Sans le regard, ça n'a pas d'intérêt
Début de CP, j'ai à peine six ans. Ma mère a une collègue qui s'est prise d'amitié pour elle et qui s'inquiète de la voir rentrer à pied chaque matin de l'hôpital où elles travaillent. Alors elle la ramène régulièrement en voiture, et lors de l'un de ces trajets amicaux, rythmés par les informations radiophoniques et l'arrêt de rigueur dans une petite boulangerie qui faisait des baguettes divines, elle a évoqué à ma mère les cours de danse où allait sa fille chaque mercredi depuis un an. C'était dans une école municipale, de la danse classique, et mes parents auraient certainement des frais d'inscription peu élevés.
Ma mère m'a montré le formulaire d'inscription, une feuille jaune toute simple, qui serait à mon nom. Elle m'a acheté un petit sac rose et vert d'eau, que j'adorais. Et puis des chaussons très doux, une paire de collants. Le tutu bleu, c'est la collègue qui me l'a offert.
Le mercredi après-midi, j'aimais tout. Les casiers dans le vestiaire, le bruissement de la tulle, les voix de filles à l'infini quand elles se changent, la salle de danse, son parquet, ses miroirs, sa barre, son piano sombre. J'aimais la rigueur du geste, sa grâce, son accord mystérieux avec la musique. J'étais juste un peu gênée parce que je voyais mon reflet dans les grandes glaces, les cheveux noirs, les yeux bridés, je me sentais un peu seule. Et puis un jour, il y a eu un costume à essayer pour le spectacle de fin d'année. Et j'ai surpris la couturière dire au professeur "Il en faudrait une un peu ronde". Et on m'a tendu le tutu blanc à plumetis, comme si c'était un privilège. Et je ne suis jamais retournée au cours de danse du mercredi.
Cela explique peut-être en partie le choc intérieur que j'ai ressenti ce soir en voyant Tanzträume (Les rêves dansants), le documentaire sur ces adolescents qui montent Kontakthof, le beau spectacle de Pina Bausch, qui date de 1978.
Sourdement, sans qu'elles ne soient liées à la tristesse, les larmes ont silencieusement inondée mon visage. J'étais émue par la beauté des pas et des déhanchés, par l'énergie joyeuse des adolescents malgré les doutes et l'angoisse, par le personnage de Joy qui paraît si fragile dans sa robe rose mais dont le regard ne se trouble pas le soir de la première. La scène où elle minaude malicieusement avec une amie, toutes les deux en robes poudrées de gala, est magnifique. J'ai aimé aussi la scène folle de boogie et toutes celles qui détaillent la précision insoupçonnée de la mise en scène, la façon particulière de caresser des cheveux ou de gifler une joue. J'ai déjà envie de le revoir.
****
Pour celles qui sont restées des petites filles privées de cours de danse (ou pas), celles qui aiment la photographie argentique, le mobilier scandinave des années 50, la peinture Bone China Blue de chez Little Green, les guirlandes lumineuses, les photos des films de Godard, celles de Patti Smith, les torchons en lin teinté, les pique-niques uniquement sur des nappes à carreaux avec de la citronnade et la transformation du mobilier standard en objet design, il me parait indispensable de vous procurer au plus vite le numéro un (est-ce que comme moi vous aimez compiler les numéros un des magazines?) de la jolie revue Toc-toc-toc!
A Rennes, elle est dans la vitrine de La belle histoire (8, rue Saint Melaine) mais, en souvenir d'une applique fleurie achetée cet été, j'ai commandé la mienne chez Müm, une adorable boutique bordelaise assez démoniaque si vous aimez les broches en bois, les sacs en tissu, les planches nuages ou les cahiers vintage...
(J'ai encore plein de choses à raconter mais parfois j'hésite, parce que je trouve que je radote grave. Heureusement, P., E. et ses lunettes, C. au milieu des eucalyptus, C. dans le même pays, E. de la salle Pleyel, V. comme à Bloomsbury, C. de l'autre côté de l'Atlantique et l'autre G. savent être encourageantes et bienveillantes. Qu'elles en soient remerciées! Et puis M. a commencé un blog! Incroyable!)
Ma mère m'a montré le formulaire d'inscription, une feuille jaune toute simple, qui serait à mon nom. Elle m'a acheté un petit sac rose et vert d'eau, que j'adorais. Et puis des chaussons très doux, une paire de collants. Le tutu bleu, c'est la collègue qui me l'a offert.
Le mercredi après-midi, j'aimais tout. Les casiers dans le vestiaire, le bruissement de la tulle, les voix de filles à l'infini quand elles se changent, la salle de danse, son parquet, ses miroirs, sa barre, son piano sombre. J'aimais la rigueur du geste, sa grâce, son accord mystérieux avec la musique. J'étais juste un peu gênée parce que je voyais mon reflet dans les grandes glaces, les cheveux noirs, les yeux bridés, je me sentais un peu seule. Et puis un jour, il y a eu un costume à essayer pour le spectacle de fin d'année. Et j'ai surpris la couturière dire au professeur "Il en faudrait une un peu ronde". Et on m'a tendu le tutu blanc à plumetis, comme si c'était un privilège. Et je ne suis jamais retournée au cours de danse du mercredi.
Cela explique peut-être en partie le choc intérieur que j'ai ressenti ce soir en voyant Tanzträume (Les rêves dansants), le documentaire sur ces adolescents qui montent Kontakthof, le beau spectacle de Pina Bausch, qui date de 1978.
Sourdement, sans qu'elles ne soient liées à la tristesse, les larmes ont silencieusement inondée mon visage. J'étais émue par la beauté des pas et des déhanchés, par l'énergie joyeuse des adolescents malgré les doutes et l'angoisse, par le personnage de Joy qui paraît si fragile dans sa robe rose mais dont le regard ne se trouble pas le soir de la première. La scène où elle minaude malicieusement avec une amie, toutes les deux en robes poudrées de gala, est magnifique. J'ai aimé aussi la scène folle de boogie et toutes celles qui détaillent la précision insoupçonnée de la mise en scène, la façon particulière de caresser des cheveux ou de gifler une joue. J'ai déjà envie de le revoir.
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Pour celles qui sont restées des petites filles privées de cours de danse (ou pas), celles qui aiment la photographie argentique, le mobilier scandinave des années 50, la peinture Bone China Blue de chez Little Green, les guirlandes lumineuses, les photos des films de Godard, celles de Patti Smith, les torchons en lin teinté, les pique-niques uniquement sur des nappes à carreaux avec de la citronnade et la transformation du mobilier standard en objet design, il me parait indispensable de vous procurer au plus vite le numéro un (est-ce que comme moi vous aimez compiler les numéros un des magazines?) de la jolie revue Toc-toc-toc!
A Rennes, elle est dans la vitrine de La belle histoire (8, rue Saint Melaine) mais, en souvenir d'une applique fleurie achetée cet été, j'ai commandé la mienne chez Müm, une adorable boutique bordelaise assez démoniaque si vous aimez les broches en bois, les sacs en tissu, les planches nuages ou les cahiers vintage...
(J'ai encore plein de choses à raconter mais parfois j'hésite, parce que je trouve que je radote grave. Heureusement, P., E. et ses lunettes, C. au milieu des eucalyptus, C. dans le même pays, E. de la salle Pleyel, V. comme à Bloomsbury, C. de l'autre côté de l'Atlantique et l'autre G. savent être encourageantes et bienveillantes. Qu'elles en soient remerciées! Et puis M. a commencé un blog! Incroyable!)