dimanche 2 novembre 2008

Les jours sans lui (1) - Avant le départ - Je n'ai pas essayé un manteau bleu soldé-

Jeudi rien d'essentiel. Le lacet de mon soulier gauche a lâché vers 22h30 pendant une garde par ailleurs éprouvante (et pas seulement à cause des tranches épaisses de dinde à la moutarde réchauffées avec de la ratatouille acide. Mais j'avoue, j'en ai mangé. Et à trois heures du matin, pour me donner du courage, j'ai avalé des mouillettes beurrées avec du nutella et de la confiture de fraises en barquette).
Le lendemain était bien plus intéressant. Les cheveux encore mouillés par une douche chaude (prise à la maison parce que la robinetterie de l'internat reste pour moi un insondable mystère) et des chaussures aux lacets intacts aux pieds, nous avons filé à toute allure vers les côtes normandes. Le feuillage roux et mordoré des arbres croisés sur le chemin se détachait sur le ciel pâle, gris minéral.
La chambre d'hôtel deauvillaise était violette et fleurie. La réceptionniste portait une étole grenat et nous recommanda pour déjeuner le restaurant italien où elle avait ses habitudes. Nous y avons goûté un délicieux osso buco dont la sauce aromatique et épaisse incitait à y plonger avec volupté des morceaux de pain blanc à la mie serrée. Juste à côté du restaurant un endroit parfait pour les filles qui aiment les pulls très doux avec des noeuds à l'encolure, les vestes en velours, les sacoches de vélo revisitées en sac à main, la vaisselle vintage, les patères à boules multicolores, les porte-clefs en tissus, les tennis en nubuck et, éventuellement, une très belle paire de lampes des années cinquante qui n'aurait sans doute pas déplu à Jane Austen.
Un peu plus loin, sur le trajet de la plage, il y avait une boulangerie dont la vitrine débordait de pains de shabbat, dorés et joufflus. Nous y avons acheté du flan à l'abricot (sans intérêt) et un feuilleté au chocolat et à la crème pâtissière (plus convaincant). On avait les doigts tout collants, ce qui n'est pas très pratique pour ramasser des coquillages. Nous avons marché très longtemps, dans un froid sibérien, la mer était belle mais pas autant que les cieux.
Au retour, nous voulions éviter l'étourdissement clinquant des boutiques mais je n'ai pu résister à entrer dans un CDC, pour voir s'ils avaient la robe à carreaux qui à Rennes faisait défaut. J'aime quand les désirs s'éteignent sans regret: cette robe m'allait aussi bien que le chou de Bruxelles au cheesecake à la vanille. Nous sommes allés fêter ça autour d'un thé mais rien n'est plus doux et caressant que la main de G. dans mes cheveux.
Ce soir-là, je voulais l'emmener dîner au bistrot des 4 chats, dont je gardais un souvenir ému lié à E. et à un tagine de lotte il y a déjà plusieurs années (je ne portais jamais de jupe à l'époque, et j'avais un sac à dos rouge). En arrivant à Trouville, il m'a paru évident que sa voisine ne pouvait concurrencer son charme délicatement surranné, la proximité des côtes anglo-saxonnes qui confère un goût de scone chaud et une atmosphère de cache-théière en flanelle, l'ombre de Marguerite entre les villas aux volets pâles, les antiquaires pleins de ressources dont l'un notamment (qui avait également séduit une charmante jeune femme) avait eu le bon goût de mettre en vitrine un réveil en forme d'oeil (qui a tout de suite plu au gentil garçon qui m'accompagnait et dont l'écharpe grise volait au vent).
Très bien installés à l'étage des 4 chats, après un accueil paraît-il légendaire et effectivement plus que chaleureux, nous avons jeté notre dévolu sur un flan de langoustines au safran (dont la sauce crémeuse fut ravie de rencontrer le pain aux céréales servi chaud), des saint-jacques à la forme olympique sont parvenues à faire manger à G. avec le sourire une fondue d'endives (qui d'habitude le terrorisent), un carré de veau au caramel au gingembre a pour sa part recueilli mes faveurs. Par coquetterie inutile, je n'ai pas achevé les délicieuses pommes de terre sautées. En dessert, nous avons partagé une glace à la rose délicate et moelleuse comme un baiser.


Le lendemain, il était impossible d'envisager de se séparer du parapluie.
Après le chocolat chaud, le double café et le croissant de rigueur (dans un salon de thé très fréquenté par de grandes dames blondes et ridées aux sacs monogrammés), G. s'est dit que quand même, les lampes austeniennes iraient bien dans mon bureau (où trône encore l'affreuse lampe de mes années lycée avec les petits coeurs autocollants multicolores sur le socle en plastique moche). Vues de près, elles étaient effectivement adorables et j'ai accepté ce cadeau inattendu rougissante de gratitude et d'amour.
Une église aux vitraux mémorables, plusieurs antiquaires (qui auraient réjouis les amatrices de petites cuillères) et une robe encore trop grande plus tard, nous avons déjeuné aux Mouettes, sous une photo de Marguerite, qui on le sait, n'aimait pas que la tarte au citron. Les températures extérieures m'ont décidée à goûter le pot-au-feu dont le bouillon brûlant était aussi bon que la moelle saupoudrée de fleur de sel posée sur le pain toasté. En dessert, une crème caramel parfaite. A la table d'à côté une jeune fille aux cheveux bouclés dont j'enviais le chemisier fleuri essaie de manger aussi proprement que possible son assiette de moules-frites en racontant en anglais ses dernières vacances à Amsterdam à un couple de personnes âgées.


Sur la plage, les cirés furent de rigueur mais nous avons foulé le sable avec un bonheur infini, imaginant gaiement les vies des gens derrière les volets clôts des villas colorées.
A seize heures, une jolie librairie avait ouvert ses portes. J'en suis ressortie avec le portrait de Marcel Proust dans un papier cadeau violet.


On est repassé devant l'antiquaire avec le réveil-oeil. Une Américaine s'apprêtait à acheter des chaises de salle à manger dont la structure métallique "n'est en fait constituée que d'un seul tube" s'évertuait à lui expliquer dans un anglais précaire le propriétaire aux cheveux en broussaille. G. a examiné le réveil (dont le tic-tac n'est cependant pas vraiment discret) et je savais que je ne pourrais sortir du magasin sans le lui offrir tant il le contemplait avec une envie élégante, toute en retenue, mais qui n'en était que plus palpable. J'ai aimé son sourire pendant que l'antiquaire emballait avec précaution l'objet.
C'était l'heure du thé, en écoutant dans un bar de fausse brocante une vieille chanson des Innocents (que j'aime bien). G. dit "On va voir comment c'est Honfleur?"
La route est sinuseuse et traverse des forêts floues. Les rues sont pleines de monde et de bruits. Juste le temps de dire que "C'est vrai que les façades sont jolies mais bon" et de boire un thé en dégustant une tarte au citron aussi onctueuse qu'acidulée (je prends mon courage à deux mains pour demander à la patronne la recette mais elle répond laconiquement "Il y a des oeufs, du sucre..." avant de disparaître en cuisine. Sa collègue me dit "De toute façon, c'est énormément, énormément de travail, ça ne se fait pas comme ça". Je n'ose pas lui dire que hum, je cuisine un peu alors ça ne me fait pas peur. Mais je n'ose pas).
Nous avions réservé ce soir-là chez Isabelle Lallemang, une des rares femmes qui porte avec une classe folle une mini jupe matelassée avec des collants violets et des bottes en peau. Son sourire ravage tout sur son passage, elle est désinvolte et rigoureuse à la fois. Cette dame a une table d'hôte à Trouville et c'est probablement l'endroit en France où je préfère dîner. C'est un lieu indescriptible, éclairé à la bougie, avec des tapis colorés, de la vaisselle chinée, des fauteuils en velours, des miroirs mouchetés, des guéridons en cuir, des coussins fleuris, un piano sous des partitions de Bach... Installés à l'étage, nous dînons autour d'une table basse en marbre, assis dans des fauteuils en tissu lisse et doux couleur vert bouteille et vieil or mêlé. Au rez-de-chaussée, un anniversaire se prépare, deux familles se rencontrent, les habitués s'embrassent, les coupes de champagne circulent. Le menu est unique, et tout est délicieux. D'abord un velouté froid de chou-fleur aux épices, puis un rôti de veau que l'on peut couper à la cuillère avec une purée lisse et crémeuse, des petits légumes gorgés de jus, et puis une tarte aux pommes débordante de compote et de gros morceaux de fruits caramélisés. J'aurais pu passer la nuit là.


Le lendemain, constatant avec bonheur que tout cela est bien réel, après un nouveau chocolat chaud, un double café et un croissant au milieu des monogrammes, nous allons voir la mer à nouveau et comparons les vertus respectives de la nouvelle et du roman. Des voiliers blancs absolument durassiens passent au loin. Une petite fille avec un ciré rouge et un bonnet écossais s'applique à coller des berniques sur les tours de son château de sable.
Nous étions si heureux que nous n'avons pas prêté attention aux club sandwiches du déjeuner. J'avais la tête dans les nuages et c'était rudement confortable.
Et puis, comme prévu, après un long trajet en voiture pendant lequel j'ai résisté de toutes mes forces à l'appel du sommeil pour profiter encore un peu de la compagnie de mon cher G., il m'a accompagnée dans le hall d'une gare quelque peu sordide où j'ai appris que le train qui me ramènerait à Rennes aurait du retard. Lui partait ailleurs, le temps d'une semaine.
Il y eut une longue étreinte, des baisers, des mains caressantes, des cheveux mêlés et de grosses larmes difficiles à retenir, même en étant préparée. Je l'ai regardé s'en aller et j'ai eu un peu froid là où il ne me serrait plus. J'ai distraitement feuilleté des magazines. J'ai observé une petite fille avec des tresses jouer au Rubik's cube. La nuit tombait, le ciel se veinait de rose et de violet.
J'ai retrouvé l'appartement silencieux, tout empli de son absence.
J'ai préparé un thé et des tartines avec du pain ramené de là-bas.
J'ai rangé lentement mes affaires, j'ai reconstitué des piles de livres puis j'ai arrosé les plantes. J'ai mis son gilet gris, que j'ai fermé jusqu'en haut.
J'ai rechauffé une soupe de légumes et préparé avec application une omelette au paprika et au gruyère suisse. Je n'arrivais pas trop à me concentrer sur la pièce de théâtre qui passait à la radio.
J'ai pensé appeler S. mais je n'ai pas voulu le déranger.
Et puis G. a téléphoné, j'ai dit que tout allait bien, qu'il faisait bien chaud à la maison, que j'avais fait bon voyage et que la semaine passerait vite. Pour ne pas pleurer quand il a raccroché, j'ai rangé de la vaisselle japonaise en grignotant du chocolat noir.
C'était vraiment un chouette week end.

23 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Un bien joli week-end ...

03 novembre, 2008 06:40  
Blogger (les chéchés) said...

c'est tout doux de relire tes mots... j'ai le coeur tout serré...
la brume et les mains dans les cheveux... la tarte au citron, la jolie librairie... de longues marches sur la plage glacée...
quelques rayons de soleil, pour te réchauffer un peu, aujourd'hui...
et des bises!

03 novembre, 2008 08:17  
Blogger lena sous le figuier said...

L'absence, le manque ont tout de même une qualité, celle d'apprécier d'autant plus les petits bonheurs, ceux qui adoucissent le regard, ceux qui illuminent la vie...

03 novembre, 2008 08:51  
Blogger betterave.urbaine said...

ça donne envie de week-end en bord de mer avec son amoureux ; pas vraiment au programme cet hiver, pour nous... plus tard j'espère.
merci pour ce beau et long message. j'irai bien à trouville, sur les traces de md que j'aime tant. et manger du pot-au-feu et de la tarte au citron.

03 novembre, 2008 09:21  
Anonymous Anonyme said...

les cotes normandes sont magnifiques. que ta semaine passe vite, et que tu retrouves bientot la chaleur de ses bras...

03 novembre, 2008 10:35  
Blogger Rosa's Yummy Yums said...

Un weekend magique!

Bises,

Rosa

03 novembre, 2008 11:11  
Anonymous Anonyme said...

Vertus de la nouvelle patoumiesque. Il faut publier.

J'ai eu froid au bout de vos nez, ai gouté à cette petite purée, et ai adoré le choux de bruxelles sur le cheese-cake vanillé.

03 novembre, 2008 11:15  
Anonymous Anonyme said...

Un week end chargé en émotion...j'ai revécu les au-revoirs à la gare avec toi....grosse vague nostalgique!

03 novembre, 2008 11:33  
Anonymous Anonyme said...

chabadabada ...
laurence sap

03 novembre, 2008 14:06  
Blogger Léna said...

Patoumi, c'en est trop !

Rennes, ville de mes études, Rome, où les escapades merveilleuses se font de plus en plis fréquentes cette année et puis Trouville, Deauville, Honfleur, tout près de la maison...
Oh je vis tes lignes et m'y retrouve, si loin en ce moment. La rue des Bains, le serveur singulier des Quatre Chats et les couleurs de l'intérieur, le CDC en face d'une grande boutique où les vêtements m'ont souvent laissés perplexe... et puis le vent iodé, les planches et les lumières du Havre. Cette atmosphère qui m'est si familière et pourtant si particulière, créee par des personnes si différentes, entre bourgeois, curieux et amoureux...

Je reste rêveuse. Merci.

03 novembre, 2008 17:09  
Anonymous Anonyme said...

Alors du baume sur ton coeur pour que la semaine passe encore plus vite. Mes pensées à celle qui trouve toujours le mot juste,
Lisanka

03 novembre, 2008 18:37  
Anonymous Anonyme said...

Je suis très intriguée par ce réveil en forme d'oeil, ce doit être terrible (ou drôle ?) de se réveiller et de le voir vous fixer... Sinon j'avais reconnu aussi ce front de mer délicieusement suranné. Bonne semaine, solitaire mais gourmande...

03 novembre, 2008 18:42  
Anonymous Anonyme said...

Patoumi qu'il est bon de te lire, et comme je te comprends, moi qui abandonne mon X chaque lundi matin pour un austère studio au milieu de nulle part (c'est l'impression que j'en ai). Et puis Trouville quelle poésie n'est ce pas ;)

03 novembre, 2008 22:01  
Blogger patoumi said...

Miss Giny: ah oui alors! J'attends le prochain avec impatience!
Les chéchés: je suis à la recherche d'une jolie écharpe qui achèverait de me réchauffer. Des bises aussi.
Léna: j'apprends à aimer le manque.
Betterave: merci surtout d'avoir lu ce long message!
Mirabelle: tu as tout compris!
Rosa: merci
Emilie: je rougis
Maya: les départs à la gare sont tristes et beaux, je me demande si j'aime pas un peu ça en fait.
Laurence: j'adore ce film et la scène d'amour orange
Léna: on aurait vraiment dû faire ce pique nique! Je regrette!
Lisanka: oui oui ça va passer vite... Je vais essayer d'écire un petit billet tous les jours
Rose: alors j'aurais voulu le prendre en photo, tout comme les lampes mais G. les a gardés avec lui!
Gourmeline: tiens bon!

04 novembre, 2008 00:42  
Blogger Gwen said...

Pour moi qui me nourris plus de mots que de mets, ce billet est une salle de festin !
Je me sens comme un écureuil ayant découvert une réserve de glands au mille parfums qui le régalera tout l'hiver !!!

04 novembre, 2008 08:05  
Blogger Gracianne said...

Ah se balader sur la plage avec un amoureux, les mains chaudes et le nez tout froid. Tu me fais envie Patoumi.

04 novembre, 2008 12:35  
Blogger loukoum°°° said...

Ah comme tu me donnes envie.
C'est vrai qu'il ne manque qu'une chose par ici: la mer & la plage...

04 novembre, 2008 15:49  
Blogger Stephanie (Philadelphie) said...

Je retiens le : "c'est énormément, énormément de travail..." (= "Tu n'auras jamais cette recette extraordinaire et unique au monde, ma pauvre enfant sous-douee...")
On croit rever...
:-)
Bisous !

04 novembre, 2008 20:48  
Blogger Léna said...

Oh oui, j'y pense parfois. D'ailleurs il était arrivé une chose terrible à la tome que nous devions déguster.

Là-bas, on dit deauvillaise... mais deauvilloise rime beaucoup plus gastronomique... dacquoise, brunoise...

Et à propos de yahourts, tous les frigos italiens que j'ai eu l'occasion de visiter n'en raffolent pas. Absents ! Bizarre.

Bonne nuit Patoumi

04 novembre, 2008 23:38  
Blogger patoumi said...

Gwen: merci cher écureuil!
Ah Gracianne, moi c'est ton plat de dimanche qui m'a fait envie!
Loukoum°°°: euh oui mais alors ici y'a pas autant de salons de thé qu'à Strasbourg...
Stéphanie: j'avoue que c'était un peu vexant. Plein de bisous!
Lena: ah. je vais corriger, ce sera mieux quand même. Mais qu'est-il arrivé à cette tomme? J'espère en tout cas que ce n'est que partie remise.

05 novembre, 2008 00:24  
Blogger VanessaV said...

De très beaux souvenirs grâce à toi de mes deux séjours à Trouville. Et oui, quel beau lieu que cette table d'hôte, nous étions avec le bambin d'1 an et nous ne nous sommes pas offert le plaisir de rentrer chez elle... parce que en mai, les portes fenêtres étaient ouvertes et donnaient directement dans ce salon mansardée.
As-tu mangé une gaufre dans cette boutique sur l'esplanade de bois à Trouville?

05 novembre, 2008 18:47  
Blogger patoumi said...

Vanessa: oh non! J'ai raté la gaufre!:-( Mais en même temps, j'ai pas arrêté de manger pendant ce we, et puis il faut une bonne raison de revenir!

06 novembre, 2008 05:59  
Blogger Claire said...

Ce week-end nous avons dîné à Topolina (grâce à toi, c’est ici que j’ai pioché l’adresse): c’était parfait, délicieux, et chaleureux. Merci!
(pour l’osso buco, et le chocolat chaud, tu nous donnes les adresses pour une prochaine fois? ;-)

13 novembre, 2009 00:28  

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