vendredi 29 février 2008

En aparté (1) -sur le verre Duralex, j'ai huit ans-

Finalement le jeudi midi, même sans avoir oublié ses clés, pour peu que l'on ait vaincu les dernières résistances de timidité qui peuvent retenir de déjeuner seule au restaurant, on peut faire preuve d'un autre genre de témérité et essayer des endroits pour lesquels la réticence initiale n'était peut-être pas fortuite.
Hier midi, sortie un peu plus tôt du labo avec une très bonne nouvelle téléphonique, je décide d'aller déjeuner au Bazar Saint Guillaume. Coincé entre un salon de beauté et une galerie d'art dans l'une des plus anciennes rues de Rennes, il bénéficiait d'un a priori plutôt favorable vu que B., qui aime les Repetto, Vanessa Bruno et le risotto va parfois y bruncher. Il se rappelle aussi à nous tous les samedis matins, se trouvant sur le chemin le plus agréable menant au marché mais G. était toujours resté très dubitatif, nettement plus interessé par la galerie d'art.
Je descend une station de métro plus tôt, pour finir de me décider; dans une vitrine de jolies timbales fleuries, dans une autre, des spartiates parfaites (et hors de prix). Je veille à ne pas glisser sur les pavés mouillés de la rue qui longe l'église Saint Sauveur, j'arrive au Bazar Saint Guillaume.


L'endroit est charmant, il y a un étage tout en mobilier dépareillé, grands lustres, miroirs et vieille machine à écrire. Au rez-de-chaussée, la cuisine américaine colorée où le chef coupe des champignons côtoie des alcôves à banquettes qui ont l'air confortables, il y a une pile de Régal dans un coin, des étagères avec des plats à tagine, des sachets de farine, quelques livres de cuisine.


Je m'installe à une table en hauteur, la serveuse est souriante et m'apporte du pain frais (cependant un peu trop blanc à mon goût), un petit pot de beurre et de l'eau fraîche. Elle pose sur la nappe en papier blanc la carte du jour.
Les entrées me rappellent un peu les menus du self du lycée (que j'ai pourtant peu fréquenté) mais bon, il y a des gens très bien qui ont fait des livres sur ce que l'on mange dans les cantines alors... Alors, faites votre choix: charcuterie, celeri remoulade ou tzatziki (et un autre truc que j'ai oublié). Je me passe d'entrée de toute façon. A suivre, du hachis parmentier ou une pièce de boeuf (quoi, d'où, rien n'est écrit) ou un sauté de veau ou des filets de hareng à l'huile ou une tarte des Causses. Cette dernière m'intrigue, un peu, puis m'énerve, beaucoup. J'apprends qu'il s'agit d'une tarte aux légumes et à l'emmental qui, assure-t-on à mes voisines tout en blondeur, est un fromage des Causses. Hum.
Je choisis le sauté de veau. Je l'attendrai un temps suffisamment long pour être un peu lassée de l'endroit. Il faut dire que la musique de mauvaise station de radio n'arrange pas les choses. Je lis Les belles années de Mademoiselle Brodie, un petit roman pas aussi intéressant que la couverture est jolie mais bon, ça va, ça m'occupe l'esprit.
La serveuse finit par arriver avec une grande assiette carrée et là, devant les cubes de viande baignant dans une sauce beigeasse, devant la purée qui n'a aucune tenue, devant les pommes de terre sans relief, je revois définitivement le spectre de la cantine. Tout me revient, la macédoine de légume, le concombre à l'eau, la langue de boeuf sauce madère et ses macaroni tout mous, le poisson carré et son riz très jaune, le gâteau de semoule et son coulis gluant, les cantinières qui préviennent: "Si tu ne finis pas tes lentilles -avec les petits cailloux qu'il y a dedans?-, tu vas pas en récré". Tout ça devant cette grande assiette blanche et carrée.
Alors, la viande était pleine de substance gélatino cartilagineuse indésirable, la sauce était insipide et la purée n'offrait aucune mâche (elle était douteusement lisse, liquide et pâle). Ce que j'ai préféré, c'était les feuilles de salade bien croquantes et parfaitement assaisonnées. C'est un peu court. J'ai demandé à la gentille serveuse de la moutarde qui n'est jamais arrivée.
A la table d'à côté, ma blonde voisine raconte comment son compagnon oublie d'aller chercher les enfants à l'école tant il est absorbé par sa console de jeux. La clientèle est très variée, entre couple bobo, copines de shopping et vieux parents. Je crois bien que je suis la plus jeune de la salle.
Pleine d'une intrépidité que je ne soupçonnais pas, je décide de prendre un dessert. Fromage blanc et miel? Fondant au chocolat? Des trucs dont je ne me souviens pas? Finalement deux boules de glace annoncées "artisanales". Elles arriveront, après un certain temps, dans un joli petit ramequin noir et mat, un peu comme ceux qui contiennent le Saint Félicien. La glace immaculée (j'ai choisi coco et citron) se détache avec classe sur la céramique sombre. Elles sont délicieuses, parfumées et onctueuses. Si bonnes que je ne regrette même pas l'absence de biscuit croquant qui aurait pu les accompagner.
Au moment de règler l'addition, très raisonnable, je patiente presque le temps qu'il m'a fallu pour déguster ma glace, le cuisinier me fait un grand sourire et je suis toute gênée par cet endroit joli avec des gens gentils mais où la nourriture n'est pas exactement délectable. C'est dommage, j'aimais bien le nom...
Bon, la semaine prochaine, j'essaie de faire mieux!


Le bazar Saint Guillaume
4 rue Saint Guillaume
35000 Rennes
0299782191
N'essayez surtout pas les pâtisseries de la boulangerie qui fait l'angle avec la rue de la monnaie, elles sont aussi gélatineuses qu'un mauvais sauté de veau.

Toujours plus décousu, je vous invite à lire le très beau et très juste billet de Sophie Brissaud qui s'est retrouvée à Angelina devant un éclair au chocolat que la sophistication rendait à la fois dense et immatériel. Une chouette réflexion sur les affres de la recherche permanente d'innovation.
Et puis pour un voyage immobile, il y a le blog de Lisa, frais et décoiffant comme une bonne vodka.
Ce matin, lever plus qu'à l'aube parce que G. prenait un avion très tôt pour le sud, retrouver d'autres gens qu'il aime. Je regarde un peu tétanisée l'ascenseur s'ébranler, encore en pyjama sur le palier, puis je regagne l'appartement, plongé dans un silence assourdissant. Je m'applique à conserver le goût de ses baisers.

18 Comments:

Anonymous Anonyme said...

aller Patoumi, le we va passer vite, et si possible sous de meilleures ospices que celles d'un sauté de veau cartilagineux ... beurk la cantine, moi c'était les betteraves qui colorents les coquillettes trop cuites et la langue de boeuf !
plein de bises

29 février, 2008 09:13  
Blogger Flo said...

Je suis aussi délaissée que toi, le mien est partir près de l'Oural pour le travail ...

Merci pour ce "revival" version cantine, plus vrai que nature :-) si on peut le dire

29 février, 2008 10:06  
Blogger Flo Bretzel said...

Aller seule au restaurant et au cinéma, cela m'a pris du temps mais maintenant j'y ai pris goût.

29 février, 2008 11:47  
Anonymous Anonyme said...

Dommage pour ce doux lieux. Si je mettais mes reves en réalité cela ressemblerait un peu à ça. Un endroit clair avec des livres plein les murs et un peu au sol aussi. Les personnes s'installeraient confortablement à l'abri du temps dans des canapés suedois aussi simples que confortable. Il y aurait France Inter et cela serait un délice d'envisager une tarte aux myrtilles en écoutant Carrefour de l'Odéon. La description commençait pourtant bien et je me disais... que cet endroit existe ! Par chance ou par malheur, ce n'est pas le cas. Il reste mon salonrant de thé secret. Un jour je leur dirais peut être mangez moi.
En attendant, ne prend pas froid sur le paller. Le souffle du sud revient toujours.

29 février, 2008 13:46  
Anonymous Anonyme said...

Et oui grand paradoxe de l'univers: quant la nourriture n'est pas bonne autant que la compagnie soit pourrie!

29 février, 2008 15:30  
Anonymous Anonyme said...

Je pense que la langue de boeuf a traumatisé des générations d'écoliers! (Et c'est dommage, car bien cuisinée, c'est sans doute très bon). Heureusement, depuis la crise de la vache folle, on n'en propose plus dans les cantines...
Mais refermons cette parenthèse. Je suis désolée pour toi que tu aies fait mauvaise pioche pour ce restau. C'est une des choses qui peuvent me mettre de mauvaise humeur pour toute la journée!

29 février, 2008 16:26  
Anonymous Anonyme said...

Chère Patoumi,

essayez quand même de passer un bon week-end : livres, cinéma et cuisine, et peut être une ou deux amies pour partager tout ce temps.
Je vous embrasse.

29 février, 2008 17:41  
Blogger Léna said...

Patoumi - Patoumi,

Merci pour ce billet (enfin est-ce qu'un remerciement est vraiment opportun ?)
Toujours est-il qu'il y a quelques jours en me baladant, j'ai aperçu ce petit endroit (au fond de la rue ?) et " brunch " inscrit sur une ardoise a attiré mon attention. Alors j'envisageais peut-être d'y aller. Mais... Non alors.
Je reste sur la très bonne impression du dernier restaurant testé dernièrement : Mizuna ?

A bientôt.

29 février, 2008 18:14  
Anonymous Anonyme said...

J'essaie d'imaginer le Spectre de la cantine, grinçant des dents dans les couloirs de l'école, ces dents abîmées à force d'avoir fini trop d'assiettes de lentilles et de petits cailloux...

29 février, 2008 19:03  
Blogger lena sous le figuier said...

G. a de bonnes intuitions...mais tu le savais déjà.
C'est très bête, mais je déteste prendre un repas, seule, au restaurant. J'ai le sentiment d'être punie, isolée dans le bruit des conversations des autres.

Oh tu n'as pas cuisiné dans ce billet, c'est rare...

29 février, 2008 19:14  
Anonymous Anonyme said...

rahhh la cantine, je vois qu'on a vécu le même traumatisme!
Pour l'endroit, je ne connais pas Rennes donc je ne pense pas avoir le malheur d'y mettre un jour les pieds. Faudra que je te fasse découvrir un endroit à paris qui te plaira sans aucun doute. Amitiés, en t'espérant sereine,

Lisanka

29 février, 2008 19:43  
Blogger patoumi said...

En fait, il ne rentre que mercredi soir, c'est long!
Mais bon, j'ai acheté plein de livres, du chocolat sous des formes diverses et variées, il y a une petite pile de dvd, et j'ai quelques recettes en tête. Et puis il y a le travail, hum.
En tout cas, merci pour les mots doux!
Gourmeline: betteraves+coquillettes+langue de boeuf=je défaille.
Flo: près de l'Oural... c'est épique!
Flo bretzel: d'habitude je ne vais seule au restaurant que dans des endroits où les gens nous connaissent bien mais bon, en ce moment je n'ai jamais autant eu l'âme d'une aventurière!
7tour vercors: si un jour cet endroit existe, je viendrai. Merci.
Diane: ben oui, j'aurais préféré dire plein de mal mais en fait, ils avaient vraiment l'air plein de bonnes intentions. Mais c'était vraiment pas bon.
Verveine citron: comme je suis de bonne constitution (en ce moment) je n'ai pas trop fait ma miss ronchon et j'en ai souri (mais c'est pas tout le temps comme ça!)Florence: vous ne voulez pas emménager à Rennes?
Léna: faites moi signe si vous voulez tester un endroit un jeudi midi!
Rose: pourquoi est-il si méchant?
Léna sous le figuier: oui j'avoue que G. est souvent inspiré pour ce genre de truc. Il n'y a pas de recette mais je crois que je vais essayer de faire des chroniques régulières de ces déjeuners hebdomadaires en solitaire.
Lisanka: j'ai déjà repéré des chouettes adresses sur ton blog!

29 février, 2008 20:17  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Evidemment, il y avait des choses abominables à la cantine, mais le reste me plaisait plutôt bien (je pense au riz au lait dans sa barquette d'alu ;-)). C'était exotique pour moi.
Dommage, la description du lieu avait pourtant l'air alléchante...
Ah, et puis j'adore les verres Duralex !

01 mars, 2008 16:21  
Anonymous Anonyme said...

J'ai du mal à comprendre ce 'cantine'revival ... Il y a eu un restaurant pas très loin de chez moi qui s'appelait 'Après l'école', le principe était un peu le même en un peu plus conceptuel ... Il a fermé.

Les jours vont vite passer.

Amitiés,

G.

02 mars, 2008 10:47  
Blogger Gracianne said...

Sauf qu'a la cantine, les assiettes n'etaient pas carrees. Et les serveuses pas souriantes.
les enfants cherchent toujours l'age au fond des verres.
Tiens bon Patoumi, plus que deux jours.

03 mars, 2008 14:42  
Blogger annie dedicacessen said...

Pan, t'es taguée.
Pan, tu écris toujours aussi bien.

04 mars, 2008 22:39  
Anonymous Anonyme said...

Tu es bien courageuse d'aller manger seule au restaurant. J'en serais incapable...
Allé, courage! Il reste ce soir :-)
Si j'avais pu lire ce billet plus tôt je t'aurai proposé de venir passer quelques jours à Strasbourg, on aurait travaillé l'internat ensemble, fait des gâteaux et je t'aurai fait découvrir une cantine bien plus sympa...
Bon, forcément, il aurait fallu délaisser le labo :-(

05 mars, 2008 13:13  
Blogger patoumi said...

Eva, mingou: merci pour votre indéfectible soutien!
Gracianne: oui mes les sourires, ça ne se mange pas!
Loukoum: mais il ne faut pas me dire des choses comme ça à posteriori voyons! Bon, vivement cet été...

05 mars, 2008 19:53  

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