Levure, épistaxis, et le cheesecake de Rose Bakery
J'aime bien échanger quelques mots avec les gens que je croise dans le train, ou à la caisse du supermarché, ou autour de l'étal de la maraîchère qui vend des fraises délicieuses tous les mercredis matins, sur le marché de la place Saint Germain, à condition bien entendu que les gens se montrent disposés à converser.
A Monop, on fait souvent de drôles de rencontres. Plusieurs personnes de mon entourage aiment à dire que c'est un supermarché bourgeois, ce qu'une observation attentive des files d'attente aux caisses démentirait assez aisément. Un soir, alors que je m'apprêtais à choisir des tablettes de chocolat, je suis interrompue dans ma gourmande réflexion par une femme dont je ne distingue d'abord que le fichu délavé qui entoure son visage et les montures épaisses de ses lunettes. Elle tient sans ses mains ridées aux ongles noirs deux paquets de levure et me demande d'une voix inquiète: "Vous savez faire les gâteaux vous?" Comme je suis très imbue de ma personne, j'ai dit:"Ah oui oui bien sûr. Je sais faire du gâteau au double yaourt, de la pizza au chocolat, du brownie au creamcheese, de l'upside down tatin cake aux pommes... D'ailleurs vous connaissez Annie Bell et Nigella Lawson?"
Mais non.
J'ai juste dit: "Euh oui... Je peux vous aider?"
En fait, elle voulait juste savoir le différence qu'il existait entre les deux sachets de levure qu'elle me tend. Je jette un oeil et je lui explique qu'il s'agit pour l'un de levure classique et que l'autre promet des effets miraculeux sur la longévité du moelleux des gâteaux grâce à diverses molécules chimiques. Elle me dit gravement: "Mais vous, vous, qu'est-ce que vous prenez?" Le ton important qu'elle emploie pour cette simple question me fait l'observer un peu mieux et je constate que son regard, derrière les gros verres, est terriblement angoissé pour un sujet aussi léger qu'un peu de poudre à lever. Je lui dit que la levure classique est très bien et, après un rapide coup d'oeil aux prix, qu'elle est aussi bien moins cher. Elle saisit alors mon poignet et demande fiévreusement: "Mais est-ce que les gâteaux seront bons?" Comme je suis un peu décontenancée et que je réfléchis une seconde avant de répondre, elle enchaîne et je comprends mieux. Pendant deux bonnes minutes elle parlera sans s'interrompre de sa nièce, de la marche à quatre pattes, du gâteau d'anniversaire, je ne me souviens plus exactement de tout parce que ça va très très vite et que ça part dans tous les sens, je me souviens mieux de son regard, inquiet, qui semblait voir des choses qui pour moi restent invisibles. Au terme de sa logorrhée insensée, je lui ai juste redis posément qu'elle ferait bien de prendre la levure classique, qu'elle ne devait pas s'inquiéter, son gâteau serait sûrement délicieux. Elle a reposé l'autre sachet et a tourné les talons sans autre commentaire.
Les printemps sont accueillis chez moi avec une certaine angoisse en raison d'une allergie saisonnière rebelle à toute désensibilisation. Cette période d'invasion pollinique est tellement bruyante que G. en est venu à ma surnommer affectueusement Patchoumi (qui a ri dans l'assistance?) Ma seule consolation réside dans cette rumeur selon laquel Marcel P. souffrait de la même affection mais bon, elle est bien maigre quand j'ai envie de m'arracher le visage tant j'ai les yeux et l'appendice nasal en feu. Il y quelques années, j'étais en train de pique niquer dans le jardin du Luxembourg, quand mon allergie de manifestation d'habitude fort modérée à Paris, décida de s'inviter en provoquant un long saignement de nez. Mes voisins de pique nique, de très gentils Italiens, m'ont offert de l'eau glacée et des mouchoirs en papier mais l'épistaxis ne voulait pas se tarir. Un monsieur d'un certain âge, très élégant dans son allure, s'est approché et m'a alors conseillé, tout en continuant de faire pression sur la narine coupable, de lever le bras controlatéral. N'ayant pas peur du ridicule, et parce que c'était gentiment dit, je me suis exécutée. Le saignement a cessé, certainement davantage par épuisement que grâce à ma drôle de posture mais bon, le monsieur élégant était ravi et m'a proposé de faire quelques pas à ses côtés dans le parc. Ainsi avons-nous déambulé sous un soleil de plomb, je n'ai pas dit grand chose, je l'ai écouté raconté sa vie, sa carrière de chercheur, je ne sais plus très bien, mais c'était chouette. Quand la balade s'est terminée, nous nous sommes poliment dit au revoir. "Gardez toujours votre gracieux sourire Patoumi" a-t-il ajouté avant de tourner les talons.
Quel genre de rencontres et de discussions impromptues peut-on faire dans la salle bondée de Rose Bakery? Si l'on s'en tient aux photos du livre, on a des chances de croiser des Japonaises qui gardent leur bonnet de laine noir pour boire un thé. J'ai voulu leur livre dès que je l'ai vu et, pour ne pas être trop intimidée, j'ai choisi de faire leur cheesecake, une recette simple et rapide (ce qui est un critère important en ces temps mouvementés -une pensée pour S. qui dans le chaos, sait rester vaillante-).
Au final, ce cheesecake est délicieux, même s'il ne révolutionne pas le concept, sa texture est douce et fondante et il présente pour moi l'avantage de disposer de proportions précises alors que je fais toujours mes cheesecakes à vue avec les produits laitiers à disposition.
A Monop, on fait souvent de drôles de rencontres. Plusieurs personnes de mon entourage aiment à dire que c'est un supermarché bourgeois, ce qu'une observation attentive des files d'attente aux caisses démentirait assez aisément. Un soir, alors que je m'apprêtais à choisir des tablettes de chocolat, je suis interrompue dans ma gourmande réflexion par une femme dont je ne distingue d'abord que le fichu délavé qui entoure son visage et les montures épaisses de ses lunettes. Elle tient sans ses mains ridées aux ongles noirs deux paquets de levure et me demande d'une voix inquiète: "Vous savez faire les gâteaux vous?" Comme je suis très imbue de ma personne, j'ai dit:"Ah oui oui bien sûr. Je sais faire du gâteau au double yaourt, de la pizza au chocolat, du brownie au creamcheese, de l'upside down tatin cake aux pommes... D'ailleurs vous connaissez Annie Bell et Nigella Lawson?"
Mais non.
J'ai juste dit: "Euh oui... Je peux vous aider?"
En fait, elle voulait juste savoir le différence qu'il existait entre les deux sachets de levure qu'elle me tend. Je jette un oeil et je lui explique qu'il s'agit pour l'un de levure classique et que l'autre promet des effets miraculeux sur la longévité du moelleux des gâteaux grâce à diverses molécules chimiques. Elle me dit gravement: "Mais vous, vous, qu'est-ce que vous prenez?" Le ton important qu'elle emploie pour cette simple question me fait l'observer un peu mieux et je constate que son regard, derrière les gros verres, est terriblement angoissé pour un sujet aussi léger qu'un peu de poudre à lever. Je lui dit que la levure classique est très bien et, après un rapide coup d'oeil aux prix, qu'elle est aussi bien moins cher. Elle saisit alors mon poignet et demande fiévreusement: "Mais est-ce que les gâteaux seront bons?" Comme je suis un peu décontenancée et que je réfléchis une seconde avant de répondre, elle enchaîne et je comprends mieux. Pendant deux bonnes minutes elle parlera sans s'interrompre de sa nièce, de la marche à quatre pattes, du gâteau d'anniversaire, je ne me souviens plus exactement de tout parce que ça va très très vite et que ça part dans tous les sens, je me souviens mieux de son regard, inquiet, qui semblait voir des choses qui pour moi restent invisibles. Au terme de sa logorrhée insensée, je lui ai juste redis posément qu'elle ferait bien de prendre la levure classique, qu'elle ne devait pas s'inquiéter, son gâteau serait sûrement délicieux. Elle a reposé l'autre sachet et a tourné les talons sans autre commentaire.
Les printemps sont accueillis chez moi avec une certaine angoisse en raison d'une allergie saisonnière rebelle à toute désensibilisation. Cette période d'invasion pollinique est tellement bruyante que G. en est venu à ma surnommer affectueusement Patchoumi (qui a ri dans l'assistance?) Ma seule consolation réside dans cette rumeur selon laquel Marcel P. souffrait de la même affection mais bon, elle est bien maigre quand j'ai envie de m'arracher le visage tant j'ai les yeux et l'appendice nasal en feu. Il y quelques années, j'étais en train de pique niquer dans le jardin du Luxembourg, quand mon allergie de manifestation d'habitude fort modérée à Paris, décida de s'inviter en provoquant un long saignement de nez. Mes voisins de pique nique, de très gentils Italiens, m'ont offert de l'eau glacée et des mouchoirs en papier mais l'épistaxis ne voulait pas se tarir. Un monsieur d'un certain âge, très élégant dans son allure, s'est approché et m'a alors conseillé, tout en continuant de faire pression sur la narine coupable, de lever le bras controlatéral. N'ayant pas peur du ridicule, et parce que c'était gentiment dit, je me suis exécutée. Le saignement a cessé, certainement davantage par épuisement que grâce à ma drôle de posture mais bon, le monsieur élégant était ravi et m'a proposé de faire quelques pas à ses côtés dans le parc. Ainsi avons-nous déambulé sous un soleil de plomb, je n'ai pas dit grand chose, je l'ai écouté raconté sa vie, sa carrière de chercheur, je ne sais plus très bien, mais c'était chouette. Quand la balade s'est terminée, nous nous sommes poliment dit au revoir. "Gardez toujours votre gracieux sourire Patoumi" a-t-il ajouté avant de tourner les talons.
Quel genre de rencontres et de discussions impromptues peut-on faire dans la salle bondée de Rose Bakery? Si l'on s'en tient aux photos du livre, on a des chances de croiser des Japonaises qui gardent leur bonnet de laine noir pour boire un thé. J'ai voulu leur livre dès que je l'ai vu et, pour ne pas être trop intimidée, j'ai choisi de faire leur cheesecake, une recette simple et rapide (ce qui est un critère important en ces temps mouvementés -une pensée pour S. qui dans le chaos, sait rester vaillante-).
Au final, ce cheesecake est délicieux, même s'il ne révolutionne pas le concept, sa texture est douce et fondante et il présente pour moi l'avantage de disposer de proportions précises alors que je fais toujours mes cheesecakes à vue avec les produits laitiers à disposition.
Le cheesecake de Rose Bakery
Pour huit personnes
La base biscuitée
-180g de digestives écrasés (il y en a chez Monop, pas loin des sachets de levure)
-60g de beurre fondu
La crème
-800g de ricotta
-200g de Saint Morêt ou assimilé
-130g de sucre
-le jus et les zestes de deux citrons
-1 cuillère à café d'extrait de vanille
-une pincée de cannelle qui n'est pas du tout obligatoire
-5 oeufs entiers et un jaune
-200mL de crème fraîche
-une cuillère à café de farine
Mélanger les digestives avec le beurre, étaler la préparation dans un moule en tassant un peu.
Mélanger dans l'ordre les fromages, le sucre, le jus et les zestes de citron, la vanille, les oeufs, la crème et la farine. Bien mélanger, la préparation doit être lisse.
Verser la crème sur les biscuits et faire cuire environ 45 minutes dans un four préchauffé à 180° (la surface ne doit pas dorer, la crème doit rester un peu tremblotante).
Laisser refroidir avant d'entreposer au réfrigérateur pendant une demie journée au moins.
Avec de la confiture de fraises maison, c'est très bon.