluant, c'est un vrai bonheur d'arroser du riz bien chaud de cette sauce au goût unique.

Le poulet ivre et hérétique
-un poulet (de 1,3kg d'après la balance de nos gentilles volaillères du marché)
-4 gousses d'ail
-un gros pouce de gingembre
-3 échalotes
-250mL de vin de Shao Xing
-un trait de sirop d'érable
-du sel, du poivre du moulin et, quoi qu'on en dise, de l'huile d'olive

Ecraser les gousses d'ail et râper le gingembre dans la cocotte destinée à recueillir l'oiseau. Verser le sirop d'érable, disposer les échalotes.
Masser le poulet avec l'huile d'olive, le sel et le poivre. Le placer dans la cocotte.
Ajouter le vin.
Poser le couvercle sur la cocotte et enfourner pendant deux heures et demie dans un four à 120°
Au bout de ce temps, retirer le couvercle et poursuivre la cuisson pour dorer un peu le volatile.
Trop bon!

Merci à Florence, Rose et Gwen pour ce qu'elles savent.

18 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je commençais à m'impatienter de ne plus pouvoir me régaler de tes mots (je crois que je suis addict à la prose de Patoumi!)Mais ça valait le coup d'attendre un peu: encore un billet qui me transporte pour quelques minutes dans un monde doux, poétique, à la fois léger et plein de profondeur...
Merci aussi de nous faire découvrir les blogs de Rose et Gwen: je sens que je vais apprécier leur univers.
A bientôt!
Verveine
PS: Je suis d'accord avec toi: du pain de mie avec du foie gras...une vraie hérésie!

19 mars, 2008 16:40  
Blogger Flo Bretzel said...

Pain de mie, pain brioché ou encore pain d'épice, je les laisse bien volontiers au profit d'un morceau de baguette bien croustillante!

19 mars, 2008 17:58  
Anonymous Anonyme said...

D'accord pour la proposition n°8.

Je te parlerai de Sofia Coppola et partagerai des macarons ou des croquants. Le thé sera boisé, très légèrement sucré et fumant. Les canapés profonds, le nouveau sac aimable, la journée s'étirera.21h37 L'heure du train.

19 mars, 2008 19:02  
Anonymous Anonyme said...

A défaut de me délecter de ton poulet, je me complais dans tes mots qui font du bien.

Nous avons certains points communs:
- ces spartiates que je ne pourrai jamais mettre car je suis trop petite et courte sur pattes!
- l'angoisse à l'idée d'aller chez les parents. Why? Le mystère reste entier, tu n'aurais pas une explication?
- les biscuits qui sortent du four les uns après les autres, auxquels j'ajoute que je me les enfile un par un!

Pi l'assoupissement aussi, à la bibliothèque, post digestion souvent mais pas toujours!

Bien à toi,

Lisanka

qui a encore beaucoup parlé d'elle, c'est grave doc?

19 mars, 2008 19:57  
Anonymous Anonyme said...

L'attente de ton prochain message fut rude. Mais quel récompense ! Je trouve que tu te livres avec beaucoup de générosité.

19 mars, 2008 21:02  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Ah, ravie que tu sois de retour !
Très chouettes associations !
Le poulet ivre, c'était LA grande spécialité de mon gong gong (grand-père maternel), qui était chef cuisinier aussi ;-) Mais comme je sais pas le faire, je suis mal placée pour juger... De toute façon, je suis prête à goûter tout ce que tu prépares (tant qu'il n'y a pas de lait de coco, hein ;-))

19 mars, 2008 21:47  
Blogger Alhya said...

J'aime bien cette façon de détourner les règles tout en jouant le jeu qui te caractérise. belles évocations que la recette du poulet termine en beauté, je ne connais pas ce vin que tu glisses dedans, il semble que ce soit (encore!) une lacune !

20 mars, 2008 08:00  
Anonymous Anonyme said...

Je te rejoins sur le beurre Bordier. Mais dans le monde de la cuisine, il y a toujours ce truc "le mec du moment". Une journaliste de Elle à Table va faire un reportage sur lui et paf, tout le monde va le mettre sur le devant de la scène. Les attachés de presse font bien leur job. Et son sel aux algues et sel fumé est malheureusement une vaste supercherie. Si tu veux que je t'explique à l'occasion, ce serait trop long ! De belles associations en tout cas et de ton écriture je ne me lasse pas ;)

20 mars, 2008 09:40  
Anonymous Anonyme said...

Je voulais son BEURRE au sel fumé ;)

20 mars, 2008 09:41  
Blogger Natalia Kriskova said...

Patoumi, sous ta plume, le jeu le plus banal devient un délicieux moment de lecture ! Comme je me sens bête et scolaire à côté... Merci pour ce superbe billet (mais je dis ça à chaque fois, parce que je ne sais pas le dire autrement, mais je le pense vraiment :-0)

20 mars, 2008 21:08  
Anonymous Anonyme said...

Merci pour ce long billet, tant attendu, tant espéré.
Le foie gras, pour moi, c'est avec un bon pain au levain légèrement grillé.
Bises.

Florence

20 mars, 2008 21:09  
Blogger (les chéchés) said...

merci pour ce petit cadeau... rien que le titre et je suis ailleurs, sur la terrasse à manger des sardines brulantes... un salon de thé... une cuisine où cuisent doucement des biscuits à partager à quelqu'un qu'on aime... c'est toujours un joli moment que de passer chez toi...

21 mars, 2008 08:25  
Anonymous Anonyme said...

Qu'est-ce que c'est bien quand tu ne respectes pas les règles ...

Mille pensées,

L'autre G.

22 mars, 2008 18:27  
Blogger patoumi said...

Verveine: un chaleureux merci! J'ai un peu de mal à tenir le rythme en ce moment...
Le problème aussi c'est que hum, le foie gras, ce n'est pas très détox^^
Flo: ah, le pain brioché, j'avais oublié son existence
Emilie: où? Quand? Comment? Je suis prête à faire des kilomètres!
Lisanka: les spartiates vont aussi aux petites si elles ne sont pas montantes, non?
Diane: merci de ta fidélité!
Mingou: je te fais ce que tu veux si tu apportes des cookies!
Alhya: ah pour être complète, il aurait fallu que j'apporte quelques infos sur ce vin... J'ai eu la flemme, c'est mal?
Lilo: merci pour tout
Natalia: j'espère que le retour se fait en douceur.
Florence: votre mail a beaucoup contribué à l'écriture ce billet
Les chéchés: moi je guette fébrilement chacun de vos nouveaux billets
Mon autre G. préférée: haut les coeurs!

23 mars, 2008 01:29  
Blogger gwenzardin said...

Comment transformer 4 petites cuisses de poulet?
Merci Patoumi,le trait de sirop d'érable a bien confit quelques beaux zognons,des rondelles de carottes et j'ai mis de la poudre de gingembre avec plein d'ail.Après.
Pas de vin mystérieux, tout ça au wok à mijoter, c'était mon poulet hérétique, trop bon, m'a dit ma poulette en sauçant direct dans le plat.Rien à voir avec la recette initiale j'en suis sûre, mais on s'est régalé!

23 mars, 2008 20:55  
Anonymous Anonyme said...

Cette liste hétéroclite est bien intéressante. Tu parles de ces minuscules babas italiens en bocal dans leur sirop ? j'adore ! j'aime bien aussi ton association vestimentaire.

27 mars, 2008 20:44  
Blogger patoumi said...

Mais oui Rose, ce sont ces babas-là! Ceux de Sorrente, dans leurs gros bocaux, avec un couvercle recouvert de tissu. G. a une préférence pour ceux juste au rhum mais ceux au limoncello ont l'air top aussi.

28 mars, 2008 11:59  
Blogger Gracianne said...

Dis donc, ca faisait longtemps que je n'etais pas venue lire tes si jolis textes. Il faut dire que je me les garde pour la bonne bouche, pour quand j'ai le temps, l'esprit tranquille.
Celui la etait encore tout plein de trouvailles et de plaisir. Je suis avec toi sur le pain craquant et le foie gras, a fond.

28 mars, 2008 13:18  

Enregistrer un commentaire

<< Home