lundi 25 juin 2007

Les bahn çao de ma maman

Je ne suis jamais retournée dans le pays où je suis née. Chez ma grand-mère, il y a des photos sépias sur lesquelles je ne distingue que vaguement ma maman entourée de ses huit frères et soeurs alignés devant le palier de la maison familiale, posée sur pilotis et encadrée de deux beaux manguiers dont ma maman a toujours aimé les fruits parfumés au jus sucré qu'elle laissait dégouliner sur son menton de petite fille.
J'étais minuscule quand mes parents ont décidé de donner montres, bagues et colliers à un passeur habilité à nous faire franchir une frontière. Sur les photos de cette époque, je suis une toute petite fille vêtue d'une robe verte à col claudine et portée à bout de bras par mon papa comme un trophée, comme la promesse d'une vie meilleure. Auras-tu les épaules assez solides petite Patoumi?
Je n'ai aucun souvenir de l'arrivée sur le sol français lors d'un certain hiver des années 80, aucun membre de ma famille n'avait jamais vu de neige.
Je ne me sens ni d'ici ni de là-bas mais plutôt dans une sorte d'ailleurs improbable. Trop de gens aiment à rappeler que je ne serai jamais d'ici et, c'est horrible, je ne me sens pas non plus de là-bas, chaud pays dont le peuple s'est étripé sans pitié. Je ne me reconnais pas dans les valeurs mises en avant par la culture de mon pays, je réprouve son conservatisme. Je n'ai pas la trempe d'une aventurière.
J'ai trouvé qu'il était difficile de grandir sans se sentir à sa place ici ("Hé toi la chintok!") et sans affinité particulière avec des traditions qui sont pourtant les miennes. Tout est affaire de composition.
S'il y a une chose qui me lie indéfectiblement à mes racines, c'est la cuisine de là-bas. Je pense que je m'ennuierais souvent à table s'il n'y avait cette inspiration asiatique, le mélange ludique des épices, du sucré et du salé, le feu du piment, la douceur de la noix de coco et l'utilisation d'ingrédients aussi improbables que la pâte de crevette qui pue!
Pour Elvira, qui aime ouvrir sa cuisine au monde, voici la recette des bahn çao tels que les prépare ma maman (et tels qu'elle les a préparés pour nous le week end dernier, un vrai petit moment de vacances où chacun a eu droit à un petit moment plaisir, qu'il s'agisse de jouer au badminton pieds nus sur l'herbe fraîche ou d'enfoncer une main dans un trou d'eau en bord de mer à la recherche de quelques coques en goguette). Il s'agit de crêpes à la farine de riz, colorées au curcuma et renfermant un mélange de porc sauté, de crevettes et de pousses de soja. Elles se mangent chaudes ou froides (mais je les préfère brûlantes) avec de la salade, des feuilles de menthe ou de basilic thaï et la sauce doucement acidulée dans laquelle on a l'habitude de tremper les nems. Comme pour toutes les recettes de ma maman, les proportions sont assez approximatives, j'ai parfois l'impression qu'elle n'a pas envie qu'on sache reproduire ses recettes! (parce qu'elle aime bien qu'on lui rende visite...)

Les bahn çao de ma maman
Pour deux personnes

La pâte à crêpe
-4 cuillères à soupe de farine de riz
-1/2 cuillère à soupe de farine de blé
-20cL de lait de coco
-1 oeuf
-un peu de curcuma
-2 cuillères à soupe de chair de coco fraîche grossièrement hachée (facultatif)

La garniture
-2 côtes de porc dans l'échine, coupées en morceaux puis hachées
-une douzaine de crevettes roses décortiquées et coupées en trois
-un petit oignon en petits morceaux
-une gousse d'ail pressée
-un peu de pousses de soja fraîches
-un peu de sauce huître
-un peu de sucre, un peu de poivre, un peu d'huile de tournesol

Et pour servir: des feuilles de salade, du concombre en tranches très fines, de la menthe, du basilic thaï et une sauce préparée avec la même quantité de sucre, de nuoc mam, de vinaigre et d'eau et dans laquelle un peu de cacahuètes pilées peut être apprécié.

Préparer la pâte à crêpe en mélangeant tous les ingrédients. La pâte est belle et lisse.
Laisser reposer le temps de préparer la garniture.
Pour cela, faire revenir l'ail et l'oignon dans un peu d'huile. Ajouter le porc haché et quand il commence à colorer, assaisonner avec la sauce huître, le sucre, le poivre. Et peut-être faudra-t-il rajouter un peu de sauce Maggi.
Rajouter les crevettes en fin de cuisson.
Quand il est l'heure de se mettre à table, faire chauffer un peu d'huile dans une grande poêle, verser une louche de pâte et attendre que la crêpe prenne un peu. Répartir alors sur la moitié de la surface un peu de pousses de soja et trois grosses cuillères à soupe du sauté de porc aux crevettes. Laisser la crêpe finir de cuire avant de rabattre le côté laissé libre sur le côté garni. Attendre quelques secondes avant de faire glisser votre premier bahn çao sur une assiette chaude.

Ensuite, chacun sa façon de déguster.
Pour ma part, je choisis une feuille de salade de taille décente, je mets dessus un petit bout de bahn çao avec un peu de garniture, j'ajoute une feuille de menthe, je verse trois gouttes de sauce, je replie savamment ma feuille de salade et j'essaie d'apprécier ma bouchée proprement!

28 Comments:

Anonymous Anonyme said...

C'est vraiment émouvant, bref je me retrouve dans ce que tu dis, même si je ne suis pas née dans ce pays qui est le leur, qui me colle à la peau et dans lequel je ne me reconnais pas forcément. J'aurais l'indélicatesse de te demander quel est ce pays, si tu trouves ma question trop indiscrète, n'y prête pas attention!

Bises

25 juin, 2007 17:16  
Blogger Rosa's Yummy Yums said...

Oooohhh, j'adore ça (voir mon blog)!!! La nourriture vietnamienne est l'une de mes préférées!

25 juin, 2007 17:24  
Anonymous Anonyme said...

Oui c'est émouvant, sûrement une difficile épopée pour arriver puis vivre en France... Je n'en ai jamais mangé mais je pense que cela me plairait beaucoup...

25 juin, 2007 17:39  
Anonymous Anonyme said...

les 3/4 de la population française sont d'origine étrangère, beaucoup de ces tourmenteurs l'oublient...

Quelle chance pour nous que vous vous soyez posée ici!

j'aime la cuisine vietnamienne pour ses parfums frais et citronnés, sa légèreté, et les innombrables légumes qu'elle emploie.

25 juin, 2007 18:11  
Anonymous Anonyme said...

Cette recette a l'air aussi délicieuse que l'histoire qui l'accompagne. Peut-être que c'est un peu banal comme remarque, mais j'aime beaucoup ton blog que j'ai découvert il y a peu...

25 juin, 2007 18:32  
Anonymous Anonyme said...

j'adore ça !!! je note ta recette que je cherche depuis longtemps !! merci

25 juin, 2007 19:09  
Anonymous Anonyme said...

C'est très émouvant de te lire ; je ne suis encore jamais allée au Vietnam, mais j'ai beaucoup voyagé, notamment en Asie, et les parfums et saveurs que tu décris me transportent là-bas ! Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte de tout le courage nécessaire pour partir ainsi, radicalement, avec des enfants en plus ! Les bahn çao de ta maman m'ont l'air superbes !

25 juin, 2007 20:50  
Anonymous Anonyme said...

j'aime beaucoup ton écriture, ce petit côté nostalgique (même si poignant) et tes recettes... toujours tu nous fais voyager, miam!

25 juin, 2007 21:46  
Blogger Marmitedecathy said...

C'est très émouvant de te lire et très appétissant aussi, un mélange qui te va bien, ton histoire est à la fois triste et jolie, et la recette me fait vraiment envie,

25 juin, 2007 21:49  
Anonymous Anonyme said...

Très beau billet, très touchant.
Moi aussi petite je faisais dégouliner le jus des mangues le long de mon menton ;)
Même approximative (quoique), cette recette m'attire beaucoup... moi qui n'ais pas le moindre gène venu d'asie et qui pourtant maintenant ne pourrais cuisiner sans ces épices et ces ingrédients

26 juin, 2007 08:57  
Anonymous Anonyme said...

Ah ma mère aussi c'est impossible de trouver ses proportions, elle cuisine à la main, donc quand je lui pose des questions elle me parle de poignées: petite poignée, grosse poignée, moyenne poignée, et après elle me dit de rectifier si c'est pas comme d'habitude?!

C'est exactement le genre de choses que j'aime découvrir en ce moment, mais je remplacerais le porc par de l'escalope de poulet ou de dinde; je te dirai si je me lance! (d'ailleurs, j'ai fait tes tartelettes choco-amande-abricot: terrible, terrible).

Tiens au fait, j'y pense, j'aurais une question, s'il te plaît: le nuoc-mam (et la sauce soja), ça se conserve au frigo ou dans un placard? (j'ai acheté une bouteille géante l'autre jour, et maintenant je me demande qu'en faire, tes recettes viennent à point)

26 juin, 2007 10:26  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Ton billet me parle, cet ailleurs improbable, il me semble le connaître aussi... On nous fera sentir jusqu'à la fin des jours que nous ne sommes pas d'ici...

Zut, j'aime pas du tout la noix de coco (sous toutes ses formes)...

26 juin, 2007 11:44  
Anonymous Anonyme said...

J'ai beaucoup aimé ton récit sur tes racines et cette recette est très très alléchante, je me la garde sous le coude !

26 juin, 2007 11:45  
Anonymous Anonyme said...

Euh...je crois que c'est une spécialité cambodgienne et pas vietnamienne...

26 juin, 2007 14:58  
Anonymous Anonyme said...

Tu es riche de deux cultures, ne laisse pas les autres te faire sentir le contraire.
Moi, je prendrai exemple et je ferai tout comme toi pour les déguster !

26 juin, 2007 15:07  
Anonymous Anonyme said...

Tisser des liens d'épices et de goûts avec notre histoire ... broder nos vies de sucre et de sel ... ah! on ne pourra jamais prétendre que la cuisine est un loisir superficiel.

26 juin, 2007 18:14  
Anonymous Anonyme said...

J'aime les recettes au bon goût de nostalgie, les heures passées à regarder, toucher, humer ... cela me rappelle les moments avec mon père !!!
J'ai trouvé ton billet très émouvant, l'expression de ton déracinement me bouleverse ...
Biz
anso.canalblog.com

26 juin, 2007 18:28  
Blogger Elvira said...

Ton histoire est très touchante... Je n'avais qu'un an lorsque mon père nous a fait passer la frontière avec un "passeport de lapin", comme on disait à l'époque. Il fuyait la guerre coloniale, la dictature... Mais je suis revenue. En partie pour sa mémoire. Il aurait aimé avoir fait ce que j'ai fait. :-)

Toi, c'est les bahn çao... Je me souviens de la salade de poulpe de la "saudade" que faisait mon père, des petites crevettes grises...

Ce que tu écris est si évocateur...

27 juin, 2007 00:15  
Blogger Gracianne said...

Patoumi, tu me donnes faim, si faim...
On est toujours l'etranger d'un autre, c'est ca qu'il faudrait se dire, c'est ca qu'il faut apprendre aux enfants. Et que les melanges de culture rendent riche aussi, comme tu l'es toi.
Je sens que je vais essayer ces crepes.

27 juin, 2007 12:08  
Blogger Hélène (Cannes) said...

Je passerais bien voir ta maman, moi, si elle s'ennuie. Comme ça, je goûterais ces merveilles in situ ! ;o)
Bises
Hélène

27 juin, 2007 17:49  
Anonymous Anonyme said...

Bonsoir Patoumi,

Drôlement chouette cette "crêpe" extrême-orientale au curcuma. En plus, cela n'a pas l'air trop difficile à faire (pas de demi-oeuf, ou (pire encore) de demi-jaune d'oeuf, comme dans vos si tentantes recettes de tartelettes). Et puis, comment résister à une pâte "belle et lisse" (et jaune) ? C'est cette phrase qui me donne le plus envie d'essayer.

Ravie que l'article d'Adam Gopnik vous aie plu.

à bientôt,

Albertine

29 juin, 2007 00:25  
Blogger Alhya said...

évidemment je n'ai jamais eu la chose encore de visiter le vietnam. mais je crois que dans ma découverte de la cuisine, le petit vietnamien en bas de chez moi est pour beaucoup. J'ai découvert des bahn çao chez lui et je me souviens m'être dit "mais pourquoi n'ai-je jamais mangé de cuisine étrangère avant?" ça a été le début... et puis le curcuma... une de mes épices fétiches,depuis près d'un an

30 juin, 2007 09:48  
Anonymous Anonyme said...

j'arrive ici grace au récapiulatif d'Elvira...ton histoire évoque bien ce que bon nombre d'entre nous éprouve. ta galette me fait terriblement envie!

12 juillet, 2007 13:45  
Anonymous Anonyme said...

Exam et mémoire achevé, je retrouve à nouveau le plaisir de lire ton blog!
J'apprécie beaucoup la façon dont tu écris! C'est un pur bonheur!
A bientôt!
ps: ta recette ma plaît beaucoup...je ne vais certainement pas tarder à la tester!

14 juillet, 2007 10:09  
Anonymous Anonyme said...

j'ai échoué lamentablement à faire ces bahn cao, ça ne ressemblait à rien, je me relancerai avec la recette de ta maman, c'est sûr !

31 octobre, 2007 07:40  
Anonymous Anonyme said...

C est tres bon comme plat et facile a faire :) Ca s appele aussi des banh xeo

25 novembre, 2007 14:53  
Anonymous Anonyme said...

merci beaucoup pour cette recette familiale

06 février, 2008 12:18  
Anonymous Nhi said...

Tiens, je découvre ton index aujourd'hui seulement, depuis plusieurs mois que je te lis :)
Les banh 'xeo' de ta maman me rappellent ceux de la mienne. Il n'y a pas d'égal en matière de finesse et de délicatesse dans la panoplie des galettes :) J'aime beaucoup tes billets et suis quelque peu envieuse de vous lire loukoum, mingou et toi! Je me régalerai de banh cuon en ce weekend de Pâques et te souhaite de continuer à publier de si jolis mots très longtemps.

31 mars, 2010 19:11  

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