mardi 27 février 2007

Les petites galettes de la maman de Martin Winckler

Je n'étais jamais allée à Toulouse. Les personnes à qui j'avais évoqué cette escapade avaient répondu: "Ah la ville rose!" comme d'autres disent du gingembre: "Ah c'est aphrodisiaque!". De toute façon, comme nous sommes arrivés de nuit, la couleur de la ville ne m'a pas semblé très différente de d'habitude. A l'Hôtel Saint-Sernin, où nous avions une chambre petite mais douillette (avec un dessus de lit qui n'aurait pas déplu à Laura Ashley), nous avions vue sur la cathédrale que nous n'avons pu visiter car elle est fermée entre midi et deux (c'était le jour du départ, nous ne pouvions attendre), sans doute Dieu veut-il déjeuner en paix.
Avant d'entamer la journée, nous allions dévorer de belles tartines de pain grillé dans le café en bas de l'hôtel, le serveur s'amusant de nous voir demander du sel pour accommoder le beurre que réclamaient nos palais habitués au goût de la Bretagne. Un matin, deux amies discutaient autour d'un café à la table d'à-côté et parlaient si fort que nous avons regretté de ne pas avoir des paupières à nos oreilles, ce d'autant plus que l'une des demoiselles, particulièrement volubile et commençant ses études de médecine, expliquait avec enthousiasme à son interlocutrice qu'il règnait un intense sentiment d'intégration et d'amitié entre elle et ses petits camarades pour la simple raison qu'ils allaient passer beaucoup de temps ensemble pendant ces longues études. Je suis un peu consternée par un tel raisonnement, cela suppose qu'elle supporte avec plaisir des amis simplement imposés par la réussite à un concours. Bref, inutile de s'étendre sur ce que je pense des étudiants en médecine, il est juste étonnant de constater que des gens qui choisissent un métier au plus près de l'humain (tiens, comme le gingembre aphrodisiaque) peuvent claironner qu'ils préféreront travailler dans le privé pour ne pas avoir à s'occuper de "tous les craquos de l'hôpital public". Oui, parfaitement madame.
Heureusement à Toulouse il y a d'autre chose à entendre, à voir, à goûter.
Après avoir vu de très beaux Cranach (dont un étrange couple d'amoureux) à la Fondation Bemberg nous avons cherché un endroit où déjeuner. Cela a pris un certain temps mais sur le chemin qui menait à L'Entracte, nous sommes tombés sur une épicerie-cave très jolie (Les petits poids, 48 rue des Filatiers) d'où nous sommes ressortis avec deux nouveaux livres épuresques ainsi qu'un petit pot de pâté de courgette à la menthe, puis nous avons croisé un grand magasin de cuisine où je regrette de ne pas avoir acheté une cuillère à thé en forme de coeur (c'est mon indécision chronique qui a encore frappé. J'ai toujours besoin de grands moments de réflexion pour acheter quelque chose, surtout si cette chose est futile... et donc adorable et indispensable!)
A L'entracte, ils m'ont servi une tarte poireau/champignon alors que j'avais demandé endive/Saint-Jacques mais ce n'est pas grave parce que je n'avais qu'une hâte: passer au dessert. En effet, de là où j'étais assise j'avais une vue imprenable sur le comptoir à gâteaux où s'alignaient de façon indécente: une tarte au citron meringuée du plus belle effet, un cheesecake très épais, une tatin aux pommes dégoulinante de caramel doré et un gâteau à l'orange tout rebondi. J'ajoute que mon voisin a commandé sous nos yeux une part de gâteau de crêpes au chocolat que la serveuse est allée chercher en cuisine; quand elle l'a posé devant lui, sa compagne me regarde et dit: "Vous savez, on est venu exprès pour ça!" Il fallait que je vérifie la véracité des dires de cette jolie dame blonde et nous avons donc choisi ce même gâteau de crêpes et une part de tarte au citron.
Je comprends que l'on vienne de loin pour ce fameux gâteau de crêpes: les crêpes parfumées à la fleur d'oranger sont empilées les unes sur les autres sur une épaisseur d'une dizaine de centimètres, entre chacune d'elle vient se glisser une très fine couche de crème et le tout est recouvert de chocolat chaud fondu et de quelques amandes effilées. Evidemment, on peut le faire à la maison mais comme le dit mademoiselle Deseine dans le dernier Régal, parfois "Faire des crêpes, c'est stressant et soporifique" (j'avoue que ces deux concepts sont plutôt antinomiques, je retiendrai donc surtout "stressant". Qui a dit que j'angoissais pour pas grand chose?)
Quant à la tarte au citron, elle est juste venue confirmer ce que je pressentais depuis longtemps déjà: je l'aime SANS la meringue. Mais elle était bien acidulée, c'est déjà ça.
Pour digérer, nous sommes allés au Musée des beaux arts de Toulouse qui m'a permis de réviser les classiques de la Bible en riant beaucoup avec G. (j'ai ri un peu jaune aussi quand une petite fille avec d'épaisses lunettes s'est faite gronder par une surveillante du musée alors qu'elle effleurait intriguée les tétons d'une statue de femme nue allongée). J'en profite pour préciser que la plupart des musées de Toulouse sont gratuits pour les étudiants quel que soit leur âge et j'en connais qui devrait en prendre de la graine.
Bon, mais quel rapport avec les galettes de la maman de Martin Winckler?
Et bien figurez-vous que le lendemain, après une expédition jusqu'au centre d'art contemporain de Toulouse situé dans d'anciens abattoirs, après une petite halte dans une pâtisserie orientale où G. a acheté quelques douceurs à déguster avec un thé qui se révèlera infect, nous nous sommes retrouvés dans une librairie d'où je n'ai pu ressortir sans ce petit livre de Martin W. qui évoque tout ce qui le lie à la nourriture ou plus précisément au bonheur de manger.

Mais d'abord, un petit mot sur les Abattoirs. Après avoir vu des rouleaux de papier toilette sur les pales horizontales d'un ventilateur au CAPC de Bordeaux, nous avons vu un salon qui bave à Toulouse. Parfois on se dit que Marcel Duchamp a eu une très mauvaise influence sur ceux qui l'ont suivi. En tout cas, je n'y comprends rien.
A propos du thé infect, c'est entièrement de ma faute. C'est moi qui ai insisté pour essayer un salon de thé de la rue du Taur qui avait l'air tout mignon avec ses peintures aux murs et ses lampions colorés, le Sherpa, ça s'appelle . J'ai choisi un thé baptisé: "Les jardins oubliés", il était décrit comme ayant un goût de chataîgne, en fait ça ressemblait à une mauvaise soupe de navets. G., pour rester cohérent avec lui-même et ses pâtisseries orientales, avait choisi un thé à la menthe qui avait goût de shampooing à la menthe.
Bon, et ces galettes, alors?
En dévorant le livre de Martin W., j'ai découvert qu'il parle aussi bien de son attachement aux bonnes choses que de la violence des études de médecine ou de la solitude des médecins de campagne. Il donne envie d'un barbecue au soleil, de coleslaw bien frais, de cigares aux amandes, de caviar d'aubergine, de tchouchouka, d'une belle omelette, du jarret de veau sauce poulette de MPJ et de plateau télé devant Star Trek (comme Gracianne!). Et puis il évoque avec gourmandise et tendresse les petites galettes de sa maman; c'est MPJ qui les lui confectionne désormais et l'addiction qu'il décrit à ces petites galettes était si touchante que j'ai voulu savoir à quoi elles ressemblaient. Il y a dans Plumes d'ange, une recette plus précise que dans ce livre-ci et c'est elle que j'ai suivie dimanche soir. C'est G. qui a étalé la pâte et découpé les biscuits. Je confirme les dires de Martin W.: on voudrait en avoir toujours à disposition de ces galettes-là.

Les petites galettes de Nelly
Pour une trentaine de galettes
-le jus de deux belles oranges bio
-2 jaunes d'oeufs bio
-la même quantité de sucre
-la même quantité d'huile
-un sachet de sucre vanillé
-un sachet de levure chimique
-de la farine (environ 410g)

Mélanger le jus d'orange, les sucres et l'huile.
Ajouter les jaunes d'oeufs. Bien mélanger.
Incorporer la levure.
Ajouter progressivement la farine jusqu'à obtenir une pâte homogène avec la texture d'une pâte à tarte (avec les mains, c'est plus facile).
Former une boule et l'oublier un petit temps au réfrigérateur.
Au bout d'une demie-heure, étaler la pâte entre deux feuilles de papier sulfurisé (comme nous n'avons pas de rouleau à pâtisserie, nous avons utilsé une bouteille de Pessac-Léognan 2001) jusqu'à obtenir une épaisseur d'environ 3-4mm.
Découper vos galettes à l'emporte-pièce (la maman de Martin W. en utilisait d'une forme bien particulière...), faire quelques petits trous à la fourchette, dorer au jaune d'oeuf si vous en avez envie et faire cuire une dizaine de minutes dans un four préchauffé à 180°.

Elles sont vraiment délicieuses, j'en ai grignoté toute la journée du lendemain. Elles se gardent très bien dans une boîte en fer et Martin W. vous suggère même de lui en envoyer quelques exemplaires si le coeur vous en dit.


Pour en savoir plus sur nos péripéties gastronomiques, vous pouvez faire un tour par ici.

dimanche 25 février 2007

Cerveau en vacances, papilles en transe

Plus d'une heure chez le coiffeur pour me retrouver à attendre patiemment que ma mèche-pour-derrière-les-oreilles repousse.
Un délicieux gâteau au café et au mascarpone d'après une recette branchée d'Estérelle, dans une petite boîte pour la route, parce que Rennes/Bordeaux en voiture, c'est long.
J'avais lesté mon grand cabas à fleurs de plusieurs livres cauchemardesques traitant par exemple de cardiologie, mais excepté un soir où G. m'a patiemment fait réfléchir sous les couvertures à la cardiomyopathie obstructive hypertrophique, je ne les ai guère ouverts, et je suis bien contente d'avoir remplacé certaines obsessions par des souvenirs de vacances entre Bordeaux, Toulouse et Biarritz.
Plein de nouvelles histoires à vous raconter dans les jours à venir, où il sera entre autre question de gâteau de crêpes au chocolat, de vagues énormissimes et du goût du sel sur les lèvres, de la vacuité parfois de l'art contemporain, de club sandwiches, de macarons et du bonheur de flâner.

vendredi 16 février 2007

Je suis donc je pense à ce que je mange et gâteau au yaourt patoumifié

Vanessa, qui ne sait pas faire que des confitures maison, m'invite gentiment à répondre à ce petit questionnaire qui aurait valeur de séance sur le divan (pour ma part je paie la mienne trois euros et pour cette modique somme, j'ai le droit de rester un quart d'heure sur une création de Charlotte Perriand et le Corbusier -après avoir parfois attendu une très grosse demie heure sur une chaise de Philippe Starck, mais c'est une autre histoire-).

Si vous étiez coincé sur une île pour le reste de votre vie et que vous ne pouviez choisir qu'une seule cuisine (française, italienne...), laquelle choisiriez-vous? Pourquoi?
Jamais je ne me lasserai de la cuisine asiatique. Je sais qu'il est très réducteur d'employer cette expression puisque la cuisine chinoise n'a rien à voir avec la cuisine japonaise qui ne ressemble guère à la cuisine cambodgienne qui diffère de la cuisine thaïe etc, mais j'ai été habituée à toutes ces influences-là. J'aime la chaleur des épices, les viandes sautées, le sucré qui se marie subtilement au salé. J'aime les plats sophistiqués et délicats mais aussi les plats tout simples, un peu "roots" mais infiniment riches en goût. Par exemple samedi midi, en rentrant du marché, G. a préparé du chou chinois au piment avec du cochon sauté bien caramélisé, j'ai adoré déguster cela avec du riz bien chaud et parfumé. Et puis quelques jours plus tard, je suis allée rendre visite à mes parents et ma maman avait préparé un délicieux ragoût de cochon, avec des fleurs de bananier et des oeufs durs qui finissent de cuire dans le jus du ragoût, parfumé au sucre de palme. La description est étrange mais c'est délicieux (et je suis contente parce que je suis rentrée avec un Tupperware rempli de ce mets délectable). Elle fait aussi une soupe que j'adore depuis toujours: acidulée au tamarin, avec des petits morceaux d'ananas, de cristophine, des tomates cerises, des crevettes et du saumon. Je suis vraiment très attachée à cette cuisine alors tant pis, pas de pizzas ni de parmesan sur mon île déserte!


Quel est l'aliment le plus inhabituel que vous ayez goûté?
Ni singe ou autre de tortue comme Vanessa! Je crois que l'une des choses les plus étranges qu'il m'est arrivé de manger (et avec délice en plus) ce sont les crabes marinés de ma grand-mère. Elle prend des petits crabes (mais pas des étrilles, une autres variété, je ne m'y connais pas bien), elle les entasse vivants dans des bocaux et les récouvre d'une marinade mystérieuse qui contient entre autre chose du nuoc-mam. Les petits crabes séjournent ainsi plusieurs semaines dans leur bocal et au bout d'un certain délai, on en prend un ou deux, on détache chaque patte, on les mets dans un petit bol avec un peu de nuoc mam et une grosse giclée de citron et on les suçote gentiment en accompagnement de la soupe au tamarin par exemple. C'est très bon, salé, acidulé, la chair est comme confite à l'intérieur des pattes.
Sinon, je trouve que les escargots, c'est très bizaaaarre.


Quel est l'aliment ou le plat le plus inhabituel que vous ayez goûté et aimé?
J'ai déjà parlé de l'huître et sa saucisse.
Sinon, il y a les petites galettes aux oeufs de poisson, au porc haché et à l'oignon de ma maman.

Quels aliments évitez-vous de manger (que ce soit à cause d'allergies, d'un régime alimentaire particulier ou simplement parce que vous n'aimez pas)?
Il y a un fruit que je trouve particulièrement émétisant alors que beaucoup de gens adorent le déguster l'été quand il fait si chaud: le melon. Rien que le parfum me fait fuir, même si ce n'est rien à côté du durian que mes parents trouvent très bon.
Je n'aime pas trop non plus les fritures (sauf les nems, il s'entend!).
Les organes mous comme la cervelle, c'est pas trop mon truc non plus.
Ah et puis aussi: les fromages à pâte persillée (sauf fondus, le gorgonzola dans les pâtes par exemple).

Est-ce que vous cuisinez?
Au moins une fois par jour.

Quel est le plat favori que vous cuisinez lorsque vous voulez impressionner?
Je n'aime pas trop cette idée d'impressionner quelqu'un. Je préfère préparer des choses très simples, mais riches en goût grâce à la qualité des ingrédients, au mode de cuisson... L'autre jour G. était tout ému de retrouver dans un rôti aux petits légumes mijoté fort longtemps le goût de la cuisine de sa grand-mère; c'est cela que j'aime quand je fais la cuisine.

Lorsque vous allez au restaurant, quel plat préférez-vous choisir?
Tout dépend du restaurant! J'évite de choisir ce que nous pourrions faire nous-même. La dernière fois que nous sommes allés dîner dehors, c'était à L'Arsouille et, excepté le dessert, c'était parfait: d'abord du contre-filet de Sardaigne, fondant à souhait, avec une salade de roquette et une petite crème de carotte froide surmontée d'une belle bille de mozzarella di buffala, puis un boudin au foie gras et à la fève tonka avec une purée de potimarron, enfin une glace à la cacahuète avec un sablé au cacao (très étrange car salé, ce qui fait que lorsque vous prenez une cuillérée de glace puis une bouchée de sablé vous avez davantage l'impression d'être à l'appéritif qu'au dessert!)

Avez-vous déjà retourné un plat ou un vin au restaurant? Si oui, pourquoi?
A Londres, dans un pub où nous nous étions engouffrés affamés, j'ai trouvé un long cheveu dans mes mashed potatoes.

Combien de livres de cuisine possédez-vous?
Une trentaine, environ. Ceux que je préfère, ce sont ceux qui ne se contentent pas d'énumérer des recettes mais qui racontent des histoires et je dois avouer que Mademoiselle Lawson est très douée pour ça. Les petits livres de l'Epure, je les adore, ils sont soigneusement rangés dans la boîte bleu turquoise qui contenait mes petites chaussures que vous connaissez bien.

Quel est l'aliment dont vous ne pourriez vous passer?
Le riz! Petite, j'étais toute étonnée d'apprendre que tout le monde ne mangeait pas du riz tous les jours à chaque repas.
Sinon, il y a aussi le thé que je bois par litre et puis le Poulain chaud du matin, mais ça vous le saviez déjà!

Merci Vanessa d'avoir pensé à moi; Grand chef, accepteriez-de vous y plier?

Inspirée par Estelle et son gâteau au double yaourt (sans doute aurez-vous déjà remarqué qu'Estelle est très forte pour nous tenter avec ses recettes de pâtisserie. C'est simple, tout finit par faire envie, même un gâteau aux épinards, tant elle raconte bien!), j'ai décidé d'arranger la recette pour un gâteau gourmand et parfumé que G. a adoré.

Le gâteau au double yaourt au chocolat et à l'orange
-2 yaourts au lait entier
-2 pots de Rapadura
-1 pot de poudre d'amandes
-2 pots de farine T65
-3 oeufs bio
-1/4 de pot d'huile neutre
-1 sachet de levure
-le zeste d'une orange biologique
-100g de chocolat concassé

Mélanger tous les ingrédients.
Faire cuire environ 45 minutes à 180° (vérifier avec un cure dent).

vendredi 9 février 2007

Naître ailleurs et little fuji tuna rolls

Je suis née quelque part en Asie et pendant longtemps j'ai eu du mal à m'accomoder de cela. Il fallait tout le temps que j'épelle mon prénom à plusieurs reprises (oui, Patoumi n'est pas mon vrai prénom, mais vous deviez vous en douter. Ceci dit, j'aime bien et je crois même que je préférerais être appelée Docteur Patoumi plutôt que Docteur Monvrainom mais il faut admettre que ça ne fait pas très sérieux...) pour qu'il finisse quand même mal orthographié, je n'aimais pas du tout du tout être appelée "la Chinoise" alors que je ne suis pas de là-bas, beaucoup de traditions françaises échappaient à mes parents (et j'ai été terriblement ridicule à être la seule à ne pas être déguisée un jour de mardi-gras).
Un peu pénible mon enfance.
Mes parents avaient tellement peur que je ne sache pas parler un français correct et qu'à cause de cela je ne ferais rien de bien dans ma vie qu'ils m'ont très tôt appris à lire, je les en remercie, les livres m'ont sauvée de l'ennui et de la solitude (même si à cause de cela mon institutrice de cp m'a immédiatement détestée et me l'a souvent fait sentir, c'était trop pour elle une immigrée qui savait lire et n'avait donc pas besoin d'elle. Parfois, c'est horrible je sais, j'ai des voeux de mort envers mes instituteurs pour toutes les remarques désobligeantes à mon égard et leur manque de psychologie).
Ainsi, pendant longtemps, j'ai voulu effacer le plus possible mon appartenance à un ailleurs que je croyais trop étrange pour attirer la sympathie (ou juste l'intérêt) des gens. J'étais gênée de venir de si loin. Je trouvais encombrant cette identité. J'avais tout le temps l'impression qu'il fallait que je justifie ma présence, comme si je n'avais pas le droit d'être là, qu'on m'accordait une faveur en me permettant de vivre ici.
Sans doute pour éloigner un peu plus mes origines ai-je développé un goût immodéré pour la littérature française et anglo-saxonne et puis pour le cinéma de la Nouvelle Vague; jamais je n'aurais eu l'idée de m'intéresser à la littérature asiatique, je ne sais pourquoi, disons que pour moi, elle était forcément ennuyeuse.
Pour la cuisine, j'étais très gênée d'aimer ce que j'aimais. Ma maman cuisine très bien et elle a toujours veillé à préparer d'excellents petits plats de là-bas, mais j'étais toute embarassée à l'école quand on me demandait ce que j'avais mangé à midi. J'avais peur qu'on ne m'aime plus à cause de toutes ces choses qui pouvaient paraître si bizarres. En première année de médecine encore, je ne m'étais pas départie de ce sentiment: j'habitais une petite chambre dans une résidence pour étudiants qui présentait pour seul avantage d'être à une minute de la fac ce qui est bien pratique quand vous avez cours à huit heures et qu'il faut aller réserver sa place une heure à l'avance. Dans cette résidence, chacun avait sa chambre (avec le même grand bureau en pin blond, les mêmes rideaux en velours vert bouteille, la même moquette au quadrillage écossais) mais il fallait partager la grande cuisine et le séjour. C'était un supplice pour la phobique sociale que j'étais de me mettre à table avec d'autres gens et ce d'autant plus que ma maman me préparait gentiment des boîtes de petits plats maison que j'avais juste à rechauffer ou à customiser avec des petites choses fraîches et que ça me terrorisait de penser que tous ces gens pourraient voir de quoi je me nourrissais (le climat de concours distillant déjà une certaine psychose). Ainsi ai-je appris à décaler mes horaires de repas. J'attendais quatorze heures trente ou vingt-et-une heures trente, tout le monde était reparti travailler, je faisais tranquillement réchauffer mes plats-maman que j'allais bien sûr déguster dans ma chambre, il n'étais pas question d'être vue, rappelons-le. Même le garçon qu'il y a eu avant G. (et pour qui, c'est horrible bis, je développe parfois également des voeux de mort) entrouvrait parfois mes boîtes spéciales maman et faisait une grimace en les refermant. Il faut dire qu'il tenait un discours sur la cuisine... je me demande encore comment j'ai pu tolérer cela: il trouvait que le parmesan avait un goût de vomi, faire un curry revenait pour lui à ouvrir un pot Uncle Ben, il avalait voracement des ravioli -au boeuf- sortis d'une boîte de conserve, j'arrête là parce que repenser à lui me donne la nausée.
Heureusement, un jour de juin où je ne m'y attendais pas du tout, G. m'a demandé mon numéro de téléphone et le soir même nous dégustions une délicieuse pizza pendant que je voulais l'impressionner en lui disant que j'avais lu Deleuze (ce qui était vrai). G. a tout changé quant à la façon de considérer mes origines. Un soir, il m'a sorti un gros atlas et m'a demandé de lui montrer là où j'étais née, précisément. Il a complètement effacé ma réticence quant à la littérature et au cinéma asiatique et j'étais toute étonnée puis ravie de découvrir qu'il y avait dans tout cela une sensibilité qui me touchait beaucoup. Il a tout de suite manifesté de l'intérêt pour la cuisine de là-bas, il ne rechigne jamais à goûter, même les choses les plus étranges, il montre toujours plein de curiosité dans les allées de Belasie.
Bizarrement, c'est G. qui est né et a grandi dans le sud-ouest, qui cuisine quasiment tous les plats asiatiques à la maison, pendant que je fais les lasagnes, l'osso-buco, les tomates farcies, la tarte normande... Peut-être que j'ai peur de ne pas faire aussi bien que ma maman ou peut-être que j'ai peur de ne pas faire aussi bien que ne le voudraient mes origines (un peu comme si une pure bretonne ratait ses crêpes). Jamais je ne remercierai assez G. de m'avoir permis de mieux me débrouiller avec le fait d'être née ailleurs.
Les petits tuna rolls sont inspirés de la petite entrée qui est servie au Fuji, cet exquis restaurant japonais où G. m'avait fait déguster les premiers sushi de ma vie. Il avait été tout étonné d'apprendre que nous pourrions en déguster à loisir à la maison, il fallait juste acheter de la pâte à wonton.


Petits tuna rolls comme au Fuji
Pour un paquet de feuilles à wonton (les tuna rolls se congèlent très bien cuits)
-150g de thon en boîte ou frais et cuit puis émietté
-une grosse échalote en tout petits morceaux
-une gousse d'ail passée au presse-ail
-plusieurs feuilles de menthe fraîche, de la ciboulette, du persil, le tout ciselé très finement
-un peu de jus de citron
-un peu de sel, un peu de poivre
-deux grosses cuillères à soupe de crème fraîche
-un oeuf

Mélanger tous les ingrédients.
Pour la technique du roulage: je pose la feuille à wonton avec la pointe vers moi, je dépose un peu de préparation, je roule un peu, je rabats les côtés et je finis le petit rouleau en collant avec un peu d'eau froide.
Faire frire et servir chaud.

samedi 3 février 2007

Les petits cakes à la banane et aux dattes contre la mélancolie de la répétition

Depuis une dizaine de jours, les journées se suivent et se ressemblent et j'ai l'impression de vivre dans une bulle, certes douillette (grâce à mon fidèle plaid en merinos rouge offert par ma maman quand j'ai commencé mes études et mes habits mous dont vous avez déjà entendu parler -à ce propos, il s'est passé un truc bizarre: ça faisait bien une semaine que je n'avais pas quitté mes fringues molles et mon ego devait sûrement commencer un peu à souffrir: tout à l'heure j'étais toute contente d'enfiler une chouette jupe avec une jolie tunique pour sortir, c'était tout revivifiant, je me suis dit :"Tiens, mon corps a une forme!"-) mais avec une grosse méduse d'angoisse qui flotte, comme dans On connaît la chanson (je ne vais pas ici ouvrir un débat sur Resnais et le fait que cet homme ait pu faire au cours d'une seule vie L'année dernière à Marienbad et Coeurs, un tel écart me perplexifie -G., lui, ça l'attriste-).
Depuis que j'ai appris que j'en avais définitivement terminé avec les examens de la fac et que seul l'internat en juin prochain me sépare de la fin de ces si longues et souvent ennuyeuses études de médecine, je suis enchaînée au bureau à ressasser et essayer de comprendre pour ne pas juste apprendre par coeur (quand j'étais au lycée, j'avais un prof d'histoire qui disait que pour vérifier le niveau de la mémorisation d'un cours, il fallait s'imaginer le réciter comme si l'on était le présentateur du journal télévisé. Bon, moi je l'ai jamais vraiment regardé, et j'ai pas envie de me prendre pour Madame Chazal, donc je m'astreins à réciter les choses par écrit d'où l'accumulation de feuilles un peu partout dans le bureau et la consommation du temps que je voudrais tant passer à autre chose. Mais c'est comme ça.)
Elles sont un peu longues ces journées, je crois que je n'ai jamais bu autant de thé de ma vie. Parfois j'en ai tellement assez d'être assise que je m'en vais déambuler dans l'appartement, je jette un oeil aux plantes (et même parfois, pour rompre le mutisme, je leur fais la conversation. Le plant de patate douce qui rampe à une vitesse effrénée n'est guère loquace), je regarde la foule pressée qui envahit la place de la République -les baies vitrées de l'appartement donnent sur elle-, je vais faire un petit tour dans le bureau de G., je jette un oeil à sa bibliothèque... Il m'arrive aussi de mettre un disque mais comme je suis un peu maso, je n'arrive pas à écouter autres choses que des choses tristes, genre Jeanne Balibar qui de sa voix langoureuse dit:"Je voudrais faire le tour du monde/Par les Indes ou le Pacifique/Le Bosphore ou les Amériques/Retrouver quelques personnages/Morts à mon âge.../
Le midi, je déjeune en écoutant Histoire de l'amour, c'est une compagnie agréable.
En fait, je n'attends qu'une seule chose, entendre l'ascenseur s'ébranler puis s'arrêter sur notre palier en fin de journée car je sais que G. va très vite apparaître et, même si je dois encore travailler, sa seule présence me rend le coeur plus léger.
Mercredi, jai feuilleté en buvant mon Poulain du matin le Elle à table spécial Fêtes qui traînait dans la cuisine et je me suis rappelée que G. avait manifesté beaucoup d'enthousiasme devant des petits cakes à la banane et aux dattes (en fait, la première image qui me vient à l'esprit quand je pense à des dattes, c'est cette image de Tintin quand il est au pays de l'or noir affamé, assoiffé, et qu'il tombe sur cet oasis avec de l'eau et des dattes). J'étais toute contente à l'idée de l'accueillir ce soir-là avec des petits cakes que j'imaginais parfumés et encore tièdes. Cette idée a eu sur moi l'effet d'un oasis dans le désert, je suis sortie juste avant Histoire de l'amour chercher quelques dattes (j'ai pris des Medjool, même si elles ont fini en gâteau, les autres étant vraiment trop faméliques) et j'ai pâtissé avec grand plaisir.



Les petits cakes à la banane et aux dattes (inspirés d'une recette du Elle à table numéro 47)

Pour 4 petits cakes:
-115g de farine T65
-55g de beurre mou
-50g de rapadura
-1 oeuf
-75g de dattes (environ trois grosses medjool) émincées
-1 banane mûre écrasée et citronnée
-une demie cuillère à café de cannelle
-une demie cuillère à soupe de rhum
-un demi sachet de levure
-quelques amandes effilées

Fouetter ensemble l'oeuf et le beurre.
Ajouter le sucre.
Bien mélanger.
Ajouterla cannelle et la banane écrasée. Bien mélanger.
Ajouter la farine, la levure puis le rhum et finalement les dattes en mélangeant entre chaque nouvel ingrédient.
Verser dans vos moules à muffins préférés, répartir quelques amandes effilées sur chaque petit gâteau et faire cuire une vingtaine de minutes dans un four préchauffé à 180°.

Moi qui ne suis pas une grande fan des dattes, j'ai trouvé ces gâteaux délicieux, moelleux et parfumés à souhait. Avec un verre de lait froid, miam!
Quand G. est arrivé, il s'est précipité dans la cuisine pour voir l'origine du délicat parfum qui avait envahit l'appartement, il a été tout agréablement surpris par l'assiette de gâteaux ci-dessous (j'avais fait en plus des petits cakes orange-chocolat, une recette à venir).


Ouf, ça fait du bien de se mettre un peu à l'écart du travail (mais après argh c'est horrible: on culpabilise).