jeudi 25 février 2010

Quelques endroits où s'asseoir (à Budapest)


Certes, j'ai aperçu quelques croissants (très gros, au feuilletage pâle et mat) dans les boulangeries du quartier mais pour l'instant, j'avoue que j'ai un plaisir non dissimulé à choisir un bon gros gâteau dans les vitrines surchargées des cukraszdas, les pâtisseries locales. N'abandonnant pas l'idée que les choses les plus simples restent mes préférées, je me suis rarement résolue à choisir autre chose qu'un millefeuille à la vanille ou un chou à la crème. La sucrerie (bien que d'une manière générale, les pâtisseries budapestoises sont tempérées en sucre) la plus sophistiquée ayant retenu mon attention reste pour l'instant un parallélépipède étonnant de finesse et de volupté dans son alternance de biscuit chocolaté croustillant, de crème à l'orange et de crème au caramel (et ce n'est rien à côté de toutes ces grosses parts de gâteaux faits de superposition indécente de génoise et de crème au beurre) choisi au mythique Café Gerbeaud, posé sur une place déserte, déserté à partir de 19 heures, et dont les serveuses s'agitent suffisamment pour tout le monde puisse déguster sans avoir trop attendu la douceur difficilement choisie entre tous celles proposées (dont cette mystérieuse Dobos torta qui m'intrigue sans que je puisse décider d'y goûter -trop de couches peut-être).
Deux endroits vraiment chouettes pour un moment de volupté pâtissière:
*Ruzwurm, tout près du château, du labyrinthe et d'un antiquaire qui vend un gramophone, gentiment conseillé par Florence, est un tout petit et charmant salon de thé délicieusement suranné avec deux vitrines de gâteaux démoniaques, l'une pour les gros gâteaux plein de crème et l'autre pour ceux qui ont l'air plus raisonnables, les strudels aux pommes et au pavot, les petits biscuits... Le service est doux et attentioné
*Albertz Cukraszda, qui m'a un peu rappelé Miremont à cause des deux étages et du grand lustre. Ce midi, à côté du chocolat chaud qui se défendait vraiment pas mal (un jour il faudra que je vous parle du chocolat chaud de Grain de vanille, le salon de thé des Maisons de Bricourt à Cancale), il y avait des petits toasts délicats (avec de la purée d'aubergine, du fromage frais, des graines germées...) et puis, bien que je sois habituellement peu sensible à l'appel de la crème pâtissière, mais sans doute le charme d'être à l'étranger y est pour quelque chose, j'ai choisi le millefeuille local, constitué de deux minces feuilletages (assez étranges, pas au goût de beurre comme en France) entourant une couche très très très épaisse de crème pâtissière. Bizarrement aussi, ce n'était pas très lourd.
Non non, je ne passe pas mon temps à manger (ce serait oublier que Budapest est une ville où l'on risque un torticoli à chaque fin de journée à force d'observer la verticalité somptueuse de son architecture, sans compter la Danube et ses ponts, les églises et la synagogue, les musées et leurs ouvreuses mélancoliques, je sais juste moins bien parler de tout ça que des nourritures, terrestres) mais je voulais juste évoquer mon biscuit préféré, celui que je teste partout où ils en proposent. C'est rond et composé de deux sablés tout doux, pas beurrés du tout (la texture des coquetines de la Cocotte), assemblés par de la confiture (souvent d'abricots mais dans la version luxe, ça peut être de la confiture de cranberries), le tout entièrement recouvert de chocolat noir. A côté de l'hôtel, il y a un supermarché ouvert jusqu'à minuit qui vend ce genre de biscuits mais il n'y a du chocolat que sur une seule face. Dommage.
Trois autres endroits où il ne s'agit pas de choisir des petits gâteaux sur plateaux argentés mais plutôt pour boire des mojitos jusqu'à minuit dans une ambiance enlevée:
*Csendes et sa déco complètement folle (genre vous pouvez passer la soirée assis dans une baignoire ou allumer une lampe entièrement composée de poupées en plastique) où se retrouve une foule cosmopolite et joyeuse. Le spiced Cuba Libre y est assez addictif.
*Modern antikvarium, mon préféré! Au rez-de-chaussée une librairie avec des bandes dessinées, de la philosophie et des livres de cuisine, un comptoir avec des biscuits au fromage, une fille en robe-bustier et veste d'officier partageant une énorme pizza achetée juste à côté avec des type mal rasés, trois élèves de classe préparatoire jouant aux cartes en buvant des bières, des couples qui discutent et s'embrassent, à l'étage, c'est très joli et non fumeur mais beaucoup moins animé. La déco est super, plein d'affiches et de dessins. Et le thé est très bon!
*Most, un endroit trop bizarre, immense, enfumé, bruyant mais charmant. Il y a des bougies blanches dans des goulots de bouteille sur les grandes tables en bois. Il y a des garçons veste en velours et sweats à capuche, des filles à frange partout, des robes vintage et des foulards en soie aussi. Et puis un sosie de Benjamin Biolay, tout seul, descendant lentement une immense théière de thé noir en semblant corriger un manuscrit. On peut y dîner de plats indonésiens vraiment hot préparés par Gurung, que je n'ai pas vu mais qui s'y connait en pad thaï.
Et puis il y a ma boutique préférée, un endroit vraiment insolite à Budapest, qui vend des sacs en tissu, des vestes et des cardigans tout fins en matières précieuses, des pulls rayés, des bijoux stylés, des robes de soirées avec des sequins et des escarpins ravissants. La vendeuse ce jour-là avait une frange, une veste léopard, des chaussures à talon et un roman de Salinger à la main. C'est peut-être ça que j'aimais bien.

Ruszwurm Szentharomsag utca, 7
Auguszt Cukraszda Kossuth Lajos utca, 14-16
Csendes Ferenczy Istvan utca, 7
Modern antikvarium Lovohaz utca, 17
Most Zichy Jeno utca, 17
Retrock Deluxe Henszlmann Imre utca 1 (ma boutique préférée, donc)


J'y suis encore pour quelques jours, je vous raconterai!

mardi 16 février 2010

L'hiver en douce chez une fille à l'est

1.
Les nuages ne font pas leur âge
Sur la place pavée, devant l'imposante église, deux touristes portant chaussettes et sandales monacales feuilletaient un guide de la région. Nous venions de nous asseoir à la terrasse d'un salon de thé désuet dont la vitrine abritait les gâteaux des déjeuners dominicaux familiaux, il restait donc quelques Paris-Brest, des religieuses au café, des millefeuilles glacés, et puis une spécialité locale aux pommes et au caramel. Je m'interrogeais sur le caractère indispensable ou non de goûter leur glace maison à la rhubarbe (en fait non). La serveuse en tablier ajouré venait juste de servir deux thés quand une vieille femme extrêmement élégante dans la coiffure et les bijoux qu'elle arborait, seule, prit place à une table en face de nous. Elle était emmitouflée dans une grosse veste en laine bouillie et dessous, elle portait une marinière bleue et blanche. Elle avait un joli sac en cuir patiné où elle rangea des lunettes en écaille. Cette femme avait l'air gentil et intelligent, l'idée que je me fais d'un écrivain en goguette ou d'une universitaire spécialiste de James Joyce à la retraite. Une dizaine de minutes plus tard, elle m'apostropha, parce que j'étais "bien mignonne" et une conversation curieuse s'engagea au cours de laquelle nous apprîmes qu'elle travaillait autrefois dans la bureautique et que son mari était tellement mou qu'elle était obligée de sortir seule le dimanche.

2.
Je ne vous connais pas je vous frôle
Mais parfois, la première impression ne trompe pas.
L'année dernière, en hiver gare Montparnasse, je marche très vite dans la foule toujours dense. Je croise le regard d'une fille qui portait un manteau avec des gros boutons ronds façon veste d'officier et je me dis "Ah tiens elle a l'air vraiment chouette elle" mais je continue ma route et puis je regrette "Ah bah en fait j'aimerais lui parler je crois" alors je me retourne et je surprends son regard cherchant le mien et en fait, c'était la fille avec qui j'allais passer la journée (elle avait noté sur son agenda Moleskine, le même que le mien, l'adresse d'une boutique de papier japonais et sur le chemin compliqué qui y menait elle a parlé de la difficulté à faire des plats mijotés -alors que c'est une cuisinière exceptionnelle).

3.
Un entre-deux délicieux
Au petit matin, dans sa jolie cuisine, une autre fille, cheveux plus courts, a versé de l'eau chaude dans un thermos rouge, emballé des sachets de thé dans une pochette fleurie et préparé des tartines beurrées au pain Kayser qu'elle a enfermées bien serrées dans du film étirable. Ce petit déjeuner, précieux car si gentiment conçu, fut partagé dans le train qui filait vers l'est.

4.
Blue moquette
Elle habite un appartement charmant avec plein de thés, des livres, des disques classe (dont deux de Vincent Delerm!), une balance vintage, des boîtes en métal, des jolies paires de chaussures, des orchidées délicates, de la vaisselle chinée et de la toile cirée (à pois).
Ce qui prouve que je m'y sentais vraiment bien c'est que le matin j'avais un plaisir infini à me blottir dans son fauteuil profond pour lire un roman en veillant à tourner les pages tout doucement afin de ne réveiller personne.

5.
Non exhaustive
Tout était absolument délicieux: son chiffon cake au thé earl grey, son superbe pandoro (je rêve de vacances italiennes pour pouvoir ramener un moule!), le dolsot bibimbap incroyablement savoureux du premier déjeuner (dans son restaurant coréen préféré, celui où la cuisinière, avant de s'attabler à la fin du service devant une assiette fumante de tofu et de viande sautés, nous a servi avec enthousiasme un petit verre d'alcool de prune verte), le bouillon savamment épicé par la main d'un garçon qui porte des chaussures confortables et élégantes, les fleischschnaka tout chauds au coeur moelleux, le "gâteau à étages" subtile association de chocolat et de yuzu, les tartines du petit-déjeuner, le boeuf tataki dégusté après une préparation collective, son sourire le matin au lever.

6.
C'est l'allégresse mais en plus épatant
J'ai bien aimé quand elle nous a montré ses maisons préférées, agréable terrasse au bord de l'eau où flânent de grands cygnes ou belle porte bleu dans un jardin arboré. Elle connait sa ville par coeur, elle sait nous emmener dans la pâtisserie où le cake au chocolat est indécemment fourré au ganduja, ou dans la boutique qui recèle de multiples tentations, entre les cahiers graphiques japonais et les petites pochettes en tissus parfaites pour les sachets de thé quand on n'est pas chez soi. Au marché, elle achète de la mizuna et je reste rêveuse devant la profusion de pâtés en croûte sur l'étal du boucher. Elle aime la rue Goethe et indique l'endroit où elle pique-nique aux beaux jours. On l'imagine parfaitement.

7.
Le temps d'un dimanche en hiver
Elle a eu la bonne idée de nous emmener à l'exposition Saul Steinberg. Les petits oiseaux en empreintes digitales m'ont fait sourire et je suis restée un peu plus longtemps devant un appartement avec un beau piano (figurez-vous que j'ai répondu à quelques annonces de professeurs proposant des cours et rendez-vous est pris avec une jeune femme au prénom encore plus compliqué que le mien. Je suis morte d'angoisse).

8.
Quelqu'un de bien
Et puis un jour, après le goûter, il fallut plier bagage. Pendant que j'entassais dans mon vieux sac rouge un coussin islandais (une surprise pour G.), elle préparait une collation pour le retour en train. Je trouve fascinant de la regarder cuisiner, j'admire ses gestes précis, assurés, et gracieux.
Par la vitre du train, en apercevant sa silhouette au manteau rouge, j'ai repensé à ce que le personnage de Woody Allen dit à la fin de Annie Hall, quelque chose comme "Je me rendis compte qu'Annie était formidable et que j'étais heureux de la connaître".
Merci Loukoum°°°, et vivement la prochaine fois!

9.
You know what they say about romance
Tous les jours, pendant la semaine compliquée et triste qui suivit, j'ai pris un petit morceau de cet incroyable cake au chocolat et gianduja et chaque bouchée avait le goût réconfortant des bons sentiments. J'ai pleuré de rage, j'ai pleuré parce que je ne comprenais pas bien, j'ai pleuré juste parce que j'avais l'impression d'avoir perdu quelque chose, sans pouvoir le nommer. Souvent j'ai repensé à ce qu'elle avait dit autour de nos tasses de thé jamais vides très longtemps "J'ai appris à mettre de l'eau dans mon vin", ce qui est précisément ce que je n'arrive pas à faire et me permettrait peut-être de résister à l'assaut d'angoisse quand on exprime avec un peu trop d'insistance que ah oui tiens tu collectionnes les pots de yaourt c'est trop bizarre ça. Je peux t'en ramener moi si tu veux, c'est ceux que je bouffe tous les jours à la cantine.

10.
Tout sera comme avant
Un autre dimanche matin, les miettes de croissants* ne cessaient de s'éparpiller sur la nappe en lin autour du bouquet d'anémones anciennes et la conversation était sérieuse. J'avais oublié cette expérience poisseuse qui consiste à se sentir étranger de la personne dont on se sait le plus proche et parfois dans ces cas-là, on dit l'inverse de ce qu'on pense, on se sent en permanence blessé, même lorsque ce n'est pas le cas. Très compliqué.
C'est le nez au vent et le visage dans le viseur de son appareil photo que les choses retrouvèrent leur légèreté. En faisant la même promenade que celle de Gaspard dans Conte d'été tôt le matin entre les joggeurs encapuchonnés et les mamies en fourrure, j'ai retrouvé ce que je croyais avoir perdu. Pour le déjeuner, nous sommes entrés par hasard dans un restaurant thaïlandais où les trois petits pots de crème au coco du dessert, servis tièdes, blanc laiteux et liseré bleu, m'ont étrangement émue.


*Concernant les croissants rennais, après moult tests, je crois que celui que je préfère, c'est celui de Cozic. G. les adore aussi mais il a un grand faible pour ceux de la boulangerie noire rue de Nemours. Ceux de Bouvier (celui de la Parcheminerie) sont délicieux, très fins et feuilletés et puis, pour les goûters à la sortie de l'hôpital, la petite boulangerie rue de Paris (pas celle à l'angle avant le Thabor, pas celle non plus qui fait de la Banette, l'autre toute petite avec la file d'attente qui déborde toujours sur le trottoir) se défend très bien. D'autres avis?
Je ne sais pas s'il y aura des croissants à Budapest, je vous dirai quand j'y serai, bientôt.