jeudi 8 mars 2007

Sans raison apparente, elle parlera de choses anciennes

Je n'y peux rien, c'est plus fort que moi, j'ai une mémoire qui fonctionne comme une petite caméra, je retiens tout un tas de détails parfois idiots, souvent légers, et je peux dérouler des tas de petits films de scènes inconséquentes que même les protagonistes auront oubliées. J'appelle cela le symptôme "interclasses de hand" depuis que Vincent Delerm a avoué qu'il se souvenait aussi très précisément de détails du passé (scolaire en l'occurence) absolument sans intérêt. Je retiens les menus, je retiens les tenues, je retiens les noms des rues, les sujets de dissertation, les promesses de récréations, les évènements politiques qui ont marqué telles ou telles révisions.
Quand pendant les vacances la grand-mère de G. nous a servi de très belles et bonnes profiteroles (c'était la première fois qu'elle en faisait, c'était très touchant), des petits films ont défilé tout seuls dans ma mémoire. Séance gratuite.
J'ai rencontré E. dans un énorme amphi où les gens n'hésitaient pas à adopter un comportement bestial pour devenir médecin. Je l'avais repérée parce qu'elle avait les mêmes sandales Kickers que les miennes, sauf que les siennes étaient vert pomme. E. habitait alors avec V. au septième étage d'un immeuble de l'avenue Janvier, une grande artère rennaise qui relie la gare au centre-ville et qui en période de fêtes de fin d'année se transforme en une sorte de Champs Elysées. Il y avait une épicerie turque juste en bas de chez elle. Au plafond de sa jolie chambre, elle avait fixé des petites étoiles phosphorescentes. En avril, pour son anniversaire cette année-là, elle m'avait invité avec C., un amie de longue date, à partager une raclette et des profiteroles. Elle avait commandé les choux chez le pâtissier, nous les avions consciencieusement remplis d'une bonne glace à la vanille (au moment de la choisir ensemble au supermarché, E. avait dit qu'elle la voulait avec plein de petits grains de vanille dedans, ce à quoi C., étudiant alors les secrets de l'industrie agroalimentaire, avait répondu que ces grains n'étaient que les débris sans parfum de vieilles gousses usagées) puis recouverts de chocolat fondu et chaud. Je me souviens du silence éloquent qui avait suivi la première bouchée. Quelques années plus tard, mon anniversaire officiellement en juillet, avait été reporté en septembre. Je devais prendre de bon matin le train pour Nantes où E. m'attendrait pour fêter cela dignement. En haut de l'escalator de la gare de Rennes, alors que je cherchais mon billet dans mon sac Robert le héros, j'aperçois E. (sensée m'attendre sagement à Nantes) qui m'ordonne avec un grand sourire d'aller annuler mes billets, elle en a d'autres pour Deauville. Elle avait tout prévu pour le weekend: le train, le pique nique pour l'escale du midi (E. me connaît bien, elle avait emporté du taboulé -sans raisins secs-, du fromage à grignoter, de la compote pomme-ananas, des petits sablés), les paquets cadeaux à ouvrir dans le train, la chambre d'hôtes... Plutôt pas mal comme anniversaire reporté. Le dimanche, nous avions déjeuné aux Quatre chats: un tagine de lotte, une tarte fine aux pommes, je me souviens de la miche de pain servie chaude et de la gentillesse du patron qui m'offrira une grande affiche aux couleurs du restaurant quand je lui demandais timidement si je pouvais avoir un set de table.
Des profiteroles, j'en ai aussi mangé à La cantina mia, un restaurant italien de la Place Saint-Germain. Ce ne sont plus les mêmes propriétaires désormais et je n'y suis jamais retournée: j'ai peur que ce ne soient plus les mêmes divines profiteroles avec une sauce au chocolat subtilement parfumée au café. J'y avais bu du Prosecco avec L., du Lacrima Christi avec N. (offert par nos voisins de table), nous y avions fêté l'anniversaire de C., je lui avais offert un tablier et un livre de cuisine.
Il y a aussi les profiteroles très particulières du Bocal (qui existe toujours à Rennes mais ce n'est plus le même décor ni les mêmes propriétaires, nous y étions retourner avec G. avant la séance de vingt heures trente pour Marie-Antoinette et si je recommande le film, je vous déconseille le nouveau Bocal. Je préfère me souvenir du visage de Kirsten Dunst, appuyé contre la vitre de la calèche qui l'emmène loin de tout ce qu'elle aime, plutôt que de leurs légumes décongelés ) où les choux étaient remplacés par des craquelins malouins.
Au printemps de l'année dernière, juste avant l'anniversaire de G., nous avions dégusté à L'Arsouille des profiteroles avec de la glace à la cannelle et une marmelade d'orange amère. Un peu plus tôt dans l'après-midi, G. m'avait offert une boîte 100drine pour ranger les cookies que je venais de faire.
Mais le présent, c'est bien aussi. Prochainement je vous raconterai entre autre comment G. a fini à même le plat un indécent gâteau britannique aux pommes et au caramel, un concours de curry et de nouvelles perspectives browniesques...

7 Comments:

Blogger Gracianne said...

Il y a comme ca des gens qui se souviennent exactement dans quelle circonstance ils ont mange tel plat. C'est plus qu'une memoire visuelle, c'est une memoire du plaisir. Dans ton cas c'est pousse a l'extreme, et ca donne de bien jolis textes.

08 mars, 2007 16:12  
Anonymous Anonyme said...

Je suis d'accord avec Gracianne , moi aussi j'ai la mémoire des plats, mais je ne sais pas les raconter aussi bien. En te lisant je me suis moi aussi rappelé quelques petits moments comme ceux que tu racontes, et ça m'a fait du bien.
Autre chose, tu sais que je suis allée chez le bouquiniste samedi, et que j'ai acheté le livre des "4 chats", j'ai même la recette du tagine de lotte, si tu veux !

08 mars, 2007 20:09  
Anonymous Anonyme said...

Quelle mémoire des moments sucrés .... Un délice pour nous et une subite envie de profiteroles.

08 mars, 2007 21:51  
Anonymous Anonyme said...

une douceur pour commencer ma journée ! quel bonheur ! malgré la pluie rennaise je suis toute "ensoleillée" ! je m'en vais de ce pas chercher ma quête de douceurs aux Tablées du Rheu !! merci

09 mars, 2007 08:16  
Anonymous Anonyme said...

J'aime vraiment beaucoup te lire. Tant de qualités chez une seule personne, c'est presque énervant!

09 mars, 2007 19:10  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

Plus ça va, plus je me découvre des points communs avec toi (j'espère qu'on n'a pas le même sac ;-)). Le talent d'écriture en moins pour moi, évidemment...

27 avril, 2007 17:58  
Blogger KAB said...

Votre mémoire minutieuse qui grave, archive,saisie à vif etc.constitue un véritable trésor inépuisable pour enrichir vos récits et nourrir votre talent.
La mienne se dissout subrepticement à tel point que j'use et abuse de notes sur des carnets, des feuilles volantes, des tickets de caisse afin de conserver les pensées éphémères.

08 mai, 2011 11:10  

Enregistrer un commentaire

<< Home