Les assiettes de l'Elysée et la résolution de la controverse de la tarte aux pommes
Quand j'avais moins de six ans, pour jouer à la dînette avec ma petite vaiselle en plastique blanc agrémentée de motifs floraux orange/marron/rouge (c'était les couleurs branchées de l'époque. En fait, j'avais aussi un set Maya l'abeille mais je ne sais pour quelle obscure raison, il était toujours délaissé au profit de l'autre, je crois même que j'avais reconverti le plat à rôti en petit lit pour peluche -en l'occurrence une souris avec une salopette en velours rouge côtelé pour laquelle j'ai versé toutes les larmes de mon corps après l'avoir égarée je ne sais où-), ma maman me donnait généreusement des pépins de pomme, des queues de haricots verts et moult épluchures d'orange et de citron. Avec toutes ces précieuses victuailles, parfois agrémentées de morceaux de chewing gum à la fraise (non encore mâchés il s'entend) j'aimais beaucoup imaginer que je recevais le Président de la République à dîner et que je lui servais alors un délicieux pâté de lapin au cerfeuil et qu'il s'en lèchait les babines, expression fort mystérieuse pour la petite fille que j'étais. Il faut croire que je m'estimais être une cuisinière suffisament émérite pour recevoir celui qui représentait peut-être alors pour moi la plus haute instance qui puisse exister, du moins celle qui avait droit de décision sur nos conditions de vie.
Pourtant, je viens d'apprendre ce midi qu'il n'est pas facile de cuisiner pour le Président de la République. En effet, à l'heure où je déjeune, la radio diffuse une série d'émissions intitulée Histoire de... d'un intérêt parfaitement aléatoire mais depuis le début de l'année, j'ai appris tout un tas de choses sur l'histoire de l'amour, du judaïsme, du rock... et plus récemment des présidentielles puis de l'Elysée. Aujourd'hui, alors que je défaisais l'enveloppe qui contenait ma convocation officielle pour l'internat (gloups. Je m'en suis beurré un deuxième petit morceau de pain), l'auteur de l'émission m'annonce qu'il va nous parler des cuisines de l'Elysée et mon coeur a fait un bond en repensant au pâté de lapin au cerfeuil.
Il faut savoir que pour servir le Président et ses hommes, une brigade rapprochée de sept cuisiniers et leurs petits marmitons, officient dans une cuisine de deux cents mètres carrés, dont quarante mètres carrés sont dévolus à la pâtisserie, située au sous-sol de l'aile ouest de la bâtisse. Cette disposition a condamné les couples présidentiels à dîner de soupes tièdes et de glaces à demie fondues jusqu'à l'installation de Pompidou qui décide d'aménager une petite cuisine juste à côté de la salle à manger (située au niveau de l'aile est, donc à l'exact opposé de la cuisine principale) où les plats finissent d'être préparés afin d'être servis chauds bouillants ou froids glacés selon les nécessités.
De Gaulle, qui n'a apparemment pas été gêné par ces contingences thermiques, avait pour ses repas personnels des goûts forts simples nous dit-on, preuve en est ce menu du 28 novembre 1967 où le couple de Gaulle dîne avec plaisir d'un potage, puis de ris de veau braisés accompagnés d'endives également braisées et d'un fruit. Le Général est en revanche beaucoup plus exigeant quant à la ponctualité: on déjeune à 12h10 précises et on dîne à 20h15. Son propre fils est condamné à attendre le plat s'il arrive alors que l'entrée a déjà été servie. Si les repas personnels se veulent simples, madame de Gaulle choisit avec soin dans le guide Escoffier les plats qu'elle désire voir servir lors de leurs réceptions. Ainsi, le 17 octobre 1967, le Président de la République Islamique du Pakistan aura droit comme il se doit à l'époque d'un menu composé de quatre plats et d'un dessert (avec entre autre, consommé a la Royale, suprême de sole armorique et caneton des Challans rôti) alors que sous Poincaré, le menu de dix plats où se succèdent huîtres de Zélande, oeufs à la Grimaldi, langue de boeuf à la créole et autre foie gras glacé au champagne, n'est pas exceptionnel.
Les réceptions en présence de chefs d'Etat étrangers revêtaient une importance telle (il fallait que la France asssure sa réputation et par là-même affirme sa puissance) qu'au milieu des années 60, alors que les menus destinés à la venue du roi d'Arabie Saoudite ont déjà imprimé en lettres d'or qu'il y aura en entrée du saumon braisé aux queues d'écrevisses et qu'il est impossible d'en trouver en France car ce n'est alors pas la saison, un simple appel du Quai d'Orsay à l'ambassade d'Ankara fera venir en urgences les crustacés turcs qui voyageront dans une valise diplomatique.
La brigade des cuisiniers élyséens finit même par être de tous les déplacements présidentiels suite à une décision de Valéry Giscard d'Estaing. Ainsi, lorsqu'une ambassade française reçoit un chef d'Etat à l'étranger, les plats commencent à être préparés à l'Elysée avant de recevoir sur place leur touche finale. Cela donne lieu à d'étonnants déploiements de moyens, comme pour ce repas à Brasilia en 1978: trois jours avant le dîner un avion s'envole de Paris avec à son bord des aiguillettes de boeuf, de la pâte (futures aiguillettes de boeuf en croûte donc), de la nougatine glacée, des fromages, des laitues... Or, les soixante quinze salades destinées à accompagner le fromage vont arriver absolument brûlées sur le sol brésilien. Horreur! Malheur! Mais non, ce n'est rien, un petit coup de fil au secrétariat de VGE et de belles laitues venues directement de Rungis seront envoyées dès le lendemain.
Les cuisiniers de l'Elysée n'officient pas seulement pour le couple présidentiel et leurs invités internationaux, il faut aussi nourrir tous les chargés de mission, les secrétaires d'Etat et consors. Et il faut qu'il y ait du renouvellement s'il-vous-plaît. Au milieu des années 80, un nouveau chef entre en exercice. Joël Normand, pour établir ses menus, décide alors de faire un grand tableau où il avait consigné tous les "J'aime/j'aime pas" des résidents de l'Elysée. Cela lui permettait de s'y retrouver entre celui qui n'aime pas le lapin, la poule au pot, les crustacés mais pas le poisson, celui dont la vieille maman qui vient régulièrement déjeuner adore par dessus-tout le soufflé au Grand Marnier et à la maïzena (!)...
Il y eut parfois des débats houleux entre les cuisiniers et le chef de l'Etat quant à la réalisation de certains plats. Ainsi, VGE et son pâtissier se sont-ils quelque peu heurtés sur le concept de la tarte aux pommes. Pour le Président, elle ne pouvait être qu'à la compote avec des pommes en fines lamelles alors que son chef défendait ardemment la tarte à la crème pâtissière recouverte de pommes en fines rondelles. Evidemment, VGE eut le dernier mot.
Par un étrange concours de circonstances, cet épisode de Histoire de... fut précédé d'une session de Tout arrive! consacrée à la précarité et on a un peu la nausée d'entendre parler de tout ce faste présidentiel quand d'autres personnes viennent d'évoquer l'absolue nécessité de s'enivrer pour atteindre la désinhibition nécessaire pour mendier.
Pour rester simple, la recette de la tarte aux pommes que l'on aime ici.
La pâte est la même que celle des tartes au cream cheese.
Pour quatre tartelettes, il vous faudra quatre pommes, coupées en lamelles un peu épaisses et revenues à feu doux avec du beurre salé, du jus d'orange et du rapadura (disons trois cuillères à soupe de jus d'orange et deux grosses cuillères à soupe de rapadura), jusqu'à ce qu'elles soient fondantes.
On les répartit joliment sur les fonds de tarte cuits à blanc et on remet un quart d'heure au four à 180°.
C'est délicieux tiède, avec un peu de glace à la vanille.
Pourtant, je viens d'apprendre ce midi qu'il n'est pas facile de cuisiner pour le Président de la République. En effet, à l'heure où je déjeune, la radio diffuse une série d'émissions intitulée Histoire de... d'un intérêt parfaitement aléatoire mais depuis le début de l'année, j'ai appris tout un tas de choses sur l'histoire de l'amour, du judaïsme, du rock... et plus récemment des présidentielles puis de l'Elysée. Aujourd'hui, alors que je défaisais l'enveloppe qui contenait ma convocation officielle pour l'internat (gloups. Je m'en suis beurré un deuxième petit morceau de pain), l'auteur de l'émission m'annonce qu'il va nous parler des cuisines de l'Elysée et mon coeur a fait un bond en repensant au pâté de lapin au cerfeuil.
Il faut savoir que pour servir le Président et ses hommes, une brigade rapprochée de sept cuisiniers et leurs petits marmitons, officient dans une cuisine de deux cents mètres carrés, dont quarante mètres carrés sont dévolus à la pâtisserie, située au sous-sol de l'aile ouest de la bâtisse. Cette disposition a condamné les couples présidentiels à dîner de soupes tièdes et de glaces à demie fondues jusqu'à l'installation de Pompidou qui décide d'aménager une petite cuisine juste à côté de la salle à manger (située au niveau de l'aile est, donc à l'exact opposé de la cuisine principale) où les plats finissent d'être préparés afin d'être servis chauds bouillants ou froids glacés selon les nécessités.
De Gaulle, qui n'a apparemment pas été gêné par ces contingences thermiques, avait pour ses repas personnels des goûts forts simples nous dit-on, preuve en est ce menu du 28 novembre 1967 où le couple de Gaulle dîne avec plaisir d'un potage, puis de ris de veau braisés accompagnés d'endives également braisées et d'un fruit. Le Général est en revanche beaucoup plus exigeant quant à la ponctualité: on déjeune à 12h10 précises et on dîne à 20h15. Son propre fils est condamné à attendre le plat s'il arrive alors que l'entrée a déjà été servie. Si les repas personnels se veulent simples, madame de Gaulle choisit avec soin dans le guide Escoffier les plats qu'elle désire voir servir lors de leurs réceptions. Ainsi, le 17 octobre 1967, le Président de la République Islamique du Pakistan aura droit comme il se doit à l'époque d'un menu composé de quatre plats et d'un dessert (avec entre autre, consommé a la Royale, suprême de sole armorique et caneton des Challans rôti) alors que sous Poincaré, le menu de dix plats où se succèdent huîtres de Zélande, oeufs à la Grimaldi, langue de boeuf à la créole et autre foie gras glacé au champagne, n'est pas exceptionnel.
Les réceptions en présence de chefs d'Etat étrangers revêtaient une importance telle (il fallait que la France asssure sa réputation et par là-même affirme sa puissance) qu'au milieu des années 60, alors que les menus destinés à la venue du roi d'Arabie Saoudite ont déjà imprimé en lettres d'or qu'il y aura en entrée du saumon braisé aux queues d'écrevisses et qu'il est impossible d'en trouver en France car ce n'est alors pas la saison, un simple appel du Quai d'Orsay à l'ambassade d'Ankara fera venir en urgences les crustacés turcs qui voyageront dans une valise diplomatique.
La brigade des cuisiniers élyséens finit même par être de tous les déplacements présidentiels suite à une décision de Valéry Giscard d'Estaing. Ainsi, lorsqu'une ambassade française reçoit un chef d'Etat à l'étranger, les plats commencent à être préparés à l'Elysée avant de recevoir sur place leur touche finale. Cela donne lieu à d'étonnants déploiements de moyens, comme pour ce repas à Brasilia en 1978: trois jours avant le dîner un avion s'envole de Paris avec à son bord des aiguillettes de boeuf, de la pâte (futures aiguillettes de boeuf en croûte donc), de la nougatine glacée, des fromages, des laitues... Or, les soixante quinze salades destinées à accompagner le fromage vont arriver absolument brûlées sur le sol brésilien. Horreur! Malheur! Mais non, ce n'est rien, un petit coup de fil au secrétariat de VGE et de belles laitues venues directement de Rungis seront envoyées dès le lendemain.
Les cuisiniers de l'Elysée n'officient pas seulement pour le couple présidentiel et leurs invités internationaux, il faut aussi nourrir tous les chargés de mission, les secrétaires d'Etat et consors. Et il faut qu'il y ait du renouvellement s'il-vous-plaît. Au milieu des années 80, un nouveau chef entre en exercice. Joël Normand, pour établir ses menus, décide alors de faire un grand tableau où il avait consigné tous les "J'aime/j'aime pas" des résidents de l'Elysée. Cela lui permettait de s'y retrouver entre celui qui n'aime pas le lapin, la poule au pot, les crustacés mais pas le poisson, celui dont la vieille maman qui vient régulièrement déjeuner adore par dessus-tout le soufflé au Grand Marnier et à la maïzena (!)...
Il y eut parfois des débats houleux entre les cuisiniers et le chef de l'Etat quant à la réalisation de certains plats. Ainsi, VGE et son pâtissier se sont-ils quelque peu heurtés sur le concept de la tarte aux pommes. Pour le Président, elle ne pouvait être qu'à la compote avec des pommes en fines lamelles alors que son chef défendait ardemment la tarte à la crème pâtissière recouverte de pommes en fines rondelles. Evidemment, VGE eut le dernier mot.
Par un étrange concours de circonstances, cet épisode de Histoire de... fut précédé d'une session de Tout arrive! consacrée à la précarité et on a un peu la nausée d'entendre parler de tout ce faste présidentiel quand d'autres personnes viennent d'évoquer l'absolue nécessité de s'enivrer pour atteindre la désinhibition nécessaire pour mendier.
Pour rester simple, la recette de la tarte aux pommes que l'on aime ici.
La pâte est la même que celle des tartes au cream cheese.
Pour quatre tartelettes, il vous faudra quatre pommes, coupées en lamelles un peu épaisses et revenues à feu doux avec du beurre salé, du jus d'orange et du rapadura (disons trois cuillères à soupe de jus d'orange et deux grosses cuillères à soupe de rapadura), jusqu'à ce qu'elles soient fondantes.
On les répartit joliment sur les fonds de tarte cuits à blanc et on remet un quart d'heure au four à 180°.
C'est délicieux tiède, avec un peu de glace à la vanille.
18 Comments:
Dis donc, très instructif ton billet ! Chez nous, c'est plutôt mon poulet qui écoute la radio, moi je n'ai pas ce réflexe.
J'ai quand même une préférence pour la tarte aux pommes normande ;-)
Qu'il n'y ait pas de malentendu : je trouve ta tartelette super jolie et j'y goûterais bien !
J'en ai appris des choses grâc à ton billet!
Une vraie fleur ta tarte aux pommes!
Je ne savais pas tout cela.
"Etonnant déployement de moyens" = aux frais du contribuable. Je veux pas me la jouer rabas-joie mais si on veut (encore) réduite la dette, on sait là où il faut prendre, dans la panse du chef d'Etat ;-)
Ceci-dit ta tarte aux pommes a l'air exquise!
Sais-tu qu'à une époque où les communications étaient moins sophistiquées que maintenant, René Coty (ancien Président de la république lui aussi) lorsqu'il a été élu n'avait pu prévenir sa femme. Cette dernière, avertie par un journaliste qui lui demenda ce qu'elle allait faire pour lui, répondit:"Je vais lui faire une tarte aux pommes"!!!
Le concours,pour toi, c'est quand?
Que d'informations que je ne connaissais pas. Au tout cas ta tarte aux pommes est sublime et j'en mangerais bien un bout.
Bonne journée, Doria
Très sympa ta note!!!
Bizzzzzzzzzzzz
Barbichounette
je découvre votre blog et c'est un pur plaisir!
Ah ça va leur manquer aux époux Chirac les frais de bouche dispendieux et la batterie de petits marmitons fouettant la crème à la main.
Je ne soutiens en général pas notre bon vieux VGE, mais franchement, une tarte à la creme patissière avec des pommes en rondelles, force est d'admettre que c'est proprement inadmissible.
C'est fou ce qu'on apprend comme trucs utiles sur France Culture. Et encore, ils ne disent pas tout sur les coulisses du Chateau.
Tes tartelettes, on dirait celles des petites filles modeles, je suis sure que je vais les aimer.
Et dire qu'à l'Elysée, entre deux sommets intermationaux, on discute aussi lamelles OU rondelles de pommes ! That is the question !
Gracianne a raison, les tiennes ressemblent à celles des Petites filles modèles .
PS : Peu orthodoxe et pas des plus aérien mais j'aime aussi la crème pâtissière dans la tarte aux pommes.
Elle est très jolie ta tarte aux pommes et si bien décorée, en la voyant j'ai pensé à une fleur.
Je te souhaite une bonne soirée.
moi, j'en veux bien une aussi de tes super tartelettes!! biises micky
Des billets comme celui-là, tu en refais quand tu veux ! C'est très intéressant ! Bon j'imagine qu'avec tout ça, tu n'as aucun regret à ne pas être devenue faiseuse officielle de pâté de lapin pour le président...
lui, il y perd, c'est sûr, rien qu'à en voir cette tarte aux pommes (et glace vanille, hmmm...) !
oui, je suis revenue pour ma pause déjeuner.. et voilà, je suis repue, j'aime vraiment beaucoup ta manière de retranscrire cette émission.. curieux aussi comme tu le dis, les confrontations de sujets... un peu le même effet que voir parfois le zaping. toujours instructif. Quant aux pommes, tout pareil, dans le beurre, caramélisées.. après, la glace évidemment et ta pâte sablée me fait de l'oeil.
Je découvre ton blog, et j'adore!
Joli texte, belle conclusion sur ceux qui doivent s'enivrer, (et ces nourritures présidentielles qui sentent le kérosène, bof...)
eh s'il vous plait! est ce que qqn sait a quel président l'on fait référence lorsque l'on parle de "soufflé du président?" merci....
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