vendredi 16 novembre 2007

Du vide, des vies, du thé et petit cochon à la sauce prune

Je le sais bien, on ne fait pas toujours ce qu'on veut. Il y a des après-midis où l'on aurait encore préféré calculer la quantité de savon utilisée dans tous les services de l'hôpital plutôt que d'être invitée (avec obligation de présence) à un cocktail suivi d'une série de mini conférences destinées à accueillir comme il se doit les nouveaux internes. J'ai séché le cocktail (qui consistait en réalité en divers douteux biscuits secs dans des assiettes en carton -mais l'on nous expliquera un peu plus tard que l'hôpital doit faire des restrictions budgétaires-) et j'ai veillé à arriver un peu en retard pour m'installer au fond de l'amphi et n'avoir pas à converser avec des gens à qui je n'aurais au mieux rien à dire. Je les ai bien observés quand même, cherchant désespérément un visage ouvert et curieux, ou au moins quelque peu intimidé, mais je n'ai vu que des mines satisfaites. Et puis, la série de pontes pléthoriques qui a pris la parole a parlé de compétences, d'être le meilleur, de prescription raisonnée, de Top 10, de prestataires de santé, d'évaluation des pratiques, de coût... Je n'ai pas beaucoup entendu parler de patients ou de soins. On aurait dit que la médecine était juste mercantile et déshumanisée. C'est un peu déprimant. Heureusement, un autre G. (qui aime 2001, les cakes à la banane, la cuisine indienne et les marbrés au chocolat) est arrivé, fidèle à lui-même, très en retard et nous avons pu converser tranquillement jusqu'à ce que la décision de partir avant la fin s'est imposée d'elle-même. Ca m'a un peu épuisée ce truc; et puis une demi-heure plus tard, pour la première fois de ma vie, j'avais rendez-vous avec mon banquier qui m'a appris que j'étais dans la catégorie "Jeune en phase d'équipement". C'est quand même super naze de mettre les gens dans des cases.
Quand je suis rentrée, j'étais dans l'absolue incapacité de me remettre à travailler (ouh! c'est mal). J'ai fait un délicieux thé et allongée sur le canapé gris-bleu, j'ai feuilleté un hors-série des Inrockuptibles, un vrai trésor. Il s'agit d'une compilation d'interviews de personnalités que la rédaction a jugées emblématiques du magazine et j'avoue qu'un peu comme j'aime beaucoup écouter les gens me raconter leur vie par le détail, je reste absolument fascinée par tous ces récits où des gens venus d'horizons aussi variés que PJ Harvey, Wong Kar Waï ou Catherine Deneuve exposent à la fois avec pudeur et détermination, leur conception du travail artistique, l'enfance et l'adolescence qu'ils ont eues, les concours de circonstances ou les combats acharnés menés pour obtenir ce qu'ils voulaient. C'est drôle, touchant et parfois terrifiant. J'adore les anecdotes livrées sans économies, j'ai appris que Melvil Poupaud allait dévorer d'énormes assiettes de spaghetti dans la maison normande de Marguerite Duras, qu'Alain Bashung a faillit être comptable, que Jérôme Lindon a su dire à Marie Darrieussecq la phrase qui a fait d'elle un écrivain (et elle raconte très bien aussi comment on tue le cochon chaque année dans son sud ouest natal), et puis il y a Arnaud Desplechin qui raconte que ses parents l'appelaient Tulius Détritus, le personnage d'Astérix qui sème la zizanie dans l'album consacré à cela (il expose aussi une théorie originale sur les gorges du Verdon et avoue sa fascination pour les appareils génitaux féminins; cette interview est très riche, j'ai beaucoup aimé) et Abbas Kiarostami (dont vous pouvez voir en ce moment les sublimes et introspectifs paysages enneigés au centre Georges Pompidou) qui raconte comment Soren Kierkegaard a faillit être marchand de glaces et puis finalement pas. Et pour Gracianne, un très beau mais terriblement triste entretien avec Morrisey!










Alors on peut discuter de tout ça (et de la pertinence de Trish Deseine à concocter des menus de Noël pour des magazines de cuisine où elle suggère de servir des fraises en dessert) en dégustant du petit cochon à la sauce prune, une recette issue du très beau livre de Sophie Brissaud, érudit, décalé et infiniment appétissant (comme dit quelqu'un d'avisé concernant les livres de cuisine :"Il est parfait pour être lu au lit!"). Elle utilise pour ce plat des travers de jeune cochon mais c'est bon aussi avec du petit cochon sans os.


Petit cochon à la sauce prune
Pour deux personnes

-250g de petit cochon coupé en petits morceaux
-2 gousses d'ail écrasées
-un pouce de gingembre râpé
-un piment rouge émincé
-1/4 de cuillère à café de sel
-1/2 cuillère à café de poivre blanc
-1 cuillère à café de maïzena
-1/2 bocal de sauce prune

La marinade
-1 cuillère à café de sauce soja légère
-1 cuillère à café de vin de riz de Shaoxing
-1 cuillère à café d'huile de sésame
-2 cuillère à café de sucre

Mélanger tous les ingrédients de la marinade et réserver.
Dans un grand bol, rassembler le petit cochon, l'ail, le gingembre, le chili, le sel, le poivre et la maïzena, bien mélanger.
Ajouter la marinade, laisser reposer une bonne demie heure puis incorporer la sauce prune. Bien mélanger à nouveau.
Faire cuire le mélange à la vapeur jusqu'à ce que le petit cochon soit bien cuit (ici ça a pris une heure avec un montage un peu spécial de bols et de panier vapeur en bambou).
Déguster en buvant un pu-ehr ou un oolong fermenté.


Pour goûter à la cuisine au thé préparée par un autre (à savoir un jeune homme brun extrêment concentré pour ce que j'ai pu apercevoir), si jamais vous arrivez un soir à Sarlat quand la nuit est depuis longtemps tombée, vous pouvez choisir de vous installer dans la salle très cosy framboise écrasée et vert tilleul des Jardins d'harmonie. Une charmante jeune fille (qui lira au comptoir une revue littéraire entre deux assiettes à servir) vous apportera du pain grillé tout chaud avec des rillettes de canard et du fromage frais aux herbes avant de prendre votre commande qui pourrait consister en:

*un carpaccio de foie gras au thé Chandernagor avec une gelée parfum figue/bergamote

*un magret de canard au grand Yunnan, sauce au Porto, riz thaï au pavot et légumes croquants


* un moelleux tiède à la figue
Un très bon moment aux Jardins d'harmonie, place André Malraux à Sarlat, O5 53 31 06 69.

Et puis un grand merci à Charline dont chaque recette est un voyage, Stef qui n'a pas peur des forêts noires, Patatafrita dont on attend un reportage complet et captivant sur Rome et Vert soleil qui aime la vie au vert d'avoir gentiment distingué L'alibi. C'est très touchant et encourageant. Je ne me sens pas très à l'aise pour décerner des récompenses mais je vous invite à lire Stéphanie qui, entre mille autre choses enthousiasmantes, participe à des cours de cuisine végétarienne à Philadelphie et puis Rose, dont chaque repas dominical est guetté avec fébrilité et enfin Gourmeline qui pour vous vide son sac. Bonne lecture!

15 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je n'ai jamais rien cuisiné à la plum sauce... c'est donc l'occasion...
Tu l'utilises comment sinon toi?
Pour ce qui est de l'hopital, moi j'ai halluciné le jour où j'ai réalisé qu'il fallait pas tomber malade un 20 décembre mais disons que un mois plus tard c'est déjà mieux. La pharmacienne d'un hop. m'a expliqué qu'en fin d'année ya pu de fric donc ya pu de médicaments en stock donc faut se démerder avec le peu qui reste... je suis restée perplexe et je me suis dit que si j'avais voulu faire comptable, j'aurai fait comptable mais là...

16 novembre, 2007 10:18  
Blogger Flo said...

Quel plat ! Je découvre "presque" tout, et merci pour ces voyages : de blogs, de livres, de revues et de cuisine ! Bizzz

16 novembre, 2007 11:43  
Anonymous Anonyme said...

Ce que tu nous racontes sur l'hôpital fait froid dans le dos (mais c'est malheureusement d'actualité...). Par bonheur, les p'tites phrases des Inrocks apportent un peu de poésie... et le petit cochon achève de me remonter le moral!

16 novembre, 2007 12:25  
Blogger Gracianne said...

Uhm, le bon petit cochon que je te remonte le moral a coup de baguettes!
On en a bien besoin, entre les trains qui ne marchent pas, les tribunaux qui ferment, les hopitaux qui comptent les sous, tout ca c'est une histoire de comptabilite bien sur, pas d'humanite.
Et ce n'est pas Morrissey qui va nous remonter le moral, il est aussi triste et melancolique que la region qui l'a vu naitre. Et pourtant, j'ai rarement ete aussi heureuse que dans cette region melancolique.
Oh Manchester...
Il a l'air bien ce numero des Inrocks, c'est un ancien?

16 novembre, 2007 15:04  
Anonymous Anonyme said...

Tellement vrai ce que tu écris. Un beau billet, comme d'habitude, même si mon âme végé est empreinte de cette culture qui prohibe la consommation de porc ;-)
Je viens avant tout pour la beauté des mots; celle des mets étant pour moi secondaire ;-)

Les photos sont sublimes, lumière est faite sur l'essentiel, ce qui convient à mon esprit synthétique!

Mercantilisation de la médecine, comme je comprends, même chose dans la justice. "Votre sanction en un clic", voilà ce que nous promettent les grands pontes ministériels. Pitoyable! bref, je vois qu'on se comprend!

Bises et courage, les pontes aux cranes chauves auront froid cet hiver!

Lisanka

16 novembre, 2007 17:34  
Anonymous Anonyme said...

Je compatis pour les grands-messes creuses et sans réconfort alimentaire ! Celui qui dit que la vraie vie est au cinéma (arnaud desplechin ?) a bien raison !
Ton hors-série me fait penser à une série d'articles qu'on a beaucoup compulsés ma soeur et moi, des portraits d'actrices : je me souviens qu'on a visité la grande galerie de l'évolution en pensant à l'une d'entre elles, parce qu'elle avait dit que c'était un lieu qu'elle adorait. Sinon je suis évidemment toute flattée d'être citée à la fin du billet, il faut maintenant que je planche très-sé-ri-eu-se-ment sur le prochain repas dominical !

17 novembre, 2007 09:44  
Anonymous Anonyme said...

Patoumi, merci pour les choses adorables que vous écrivez sur mon livre ! Je suis heureuse qu'il vous plaise.
Sophie

18 novembre, 2007 21:01  
Blogger Saperlipopote ! said...

j'ai le même sentiment face au mandarinat médical... et conçoit que se les farcir un week-end, c'est courageux !
heureusement que le G est arrivé à point :)))))) et que le porc est tombé dans les prunes.

19 novembre, 2007 11:33  
Anonymous Anonyme said...

après ce billet, juste une envie, m'installer confortablement sur ma méridienne et ... LIRE !
MERCI !

19 novembre, 2007 11:49  
Anonymous Anonyme said...

Y a toujours un petit groupe d'ingrats qui se forme au fond des salles de réunions, c'est marrant, on se retrouve comme si c'était écrit sur notre front! ;o)

Je passe "le petit cochon à la sauce prune", ça fait trop fille qui caresse les juments!

20 novembre, 2007 15:35  
Blogger Stephanie (Philadelphie) said...

Comme tu es gentille, Patoumi.
MERCI !
(Oui, oui, je suis la ; je te lis toujours ! Hi hi hi !)
Gros bisous !

20 novembre, 2007 17:22  
Blogger stef said...

l'argent dépensé par les fenêtres, tout un programme!!! en tout cas ton plat est fameux et je le mangerais bien en revisionnant "lost in translation"!!

20 novembre, 2007 18:22  
Blogger Alhya said...

tu me lis le dimanche.. et moi, le jeudi lors d'une pause miraculeuse à l'heure du déjeuner,en dévorant en solitaire mes gnoccis aux légumes... et je me reconnais, oh oui! ton regard sur ce système, j'ai bien le même sur un système autre, et pourtant proche... c'est marrant de parler du cochon, comme ça, tout à coup, je vois l'un des frères harcelés par le loup, mais je sais que je devrais pas, surtout qu'elle me tente cette recette, arrête de faire la fille, la Turtle!

22 novembre, 2007 13:36  
Anonymous Anonyme said...

Le titre est vraiment irrestible! Bravo pour ta verve incomparable!!

22 novembre, 2007 16:13  
Anonymous Anonyme said...

merci beaucoup pour le lien Patoumi ! j'ai toujours beaucoup de plaisir à te lire et je suis flattée que toi aussi !

25 novembre, 2007 16:53  

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