mardi 28 septembre 2010

L'histoire à l'envers et l'été envolé

Mes parents sont arrivés en France en plein hiver et ont été ironiquement installés dans un village vacances de bord de mer. Je n'aime pas trop y retourner, l'herbe est drue avant les dunes et les balançoires en pneu de voiture grincent en choeur. Peu d'images de ces quelques mois si ce n'est à travers le prisme de leurs souvenirs. Les premières neiges, sensation inconnue, et les fruits de mer servis avec des rince-doigts, éminemment exotiques. Je me demande à quoi rêvaient mes parents sans argent et sans un mot de français.
Le premier "vrai" logement était à l'étage d'une grande maison aux volets bleus. Le loyer ne valait pas grand chose, le prix d'une seule chambre où l'on se serrait à trois sur le canapé en velours vert bouteille. Là, je me souviens des samedis soirs, parce qu'il y avait Jean Rochefort dans Disney Channel que j'adorais regarder assise par terre avec un bol de soupe de riz. J'étais (et je suis encore) une fan absolue de Jean Rochefort!
Je me souviens aussi de la propriétaire qui habitait au rez-de-chaussée, un genre de grand-mère acariâtre qui venait chercher le loyer toujours trop tôt et qui avait deux monstrueux colleys qui aboyaient prodigieusement fort. Je me souviens que mes parents ont commencé à travailler, des trucs incroyables, comme coller des bandes rouges et bleues sur des maquettes d'avion débarquant par centaines dans des cartons ou trier des milliers de bouchons de flacons de parfum en écartant ceux qui avaient un défaut. Ma mère me faisait promettre de faire un métier un peu plus chic, docteur ce serait bien, surtout que je voulais toujours plus de livres et qu'elle était persuadée que les docteurs avaient des livres du sol au plafond.
Un jour il fallut faire à nouveau les cartons, qui étaient finalement peu nombreux, et nous avons emménagé dans un nouvel appartement dont ils me disaient de taire l'adresse quand c'était possible parce qu'ils avaient honte d'habiter une sordide cité HLM. J'avais une chambre rose, ils m'ont acheté du mobilier blanc, j'adorais mon secrétaire et ses tiroirs désuets. Il y avait une cuisine bleue, un bleu un peu sale, un peu triste, un bleu qui fait que maintenant ma mère déteste cette couleur. J'ai eu mon premier sapin de Noël dans ce salon, ma mère a commencé à travailler, elle partait le soir, revenait le matin et me faisait réciter poésies et tables de multiplication sur le chemin de l'école qu'elle parcourait avec moi, main dans la main et les yeux mi-clos d'épuisement. Mais ils furent heureux de m'acheter une bibliothèque pour mon anniversaire et une marchande (avec une balance, une caisse enregistreuse, des fruits et légumes en plastique et même un poulet rôti!) à Noël.
Mon père a commencé à travailler aussi, il a pu remplacer la deux-chevaux couleur crème par une R5 métallisée, mais il était très malheureux au travail, il avait dû renoncer à ses aspirations scientifiques, il n'a jamais pu reprendre ses études interrompues au Cambodge et il ravalait chaque matin sa fierté avec son café qu'il buvait noir.
Tout cela ne fut pas sans récompense. Un jour ils commencèrent à visiter des petites maisons, pas trop loin du collège où j'allais rentrer en sixième, et au début de l'été, nous avons pu quitter la cuisine bleue, la cage d'escalier vraiment glauque et le balcon en béton pour nous installer dans une maison blanche avec un jardin, une terrasse, un cognassier devant la fenêtre de la cuisine et des rosiers devant l'entrée. Mes parents étaient enchantés par des détails assez touchants finalement, comme les plafonds tapissés des chambres, la baignoire et le carrelage de la salle de bain. Ils étaient vraiment contents, ils invitaient des amis, ce dont ils s'étaient privés pendant des années, et ma mère faisait des montagnes de nems, des gaufres et des brochettes de boeuf à la citronnelle sur le barbecue de la terrasse.
J'ai commencé à tenir un journal dans cette maison-là, dans un cahier violet au début. J'y racontais que les garçons étaient décidément très compliqués, que les appareils dentaires étaient une invention sataniques et que décidément, ce n'était pas juste, A. était infiniment plus jolie que moi, même si c'était une beauté un peu vide. Les préoccupations étaient enfin futiles.
Quand je retourne chez mes parents, même si je suis un peu triste quand je repense à mes hésitations adolescentes et mon ennui silencieux et interminable, même si je ne suis pas toujours d'accord avec les partis pris de leur décoration, je suis infiniment rassurée de les voir installés-là, eux qui débarquant en France au milieu de l'hiver dans les années 80, n'auraient jamais imaginé un jour en posséder un petit espace, un morceau de terre.
Les dernières heures passées dans l'ancien appartement sur les quais rennais furent un peu difficiles. Suite à notre manque chronique d'organisation, il restait encore une trentaine de cartons à transporter nous-mêmes après le passage des déménageurs, et puis il fallait tout nettoyer. A trois heures du matin, après un kebab assis en tailleur sur le parquet désert, il s'avéra nécessaire d'aller à la déchetterie, ahem. J'avais oublié que dans les placards de mon ancien bureau, les placards en hauteur, ceux que je n'ouvre jamais, il y avait tous les livres, toutes les notes, les annales, les dossiers, les schémas, fébrilement entassés pour l'internat. Une montagne de cinquante kilos de papier. J'ai gardé des petites bricoles, pour la revente et pour le souvenir (notamment le répertoire très épais où j'avais compilé tout ce qu'il ne fallait absolument pas oublier) mais le reste a fini dans des grandes poubelles, entre un restaurant et un réparateur de vélos. Ca m'a filé des frissons de jeter tout ça, ces heures de travail, ces sales souvenirs.
J'ai hâte de vider les cartons entre lesquels on zig-zague périlleusement, de peindre les tréteaux de mon bureaux, d'en recouvrir de papier le plateau, de retapisser le tabouret de piano, de choisir les magnets pour le frigo! Et puis je vous montrerai... Le chemin fut long!
****
Bonus! Parce qu'il y a des filles qui emmènent leur amoureux à Biarritz en automne, mes endroits préférés (dans l'une de mes villes préférées).
Adresses et liens à la fin du billet.

A l'Hôtel Beaulieu, parfaitement situé entre la plage des Basques et le centre ville, il faut penser à demander une chambre avec vue ET balcon, parce qu'elles sont plus grandes et que c'est toujours chouette de s'asseoir un peu pour regarder les vagues sur le rocher de la Vierge et les enfants du club de surf qui s'entraînent sur la toute petite plage pile en face de l'hôtel. Je ne me baigne jamais là parce qu'il y a trop de monde, de familles, mais j'adore la grosse horloge juste au-dessus des colonnes en pierre.
Si nous avons souvent discuté avec le veilleur de nuit, qui est un ancien accordeur de piano, nous n'avons jamais pris de petit-déjeuner à l'hôtel. Si la journée s'annonce calme et voluptueuse, il n'y a pas d'hésitation possible, il faut aller chez Miremont, commander un chocolat chaud, des toasts (au pain de mie maison) qui arrivent grillés et beurrés, et de la confiture. J'aime bien faire ça avant une balade jusqu'au phare par exemple. Une fois arrivés là-bas, on prend des photos des hortensias, on observe les pêcheurs au pied des falaises et je suis capables de rester des heures à regarder le panorama. Si le programme est chargé (genre Tiens si on allait à Bayonne? ou Tu veux aller à Guéthary? -en fait je n'aime pas trop Guéthary. Ni Saint Jean de Luz), on boit un café ou un thé en bas de l'hôtel et on s'achète des viennoiseries sur le chemin toujours à Miremont.En général, quand on rentre du phare, on aime bien s'arrêter au Bookstore, pour s'acheter un livre qu'on lira l'après-midi sur la plage. Ils ont aussi une très chouette sélection enfants et les libraires sont assez avenants.
Il arrive qu'on aille aussi au cinéma, parce qu'il est d'Art et d'essais et qu'il y a toujours un bon film au programme. En attendant la séance, on peut grignoter des macarons Adam sur la place (mais je ne suis pas fan de leurs pâtisseries) ou traîner au Festin Nu, librairie subversive dans une petite rue en face du ciné, où ils ont eu la bonne idée d'installer un canapé. En discutant avec le garçon qui y travaillait cet après-midi là, on a décidé d'aller se rafraîchir chez Lulu la Nantaise, un salon de thé-antiquités du XXème siècle, où les smoothies sont délicieux, piquants de gingembre quand on commande un orange-pomme-carotte. Juste à côté un joli magasin de maquettes en bois avec une lampe-poisson impressionnante.
En fin d'après-midi, quand la pellicule pour le Diana F+ est terminée, vous pouvez toujours vous approvisonner à In the middle, qui propose plein de modèles de Lomo et qui vend aussi des jolis vêtements de créateurs pointus au milieu des must-have du moment (toute une pile de Bensimon Liberty cet été). Le couple qui tient le magasin est super gentil. D'autres adorables habits vous attendent à Lily of the valley, jolie boutique à la façade azurée. On y trouve des sacs Polder, des vestes Isabel Marant, des jolies chemises et des chouettes jupes. Au sous-sol, des vêtements vintage au milieu de vieux magazines de mode et de radios d'époque. Là aussi, les vendeuses sont super gentilles.
Sur le chemin des Halles, si vous allez faire le marché, trois escales possibles. La première à Le rond dans l'eau pour les plateaux en bois, les lampes Jieldé vert d'eau, la vaisselle scandinave, les fauteuils designés, les sets de table Robert le héros et tout un tas de jolis objets. La deuxième chez Arostéguy d'où j'ai faillit repartir avec une énorme conserve de ventrèche de thon dont la boîte était de plus bel effet mais il y a aussi des foie gras, des pâtés au piment d'Espelette, du boudin basque, des confitures, des sablés locaux, des jus de fruits dans des belles bouteilles... Et du thé Mariage Frères si vous avez oublié vos sachets à la maison! La troisième escale n'a rien à voir, c'est à Denim Gallery, pour les jeans différents et les tee shirts sérigraphiés chics et malicieux.
Les Halles sont évidemment incontournables et j'ai toujours rêvé d'avoir une cuisine à Biarritz pour préparer les beaux poissons et les légumes archi frais. Pour se consoler, on s'y ravitaille en fromages basques et en charcuterie pour un pique-nique délicieux. Juste à côté des Halles, une institution en début de soirée, le Comptoir du foie gras, qui ne fait pas que du foie gras, loin de là, mais des supers tapas au tarama d'oursin ou au fromage et à la confiture de cerises noires ou au juste au Pata Negra, enfin il y en a une vingtaine, qu'il est très agréable de grignoter autour de grands tonneaux qui font office de tables pour recevoir la sangria, le cidre de basque, l'orange pressée ou la coupe de champagne. Plein d'habitués, jolis cardigans, robes fleuries et lunettes arty qui s'embrassent et échangent leurs bons plans. Juste à côté, un antiquaire avec des livres de cuisine d'un autre temps et le Bar des Halles, quand le Comptoir du foie gras n'a plus de places disponibles. Le choix des tapas est large, et ils sont aussi délicieux mais l'ambiance est plus familiale.
Dans la rue Gambetta, à côté, il y a une très belle rôtisserie et sous le porche, si l'on s'avance un peu, un salon de thé que je n'ai jamais pu essayer mais la déco fait envie et ils font du cheesecake et du clafoutis.
Pour manger, pour changer un peu, pour profiter aussi de l'occasion pour traverser la ville quand on n'est plus en son centre et apprécier l'architecture des villas biarrotes, il y a toujours un soir pendant les vacances où l'on va dîner au Taj Mahal qui, comme son nom ne l'indique pas, est un restaurant tenu par des Sri Lankais. S'y retrouvent les amoureux qui aiment voyager, les grands ados avant d'aller danser, les gens du quartier qui savent que les naans au fromage et le poulet Taj Mahal sont trop bons. En rentrant, on peut aller prendre un dessert sur la plage, par exemple une glace pamplemousse-coco chez Dodin puis s'installer sur le sable un peu à l'écart et apprécier la beauté de la nuit sur l'océan. On peut ne pas rentrer tout de suite et contourner l'hôtel pour voir les lumières de l'Espagne et les montagnes un peu floues sur la côte des Basques, je ne compte plus le nombre de promenades nocturnes le long de cette plage à parler sans fin.
Il arrive que l'on revienne d'Anglet quand on passe l'après-midi à la plage (d'ailleurs le camion à glaces d'Anglet est très recommandable, avec une glace au yaourt toute simple mais si bonne, un peu acidulée) et dans ce cas, au retour, on se dépêche de poser les sacs à l'hôtel et on descend très vite dans la petite crique du Santa Maria, un bar restaurant juste intéressant pour sa vue splendide et ses tables dans les rochers. C'est toujours chouette d'y boire un mojito le soir.
Je ne sais pas si la terrasse est toujours là en automne mais en août, il est très agréable de dîner sur le port, à la casa de Juan Pedro. On fait la queue en grignotant des tapas et puis on dîne au bord de l'eau de choses simples, calamars et gambas grillés, chipirons à l'encre ou lotte à l'espagnole. Un peu plus tard dans la soirée, si vous avez un petit creux, vous pouvez prendre une crêpe au chocolat à La petite crêperie et la manger en pensant à la délicieuse journée qui vient de s'écouler.
Je suis sûre que j'oublie des endroits que j'aime bien mais je sais que si on se laisse guider par ses désirs, les gens croisés, les conseils des autochtones, on arrive forcément dans les lieux les plus chouettes. J'adore Biarritz, c'est à la fois moderne et désuet, il y a le spectacle des énormes vagues qu'on ne voit pas toujours en Bretagne et les nuits y sont magnifiques.


Hotel Beaulieu 3 esplanade du Port-Vieux 05 59 24 23 59
Miremont 1 bis place Clémenceau
Maison Adam 27 place Clémenceau
Bookstore 27 place Clémenceau
Le festin nu 2 rue Jean Bart
Lulu la nantaise 8 avenue Jaulerry
In the middle 11 rue Alcide Augey
Lily of the valley 2 rue Simon Etcheverry
Le rond dans l'eau 6 rue Victor Hugo
Arostéguy 5 avenue Victor Hugo
Denim gallery 6 rue Victor Hugo
Le comptoir du foie gras 1 rue centre
Le bar du marché 8 rue des Halles
Santa Maria au Port Vieux
Casa Juan Pedro sur le quai du Petit Port
Dodin Quai de la grande Plage
Le Taj Mahal 10 avenue de la gare
La petite crêperie rue de Mazagran

vendredi 17 septembre 2010

Ailleurs, bientôt -mapo doufu-

En ce moment, les cheveux bien relevés sur le sommet du crâne (mais j'aimerais bien savoir faire une tresse qui en fasse le tour), Nouvelle Vague en fond sonore, une réserve de biscuits italiens pas très loin et des litres de thé qui s'alignent dans des tasses que je ne range pas, je suis occupée à mettre notre vie en carton. Le matin, au petit-déjeuner, on cligne des yeux devant les étagères qui attendent d'être démontées.
Cinq années dans cet appartement ont laissé le temps d'accumuler de quoi remplir une centaine de caisses de livres, de magazines, de dvd, de lettres, de papiers découpés, de cahiers remplis à craquer de textes et de dessins, des photographies par milliers, des gris-gris, des doudous, des lampes rapportées dans des valises, des théières chinées, des cartes postales jamais envoyées, des médicaments périmés, des dictionnaires (architecture, psychanalyse, auteurs, cinéma -films, réalisateurs-, opéra, instrument de musique, cuisine -ses termes, ses classiques-, turc, chinois, allemand, arabe, espagnol, anglais. Le poids d'un frigo), des catalogues d'exposition comme autant de souvenirs de vacances à Paris, Londres ou Lisbonne, des boules de Noël, des affiches qui espèrent être un jour encadrées, des emballages de chocolats et de biscuits, cette veste que tu avais achetée pour ta thèse, la vie qui passe.
Chaque jour, un nouvel objet un peu fragile est transmis par nos soins de l'actuel appartement au prochain (deux rues plus haut, pas très compliqué) qui a donc accueilli des lampes, un Chinois en terre cuite, des appareils photo, des denrées alimentaires suédoises (les rayons de supermarché étaient assez affolants en terme de jolis paquets. Je n'ai même pas su résister à une boîte de couscous), un porte-magazines, un seau à glaçon en forme de poire en laque noire et puis une chaise de bureau années 50 soigneusement raffraîchie par les mains expertes et délicates des filles de madamemademoiselle et des fauteuils de la même époque chinés chez notre antiquaire préférée et qui me rappellent Topolina, en automne à Trouville.
Comme il y a de nombreuses choses pragmatiques qui nous occupent l'esprit, les repas simples et régressifs sont de rigueur. Club-sandwiches dodus avec des frites maison, lasagnes fumantes, mousse au chocolat puissantes et douces à la fois, pizza, soupes de nouilles, kebab, fromages-raisin, glace à la vanille-chocolat à croquer, et pour les soirs de fête, Mapo doufu!


Ce plat est absolument irrésistible avec du riz à la vapeur tout chaud. Les parfums qui diffusent dans la cuisine lors de sa préparation sont déjà un voyage. Lisez un peu comment Gracianne en parle! Il faudrait que j'essaie sa recette même si je suis très convaincue par celle de Mingou où je me permets juste (c'est sûrement hérétique mais bon rappelez-vous que j'étais une adepte des tartines de Vache qui rit-banane) de mettre autant de cochon que de tofu. C'est aussi un plat étonnant pour ceux qui, comme moi, trouve ce dernier mollasse, fadasse et habituellement sans intérêt.
Le point crucial est de goûter en fin de cuisson pour réajuster les quantités de sauce soja, de sucre et de piment pour que ce soit bien relevé. Essayez! (même si vous ne déménagez pas)

Mapo doufu de Mingou
-500g de tofu de bonne qualité coupé en dés
-500g de poitrine de porc hachée
-environ 6 CS de sauce soja
-environ 3 CS de sauce soja aux champignons
-1,5cc de sucre en poudre
-2 gousses d'ail écrasées
-du piment
-une pincée de poivre du Sichuan pilé
-2 brins de ciboule ciselée
-3cc de fécule de pommes de terre délayées dans 3CS d'eau
-3CS d'huile de sésame
-20cL de bouillon de poule
-une huile neutre

Mettre les dés de tofu dans une casserole, couvrir d'eau, porter à ébullition, égoutter, réserver.
Faire chauffer une huile neutre dans un wok, y faire revenir l'ail puis le cochon puis ajouter le piment, le poivre, les sauces soja, le sucre et l'huile de sésame (le mieux, c'est de tout préparer à l'avance dans des coupelles). Bien mélanger.
Verser le bouillon et laisser mijoter une dizaine de minutes avant d'ajouter le tofu. Mélanger délicatement.
Finir par la fécule et laisser cuire jusqu'à ce que la sauce prenne une consistance un peu visqueuse. C'est là qu'il faut goûter (G. aime bien ce moment, c'est lui qui s'en occuppe) et rectifier l'assaisonnement si le besoin s'en fait sentir.
Hors du feu, ajouter la moitié de la ciboule et mélanger puis verser dans le plat et
parsemer du reste de la ciboule pour décorer (là c'était de la ciboulette, deuxième hérésie).
C'est un plat qui ne laisse jamais de restes!
(Je me demande ce que je cuisinerai en premier dans le prochain appartement... Peut-être des empanadas?)

mercredi 8 septembre 2010

Les garçons font comme si -crumble pommes et mûres de bord de mer-

Il m'avait prévenue Jamais je n'habiterai avec quelqu'un.
Ainsi chaque retrouvaille était un rendez-vous, entre les rayons d'une librairie ou derrière les vitres d'un café.
Chez lui, on m'avait aménagé un espace carré où s'entassaient vêtements froissés, cours de médecine et magazines.
Chez moi, il ne venait pas souvent, je ne trouvais pas ça assez bien. Il sonnait juste le jeudi en fin d'après-midi et apportait des pains au chocolat.
J'habitais un appartement petit, sombre, et glacial l'hiver. Le parquet était très beau, il y avait des poutres apparentes et une cheminée mais les fenêtres étaient minuscules, ne s'ouvraient pas ou donnaient sur un mur. C'était très encombré, rempli de livres, d'affiches, de cassettes vidéos, de cartes postales et de tablettes de chocolat. C'était l'époque où sur mon répondeur, les gens étaient reçus par l'introduction d'une chanson de Radiohead. C'était l'époque aussi où je portais des jeans retroussés sur des Clarks en cuir brun fatigué, celle où j'avais une besace en tissu rayé et un duffle coat. C'était l'époque où j'attendais que la vie commence.
Au rez-de-chaussé de mon immeuble il y avait un bar, qui changeait souvent de nom. Un jour, en février, ce n'était pas un jeudi, il avait sonné, il avait quelque chose d'important à me dire. J'avais les traits tirés parce que c'était un rude hiver. On a décidé d'aller boire un café en bas (je ne bois jamais de café) et, alors que je me demandais si j'allais défaire ou non mon écharpe rouge, il m'a dit Peut-être on pourrait habiter ensemble.
Plusieurs hivers ont passé depuis, et vendredi dernier, quelque chose est venu sceller, non seulement les souvenirs anciens, communs et heureux, mais aussi tous ceux à venir, et qu'on ne soupçonne pas.
Pour fêter cela, il était prévu un déjeuner dominical chez Olivier Roellinger, et sur la route qui serpente jusqu'à Cancale, l'excitation était à son comble.
De ce repas plein de bons sentiments, je garderai surtout en mémoire l'arrivée du chariot des desserts et de ses trois étages remplis de douceurs rassurantes: millefeuille à la vanille, profiterole, fraisier, Paris-Cancale (praliné et pistache), tarte aux figues ou abricot-chocolat ou chocolat-caramel au beurre salé, compotée de nectarines au poivre de Kampot, meringues, nougats, guimauve à l'orange et à la poudre Equinoxiale... Je ne me souviens plus de tout. Ce que j'ai trouvé terrible, c'est le retour de la serveuse, une fois les assiettes débarrassées, et sa question miraculeuse Avez-vous eu assez de desserts? Comme je suis timide et que j'ai l'idée que le manque a quelque chose à voir avec le plaisir, je n'ai pas repris de profiterole, qui était pourtant juste démente.
Puis il y eut une longue balade le nez au vent (changement de chaussures de rigueur, mais vous le savez, je suis toujours équipée) et nous avons parlé de focale, de jardins botaniques, d'hôtels parisiens, d'une veste avec des manches à revers rayé et de la fête que nous ferons dans le nouvel appartement, des années après ce café que je n'avais même pas bu, dans le bar en bas de mon immeuble.
On aurait pu croire qu'après les agapes roellingeriennes, nous nous serions passés de dîner. C'était sans compter la très longue marche, lors de laquelle nos mains se blessèrent pour ramasser des dizaines de belles mûres et qui s'était close par l'achat d'une salade toute pimpante à une mamie qui tenait un mini-stand de légumes en bord de route, en bord de mer (j'aurais pû vous parler du charme de la cueillette des mûres, l'oeil qui devient de plus en plus vigilant pour repérer les fruits les plus volumineux, les plus brillants, et la main qui s'avance pour détacher la mûre avec précaution tandis que l'autre main écarte les ronces malvenues, mais j'ai peu d'expérience, je ne voudrais pas dire n'importe quoi).
Alors dans la voiture tous phares allumés, nous avons fait des suggestions impossibles, compte tenu de l'heure et de l'état du frigo dévalisé la veille pour faire un repas digne de ce nom après la séance de Oncle Boonmee ( ce n'est pas le film d'Apichatpong Weerasetakhul que je préfère mais c'était bien quand même). Il n'y aurait pas de salade caesar, ni de porc au gingembre (mummy's recipe) mais l'idée du club-sandwich fut dérivée vers le kebab! Non parce que tu vois, quand je rentre, il y a toujours une queue folle au kebab à côté de la presse. Du coup j'ai regardé et ils annoncent que la viande est maison, du coup je sais pas, on pourrait essayer...
(je sais qu'il y en a qui s'évanouissent rien qu'à l'idée mais j'assume, j'aime les -bons- kebabs!)
A maison, pendant qu'il mettait la table, je suis descendue à toute vitesse et devant le comptoir récemment rénové, j'ai demandé une grande barquette de viande, une petite barquette de frites (ça c'est inhabituel et hérétique mais vous voyez, je ne vous cache rien), de la sauce blanche et un peu de pain. Un kebab déstructuré en quelque sorte. Dans l'ascenseur, avant de franchir la porte d'entrée de l'appartement, j'ai croisé les doigts pour que ça ne soit pas moins bon qu'au Royal Kebab (à côté du TNB, mon préféré. Et en plus, la femme du patron livre parfois des cuisses de poulet farcies), parce qu'ils sont vraiment gentils là-bas et que je n'aime pas faire des infidélités.
Dégustation cérémonieuse et amusée.


Au final, c'était très bon: la viande était bien grillée et avait un goût de piment doux, la sauce blanche était vraiment extra, fraîche, avec des micros-dés de concombre MAIS ce n'était pas aussi régressif qu'au Royal Kebab! La salade de la mamie avait quant à elle le goût de sa gentillesse.
En tout cas, j'aime l'idée que je vis avec un garçon qui peut le midi déplier une serviette sur ses genoux et se régaler de mets sophistiqués dans de la belle porcelaine et le soir dévorer un kebab avec un verre de bière ambrée.
Le lendemain, après une réunion au sommet, il fut décidé que les mûres finiraient en crumble. Fidèle à lui-même, de la même façon qu'il préfère les cheesecakes à croûte épaisse, il aime aussi les crumbles avec plein de pâte. La mûre et la pomme ont fait un heureux mariage.


Recette simplissible et rapidissime: mélanger 120g de farine avec 100g de rapadura et 75 g de poudre d'amande puis y sabler 100g de beurre demi-sel bien froid. Mélanger dans un plat les mûres (environ 200g), six petites pommes (plutôt acidulées) pelées et coupées en dés et une cuillère à soupe de sucre à la vanille (récupérer les gousses de vanilles dont seules les graines ont été utilisées, les mettre dans un bocal et le remplir de sucre en poudre puis attendre). Verser la pâte à crumble et enfourner (35min à 180°)
C'est archi vieillot de servir ça avec de la glace à la vanille, mais c'est aussi archi bon!

vendredi 3 septembre 2010

C'était assez bien pour nous pourtant* -blueberry and almond cake-

Matins vacillants.
Pieds nus sur leurs pointes et sur le parquet glacé, j’avance en titubant dans la cuisine et j’ai l’œil encore mi-clos quand je surveille le lait au bord de l’ébullition. Pas de radio, j’écoute encore mes rêves.
Et comme j’ai trop traîné, je me brûle la langue avec le chocolat chaud.
La rentrée est difficile ! La vie paraît plus simple à Biarritz, installée dans le canapé du Festin Nu à feuilleter des livres de cuisine, accoudée au troquet près des Halles avec du champagne et des tapas, concentrée sur les parfums des glaces (yaourt ? coco ? straciatella ? citron ?), occupée à photographier les vagues au pied du phare, divisée sur cette jupe bleue à Lily of the valley, être épatée par l’andouille basque au piment d’Espelette... Penser à tout cela m’a un peu serré le cœur le jour où je suis revenue à l’hôpital. Je me demande à quel point il faut aimer son métier pour ne pas être un peu triste quand on vide sa valise et qu’on la range en attendant la prochaine fois.
(Jusqu’à très tard, la vingtaine dépassée, je ne partais jamais en vacances et j’accueillais les premiers jours de juillet avec une angoisse sourde. Je me souviens qu’enfant, je fantasmais sur les images d’embouteillage qui passaient à la télévision, avec cette expression dans la bouche du journaliste qui me rappelait ce à quoi je n’avais pas droit Le chassé-croisé du mois d’août. J’étais en général très triste l’été, je trouvais que tout ce soleil était parfaitement insultant quand on s’ennuie à mourir)
Je ne savais pas encore que parfois, le ravissement survient à l’improviste.
Je vous conseille, en cette rentrée, comme baume au cœur radical, de vous procurer Fin août, début septembre. Je l’avais déjà vu il y a longtemps mais un revisionnage attentif et ému a décuplé mon affection pour ce film. J’ai pas mal bassiné G. pendant les jours qui ont suivi, lui racontant comme Jeanne Balibar (fauchée et quittée mais qui s’y connait en restaurant vietnamien) me file des frissons quand elle croit en ce qu’elle n’a pourtant plus, à savoir l’amour de Mathieu Amalric, qui sachez-le, même lorsqu’il fait visiter un appartement, a un charme fou. La façon qu’ont les personnages de se chercher, de se tromper, d’hésiter, de ne pas se comprendre mais-en-fait-si-mais-autrement m’a enchantée. Il s’agit juste de vivre sa vie, mais c’est un peu compliqué.
On suit donc la séparation de Jenny et Gabriel, des sentiments naissants de ce dernier pour une fille fantasque accroc au Tac-o-Tac et au Loto Sportif, Anne, tandis qu’un ami commun, un écrivain, Adrien, qui lui-même vit une histoire sensible avec Véra, une lycéenne aux cheveux courts, se meurt d’une maladie ancienne. Mais ce n’est tant pas un film sur la mort, que sur ce que cette mort révèle d’eux-mêmes à ce qui restent, aux vivants. Et c’est cette nouvelle force, ce printemps en automne, qui m’a aidée lorsque les matins étaient trop vacillants.
Dans un registre plus réel, pour se sentir plus fort que les chefs cruels, les comptes en banque inexistants, les familles compliquées et les amis qui s'en vont, il ne faut pas hésiter à préparer un gâteau aux myrtilles.


La recette de Julia, avec des cassis, est à suivre les yeux fermés et, même s'il se garde très bien grâce à la pâte d'amande, des morceaux délaissés de gâteau sont délicieux recouverts de lait bien frais.
J'ai juste diminué un peu les proportions.

Blueberry and almond cake
-4 oeufs
-200g de sucre
-120g de pâte d'amande râpée
-190g de farine
-60g de beurre
-500g de myrtilles

Fouetter les oeufs et le sucre jusqu'à ce que le mélange blanchisse et devienne mousseux.
Ajouter la pâte d'amande puis la farine en mélangeant bien à chaque fois.
Verser la pâte dans un moule beurré et fariné.
Répartir les fruits à la surface en les enfonçant un peu.
Recouvrir de lamelles de beurre, saupoudrer d'un peu de sucre et enfourner environ 45 minutes dans un four à 200°.

*Le couple qui visite l'appartement que Gabriel et Jenny vont quitter font un peu la moue et je ressens, comme Jenny, une petite tristesse quand les gens visitent l'appartement que nous quittons bientôt, avec les lèvres pincées.