La petite fille au sourire grave et le saumon qui guérit tout
Pour aller à l'école maternelle, il fallait passer près d'un gros buisson chargé de fleurs roses dont les abeilles étaient friandes. Aux beaux jours, je demandais à ma maman de changer soigneusement de trottoir. On habitait alors au premier étage d'une très grande maison aux volets bleus et dont la propriétaire, qui vivait au rez-de-chaussée, était une vieille femme acariâtre qui adorait venir sonner les après-midis où ma maman se reposait de sa nuit de travail pour nous montrer ses derniers travaux d'aiguille. Elle avait deux monstrueux colleys qui me filaient une frousse folle.
Dans la cour de l'école, il y avait un grand bac à sable ovale. Au début de chaque récréation, les maîtresses vidaient dans ce bac un énorme tonneau d'où dégringolaient des seaux, des petites pelles et des truelles. Il fallait un peu jouer des coudes pour attraper quelque chose. Il y avait souvent une truelle rouge dont personne ne voulait.
Je n'osais pas trop m'aventurer par là. Je n'osais pas trop non plus m'approcher du tourniquet blanc dont la vitesse me paraissait incontrôlable, j'avais l'impression que c'était une machine à faire vomir. Non, ce que j'aimais, c'était aller derrière de gros troncs d'arbre délaissés creuser des petits puits où je déposais avec concentration divers pépins de pommes et de citrons, espérant fébrilement qu'apparaîtraient un jour de grands arbres dont les branches ploieraient sous le poids de fruits à la peau brillante.
Je me souviens avoir appris à faire des oiseaux-pompons, j'ai peint un galet à mon effigie (allez savoir pourquoi, je m'étais attribuée une peau noire et une bouche très rose), j'ai laissé l'empreinte de ma main droite dans une petite galette en terre cuite, j'ai dessiné une maison et un soleil avec des légumes secs, j'ai fait un pot à crayons en collant des images découpées extraites de catalogues de jardinerie sur des boîtes de conserve.
Sur les photos, j'ai la barette sur le côté, le col est roulé et le sourire grave.
Pour la rentrée au cp, j'avais un cartable de garçon, bleu et noir, que je détestais. On s'y était pris la veille du premier jour de classe, il ne restait plus grand chose. Pour se rattraper, mon papa m'offrait régulièrement des gommes en forme de coeur, des stylos qui écrivaient en rose et dont l'encre sentait la fraise, des crayons aux mines colorées interchangeables. Ma maman couvrait mes livres d'abord avec du papier kraft standard puis, pour égayer tout ça, mettait une deuxième couche d'un papier transparent avec des petites fleurs. Sur le chemin de l'école, il n'y avait plus d'abeilles; par contre elle me faisait épeler quelques mots de son choix ( d-o-i-g-t, p-n-e-u, t-o-r-t-u-e). J'ai détesté le cp, et toutes les années d'école primaire, j'ai détesté leur gâteau au yaourt qui râpait la langue, j'ai détesté leur compote aux pommes ("Patoumi, je t'ai demandé d'éplucher les pommes, pas de les couper en morceaux"), j'ai détesté la fête annuelle des écoles où les petites filles étaient obligées de porter d'infâmes culottes bouffantes sous de très courtes robes rouges et où l'on était contraint de se trémousser sur des musiques imbéciles. Je me souviens qu'on m'a reproché de réciter du Anatole France trop tristement, je me souviens qu'on m'a fait pleurer jusqu'à ce que je hoquette d'une voix entrecoupée de sanglots les couplets stupides d'une chanson qui s'appelait "Toc le tapir", je me souviens qu'on a convoqué mes parents parce que je n'avais pas su reproduire un tube digestif.
Mais à cette époque-là, il y avait aussi les sucres d'orge que m'achetaient mes parents chez la marchande de thé, le goût du sorbet à la noix de coco de ma maman, les petits sandwiches qu'elle me préparait pour les mercredis où j'étais toute seule dans le sinistre appartement et puis, l'un de mes plats préférés alors, le saumon caramélisé qu'elle émiettait dans un petit bol de riz chaud et que je dégustais à la petite cuillère.
Le saumon caramélisé pas que pour les enfants, pas tout à fait le même que celui de ma maman
Pour deux personnes
-deux beaux pavés de saumon (biologique, label rouge, sauvage, ce que vous voulez mais surtout qui n'aura pas été nourri avec trop de saletés)
-3 cuillères à soupe de jus d'orange
-3 cuillères à soupe de sirop d'érable
-6 cuillères à soupe de sauce soja
-du poivre du moulin
-un gros pouce de gingembre en petits morceaux
-un filet d'huile d'olive
-de la coriandre ou de la ciboulette, selon vos goûts
La veille du jour où vous avez prévu de repenser à votre maman (enfin, à la mienne mais donc aussi à la vôtre, par association), vous mélangerez tous les ingrédients dans le plat où reposera votre saumon lors de son passage au four. Si vous pensez à l'arroser de temps en temps de sa marinade ou de retourner les pavés, ça ne sera que mieux.
Au moment de dîner, alors que le riz est presque cuit (ou qu'il est gardé au chaud grâce à cette fabuleuse fonction de votre rice cooker), enfournez le poisson dans un four à 180° et surveillez: trop cuit, c'est moins bon.
Pour répondre aux gentilles interrogations d'un grand chef qui s'apprête à passer une année studieuse, ma nouvelle tasse préférée vient d'une microscopique boutique d'affiches de film à Porto, mais je crois qu'il y en a au Conran shop.
Pour le jeté de lit (question fort pertinente je trouve), c'est pour moi comme une belle couverture dans un tissu un peu noble, dont on recouvre le reste du lit. Mais il y a peut-être une définition plus officielle...
Dans la cour de l'école, il y avait un grand bac à sable ovale. Au début de chaque récréation, les maîtresses vidaient dans ce bac un énorme tonneau d'où dégringolaient des seaux, des petites pelles et des truelles. Il fallait un peu jouer des coudes pour attraper quelque chose. Il y avait souvent une truelle rouge dont personne ne voulait.
Je n'osais pas trop m'aventurer par là. Je n'osais pas trop non plus m'approcher du tourniquet blanc dont la vitesse me paraissait incontrôlable, j'avais l'impression que c'était une machine à faire vomir. Non, ce que j'aimais, c'était aller derrière de gros troncs d'arbre délaissés creuser des petits puits où je déposais avec concentration divers pépins de pommes et de citrons, espérant fébrilement qu'apparaîtraient un jour de grands arbres dont les branches ploieraient sous le poids de fruits à la peau brillante.
Je me souviens avoir appris à faire des oiseaux-pompons, j'ai peint un galet à mon effigie (allez savoir pourquoi, je m'étais attribuée une peau noire et une bouche très rose), j'ai laissé l'empreinte de ma main droite dans une petite galette en terre cuite, j'ai dessiné une maison et un soleil avec des légumes secs, j'ai fait un pot à crayons en collant des images découpées extraites de catalogues de jardinerie sur des boîtes de conserve.
Sur les photos, j'ai la barette sur le côté, le col est roulé et le sourire grave.
Pour la rentrée au cp, j'avais un cartable de garçon, bleu et noir, que je détestais. On s'y était pris la veille du premier jour de classe, il ne restait plus grand chose. Pour se rattraper, mon papa m'offrait régulièrement des gommes en forme de coeur, des stylos qui écrivaient en rose et dont l'encre sentait la fraise, des crayons aux mines colorées interchangeables. Ma maman couvrait mes livres d'abord avec du papier kraft standard puis, pour égayer tout ça, mettait une deuxième couche d'un papier transparent avec des petites fleurs. Sur le chemin de l'école, il n'y avait plus d'abeilles; par contre elle me faisait épeler quelques mots de son choix ( d-o-i-g-t, p-n-e-u, t-o-r-t-u-e). J'ai détesté le cp, et toutes les années d'école primaire, j'ai détesté leur gâteau au yaourt qui râpait la langue, j'ai détesté leur compote aux pommes ("Patoumi, je t'ai demandé d'éplucher les pommes, pas de les couper en morceaux"), j'ai détesté la fête annuelle des écoles où les petites filles étaient obligées de porter d'infâmes culottes bouffantes sous de très courtes robes rouges et où l'on était contraint de se trémousser sur des musiques imbéciles. Je me souviens qu'on m'a reproché de réciter du Anatole France trop tristement, je me souviens qu'on m'a fait pleurer jusqu'à ce que je hoquette d'une voix entrecoupée de sanglots les couplets stupides d'une chanson qui s'appelait "Toc le tapir", je me souviens qu'on a convoqué mes parents parce que je n'avais pas su reproduire un tube digestif.
Mais à cette époque-là, il y avait aussi les sucres d'orge que m'achetaient mes parents chez la marchande de thé, le goût du sorbet à la noix de coco de ma maman, les petits sandwiches qu'elle me préparait pour les mercredis où j'étais toute seule dans le sinistre appartement et puis, l'un de mes plats préférés alors, le saumon caramélisé qu'elle émiettait dans un petit bol de riz chaud et que je dégustais à la petite cuillère.
Le saumon caramélisé pas que pour les enfants, pas tout à fait le même que celui de ma maman
Pour deux personnes
-deux beaux pavés de saumon (biologique, label rouge, sauvage, ce que vous voulez mais surtout qui n'aura pas été nourri avec trop de saletés)
-3 cuillères à soupe de jus d'orange
-3 cuillères à soupe de sirop d'érable
-6 cuillères à soupe de sauce soja
-du poivre du moulin
-un gros pouce de gingembre en petits morceaux
-un filet d'huile d'olive
-de la coriandre ou de la ciboulette, selon vos goûts
La veille du jour où vous avez prévu de repenser à votre maman (enfin, à la mienne mais donc aussi à la vôtre, par association), vous mélangerez tous les ingrédients dans le plat où reposera votre saumon lors de son passage au four. Si vous pensez à l'arroser de temps en temps de sa marinade ou de retourner les pavés, ça ne sera que mieux.
Au moment de dîner, alors que le riz est presque cuit (ou qu'il est gardé au chaud grâce à cette fabuleuse fonction de votre rice cooker), enfournez le poisson dans un four à 180° et surveillez: trop cuit, c'est moins bon.
Pour répondre aux gentilles interrogations d'un grand chef qui s'apprête à passer une année studieuse, ma nouvelle tasse préférée vient d'une microscopique boutique d'affiches de film à Porto, mais je crois qu'il y en a au Conran shop.
Pour le jeté de lit (question fort pertinente je trouve), c'est pour moi comme une belle couverture dans un tissu un peu noble, dont on recouvre le reste du lit. Mais il y a peut-être une définition plus officielle...
21 Comments:
Ahh les crayons aux mines colorées que l'on pouvait changer au grès des envies et des couleurs... qu'est ce que j'aimais ça! :)
Et je trouve qu'il n'y a rien de plus aggréable et réconfortant que de manger son repas dans un bol, que l'on tient dans une main, pendant que l'autre brandit une petite cuillère ou une paire de baguettes.
Et bizarrement, à mes yeux, c'est encore mieux si on est assis en tailleur...
Ma belle, je sens comme un airde rentrée par chez toi, un air de nostalgie et en même temps cette souffrance de ne pas être comme les autres!! Sache que j'avais la mêm et que personne ne peut comprendre cette indicible douleur mêlée à l'insouciance s'il ne l'a pas vécue. Il y a quelque chose de beau et en même temps de triste dans tout ce que tu écris, c'est pour cela qu'on a du mal à le caractériser, à le classer! C'est tout simplement beau-triste. Je ne sais pas à quoi tu ressembles. Chez moi, ça s'appelle le gris-délavé de mes yeux ;-).
Toi je t'imagine comme une petite fille asiatique très pâle et bleue :-)
Ton texte est magnifique et vraiment très émouvant.
Mes souvenirs aussi sont souvent liés à des plats de l'enfance...
Quant à ton saumon, il a l'air délicieux et je crois bien que je vais le tester ce soir, j'ai justement deux pavés qui attendaient une façon originale d'être préparés!
Encore un beau récit et comme toujours une recette fort appétissante et très réconfortante.
Moi, je me rappelle des heures passées à faire du "sable doux" dans le bac à sable... je prenais bien soin d'enlever ma bague coccinelle avant, pour ne pas la salir (quelle chochotte !!). Tu m'as rappelé avec plaisir ces fameux crayons aux mines interchangeables... et tout plein d'autres souvenirs agréables.
Par contre, je n'ai pas eu droit au sorbet coco maison ni au saumon caramélisé :( mais bon, je ne vais pas me plaindre, j'avais du gâteau à la brousse (comme un cheesecake, en plus rustique) et des raviolis à la brousse, c'était pas si mal !
Je t'ai lue avec beaucoup de plaisir, tu m'as rappelé pleins de souvenirs, cependant je ne suis guère nostalgique de mon enfance à l'école.Moi aussi, j'ai souvent détesté aller à l'école, ironie du sort, je n'en suis jamais vraiment partie et me retrouve désormais de l'autre côté des bureaux...Mais qd mon petit garçon se plaint d'avoir mal au ventre les veilles de rentrée, je me revois 30 ans en arrière avec les mêmes symptômes!!
Continue à écrire, tu le fais si bien.
Quelle classe, cette tasse! Je pensais qu'il s'agissait d'une fausse "pride & prejudice", et qu'en réalité c'était une tasse recouverte de petites fleurs des champs et de trèfles peints à la main, volée dans un bed & breakfast de Cornouailles, qui pleine de thé noir parfumé aux agrumes et à la bergamote te réchaufferait les mains en rêvant à Darcy, les soirs d'automne.
Mais c'est bien aussi, une vraie!
Heureusement que ta aman savais remettre un peu de douceur dans ces périodes tristounettes
Je crois que je ne me souviens pas du tout de mes annees de primaire, a part le cm2 a la campagne, si ca se trouve elles etaient aussi detestables que les tiennes.
Mais je suis allee acheter avec ma fille un cartable rose pour la rentree en cp. Elle aussi adore les crayons qui sentent bon et comme Aurelie, faire du "sable doux" dans le bac a sable. J'espere qu'elle n'aura pas de ses annees de primaire ce souvenir doux-amer que tu racontes si bien.
Et puis un jour Toc le Tapir est mort !
J'adore ce saumon-là dans le riz (de temps en temps à la petite cuillère ...).
Je ne me souviens que d'un long ennui que je surmontais en lisant et en rêvant de tout ce que je ferais quand je serais grande...
On me consolait en m'offrant un roudoudou, un malakoff ou un mistral...
La tasse est trop jolie, un thé et rêver le monde de Lizzie Bennett...
Ah là là, moi aussi je suis fan de cette série de mugs :
http://mingoumango.blogspot.com/2007/04/goter-solo-perturb-par-deux-lascars.html
Autant la maternelle a été un vrai cauchemar, autant l'école primaire reste une des plus belles périodes de ma vie...
Et le saumon émietté dans le riz, j'aime ça aussi, mais tu le sais déjà ;-)
C'était mon repas ce midi...
Délicieux (même si je n'ai pas pensé à le faire mariner depuis hier soir)... doux mais pas trop, parfaitement équilibré et parfait avec un bol de riz!
Merci à ta maman...
Merci Patoumi, toi que je ne connais qu'à travers ce blog, merci pour cette merveilleuse recette, qui, à la maison portera désormais ton nom. Et aux plus proches, je conterais ton histoire et celle de tes parents.
Jeanne.
j'ai réalisé cette recette la semaine dernière, nous nous sommes régalés !
elle a vraiment l'air très bonne ta recette !
Bonjour Patoumi,
J'ai testé votre recette ce soir et j'ai vraiment adoré. Je n'ai opéré que deux petits changements: 4 cuillères à soupe de sauce soja (j'avais peur qu'avec 6 ce soit un peu trop fort pour moi) et du "ljus sirap" (c'est un genre de sucre liquide très utilisé en Suède pour les pâtisseries) au lieu du sirop d'érable.
Votre blog est une vraie source d'inspiration. Bravo!
Tu sais que j'ai toujours un crayon comme ça dans ma trousse (celle que j'avais préparée pour le concours où je n'irai pas!)?
Ce soir je fais du saumon Patoumi
Bises-re!
Hélène
Comme la vie n'est pas toujours parfaitement parfaite, mon amoureux ne mange aucun poisson ou crustacé (bouh!) et du coup, dès qu'il s'absente et pour me consoler, je mange du saumon Patoumi :-) en fait je le prépare deux par deux et je le congèle et comme ça j'en ai toujours dès que l'envie s'en fait sentir ou que l'amoureux futurement mari se sauve à cause du travail!
Je t'embrasse, je te lis toujours avec un immense plaisir même si je me fais moins bavarde ces temps ci.
Plein de bisous et merveilleux voyage en Inde (tu en reviendras changée à coup sûr)
J'aime beaucoup la manière d'amener la recette. Le saumon caramélisé prend une toute autre importance lorsqu'il est décrit après tous ces souvenirs d'enfance! Il n'y a plus qu'à se mettre aux fourneaux pour tester cette recette! Je vous dirai ce que j'en pense (mais je ne me fais pas trop de soucis, je pense que je vais beaucoup aimer)^^
Lyne
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