mercredi 9 mai 2007

La vocation des marathoniennes et les petites tartes chocorange/cream cheese

Ma maman aime à raconter qu'elle parlait souvent avec son ventre lorsque j'y séjournais, elle disait entre autres choses :"Toi tu seras docteur..." Quelle drôle d'idée.
Est-ce une bénédiction ou une malédiction? Le fait est qu'il y a dans les caisses poussiéreuses du grenier, au milieu d'autres écrits (comme les lettres que j'écrivais à mon papa chaque soir où il rentrait tard, quand j'étais déjà couchée -ou quand je faisais semblant de dormir pour n'inquiéter personne- et que ma maman partait à son tour au travail. C'est assez étrange quand on est enfant de se brosser les dents puis d'aller se coucher avec ses livres préférés tandis que dans la pièce d'à côté, la maman regarde le journal télévisé, puis, après la météo, enfile son manteau, vient faire un dernier baiser, vérifie qu'il y a bien un verre d'eau à portée de main et dit l'air de rien "Dors bien, à demain". Dans ces lettres, écrites après le repas sur la table de la cuisine sur des feuilles quadrillées détachées d'un bloc orange que j'aimais beaucoup, je racontais ma journée par le menu, une large part étant effectivement laissée à la composition du goûter et du dîner. Je n'ai jamais relu ces lettres, j'ai peur de fondre en larmes), des rédactions d'école primaire où je dis avec aplomb que plus tard, "Je serai docteur pour aider tout le monde et avoir plein de livres". Quelle ambition, Patoumi.
Pourtant, à l'adolescence, j'ai pensé à d'autres métiers. J'ai voulu être écrivain, historienne, critique de cinéma et surtout journaliste... mais je n'ai pas eu le cran de me frotter aux études qui mènent dans ces espaces-là, c'était plus rassurant de faire médecine. En fait, au moment de choisir, j'ai beaucoup hésité mais je ressentais une immense culpabilité quand j'imaginais m'éloigner du métier de soignant et ce sentiment était si insupportable que je me suis enfuie avec peu de grâce et sans doute beaucoup de lâcheté de ma classe d'hypokhâgne. Je me souviens de l'intense soulagement ressenti le premier jour des cours de médecine (et pourtant, c'était absolument glauque cet immense amphithéâtre plein à craquer, avec des étudiants sur les marches, les cris des redoublants, le cours d'anatomie à prendre en notes à la volée alors que l'on n'a jamais entendu parler de sterno-cléïdo-mastoïdien de toute sa vie), je me sentais à ma place, j'étais soulagée de penser que ce que j'allais apprendre ne servirait pas à des finalité égoïstes mais me permettrait d'aller partout dans le monde en étant utile. C'était cela l'image que j'avais du médecin quand j'avais dix huit ans, un type qui pouvait silloner la planète avec sa valise bourrée d'instruments et de médicaments et qui était à même de sauver quiconque, même s'il parlait une langue inconnue puisque le corps n'a qu'un langage.
Les gens qui avaient déjà été reçus disaient: "Ceux qui n'ont pas le concours, ce sont ceux qui ne le veulent pas vraiment." Je reste sceptique quant à cette assertion puisque je doute que seuls les quatre vingt huit reçus sur les huit cents que nous étions, caressaient le doux rêve de porter un jour la blouse (avec le stéthoscope dans la poche, pas autour du cou, il n'y a que les prétentieux qui se prennent pour le docteur Ross qui font ça) mais il n'en reste pas moins que je n'ai jamais vraiment douté que j'aurai le concours, comme si effectivement, y croire, c'était déjà faire la moitié du chemin. Il ne faut pas beaucoup d'intelligence, ni même d'esprit pratique pour avoir ce concours; je crois qu'il faut juste beaucoup de patience et d'auto-discipline. Tous les jours accepter de se lever à la même heure et se remettre à l'ouvrage, lire dix, vingt, cent, mille fois le même cours jusqu'à pouvoir le réciter, même à l'envers. Il y a la chance aussi, et le sang froid que j'ai été très étonnée d'avoir quand la dernière épreuve a été annulée puis reportée à la semaine suivante pour cause d'alerte à la bombe.
Ce qui est étrange dans cette envie de devenir médecin, c'est qu'il s'agit quand même de passer sa vie auprès de gens souffrant et ça, c'est quand même pas très drôle. Avant la rentrée universitaire en deuxième année, chaque étudiant fraîchement reçu, doit passer un mois dans un service hospitalier avec un emploi du temps calqué sur celui d'une infirmière. Et c'est comme cela que, sans aucune préparation psychologique et le cerveau légèrement lobotomisé par les automatismes acquis pour le concours, on se retrouve à passer son mois de septembre dans un service de cancérologie à faire la toilette de patients à l'agonie. Ce n'était que le début de longues épreuves qui j'espère vont s'achever les 12 et 13 juin prochain, au moment de passer l'internat. Une étudiante croisée dans un service de cardiologie alors qu'elle même s'apprêtait à passer ce deuxième concours et que je commençais tout juste à découvrir les rouages de l'hôpital, m'avait dit gravement en me voyant peiner sur un dossier: "Il faut garder des forces tu sais. C'est un marathon ces études..." Je me souviens parfaitement de son regard épuisé derrière ses lunettes carrées et je repense souvent à elle en ce moment et à cet instant de sollicitude comme il y en a peu dans ce milieu. Combien de fois n'ai-je pas entendu: "T'es folle (!) de vouloir être psychiatre, tu vas faire dix ans d'études pour être assistante sociale!" Quelle représentation de la maladie mentale...
Pendant longtemps j'en ai voulu à ma maman d'avoir exprimé si fort son envie de me voir médecin, je trouvais cela égoïste et insensé (de quoi suis-je si coupable pour avoir à payer un tribut à l'humanité toute entière ma vie durant?) mais j'ai la conviction depuis quelques mois que je n'aurais pas aimé exercer un autre métier, aussi grand reporter soit-il. Je ne me lasse jamais du contact avec les patients, j'aime écouter leurs histoires, leurs plaintes, leurs confidences, j'aime à penser que je peux soulager leur peine. J'ai de grandes périodes de découragement en ce moment, chaque jour je vois se rapprocher le concours et je vois mes lacunes qui ne se comblent pas, du moins pas très vite, j'ai la peur au ventre, le cerveau en feu mais je suis soulagée de ne plus douter.

Les tartelettes résultent d'un grand moment d'abattement où je ne pouvais plus voir mon bureau en peinture, G. a insisté pour que je pâtisse alors que je n'avais qu'une envie, celle de me mettre au lit pour le restant de la journée. Il faut croire qu'on est bien inspiré quand on est angoissé: ces petites tartes sont fraîches et délicates, le chocolat parfumé à l'orange est tempéré par la douceur de la crème... j'en referai (mais pas besoin d'être angoissé pour autant!)
La confiture au chocolat va vraiment très bien avec le reste mais sans doute une compote de fruits, une ganache au chocolat ou du Nutella feraient aussi très bien l'affaire...


Les tartelettes chocorange/cream cheese

Pour 4 tartelettes
La pâte sucrée
-125g de farine T80
-15g de poudre d'amande
-75g de beurre froid en petits morceaux
-40g de sucre
-un demi oeuf

Le cream cheese
-100g de fromage frais
-60g de petit suisse
-une grosse cuillère à soupe de crème fraîche
-un oeuf
-un peu de sucre

Et puis quatre cuillères à soupe de confiture au chocolat et à l'orange confite mais que vous pouvez remplacer par de la compote de fruits, du Nutella...

Préparer la pâte. Pour cela, mélanger la farine et la poudre d'amandes puis ajouter le beurre et malaxer du bout des doigts pour obtenir un mélange sableux assez homogène.
Faire un puits.
Mélanger le demi oeuf et le sucre dans un petit bol, mélanger à la fourchette et verser la mixture dans le puits. Amalgamer pour former une boule de pâte. L'entourer de papier film et la laisser au moins deux heures au réfrigérateur.
Au bout de ce temps, foncer les moules et faire cuire la pâte à blanc une dizaine de minutes dans un four préchauffé à 180° (les bords doivent être à peine dorés).
Pendant ce temps, mélanger tous les ingrédients de la crème, la préparation doit être lisse.
Quand la pâte est prête, étaler une cuillère à soupe de confiture sur chacun des fonds et recouvrir de la crème.
Faire cuire environ une demie heure à 180° (la crème tremblote juste un peu au milieu).
Laisser refroidir à température ambiante avant d'entreposer au réfrigérateur une douzaine d'heures.


Merci eva, pour la contribution aux photos, et pour le reste.

18 Comments:

Blogger Marmitedecathy said...

Très jolies tartelettes , j'espère que tu vas bien et je t'embrasse , j'ai pensé à toi dimanche

09 mai, 2007 20:58  
Anonymous Anonyme said...

C'est assez marrant la manière dont tu parles de ton expérience avec ton métier et surtout des espoirs que ta maman fondait en toi.
Je ne connais pas les amphis de médecine, j'ai laissé cette tâche à mon jeune frère".
Je souris aussi à la lecture du "tu vas faire 10 ansd'études pour être assistance sociale". On m'a sorti la même chose quand j'ai annoncé que je changeais un peu d'orientation et passais de cadre d'orient à des études de magistrat. Dès qu'il s'agit d'un métier qui implique une relation à l'autre, les gens vont vite le parallèle avec assistante sociale, comme si c'était dégradant!
Pour le terme de marathonienne, il est clair que les études sup relèvent bien souvent du marathon. Je ne sais pas pourquoi mais c'est quand même drôlement confortable cette position d'étudiant. N'avoir de responsabilité que soi-même et pas celles d'autres êtres.
Bref je me perds dans les méandres de ma pensée confuse et j'en oublie le coeur du sujet: les tartelettes. Elles sont sensas comme dirait l'autre!
Caluski :-)
Lisanka

09 mai, 2007 21:25  
Anonymous Anonyme said...

C'est inpensable à quel point on est formaté (mais peut-être n'est-ce pas le bon terme ?) par l'éducation que l'on a reçue ... Pour moi, le métier de médecin est le plus honorable et inaccessible qu'il soit. Il traite de ce dont a peur, que l'on craint, que l'on cache. Il panse les plaies, toutes les plaies. Il écoute, il écoute toutes les peines. Il analyse, il diagnostique, il prescrit. Il est dans le secret. Il est dans la recherche et le savoir.
Mais, toutes ces longues années d'études ne suffisent sans doute pas pour être un "bon" médecin ... Il faut de la générosité, de l'ouverture d'esprit et un tout petit peu de talent et ça, Patoumi en a, ses lecteurs le découvrent depuis quelques mois.

Encore du courage pour le dernier round des révisions !

09 mai, 2007 21:29  
Anonymous Anonyme said...

Tout ce que tu as écrit me fait tellement penser à moi... ce stress, ce concours,... Cependant, moi j'abandonne.

09 mai, 2007 22:04  
Anonymous Anonyme said...

Tres jolies tartelettes!
Bon courage a toi, les etudes selectives, tres longues et ingrates, je connais...Ainsi que les prejuges sur mon metier egalement. Il y a des bons et des mauvais partout, ce n'est certainement pas le nombre d'annees d'etudes et encore moins les examens qui peuvent juger de la qualite d'une personne. Amicalement.

09 mai, 2007 22:07  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Même si tu as entamé un marathon, au moins tu sais ce que tu veux vraiment faire dans la vie, et tu sais que c'est utile (je ne connais pas de métier plus noble que celui de médecin, et c'est un psychiatre qui m'a sauvée quand j'étais au bord du gouffre). Je ne peux pas en dire autant de moi...
Allez, du courage ! du courage !
Mingoumango
P.S. : Les assiettes à dessert sont un héritage de mon poulet, je les adore !

10 mai, 2007 01:06  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

J'allais oublier tes tartelettes : la deuxième est comme un soleil rayonnant :-)

10 mai, 2007 01:10  
Blogger Alhya said...

j'aurais tant à dire sur ce sujet que tu abordes.. je dirais peut être seulement que j'ai souvent pensé que je m'étais totalement affranchie des souhaits de ma mère qui me voyait maîtresse d'école, pour disait elle, pouvoir avoir un métier tout en ayant des enfants (les fameuses vacances scolaires...) et finalement... je buche pour devenir Professeur d'université.. pas si loin.. mais j'ai surtout une haute conception de mon métier, je ne perçois jamais mes étudiants comme des nazes, assis là, sur les bancs de la fac, comme à la dérive dans un système universitaire qui les accueille sans leur ouvrir de réel avenir (et ce n'est que le début.. depuis dimanche, l'avenir s'est encore obscurcit) bref, c'est ce qui me guide lorsque comme ce matin, j'ai les yeux en carafe et une seule envie, rester au lit pour me reposer, juste un peu... je t'embrasse et te souhaite tout plein de courage plein d'espoir!

10 mai, 2007 07:03  
Anonymous Anonyme said...

Voilà te quoi te redonner le moral...prend des forces avec ces douceurs er du repos pour faire le plein de courage!

10 mai, 2007 08:47  
Blogger Gracianne said...

Ce n'est pas ta maman qui a choisi, c'est toi, et tu le sais bien. Et tu sais aussi que tu es faite pour ca, ca se sent, ca se lit. La veille du concours, quand tu auras la peur au ventre, preveins nous et on pensera tres fort a toi. On t'enverra tout un tas de douceurs sucrees en pensee, et ca marchera, tu verras.

10 mai, 2007 10:23  
Anonymous Anonyme said...

Je comprends cette pression...
Moi j'ai choisi de faire ce qui m'inspirais le plus, même si je n'ai pas de super compétences dans le domaine!

J'espère que ces tartelettes vont enfuir tout ça super loin et te faire attérir dans le pays de la gourmandise, de par leur texture exquise, et leur goût de paradis. J'en prendrais bien avec des fruits au nutella!

10 mai, 2007 13:57  
Anonymous Anonyme said...

Ah les vocations... Moi aussi je fais un boulot assimilé à assistante sociale, y a pas de honte. Ma mère ne se remettra jamais que je ne suis pas devenu médecin parce que j'ai lu le droit à la paresse un peu trop tôt, du coup le marathon très peu pour moi, mais je t'admire! Bonne chance!

Bon, parlons peu, parlons bien: le fromage frais, c'est du saint-morêt, là?

PS: j'ai quand même fait l'Alpes d'Huez à vélo. Eh oh.

10 mai, 2007 17:41  
Anonymous Anonyme said...

Je te découvre aujourd'hui même, et me demande comment cela se fait-il que je ne te connaissais pas déjà.
Ton récit me touche beaucoup, je me reconnais dans plusieurs de tes façons d'aborder la vie.
J'en ai presque oublié la tartelette, qui ne semble pas moins délicieuse pour autant! À bientôt!

11 mai, 2007 12:34  
Anonymous Anonyme said...

Tes mots sont toujours aussi agréables à lire! Tu écris merveilleusement bien! Il est bien vrai que les études sont un véritable marathon! Pour ma part, je fais mon mémoire sur la problématique de la prise en compte du veillissement de la population dans les politiques publiques liées à l'urbanisme, rien à voir avec la médecine, mais c'est vrai que le veillissement est une notion un peu taboo, certainement parce qu'elle a un arrière goût de la mort. J'ai déjà l'impression de faire un sujet "glauque", et parfois angoissant (La vieillesse, de Simone de Beauvoir est terriblement affligeante...), j'imagine que ce n'est rien à côté de ce que tu vis chaque jour dans tes études de médecine! Il faut certainement une force très importante pour faire ce métier auquel tu te destines! Mais ce doit être également très enrichissant! Et nous avons besoin de personnes comme toi! Bonne continuation!
Bon weekend!

12 mai, 2007 12:13  
Blogger Elvira said...

Double bonheur, chez toi, toujours: celui de te lire et celui de me régaler, même virtuellement! :-)

14 mai, 2007 16:32  
Blogger confituremaison said...

Bon courage, Patoumi. Tu es DEJA un bon medecin!

15 mai, 2007 07:46  
Anonymous Anonyme said...

Superbe, que de recul déjà sur ce métier, tu l'exprimes comme une vocation, une inquiétude, et beaucoup d'espoir pour toi et les autres, j'ai beaucoup de respect pour çà.
Et entre-nous, je t'imagine mal passer un CAP de Mécanique pour te reconvertir!

30 mai, 2007 11:27  
Blogger Unknown said...

Un petit pour vous dire que votre blog est super!
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19 mars, 2018 11:03  

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