mardi 29 mai 2007

Levure, épistaxis, et le cheesecake de Rose Bakery

J'aime bien échanger quelques mots avec les gens que je croise dans le train, ou à la caisse du supermarché, ou autour de l'étal de la maraîchère qui vend des fraises délicieuses tous les mercredis matins, sur le marché de la place Saint Germain, à condition bien entendu que les gens se montrent disposés à converser.
A Monop, on fait souvent de drôles de rencontres. Plusieurs personnes de mon entourage aiment à dire que c'est un supermarché bourgeois, ce qu'une observation attentive des files d'attente aux caisses démentirait assez aisément. Un soir, alors que je m'apprêtais à choisir des tablettes de chocolat, je suis interrompue dans ma gourmande réflexion par une femme dont je ne distingue d'abord que le fichu délavé qui entoure son visage et les montures épaisses de ses lunettes. Elle tient sans ses mains ridées aux ongles noirs deux paquets de levure et me demande d'une voix inquiète: "Vous savez faire les gâteaux vous?" Comme je suis très imbue de ma personne, j'ai dit:"Ah oui oui bien sûr. Je sais faire du gâteau au double yaourt, de la pizza au chocolat, du brownie au creamcheese, de l'upside down tatin cake aux pommes... D'ailleurs vous connaissez Annie Bell et Nigella Lawson?"
Mais non.
J'ai juste dit: "Euh oui... Je peux vous aider?"
En fait, elle voulait juste savoir le différence qu'il existait entre les deux sachets de levure qu'elle me tend. Je jette un oeil et je lui explique qu'il s'agit pour l'un de levure classique et que l'autre promet des effets miraculeux sur la longévité du moelleux des gâteaux grâce à diverses molécules chimiques. Elle me dit gravement: "Mais vous, vous, qu'est-ce que vous prenez?" Le ton important qu'elle emploie pour cette simple question me fait l'observer un peu mieux et je constate que son regard, derrière les gros verres, est terriblement angoissé pour un sujet aussi léger qu'un peu de poudre à lever. Je lui dit que la levure classique est très bien et, après un rapide coup d'oeil aux prix, qu'elle est aussi bien moins cher. Elle saisit alors mon poignet et demande fiévreusement: "Mais est-ce que les gâteaux seront bons?" Comme je suis un peu décontenancée et que je réfléchis une seconde avant de répondre, elle enchaîne et je comprends mieux. Pendant deux bonnes minutes elle parlera sans s'interrompre de sa nièce, de la marche à quatre pattes, du gâteau d'anniversaire, je ne me souviens plus exactement de tout parce que ça va très très vite et que ça part dans tous les sens, je me souviens mieux de son regard, inquiet, qui semblait voir des choses qui pour moi restent invisibles. Au terme de sa logorrhée insensée, je lui ai juste redis posément qu'elle ferait bien de prendre la levure classique, qu'elle ne devait pas s'inquiéter, son gâteau serait sûrement délicieux. Elle a reposé l'autre sachet et a tourné les talons sans autre commentaire.
Les printemps sont accueillis chez moi avec une certaine angoisse en raison d'une allergie saisonnière rebelle à toute désensibilisation. Cette période d'invasion pollinique est tellement bruyante que G. en est venu à ma surnommer affectueusement Patchoumi (qui a ri dans l'assistance?) Ma seule consolation réside dans cette rumeur selon laquel Marcel P. souffrait de la même affection mais bon, elle est bien maigre quand j'ai envie de m'arracher le visage tant j'ai les yeux et l'appendice nasal en feu. Il y quelques années, j'étais en train de pique niquer dans le jardin du Luxembourg, quand mon allergie de manifestation d'habitude fort modérée à Paris, décida de s'inviter en provoquant un long saignement de nez. Mes voisins de pique nique, de très gentils Italiens, m'ont offert de l'eau glacée et des mouchoirs en papier mais l'épistaxis ne voulait pas se tarir. Un monsieur d'un certain âge, très élégant dans son allure, s'est approché et m'a alors conseillé, tout en continuant de faire pression sur la narine coupable, de lever le bras controlatéral. N'ayant pas peur du ridicule, et parce que c'était gentiment dit, je me suis exécutée. Le saignement a cessé, certainement davantage par épuisement que grâce à ma drôle de posture mais bon, le monsieur élégant était ravi et m'a proposé de faire quelques pas à ses côtés dans le parc. Ainsi avons-nous déambulé sous un soleil de plomb, je n'ai pas dit grand chose, je l'ai écouté raconté sa vie, sa carrière de chercheur, je ne sais plus très bien, mais c'était chouette. Quand la balade s'est terminée, nous nous sommes poliment dit au revoir. "Gardez toujours votre gracieux sourire Patoumi" a-t-il ajouté avant de tourner les talons.
Quel genre de rencontres et de discussions impromptues peut-on faire dans la salle bondée de Rose Bakery? Si l'on s'en tient aux photos du livre, on a des chances de croiser des Japonaises qui gardent leur bonnet de laine noir pour boire un thé. J'ai voulu leur livre dès que je l'ai vu et, pour ne pas être trop intimidée, j'ai choisi de faire leur cheesecake, une recette simple et rapide (ce qui est un critère important en ces temps mouvementés -une pensée pour S. qui dans le chaos, sait rester vaillante-).
Au final, ce cheesecake est délicieux, même s'il ne révolutionne pas le concept, sa texture est douce et fondante et il présente pour moi l'avantage de disposer de proportions précises alors que je fais toujours mes cheesecakes à vue avec les produits laitiers à disposition.


Le cheesecake de Rose Bakery
Pour huit personnes

La base biscuitée
-180g de digestives écrasés (il y en a chez Monop, pas loin des sachets de levure)
-60g de beurre fondu

La crème
-800g de ricotta
-200g de Saint Morêt ou assimilé
-130g de sucre
-le jus et les zestes de deux citrons
-1 cuillère à café d'extrait de vanille
-une pincée de cannelle qui n'est pas du tout obligatoire
-5 oeufs entiers et un jaune
-200mL de crème fraîche
-une cuillère à café de farine

Mélanger les digestives avec le beurre, étaler la préparation dans un moule en tassant un peu.
Mélanger dans l'ordre les fromages, le sucre, le jus et les zestes de citron, la vanille, les oeufs, la crème et la farine. Bien mélanger, la préparation doit être lisse.
Verser la crème sur les biscuits et faire cuire environ 45 minutes dans un four préchauffé à 180° (la surface ne doit pas dorer, la crème doit rester un peu tremblotante).
Laisser refroidir avant d'entreposer au réfrigérateur pendant une demie journée au moins.
Avec de la confiture de fraises maison, c'est très bon.

samedi 19 mai 2007

Géographies de la banane et tartelettes créoles

La banane nature, juste déshabillée de sa peau tigrée, je ne l'aime pas beaucoup. Je trouve qu'il y en a trop, on finit par se lasser. Par contre, j'aime bien
-la banane en rondelles sur les tartines de pain complet à la Vache qui rit préparées par mon grand-père au petit-déjeuner.
-les petites bananes dans le dessert au tapioca et au lait de coco de ma maman. Je me souviens en avoir dégusté, dans des petits ramequins, en regardant Jean Rochefort raconter les aventures de Winnie l'Ourson à Jean-Christophe, le petit garçon au pull over rouge, le samedi soir dans Dysney Channel.
-la banane découpée en morceaux et mélangée à du fromage blanc et du muesli au chocolat dans mon grand bol japonais vert et sa lente ingestion la veille du concours de première année de médecine, en écoutant à la radio le palmarès du festival de Cannes.
-les gâteaux au riz gluant fourrés à la banane plantain et cuits à la vapeur dans des feuilles de bananier que prépare ma grand-mère pour la fête des morts.
-les petites bananes qui font briller de gourmandise le regard de mon papa, comme lorsqu'il y a sur la table des mangoustans, du durian, des longans...
-le cheesecake à la banane et à la confiture de lait qu'aime G.
-la crêpe à la banane et au chocolat de la crêperie des lices où les dames sont si gentilles, pour laquelle on est tenté parfois de demander un peu de chantilly, mais en fait, c'est inutile.
-le cake à la banane dont on a longtemps cherché la recette parfaite et qui embaume la maison pendant sa cuisson.
-le rôti de porc à la banane que faisait G. autrefois mais que je n'ai jamais goûté...

Et puis ces tartelettes à la banane et au chocolat, promises à Cathy qui réunit décidément toutes les qualités de maman wonder woman (qui n'est pas encore au courant de ses derniers courageux exploits en cuisine?). Cette version est un peu mois bikini que la tienne Cathy, mais la ganache fondante mêlée à la délicate pâte sablée et aux bananes caramélisées et flambées au rhum est juste... délicieuse!


Les tartelettes chocolat/bananes flambées (inspirées de la tarte antillaise de ce livre, le premier livre de cuisine offert par G.)

Pour 4 tartelettes (en doublant toutes les proportions, vous pourrez faire une tarte de 23 cm de diamètre)

Pour la pâte sablée:
-125g de farine T80
-75g de beurre demi-sel froid en petits morceaux
-15g de poudre d'amandes
-45g de sucre
-un demi oeuf

Pour la ganache au chocolat:
-75g de chocolat à 70% de cacao (j'ai pris du Valrhona et force est de constater que le goût, le parfum, la longueur en bouche, n'ont rien à voir avec le Nestlé de d'habitude)
-8cL de crème fleurette
-20g de beurre

Pour les bananes caramélisées et flambées:
-2 bananes
-12,5g de beurre
-12,5g de rapadura
-12,5cL de rhum

Préparer la pâte. Mélanger le demi oeuf et le sucre dans un petit bol. Réserver.
Mélanger la farine et le poudre d'amandes.
Ajouter le beurre et mélanger du bout des doigts jusqu'à obtenir un sable homogène.
Faire un puits et y verser le mélange du petit bol.
Former un boule de pâte et la laisser au moins deux heures au réfrigérateur entourée de film étirable.
Au bout de ce temps, foncer vos moules. Les faire cuire environ 20 minutes dans un four préchauffé à 180°, jusqu'à ce que les bords soient bien dorés (en fait, je les fais cuire d'abord dix minutes à blanc avec petits trous et haricots secs sur papier sulfurisé puis un encore dix minutes après avoir enlevé tout cet équipement, mais je ne sais pas si c'est vraiment nécessaire, finalement).
Laisser refroidir.
Pour la ganache, concasser le chocolat, faire bouillir la crème, la verser sur le chocolat, mélanger doucement, ajouter le beurre en petits morceaux, lisser la préparation.
Répartir la ganache sur les fonds de tarte et entreposer le tout au réfrigérateur.
Pour les bananes flambées, les couper en rondelles et les faire revenir à feu doux avec le beurre et le rapadura environ 4 minutes de chaque côté puis les flamber avec le rhum.
Disposer les rondelles de bananes sur les tartes, et voilà. Je préfère les laisser encore quelques temps au réfrigérateur (mettons une demie heure) mais si ça se trouve, les bananes tièdes sur la ganache fraîche, c'est très bon aussi.

mercredi 16 mai 2007

Les assiettes de l'Elysée et la résolution de la controverse de la tarte aux pommes

Quand j'avais moins de six ans, pour jouer à la dînette avec ma petite vaiselle en plastique blanc agrémentée de motifs floraux orange/marron/rouge (c'était les couleurs branchées de l'époque. En fait, j'avais aussi un set Maya l'abeille mais je ne sais pour quelle obscure raison, il était toujours délaissé au profit de l'autre, je crois même que j'avais reconverti le plat à rôti en petit lit pour peluche -en l'occurrence une souris avec une salopette en velours rouge côtelé pour laquelle j'ai versé toutes les larmes de mon corps après l'avoir égarée je ne sais où-), ma maman me donnait généreusement des pépins de pomme, des queues de haricots verts et moult épluchures d'orange et de citron. Avec toutes ces précieuses victuailles, parfois agrémentées de morceaux de chewing gum à la fraise (non encore mâchés il s'entend) j'aimais beaucoup imaginer que je recevais le Président de la République à dîner et que je lui servais alors un délicieux pâté de lapin au cerfeuil et qu'il s'en lèchait les babines, expression fort mystérieuse pour la petite fille que j'étais. Il faut croire que je m'estimais être une cuisinière suffisament émérite pour recevoir celui qui représentait peut-être alors pour moi la plus haute instance qui puisse exister, du moins celle qui avait droit de décision sur nos conditions de vie.
Pourtant, je viens d'apprendre ce midi qu'il n'est pas facile de cuisiner pour le Président de la République. En effet, à l'heure où je déjeune, la radio diffuse une série d'émissions intitulée Histoire de... d'un intérêt parfaitement aléatoire mais depuis le début de l'année, j'ai appris tout un tas de choses sur l'histoire de l'amour, du judaïsme, du rock... et plus récemment des présidentielles puis de l'Elysée. Aujourd'hui, alors que je défaisais l'enveloppe qui contenait ma convocation officielle pour l'internat (gloups. Je m'en suis beurré un deuxième petit morceau de pain), l'auteur de l'émission m'annonce qu'il va nous parler des cuisines de l'Elysée et mon coeur a fait un bond en repensant au pâté de lapin au cerfeuil.
Il faut savoir que pour servir le Président et ses hommes, une brigade rapprochée de sept cuisiniers et leurs petits marmitons, officient dans une cuisine de deux cents mètres carrés, dont quarante mètres carrés sont dévolus à la pâtisserie, située au sous-sol de l'aile ouest de la bâtisse. Cette disposition a condamné les couples présidentiels à dîner de soupes tièdes et de glaces à demie fondues jusqu'à l'installation de Pompidou qui décide d'aménager une petite cuisine juste à côté de la salle à manger (située au niveau de l'aile est, donc à l'exact opposé de la cuisine principale) où les plats finissent d'être préparés afin d'être servis chauds bouillants ou froids glacés selon les nécessités.
De Gaulle, qui n'a apparemment pas été gêné par ces contingences thermiques, avait pour ses repas personnels des goûts forts simples nous dit-on, preuve en est ce menu du 28 novembre 1967 où le couple de Gaulle dîne avec plaisir d'un potage, puis de ris de veau braisés accompagnés d'endives également braisées et d'un fruit. Le Général est en revanche beaucoup plus exigeant quant à la ponctualité: on déjeune à 12h10 précises et on dîne à 20h15. Son propre fils est condamné à attendre le plat s'il arrive alors que l'entrée a déjà été servie. Si les repas personnels se veulent simples, madame de Gaulle choisit avec soin dans le guide Escoffier les plats qu'elle désire voir servir lors de leurs réceptions. Ainsi, le 17 octobre 1967, le Président de la République Islamique du Pakistan aura droit comme il se doit à l'époque d'un menu composé de quatre plats et d'un dessert (avec entre autre, consommé a la Royale, suprême de sole armorique et caneton des Challans rôti) alors que sous Poincaré, le menu de dix plats où se succèdent huîtres de Zélande, oeufs à la Grimaldi, langue de boeuf à la créole et autre foie gras glacé au champagne, n'est pas exceptionnel.
Les réceptions en présence de chefs d'Etat étrangers revêtaient une importance telle (il fallait que la France asssure sa réputation et par là-même affirme sa puissance) qu'au milieu des années 60, alors que les menus destinés à la venue du roi d'Arabie Saoudite ont déjà imprimé en lettres d'or qu'il y aura en entrée du saumon braisé aux queues d'écrevisses et qu'il est impossible d'en trouver en France car ce n'est alors pas la saison, un simple appel du Quai d'Orsay à l'ambassade d'Ankara fera venir en urgences les crustacés turcs qui voyageront dans une valise diplomatique.
La brigade des cuisiniers élyséens finit même par être de tous les déplacements présidentiels suite à une décision de Valéry Giscard d'Estaing. Ainsi, lorsqu'une ambassade française reçoit un chef d'Etat à l'étranger, les plats commencent à être préparés à l'Elysée avant de recevoir sur place leur touche finale. Cela donne lieu à d'étonnants déploiements de moyens, comme pour ce repas à Brasilia en 1978: trois jours avant le dîner un avion s'envole de Paris avec à son bord des aiguillettes de boeuf, de la pâte (futures aiguillettes de boeuf en croûte donc), de la nougatine glacée, des fromages, des laitues... Or, les soixante quinze salades destinées à accompagner le fromage vont arriver absolument brûlées sur le sol brésilien. Horreur! Malheur! Mais non, ce n'est rien, un petit coup de fil au secrétariat de VGE et de belles laitues venues directement de Rungis seront envoyées dès le lendemain.
Les cuisiniers de l'Elysée n'officient pas seulement pour le couple présidentiel et leurs invités internationaux, il faut aussi nourrir tous les chargés de mission, les secrétaires d'Etat et consors. Et il faut qu'il y ait du renouvellement s'il-vous-plaît. Au milieu des années 80, un nouveau chef entre en exercice. Joël Normand, pour établir ses menus, décide alors de faire un grand tableau où il avait consigné tous les "J'aime/j'aime pas" des résidents de l'Elysée. Cela lui permettait de s'y retrouver entre celui qui n'aime pas le lapin, la poule au pot, les crustacés mais pas le poisson, celui dont la vieille maman qui vient régulièrement déjeuner adore par dessus-tout le soufflé au Grand Marnier et à la maïzena (!)...
Il y eut parfois des débats houleux entre les cuisiniers et le chef de l'Etat quant à la réalisation de certains plats. Ainsi, VGE et son pâtissier se sont-ils quelque peu heurtés sur le concept de la tarte aux pommes. Pour le Président, elle ne pouvait être qu'à la compote avec des pommes en fines lamelles alors que son chef défendait ardemment la tarte à la crème pâtissière recouverte de pommes en fines rondelles. Evidemment, VGE eut le dernier mot.
Par un étrange concours de circonstances, cet épisode de Histoire de... fut précédé d'une session de Tout arrive! consacrée à la précarité et on a un peu la nausée d'entendre parler de tout ce faste présidentiel quand d'autres personnes viennent d'évoquer l'absolue nécessité de s'enivrer pour atteindre la désinhibition nécessaire pour mendier.

Pour rester simple, la recette de la tarte aux pommes que l'on aime ici.
La pâte est la même que celle des tartes au cream cheese.
Pour quatre tartelettes, il vous faudra quatre pommes, coupées en lamelles un peu épaisses et revenues à feu doux avec du beurre salé, du jus d'orange et du rapadura (disons trois cuillères à soupe de jus d'orange et deux grosses cuillères à soupe de rapadura), jusqu'à ce qu'elles soient fondantes.
On les répartit joliment sur les fonds de tarte cuits à blanc et on remet un quart d'heure au four à 180°.
C'est délicieux tiède, avec un peu de glace à la vanille.

mercredi 9 mai 2007

La vocation des marathoniennes et les petites tartes chocorange/cream cheese

Ma maman aime à raconter qu'elle parlait souvent avec son ventre lorsque j'y séjournais, elle disait entre autres choses :"Toi tu seras docteur..." Quelle drôle d'idée.
Est-ce une bénédiction ou une malédiction? Le fait est qu'il y a dans les caisses poussiéreuses du grenier, au milieu d'autres écrits (comme les lettres que j'écrivais à mon papa chaque soir où il rentrait tard, quand j'étais déjà couchée -ou quand je faisais semblant de dormir pour n'inquiéter personne- et que ma maman partait à son tour au travail. C'est assez étrange quand on est enfant de se brosser les dents puis d'aller se coucher avec ses livres préférés tandis que dans la pièce d'à côté, la maman regarde le journal télévisé, puis, après la météo, enfile son manteau, vient faire un dernier baiser, vérifie qu'il y a bien un verre d'eau à portée de main et dit l'air de rien "Dors bien, à demain". Dans ces lettres, écrites après le repas sur la table de la cuisine sur des feuilles quadrillées détachées d'un bloc orange que j'aimais beaucoup, je racontais ma journée par le menu, une large part étant effectivement laissée à la composition du goûter et du dîner. Je n'ai jamais relu ces lettres, j'ai peur de fondre en larmes), des rédactions d'école primaire où je dis avec aplomb que plus tard, "Je serai docteur pour aider tout le monde et avoir plein de livres". Quelle ambition, Patoumi.
Pourtant, à l'adolescence, j'ai pensé à d'autres métiers. J'ai voulu être écrivain, historienne, critique de cinéma et surtout journaliste... mais je n'ai pas eu le cran de me frotter aux études qui mènent dans ces espaces-là, c'était plus rassurant de faire médecine. En fait, au moment de choisir, j'ai beaucoup hésité mais je ressentais une immense culpabilité quand j'imaginais m'éloigner du métier de soignant et ce sentiment était si insupportable que je me suis enfuie avec peu de grâce et sans doute beaucoup de lâcheté de ma classe d'hypokhâgne. Je me souviens de l'intense soulagement ressenti le premier jour des cours de médecine (et pourtant, c'était absolument glauque cet immense amphithéâtre plein à craquer, avec des étudiants sur les marches, les cris des redoublants, le cours d'anatomie à prendre en notes à la volée alors que l'on n'a jamais entendu parler de sterno-cléïdo-mastoïdien de toute sa vie), je me sentais à ma place, j'étais soulagée de penser que ce que j'allais apprendre ne servirait pas à des finalité égoïstes mais me permettrait d'aller partout dans le monde en étant utile. C'était cela l'image que j'avais du médecin quand j'avais dix huit ans, un type qui pouvait silloner la planète avec sa valise bourrée d'instruments et de médicaments et qui était à même de sauver quiconque, même s'il parlait une langue inconnue puisque le corps n'a qu'un langage.
Les gens qui avaient déjà été reçus disaient: "Ceux qui n'ont pas le concours, ce sont ceux qui ne le veulent pas vraiment." Je reste sceptique quant à cette assertion puisque je doute que seuls les quatre vingt huit reçus sur les huit cents que nous étions, caressaient le doux rêve de porter un jour la blouse (avec le stéthoscope dans la poche, pas autour du cou, il n'y a que les prétentieux qui se prennent pour le docteur Ross qui font ça) mais il n'en reste pas moins que je n'ai jamais vraiment douté que j'aurai le concours, comme si effectivement, y croire, c'était déjà faire la moitié du chemin. Il ne faut pas beaucoup d'intelligence, ni même d'esprit pratique pour avoir ce concours; je crois qu'il faut juste beaucoup de patience et d'auto-discipline. Tous les jours accepter de se lever à la même heure et se remettre à l'ouvrage, lire dix, vingt, cent, mille fois le même cours jusqu'à pouvoir le réciter, même à l'envers. Il y a la chance aussi, et le sang froid que j'ai été très étonnée d'avoir quand la dernière épreuve a été annulée puis reportée à la semaine suivante pour cause d'alerte à la bombe.
Ce qui est étrange dans cette envie de devenir médecin, c'est qu'il s'agit quand même de passer sa vie auprès de gens souffrant et ça, c'est quand même pas très drôle. Avant la rentrée universitaire en deuxième année, chaque étudiant fraîchement reçu, doit passer un mois dans un service hospitalier avec un emploi du temps calqué sur celui d'une infirmière. Et c'est comme cela que, sans aucune préparation psychologique et le cerveau légèrement lobotomisé par les automatismes acquis pour le concours, on se retrouve à passer son mois de septembre dans un service de cancérologie à faire la toilette de patients à l'agonie. Ce n'était que le début de longues épreuves qui j'espère vont s'achever les 12 et 13 juin prochain, au moment de passer l'internat. Une étudiante croisée dans un service de cardiologie alors qu'elle même s'apprêtait à passer ce deuxième concours et que je commençais tout juste à découvrir les rouages de l'hôpital, m'avait dit gravement en me voyant peiner sur un dossier: "Il faut garder des forces tu sais. C'est un marathon ces études..." Je me souviens parfaitement de son regard épuisé derrière ses lunettes carrées et je repense souvent à elle en ce moment et à cet instant de sollicitude comme il y en a peu dans ce milieu. Combien de fois n'ai-je pas entendu: "T'es folle (!) de vouloir être psychiatre, tu vas faire dix ans d'études pour être assistante sociale!" Quelle représentation de la maladie mentale...
Pendant longtemps j'en ai voulu à ma maman d'avoir exprimé si fort son envie de me voir médecin, je trouvais cela égoïste et insensé (de quoi suis-je si coupable pour avoir à payer un tribut à l'humanité toute entière ma vie durant?) mais j'ai la conviction depuis quelques mois que je n'aurais pas aimé exercer un autre métier, aussi grand reporter soit-il. Je ne me lasse jamais du contact avec les patients, j'aime écouter leurs histoires, leurs plaintes, leurs confidences, j'aime à penser que je peux soulager leur peine. J'ai de grandes périodes de découragement en ce moment, chaque jour je vois se rapprocher le concours et je vois mes lacunes qui ne se comblent pas, du moins pas très vite, j'ai la peur au ventre, le cerveau en feu mais je suis soulagée de ne plus douter.

Les tartelettes résultent d'un grand moment d'abattement où je ne pouvais plus voir mon bureau en peinture, G. a insisté pour que je pâtisse alors que je n'avais qu'une envie, celle de me mettre au lit pour le restant de la journée. Il faut croire qu'on est bien inspiré quand on est angoissé: ces petites tartes sont fraîches et délicates, le chocolat parfumé à l'orange est tempéré par la douceur de la crème... j'en referai (mais pas besoin d'être angoissé pour autant!)
La confiture au chocolat va vraiment très bien avec le reste mais sans doute une compote de fruits, une ganache au chocolat ou du Nutella feraient aussi très bien l'affaire...


Les tartelettes chocorange/cream cheese

Pour 4 tartelettes
La pâte sucrée
-125g de farine T80
-15g de poudre d'amande
-75g de beurre froid en petits morceaux
-40g de sucre
-un demi oeuf

Le cream cheese
-100g de fromage frais
-60g de petit suisse
-une grosse cuillère à soupe de crème fraîche
-un oeuf
-un peu de sucre

Et puis quatre cuillères à soupe de confiture au chocolat et à l'orange confite mais que vous pouvez remplacer par de la compote de fruits, du Nutella...

Préparer la pâte. Pour cela, mélanger la farine et la poudre d'amandes puis ajouter le beurre et malaxer du bout des doigts pour obtenir un mélange sableux assez homogène.
Faire un puits.
Mélanger le demi oeuf et le sucre dans un petit bol, mélanger à la fourchette et verser la mixture dans le puits. Amalgamer pour former une boule de pâte. L'entourer de papier film et la laisser au moins deux heures au réfrigérateur.
Au bout de ce temps, foncer les moules et faire cuire la pâte à blanc une dizaine de minutes dans un four préchauffé à 180° (les bords doivent être à peine dorés).
Pendant ce temps, mélanger tous les ingrédients de la crème, la préparation doit être lisse.
Quand la pâte est prête, étaler une cuillère à soupe de confiture sur chacun des fonds et recouvrir de la crème.
Faire cuire environ une demie heure à 180° (la crème tremblote juste un peu au milieu).
Laisser refroidir à température ambiante avant d'entreposer au réfrigérateur une douzaine d'heures.


Merci eva, pour la contribution aux photos, et pour le reste.

mardi 1 mai 2007

Soir d'orage et la pizza chocolabricot de monsieur Conticini

Hier soir, de grands éclairs ont zébré le ciel rennais tandis que je tournais fébrilement les pages d'un livre de cardiologie. L'orage a duré longtemps, de grosses gouttes de pluie ne cessaient de s'écraser sur le bitume, les flaques grossissaient à toute vitesse, les gens couraient pour s'abriter sous les arcades de la Poste (je suis sortie de mon bureau et je suis restée quelques minutes devant la baie vitrée du salon à observer tout ces mouvements d'eau, de gens). J'avoue, quand je suis revenue travailler, j'ai pensé à autre chose qu'aux valvulopathies.
J'ai pensé à une recette de "ragù al agnello" de Laura Zavan, une sauce pour les pâtes avec de la souris d'agneau, des tomates, du poivron rouge. Il y a tout ce qu'il faut pour en faire, je me suis dit qu'il faudrait faire la suggestion à G. et que s'il était d'accord, alors j'irai chercher des pâtes fraîches chez "les filles" (c'est comme cela que nous appelons une épicerie-traiteur-petite restauration du midi aux accents méditerranéens de la rue Vasselot tenue par trois filles très gentilles. Elles font une délicieuse focaccia aux légumes, des supions a la plancha extras, un sandwich légumes grillés/jambon de Parme/gorgonzola délicieux à savourer les yeux fermés en songeant à des vacances romaines).
J'ai repensé à la rencontre faite à Monop trois heures plus tôt. Alors que nous étions en train de déviser devant la pertinence de l'achat de blinis (conversation qui s'est rapidement résolue grâce à eva), un visage familier me sourit et vient me saluer sans la moindre hésitation malgré le "Je ne t'avais pas reconnue!" qui suivra le salut. Il faut dire que le jeune homme qui a déboulé sur nous est un ancien camarade de lycée et que je n'avais pas exactement la même tête en ces temps reculés. A cette époque-là, j'avais un méchant carré moche et quelques kilos de plus, c'était pas brillant. Je suis toujours un peu embarrasée par ce genre de rencontre, j'ai l'impression de n'avoir rien d'autre à dire que d'atroces banalités et j'ai un peu peur que mon interlocuteur se dise "Ben dis donc, ça s'est pas arrangé, elle est toujours aussi dérangée!" Cette angoisse me tachycardise et j'ai beaucoup de mal à me concentrer sur la conversation; il parle de droit constitutionnel, de DEA, je ne me souviens plus exactement et puis ces histoires juridiques je ne les comprends pas plus (que les notes artistiques de la juge biélorusse). Il m'est arrivé d'apprendre via internet ce que sont devenus d'anciens camarades d'école et ça me remue toujours beaucoup, sans que je sache vraiment pourquoi. C'est comme lorsque je rentre chez mes parents et que je croise au supermarché mademoiselle K. toute contente d'être enceinte ou que le journal local m'informe que la pire chipie de ma classe de sixième vient de s'unir avec le pire idiot des cinquièmes.
Alors que le tonnerre ne cessait de gronder, je me suis demandée aussi comment les gens justifient un vote à droite par les temps qui courent, comment peuvent-ils légitimer leur décision en la considérant sur un plan moral? En quoi des expulsions de sans-papiers, des dénonciations, un fichage ADN, une police omniprésente, peuvent-ils les rendre heureux? Quelle mesure de droite a contribué à améliorer leur confort? Penser que plus de seize millions d'électeurs cautionnent toutes ces idées nauséabondes me consterne.
J'ai préféré repenser à l'anniversaire de G. L'an dernier, par un heureux concours de circonstances, nous étions à Paris ce jour-là. Nous avions déjeuné chez Azabu, il y avait déjà des gens qui bronzaient sur les quais, nous avions bu un zenzoo pour nous rafraîchir avant d'aller voir l'expo Douanier Rousseau au Grand Palais. Le soir, chez une cousine de G. qui habite du côté de Bagnolet, nous avions dîné en terrasse et nous avions fait une orgie de pâtisseries de chez Sadaharu Aoki. Cette année, j'avais proposé à G., plutôt que de dîner au restaurant, de lui préparer tout ce dont il aurait envie. Il a beaucoup réfléchi, longtemps hésité, et pour le dessert son choix s'est finalement porté sur la pizza aux abricots de la page 114 des Tentations de Philippe Conticini. C'est un dessert tout ce qu'il y a de plus indécent tant il est bon; j'avais un peu peur de tout ces mélanges mais monsieur Conticini s'y connait et je finis par croire que les granola à la confiture de framboise de son dernier livre doivent finalement être fameux. Quant à la pizza, il s'agit d'une pâte parfumée au cacao, renfermant des éclats de chocolat au lait à la nougatine et des éclats de chocolat noir, recouverte de compote de rhubarbe sur laquelle il s'agit de répartir élégamment des oreillons d'abricots au sirop et un mélange de confiture d'abricots et de minuscules dés d'abricots secs. Quelques amandes effilées pour faire joli et puis un peu de crème crue à la sortie du four... J'en ai envie rien que d'y repenser!


La pizza chocolat, abricots et rhubarbe de Philippe Conticini
Les proportions qui suivent permettent de faire trois pizzas de 20cm de diamètre, je les ai divisées par deux pour faire une pizza de 24cm de diamètre, ce qui convient pour quatre personnes.

Pour la pâte à pizza
-18cL de lait demi-écrémé
-75g de chocolat noir à pâtisser
-375g de farine
-20g de levure de boulanger (j'ai mis un sachet de Briochin et ça a très bien marché)
-une cuillère à café rase de sel
-3cL d'eau tiède
-2 jaunes d'oeufs
-60g de beurre (si vous utilisez du beurre demi-sel -ce qui est mon cas-, vous pouvez supprimer le sel sus-cité)
-45g de miel liquide d'accacia
-60g de chocolat au lait à la nougatine en tablette
-30g de chocolat noir

Pour la garniture
-des oreillons d'abricots (une petite vingtaine)
-4 cuillères à soupe bombées de confiture d'abricots
-3 abricots secs taillés en cubes minuscules
-300g de compote de rhubarbe (j'ai utilisé de la compote sans sucre industrielle -ouh!- mais elle était très bonne. Si vous voulez celle de monsieur Conticini, il faut 250g de rhubarbe surgelée, 50g de sucre semoule, 3,5 cL d'eau et le jus d'un demi citron)
-3 cuillérées à soupe de mascarpone (que j'ai remplacées par de la crème crue)
-quelques fruits secs concassés ou des amandes effilées
-un peu de cassonade
-3 brins de romarin (que je n'ai pas mis)

Pour la pâte, faire fondre le chocolat à pâtisser dans le lait chaud.
Pétrir (grâce aux crochets de votre batteur électrique que vous n'aviez jamais utilisés jusqu'ici) la farine, le sel, la levure, l'eau, les jaunes d'oeufs et le miel.
Ajouter le lait chocolaté à ce mélange et poursuivre le pétrissage (pendant 4 minutes dit Philippe Conticini).
Ajouter le beurre et pétrir encore pendant 6 minutes.
Ajouter les chocolats restant grossièrement concassés.
Couvrir d'un linge et faire lever la pâte près d'une source de chaleur.
Quand la pâte a doublé de volume, l'étaler sur du papier sulfurisé (si vous avez respecté les proportions cela doit vous faire trois pizzas de 20 cm de diamètre), la recouvrir d'un linge et la laisser lever encore trois quarts d'heure.
Au bout de ce temps, recouvrir la pâte de la compote de rhubarbe, répartir les oreillons et la confiture préalablement mélangée aux dés d'abricots secs.
Saupoudrer de quelques amandes effilés et du romarin si vous avez envie et enfourner pendant douze à quinze minutes dans un four préchauffé à 210°.
Philippe Conticini ajoute le mascarpone une minute avant la fin de la cuisson, nous avons préféré napper d'un peu de crème crue à la sortie du four.
Comme il le dit lui même "Hou là là, c'est bon!"

En bonus, quatre livres dont j'aurais bien aimé parler dans le dernier billet parce que j'avais passé un très bon moment en leur compagnie.