dimanche 30 septembre 2007

A very special cup of tea -mousse chocolathé(e) aux agrumes-

Il a plu pendant toute la première après-midi parisienne. Ce n'était pas un voyage d'agrément, il s'agissait de remplir des formalités peu réjouissantes qui consistaient, entre autres choses, à prendre le RER ligne A4 à sept heures du matin pour retrouver, dans une salle grise de banlieue glauque, de jeunes personnes au visage triste parfois accompagnées de leurs parents aux traits tirés. Certains avaient leurs valises à la main. J'ai reconnu dans la foule un couple dont la fille, habituellement très apprêtée, avait le cheveu emmêlé et les yeux bouffis d'un manque de sommeil ou d'un excès de larmes. J'aurais voulu leur dire un mot, mais je n'aurais pas trop su lequel, dans ces circonstances-là. Bref, maintenant c'est fini (ou presque...) et j'ai essayé d'oublier cette cuisante humiliation en feuilletant avec joie la très jolie et pertinente sélection de livres réalisée par les propiétaires de La Cocotte dans leur belle librairie, rose, lumineuse et ludique. Pendant notre visite, il y avait aussi une démarcheuse de chez Marabout extrêmement autoritaire et ayant visiblement assimilé les grandes tendances culinaires du moment (et là, j'ai été ravie d'entendre la libraire lui dire que le livre sur les verrines, ça ne l'intéressait pas du tout, que le concept même de la verrine est ininteressant, qu'il est prétexte à servir tout et n'importe quoi. "Oui, mais il se vendra bien à Noël" a répliqué illico Madama Marabout. "Peut-être, mais dans ma librairie, je veux d'abord des livres que j'aime et de toute façon celui-là, on peut le trouver partout" a répondu Mademoiselle Cocotte). Allez-y, c'est vraiment chouette. Peut-être même que vous y croiserez Laura Zavan, en jean et perfecto violet, venant déposer les courses pour sa séance dédicace du lendemain.
Toujours est-il que la veille, pour ne pas se laisser dévorer par l'angoisse de l'attente, nous avons flâné de la librairie polonaise à la Hune et d'épiceries italiennes aux boutiques de vêtements scandinaves, jusqu'à ce qu'une petite pluie fine et tenace nous conduise dans le salon de thé Ladurée de la rue Bonaparte. A une table toute proche, un homme et une femme d'un certain âge ont pris place avec une élégance touchante. Ils ont contemplé la carte des pâtisseries et la dame a demandé au monsieur "Vous souvenez-vous la dernière fois? Vous aviez pris un millefeuille, avec un fruit rouge, je ne sais plus lequel..." Le monsieur a confirmé, a suggéré qu'il s'agissait sans doute de fraises. Elle lui a répondu "Alors si nous prenions un millefeuille aux framboises, en souvenir de la dernière fois? Qu'en dites-vous? Et puis une religieuse au chocolat... Elles sont délicieuses ici." Ce vouvoiement tendre, affectueux et gourmand me plaît terriblement.
Pour notre part, nous avons choisi de partager un éclair à la vanille et un impressionnant Saint-Honoré fraise-coco en buvant un thé Marie-Antoinette, aux parfums très subtils. Un moment apaisant et plein de volupté, qui m'a aussi rappelé l'éclair au chocolat et la tarte framboise-pistache partagés dans un petit salon du Café de la Paix lors d'une nuit parisienne en bonne compagnie. J'avais bu un délicieux Lapsang Souchong.
Ce soir-là, aux Jardins de Mandchourie, en sirotant un thé au jasmin pendant que les nuages s'écartaient et dévoilaient la symétrie parfaite de la lune, nous avons découvert l'agréable sensation de mordre dans une petite croquette brûlante à la farine de riz renfermant un délicieux coeur de glace au lait. Le contraste des textures et des températures était bluffant.
Le lendemain midi, j'ai bu un très fin genmaïcha assise au comptoir d'Azabu, en observant le cuisinier réaliser de très beaux sushis pressés.
Pour le voyage en train jusqu'à Bordeaux, où un autre moment difficile nous attendait, nous avions pris chez Sadaharu Aoki, un éclair et un millefeuille aux thé matcha et la dégustation de nos gâteaux martiens a largement contribué à égayer le trajet. Là-bas, dans un froid sibérien, il y avait le parfum entêtant des lys et des roses qui venait se mêler au goût des larmes. J'ai bu beaucoup de sencha brûlant en me sentant minuscule et impuissante à consoler le chagrin de G.
Nous avons repris tard un avion pour Rennes. Avant le décollage, j'ai été étonné par le goût délicieux du très simple thé au lait bu rapidement à la cafétéria de l'aéroport.
Le très gentil chauffeur de taxi qui nous a ramené à la maison nous a avoué qu'il prenait sa retraite dimanche.
Dans la boîte aux lettres, il y avait un petit paquet tout blanc que je me suis empressée d'ouvrir avant même d'avoir ôté mes chaussures et j'ai montré avec joie à G. un joli livre sur le thé envoyé par quelqu'un qui commence à vraiment bien me connaître... Merci.

Samedi soir, pendant que G. accrochait sur le mur de la cuisine une soupe Campbell dont la couleur nous avait beaucoup plu dans la vitrine de l'encadreur, j'ai préparé une mousse au chocolat au lait et au thé qui a rempli toutes ses promesses. La recette initiale recommande l'utilisation de chocolat amer et d'Earl grey mais G. voulait quelque chose de très doux et pour remplacer le thé à la bergamote, nous sommes allés demander conseil à la propriétaire d'une jolie boutique de porcelaine britannique, qui vend aussi du thé Betjeman & Barton, et qui, à l'évocation de la recette, a suggéré leur thé Summer blend, dont l'arôme délicat de pamplemousse a immédiatement séduit G. Le résultat est étonnant et très agréable: on a d'abord en bouche le goût doux et lacté du chocolat puis le parfum du thé envahit doucement le palais et appelle une deuxième cuillérée de mousse!

La mousse au chocolat au lait et au thé parfum d'été
Pour quatre personnes

-75g de chocolat au lait à pâtisser (ici, du Valrhona)
-15cL de crème fraîche liquide très froide (ici, de la crème crue)
-2 blancs d'oeuf
-une demie cuillère à café de thé moulu (ici du Summer Blend Betjeman et Barton patiemment et gentiment moulu par G., qui en avait fini avec la soupe Campbell )

Faire fondre le chocolat au bain-marie.
Pendant ce temps, battre d'une part les blancs en neige et d'autre part la crème en chantilly en ajoutant en fin de course le thé moulu. Mélanger délicatement le chocolat fondu et encore un peu chaud à la chantilly puis incorporer non moins délicatement les blancs en neige à la préparation. Répartir dans des petits bols et réfrigérer au moins pendant six heures (mais une nuit, c'est mieux).


Bientôt, une autre recette à base de thé grâce à un autre joli livre acheté dans une sorte de frénésie consolatrice dans une librairie bordelaise.


Enfin, pour Léna, qui me souhaite gentiment de voir la vie en rose (bientôt, j'espère), des objets très roses que j'aime bien. C'est un début!
Merci pour tous vos mots qui en pansent quelques autres, des maux.

lundi 24 septembre 2007

Porc à l'encre, noir c'est noir

Le coeur en bouillie, le cerveau pas mieux, j'ai piqué des Elle dans la salle d'attente du service un soir où j'ai fini tard et où il n'y avait plus personne; la fille qui vend des téléphones a sagement décidé de laisser ses médicaments sous la surveillance d'un tiers pour ne pas être tentée d'en ravaler les soirs où ça ne va pas, le type persuadé qu'on veut le tuer trouve qu'il vaut mieux qu'il devienne serveur que dj, celui qui est attaché en chambre d'isolement parle à la vierge à longueur de journée, ma chef a acheté une nouvelle robe de créateur samedi dernier. Moi je ne me suis jamais sentie aussi mal mais je n'avouerai jamais aux infirmières qui me trouvent drôle et enjouée que lorsqu'un entretien se termine et que le patient a refermé la porte, j'ai souvent juste envie de pleurer.
Parfois, on aurait préféré que le téléphone n'ait pas sonné ce soir-là; on n'oubliera jamais l'enchaînement des évènements, les vêtements noirs mal pliés qu'on entasse dans le sac de voyage, le sac de voyage balancé dans le coffre de la voiture, le trajet interminable sous un soleil de plomb -et pourtant, à l'intérieur, on a froid-, les carambars nerveusement mâchés, les blagues qu'on ne lit même pas, les yeux gonflés de larmes, le coeur en bandouillère, le poulet qui était trop cuit, les patates qui étaient trop dures, le chocolat du matin qui n'a plus le même goût, les conversations nocturnes dans un lit qui n'est pas le nôtre pour ne plus avoir peur du noir.
Quand on est au bord de la catatonie tant on est angoissé, on aime se consoler avec un petit plat qui a goût de voyage et qui est mille fois plus réconfortant que les Elle piqués dans la salle d'attente (qui ont fini à la poubelle parce que même les fiches cuisine étaient moches).

Le porc à l'encre de G. (comme à la maison du thé chinois, T'cha, à Paris)
Pour deux personnes

-2 côtes de porc dans l'échine émincées très finement
-un gros pouce de gingembre en julienne
-un oignon émincé
-une gousse d'ail pressée
-un piment rouge égrainé et émincé
-2 cuillères à soupe de black bean sauce
-2 cuillères à soupe de confiture de cerise sans sucre
-3 cuillères à soupe d'alcool de riz (Kwantung mijiu)
-un peu d'eau

La veille, mélanger dans une boîte en plastique le cochon, l'oignon, l'ail et le gingembre. Réserver au réfrigérateur.
Le moment de la dégustation venu, faire chauffer un peu d'huile d'arachide dans une grande poêle. Faire sauter à feu vif d'abord la moitié du contenu de votre boîte, la retirer, la réserver au chaud, faire sauter l'autre moitié puis réunir le tout.
A feu moyen, ajouter le piment puis la black bean sauce. Bien enrober la viande de la mixture.
Verser ensuite le vin, puis la confiture de cerise. Faire cuire en remuant. Déglacer avec un peu d'eau, laisser réduire et servir bien chaud avec du riz à la vapeur.

mardi 18 septembre 2007

Dans la mesure où il pleut -un risotto aux légumes rôtis-

Chez mes parents, on a attendu un peu avant d'avoir la télé mais le tourne-disque, lui, a très vite fait son apparition, posé à même le sol. Aussi étrange que cela puisse paraître, dans les grands cartons donnés par diverses associations, il y avait au milieu des sous-pulls en acrylique orange et de la vaisselle inspiration toile de Jouy, quelques quarante-cinq et trente-trois tours qui faisaient la joie de ma maman. Nous parlions encore mal le français et les paroles étaient parfois obscures mais ce petit côté mystérieux et musical n'était pas pour nous déplaire, bien au contraire. Ma maman était très fan d'une compil de tubes des années soixante et je me souviens l'avoir entendue fredonner doucement Retiens la nuit en préparant son fameux Baï moine (ce en quoi cela consiste: il faut faire cuire un poulet entier dans une énorme cocotte remplie d'eau avec, je crois entre autres choses que j'ai oubliées, deux oignons en quartiers et une carotte en tronçons. Quand le poulet est cuit, on le laisse reposer sur un grand plat et on fait cuire du riz avec le bouillon filtré. On dépèce le poulet -et une petite fille qui passe par là vient chiper un morceau de blanc, ou pire, elle verse un peu de sauce maggi dans une petite soucoupe bleue et elle y trempe sans scrupules les morceaux patiemment déchiquetés par sa maman jusqu'à ce que celle-ci lui dise que bon là quand même ça suffit tu n'auras plus faim au dîner. De toute façon, il n'y avait plus de maggi dans la petite soucoupe. Dans les assiettes, on met un peu de riz au bouillon (il est un peu gras et plein de goût: c'est trop bon!), par-dessus le poulet effiloché, de la salade ciselée, plein de menthe fraîche, du concombre râpé, des cacahuètes pilées et de la sauce spéciale maman).
Par contre chez papy et mamie, chez qui on allait dîner le samedi soir (papa jouait aux échecs avec l'un des frères de maman; l'échiquier, par je ne sais quel miracle, venait du Cambodge, les pièces, très grosses, étaient en plastique gras), la petite Patoumi bougeait la tête en rythme en regardant le Top cinquante (et se demandait souvent ce que voulait dire exactement "Salut les p'tits clous!")
Je me souviens ainsi de:
*Tout doucement/Envie de changer d'atmosphère, d'attitude
*De toutes les matières/C'est la ouate qu'elle préfère
*Un peu spéciale elle est célibataire/Le visage pâle, les cheveux en arrière/Et j'aime ça
*Mais toutes les chansons/racontent la même histoire/Il y a toujours un garçon/et une fille au désespoir
*Weekend à Rome/Tous les deux sans personne/Florence, Milan/S'il y a le temps/Weekend rital
*C'est l'amour à la plage/Et mes yeux dans tes yeux/Baisers et coquillages/Entre toi et l'eau bleue
*Comme elle est partie/Jim a les nerfs/Jimmy boit du gin/Dans sa chrysler

Et vous, quel air vous trotte dans la tête?
Le jour où j'ai décidé de faire ce risotto, il pleuvait fort et je suis rentrée trempée de l'hôpital. L'avantage d'un tel désagrément, c'est qu'après avoir essoré ses cheveux dans une serviette éponge bien moelleuse, on peut échanger la jupe et la tunique archi mouillées contre un pantalon large et doux et un tee shirt tout confort et là, on est juste bien! Avant de préparer le déjeuner, je ne sais plus par quel hasard, je suis tombée sur un petit clip de Vincent D., un extrait d'un de ses derniers concerts, où il est question d'une journée pluvieuse et de la façon qu'on peut avoir de l' occuper. J'ai écouté cette chanson en boucle et elle ne m'a pas quittée quand je me suis enfin décidée à préparer le risotto. Il y avait depuis des lustres un paquet de riz arborio dans le placard mais je n'avais pas osé l'utiliser un peu comme je n'ose pas:
-refuser au gentil fromager d'acheter une part de "cette délicieuse tomme mi-brebis mi-vache d'un goût vraiment très subtil" alors qu'on vient déjà de choisir un camembert, du morbier, du livarot, du stilton et du saint-nectaire (et qu'il n'y a pas d'invités prévus à la maison)
-appeler des amies d'enfance, que j'aime bien, et dont je n'ai pas eu de nouvelles depuis plus de six mois parce que j'attends tout le temps d'aller mieux et d'avoir des choses drôles et passionnantes à raconter
-porter des bottes
-dire aux ados du bus que quand même, quand l'engin est archi bondé, il serait bienvenu de leur part de laisser leur siège aux petites mamies qui vacillent sur leurs jambes frêles
-dire à une fille qu'on la trouve super jolie. Et d'ailleurs, elle vient d'où cette belle écharpe rose?
Ce risotto s'inspire (encore!) d'un risotto rose bakeresque parfumé à la menthe mais j'avais un gros bouquet de basilic frais alors...

Le risotto des jours de pluie
Pour une personne qui frisonne

-60g de riz arborio
-une demie petite aubergine coupée en tronçons
-deux tomates moyennes coupées en morceaux
-cinq louches de bouillon de légumes bien chaud (fait maison ou réalisé à l'aide d'un petit cube Rapunzel)
-un petit oignon rouge émincé finement
-plusieurs feuilles de basilic
-un peu de beurre
-un peu d'huile d'olive
-une pincée de sucre
-du parmesan fraîchement râpé comme vous aimez

Mettre les aubergines et les tomates dans un plat, arroser généreusement d'huile d'olive et faire rôtir au four environ une demie heure à 200° (et pendant ce temps, vous allez écouter votre disque préféré du moment).
Quand les légumes sont bien rôtis, mais les aubergines encore un peu fermes, faire revenir l'oignon dans un peu de beurre et d'huile d'olive. Quand il est tendre et translucide, verser le riz et l'enrober du mélange beurre/huile jusqu'à ce que les grains soient bien brillants.
Verser alors une première louche de bouillon et laisser le riz l'absorber en mélangeant régulièrement. Quand tout est absorbé, verser la deuxième louche.
Ajouter les légumes puis les autres louches une à une en attendant bien que tout le liquide soit absorbé avant d'en rajouter (c'est prêt en vingt minutes environ).
Goûter pour vérifier que la cuisson vous convient. Ajouter la pincée de sucre.
Ajouter le parmesan selon votre bon plaisir. Mélanger délicatement.
Verser dans un bol bien chaud, recouvrir de basilic ciselé et servir en chantonnant.

jeudi 13 septembre 2007

Labeur au ventre mais des scones comme à Rose Bakery

Une fille aux cheveux courts et en petit blouson kaki était en train de lire Libé dans le bus du matin et, de là où j'étais, dans ma vieille veste en velours qui a dernièrement retrouvé toutes mes faveurs, debout contre la vitre, j'ai pu parcourir l'habituel portrait de dernière page dévolu ce jour-là à Julie-Marie Parmentier et dont je recycle le titre sans scrupules parce que je n'aurais pas trouvé mieux pour décrire mon état du moment.
Par un joli hasard, en allumant la radio ce midi, j'ai entendu la même JMP évoquer son travail pour le film de l'étrange Isild Le Besco. JMP, je l'ai vue pour la première fois dans un très chouette long métrage de Noémie Lvosky qui s'appelait La vie ne me fait pas peur, où l'on peut suivre les tribulations de quatre adolescentes perdues dans le vertigineux questionnement que pose immanquablement cette période de la vie, et où l'on voit comment les évènements de cette époque, aussi microscopiques qu'ils peuvent paraître, donnent à leur existence d'adultes une texture particulière. Je me souviens d'une scène atrocement cruelle où l'une d'entre elles, un peu ronde, essaie désespérément et les larmes aux yeux de monter à la corde sous le regard mesquin de ses camarades qui se mettent à entonner "Fais comme l'oiseau..." J'ai quelques souvenirs de mes propres exploits aux barres asymétriques.
De mon adolescence, je garde le goût des amours contrariées, d'une guitare achetée pour séduire un garçon stupide (mais que je trouvais beau), d'un journal intime que j'écrivais à l'encre turquoise (alors que maintenant, dans mon cahier Moleskine noir, je griffonne à tout va au bic bleu), de la jupe en vichy rose de A. dont je jalousais aussi la longue chevelure blonde, de multiples lettres échangées avec des correspondantes allemandes et des correspondes anglaise, de la lecture des Fleurs du mal et de L'écume des jours, de mon obstination à jouer du violoncelle malgré mon piètrissime niveau, de conversations volées pendant les cours d'anglais que je sèchais (avec l'accord de madame C., une dame frêle mais énergique, qui était mariée avec un Japonais et qui portait souvent des belles tuniques fleuries) avec monsieur M., un prof de français à qui je trouvais une classe folle et que je pouvais écouter pendant des heures parler de Marguerite Duras et d'amours évanouies; j'étais rêveuse, susceptible, solitaire et obstinée; sur les murs j'avais accroché toute une série de portraits de Rimbaud, des publicités pour des parfums (sans me rendre compte que les filles qui y posaient et dont j'enviais la minceur ne pouvaient être que malades), des nympheas sur cartes postales, Jarvis Cocker dans une veste étriquée, Thom Yorke avec un regard déprimé et je collectionnais les petites figurines des Kinder surprise. La vie me faisait peur, je redoutais la médiocrité, je me rêvais écrivain et amoureuse.
Je repense beaucoup en ce moment, avec tristesse et soulagement à la fois, à toutes les choses qui ne reviendront jamais. Je crois que je n'aurais jamais pensé, lorsque je rêvais en salopette en jean sur mon lit d'adolescente, que j'aurais à déployer autant de courage et d'abnégation pour obtenir ce que je voulais; la vie joue parfois de drôles de tours... Au-delà de l'orgueil blessé et du narcissime fêlé, on se sent si fragile que la montagne qu'il faut encore une fois franchir paraît infinie. Alors sur le moment j'aime bien quand un patient me dit: "Vous nous soignez bien..." mais quand j'y repense, dans le bus du soir qui ramène aussi les collégiens qui aiment à converser sur le dernier Harry Potter, j'ai un peu les larmes aux yeux à l'idée que pour faire ce métier-là, il va falloir attendre encore un peu, et surmonter quelques épreuves. "Si j'avais su, si j'avais pu, éviter ça/Ne le dis plus, ne sois pas déçu/Je n'ai pas baissé les bras..." chante Chiara Mastroianni.
Comme Cathy l'a raconté, j'ai aussi quelques peurs moins douloureuses. Les scones, comme le tricot, la conduite automobile, les grosses vagues, le pédiluve de la piscine, les mouches, les clowns de cirque, les poupées de cire, les talons aiguilles, le mascara, le quinoa, la lecture de Kant, les concerts debout, les ballons de foot et les fauteurs de troubles ont tendance à m'effrayer. Mais pour les scones, encouragée par Cathy et par ma propre gourmandise, j'ai décidé d'enterrer ma timidité envers ces petites choses et, lors d'un très doux dimanche après-midi, j'étais ravie d'interrompre G. dans ses divers travaux d'écriture pour l'inviter à tartiner des scones tièdes de sa confiture préférée du moment (abricot à l'armagnac de chez Tiptree).
J'aurais pu les faire au sirop d'érable, comme Cathy, ou aux figues et à la purée d'amandes comme eva, mais, pour une première fois, je voulais quelque chose de simple et nature et la recette de Rose bakery est juste parfaite!


Des scones très simples
Pour une dizaine de scones

-250g de farine T80
-une cuillère à soupe de sucre
-une cuillère à soupe de levure
-55g de beurre salé froid en petits morceaux
-150mL de lait
-un oeuf battu pour dorer

Mélanger la farine, le sucre et la levure.
Ajouter le beurre et mélanger du bout des doigts jusqu'à l'obtention d'une chapelure régulière.
Faire un puits, y verser le lait et mélanger doucement avec une fourchette. Arrêter quand toute la farine est incorporée.
Etaler la pâte sur une épaisseur de 4cm et découper les scones à l'aide d'un emporte pièce ou d'un verre de 5cm de diamètre (opérer d'un coup sec, sans tourner l'emporte-pièce sur lui-même).
Les disposer très proches les uns des autres sur une plaque recouverte de papier sulfurisé, dorer avec l'oeuf battu et faire cuire 15 à 20 minutes dans un four préchauffé à 200°.
Ils se réchauffent très bien le lendemain, quelques minutes dans un four très chaud.

dimanche 9 septembre 2007

La tarte au citron du Pois café et les paccheri millerighe à la mizuna évanouie

Dans le joli quartier de l'Alfama, sur les hauteurs de Lisbonne, en récompense à une longue marche défiant soleil ardent, côtes sans clémence et ruelles tortueuses, vous êtes heureux de vous arrêter dans la grande salle claire et joyeuse du Pois café. Les murs tapissés de pierres et le sol recouvert de larges dalles irrégulières contribuent au rafraîchissement immédiat du fond de l'air et vous pourrez choisir de vous installer sur de profonds fauteuils disposés de part et d'autre d'un mystérieux coffre fort qui fera office de table ou préférer la place très prisée, sur une banquette surélevée dans un recoin de la salle, où il faudra vous asseoir en tailleur pour savourer votre déjeuner sur un grand plateau à pied. Après avoir commandé un jus d'orange ou un mélange melon/kiwi pour les plus téméraires, à une serveuse qui ressemble de façon confondante à Kirsten Dunst, en brune, vous aurez loisir de feuilleter les nombreux livres qui se serrent, comme les porcs epics de Schopenhauer auraient rêver se serrer, sur les étagères qui courent sur chacun des longs murs. Les propriétaires du Pois café sont des Autrichiennes, qui n'ont pas oublié de mettre dans leurs valises qu'on imagine en cuir coloré, des livres de chez elles, et l'on peut ainsi retrouver, dans un joyeux bazar, des livres d'art, de cuisine, de jardinage, (et même de pliage de serviettes) des livres pour enfants, des romans, des polars, des guides de voyage... Si vous allez vous laver les mains, vous sourirez peut-être en étant accueilli par Ken ou Barbie, pendus à la porte des toilettes qui vous concernent. Plus tard, vous remarquerez aussi l'autocollant Blanche Neige au dos d'un ordinateur. Vous apprécierez la fraîcheur fragile des fleurs solitaires qui se balancent au moindre souffle dans leur vase transparent et joufflu.
Sur une ardoise, devant laquelle séjournent parfois très longtemps les indécis en long colloque avec eux-mêmes, vous lirez qu'il va falloir choisir entre des petits sandwiches tous plus appétissants les uns que les autres, des salades affriolantes, des petites soupes, des plats inattendus (du strüdel à la viande?) et puis un brunch qui semble des plus copieux. Vous serez ravi, si vous commandez le sandwich "Opéra" de voir arriver sur une planche de bois un petit pain replet, coupé en deux, renfermant au sein de sa douce mie, des courgettes marinées, du fromage frais, du poulet rôti et du prosciutto, posé sur une serviette en papier à carreaux turquoise et accompagné de chips ondulées, ce qui tombe bien parce qu'il n'y a qu'en vacances que vous vous autorisez à manger des chips (et de la vache qui rit au petit déjeuner, mais c'est une autre histoire). Les cuisines sont dans la salle et vous pourrez voir de grandes jeunes femmes cheveux enturbannés et vaste tatouage pour certaines, s'agiter à râper, émincer, tartiner, mixer, éplucher, surveiller diverses marmites dont elles soulèvent le couvercle de temps à autres et goûter du bout des lèvres des liquides brûlants. Pendant tout le repas, vous lorgnerez aussi du côté de la vitrine des pâtisserie, où s'alignent dans la plus complète décadence, sachertorte, gâteau au pêches, biscuit roulé au citron, cheesecake au fruit de la passion, strüdel aux pommes et puis la meilleure tarte au citron que vous n'ayez jamais mangée alors que vous appréhendiez la première bouchée puisque, sans vous en avertir, la surface de ladite tarte avait été recouverte d'une généreuse couche de cannelle et vous n'aimez pas trop cela, même en vacances. La texture de la crème au citron était plus que mystérieuse, infiniment onctueuse sans être écoeurante, et son goût était aussi acidulé que possible. J'ai un peu peur de refaire ma tarte au citron depuis...

En ce moment, si vous avez le coeur un peu lourd d'un chagrin pour l'instant inconsolable, si vous vous sentez nulle en constatant qu'à chaque fois que vous devez faire vos preuves vous précipitez votre propre chute, si vous avez peur que vos parents aient honte de vous, si la chauffeuse du bus que vous attendiez depuis un quart d'heure ne s'arrête pas parce que vous ne lui avez pas fait signe alors qu'il vous semblait évident que forcément, à un arrêt de bus où il n'en passe qu'un, vous ne pouviez décemment pas être occupée à autre chose qu'à l'attendre, ce bus, si votre lecteur cd refuse de lire vos disques préférés, si votre petit haut plissé à nouer dans le dos attend d'être repassé, si une abjecte libraire myope remet en question votre demande comme si vous étiez analphabète, si le noren Madame Mo avec des sushis dessus a été vendu, si le livre de l'Epure sur l'oeuf est indisponible et celui sur les yaourts épuisé, si votre mèche met vraiment beaucoup de temps à repousser, si le type qui a tué son chat après que celui-ci l'a mordu a fugué, que vous le pressentiez mais que vous avez été impuissante à l'en empêcher, si le lacet de vos Clarks s'est rompu alors que vous étiez déjà en retard, alors
-vous respirez calmement en contemplant avec concentration le bouquet de petites roses que G. ne manque jamais gentiment d'acheter le samedi matin au marché
-vous lisez le très beau livre de nouvelles iraniennes de Zoyâ Pirzâd, où il est question de riz à la tomate, de riz pilaf aux lentilles ou aux écorces d'orange et aux raisins secs, de ragoût d'agneau aux herbes mais aussi de bas nylon, de petunias, de voisins et d'ennui
-vous allez voir Les amours d'Astrée et de Céladon, le nouveau film d'Eric Rohmer, et vous admirerez en secret les jolies robes des bergères et des nymphes
-vous vous concocterez un petit bol de pâtes très simple en écoutant des enregistrements des émissions de Raphaël Enthoven lors desquelles on ne cesse d'avoir envie de relire de la philosophie tant les intervenants exposent leurs idées de façon à la fois claire et ludique (et pas en pontifiant avec un sourire de mépris comme Monsieur P., mon prof de philo de terminale, qui m'avait rendu ma première dissert avec écrit en majuscules rouges "Tout ceci n'est pas de vous").


Les paccheri millerighe à la mizuna évanouie
Pour une personne

-une grosse poignée de mizuna, cette salade japonaise qui ressemble un peu à de la roquette, en plus doux, et qui cuite, m'a plutôt fait penser aux épinards
-deux grosses tomates de la variété "Rose de berne" mais n'importe lesquelles bien charnues feront l'affaire
-de la pancetta
-un peu de sésame toasté
-beaucoup de parmesan fraîchement râpé
-des paccheri ou n'importe quelles pâtes qui vous font envie quand vous ouvrez le placard
-de l'huile d'olive et du poivre du moulin

Pendant que les pâtes cuisent, la pancetta colore dans un peu d'huile d'olive.
Ajouter les feuilles de mizuna, les laisser s'évanouir avant d'ajouter les tomates coupées en dés. Laisser épaissir doucement.
Mélanger les pâtes à la sauce (rajouter un peu d'eau des pâtes), poivrer, saupoudrer d'un peu de sésame et de beaucoup de parmesan et servir sans attendre.

lundi 3 septembre 2007

Etre ou ne pas être glamour, telle n'est plus la question: une histoire de paupiettes

Un certain Vincent D. m'avait dit il y a longtemps déjà, quelque chose comme "Ce livre de Valérie M., c'est pas mal du tout, mais c'est quand même un peu friqué, genre on-va-s'acheter-des-macarons-à-la-pistache". J'avais aussi appris, par la lecture attentive d'un article que j'avais consciencieusement découpé (et que j'avais même affiché au-dessus de mon poste de téléphone, à côté d'une photo de Anna Mouglalis, dans un vieil appartement où j'aimais, pour le goûter, dévorer de larges tartines recouvertes de beurre salé et de gelée de mûres) que ce jeune homme trouvait que les repas étaient une perte de temps, ce qui corroborait une autre rumeur lue dans un magazine plus branché selon laquelle notre jeune homme brun recevait ses invités autour de pâtes aux knackis (ce qui est effectivement moins ruineux qu'une assiette de macarons à la pistache, même si en étant un peu habile, patient et équipé, on peut visiblement en faire soi-même). Bon, de toute façon, il nous avait prévenus, il aime à dîner aux chandelles de jambon-purée chez des filles qui ont du thé à la vanille (ce qui n'est plus mon cas, j'engloutis en ce moment des litres de thé vert à la fleur de cerisier) ce qui est une révélation des plus rassurante: alors, un dîner glamour ne consiste pas forcément à servir des huîtres panées au gingembre ou des ravioles de langoustes pochées dans un bouillon à la citronnelle. Une purée peut aussi faire son petit effet.
Tout ça pour dire qu'un jour, j'ai voulu faire des paupiettes pour faire plaisir à G. (parce que je lui avais promis, lors d'un long trajet en voiture, que si Ségolène R. remportait les présidentielles, alors je ferai des paupiettes et peut-être même, je nettoierai les grandes baies vitrées du salon qui auraient fait s'évanouir n'importe quel obsessionnel en goguette. Et oui, notre vie peut parfois être bien triviale, on n'est pas tout le temps en train de regarder des films scandinaves ou de lire des revues de psychanalyse, il nous arrive aussi de faire le ménage...) Ainsi, comme il est arrivé ce que l'on sait, il n'avait jamais pu goûter à des paupiettes faites par mes soins et j'ai fini par trouver ça ridicule de le priver d'un tel plaisir juste parce que des gens aux idées différentes et pas forcément très recommandables avaient préféré un type populiste, hypocrite et malsain (et j'ai même fait les vitres!). Alors c'est vrai, les paupiettes c'est pas très glamour, ça fait même petite mamie en blouse à fleurs, mais il faut croire que ça ne me déplaît pas puisque j'étais toute contente d'acheter de la ficelle à rôti au petit rayon cuisine du Monop, ça faisait sérieux (ok, j'aurais pu demander de la ficelle au boucher mais il est moustachu et m'intimide un peu). Toujours est-il que lorsque j'ai cherché sur internet une recette de paupiettes, je me suis aperçue de deux choses: d'abord que la plupart des gens les achetaient toutes prêtes (alors que moi ce que je voulais, c'était faire moi-même ces petits oreillers, et puis faire les noeuds, comme au bloc) et surtout qu'il n'existait pas de dogme évangélistique quant à leur contenu. En gros, on peut y mettre ce qu'on veut, en espérant que tout ira bien ensemble (je vous ai déjà parlé de cette histoire de camembert au kinder qui m'avait enseigné que trop de bon tue le bon). Un peu comme Sonia Ezgulian qui raconte dans ce delicieux livre qu'elle adore se défouler du stress d'une journée de travail en se vengeant sur des carottes (coupées en brunoise, en julienne, râpées, mixées...), j'ai trouvé aussi apaisant qu'une séance de yoga (enfin, je n'en ai jamais fait mais je lui imagine cet effet-là) de préparer la farce puis de former les petites paupiettes avec cette fameuse ficelle à rôti. Elles étaient parfumées et délicieuses, notre petite patoumamie en blouse fleurie était ravie.

Les paupiettes de patoumamie
Pour deux personnes

Alors, les proportions sont approximatives parce qu'emportée dans mon élan, je n'ai rien noté. En même temps, il me semble compliqué de donner une recette universelle pour un plat aussi polymorphe (c'est comme les tomates farcies, chacun à sa petite recette)

-4 escalopes de veau très très fines (insister, même si le boucher est moustachu)
-de la chair à saucisse
-de l'ail, un oignon, du persil plat
-un oeuf
-du jambon cru haché
-du parmesan
-un peu de sirop d'érable, un peu de poivre

-des carottes et un oignon en petits dés
-de la pancetta en petits dés
-du vin blanc
-de l'huile d'olive

Mélanger tous les ingrédients de la farce.
Façonner vos paupiettes comme votre bon sens vous l'indique (comme je suis dépourvue de sens pratique et que j'ai réussi, je pense que ça ne devrait pas vous poser de problèmes. En fait, j'ai retaillé les escalopes en grands triangles isocèles et j'ai haché les chutes que j'ai ajoutées à la farce).
Les faire revenir sur tous les côtés avec de l'huile d'olive dans une cocotte qui passe au four.
Les retirer, les garder au chaud, jeter l'huile.
Faire revenir dans la même cocotte les dés de carotte, d'oignons et de pancetta.
Déglacer avec le vin blanc, rajouter les paupiettes, couvrir et faire cuire assez longtemps dans un four à température modérée.
Servir avec une jolie purée au beurre salé.

Sur une étagère poussiéreuse de ma bibliothèque d'adolescente, dans la chambre rose et verte de la maison de mes parents, j'ai retrouvé le weekend dernier, outre un très joli livre de nouvelles britanniques que j'avais lues pour le cours d'anglais de l'hypokhâgne que j'ai désertée, un petit album vert datant de 1958 et s'adressant aux "jeunes mariées tremblantes et aux ménagères cuites et recuites à la chaleur de leur four". Bonne cuisine et jolis plats suggère ainsi aux femmes blasées ou débutantes de régaler leurs invités de Colin à la duchesse (la pauvre!) en gelée ou de langue de veau printanière, utilisant pour les séduire des photos à l'esthétisme au mieux discutable, au pire franchement émétisant. Etre glamour et appétissant, c'est toute une histoire.
Pour en finir avec ce billet décousu que je vous remercie d'avoir lu jusqu'au bout tant on sent qu'il est laborieux, le petit cahier madame Mo offert par G. après une grande semaine de travail et que j'adore.