En aparté (3) -le plaisir est un secret, en période rose-
C'était un jeudi un peu humide. Je portais un pull col V, couleur framboise écrasée, et une jupe au tissu souple et doux. J'avais choisi de déjeuner à Histoire de thés.
La première fois que nous y étions allés, c'était l'été dernier, déjà. Un samedi midi, nous avions fait un détour après le marché, malgré la chaleur, le poids des cabas et le fait que nous habitons à l'exacte opposée. Je crois me souvenir que notre motivation à y déjeuner était le fruit d'une précédente frustration. En effet, quelques temps auparavant, nous avions voulu nous installer à la terrasse de ce salon de thé, en fin d'après-midi, mais nous avions été éconduits, parce qu'il était trop tard, selon la propriétaire. Pour ma part, je jugeais que 17h00 était une heure convenable pour boire un thé mais bon. En temps ordinaire, j'aurais renoncé à cet endroit, mais c'est aussi une librairie et il y avait du cheesecake à la carte.
Ce samedi-là, j'avais vraiment regretté de ne pas avoir pris d'appareil photo, car le lieu est très joli et saurait plaire à toutes les amatrices de Jane Austen. Tissus liberty, vaisselle dépareillée, théières fleuries, coussins dodus. Et pour ne rien gâcher, plein de livres, que l'on peut feuilleter ou acheter, des magazines de décoration et toute la presse culinaire supportable (c'est à dire pas des trucs moches, impersonnels et avec autant de fautes d'orthographe que de publicités).
Sur un petit comptoir, gâteaux et biscuits s'étalent en parfaite décadence sucrée.
Ce qui dépare un peu, c'est la maîtresse de maison. Dans ce cocon fleuri et hors du temps, on s'attendrait à voir surgir des cuisines une femme un peu ronde, aux joues aimables, une brune avec un chignon, des fossettes pourquoi pas, un tablier blanc festonné noué sur une robe avec des poches, d'une couleur subtile en tout cas, un ton profond. Elle aurait un sourire doux et gourmand. Bon, la dame qui vous acccueille est en fait un paradigme vivant de la parfaite bourgeoise rennaise. Elle est brune, d'accord, il y a un ruban un peu apprêté qui retient ses cheveux mais elle porte une robe de créateur et des chaussures pointues. Et surtout, il n'émane d'elle aucune chaleur gourmande, on dirait qu'il ne faut surtout pas qu'elle se tâche et elle fait le service avec une froide préciosité qui aurait dû m'alerter. Parfois je suis d'une naïveté confondante.
De ce déjeuner, je me souviens d'un gaspacho fraise-tomate, délicieux, servi dans une tasse en porcelaine fine, ajourée d'un filet d'or. Je ne me souviens plus vraiment de l'assiette estivale, si ce n'est qu'il y avait une terrine de fromage de chèvre aux herbes, rien de renversant. Je me souviens surtout du gâteau chocolat et caramel du dessert, absolument infect et que je n'aurais pas fini.
Si j'étais moins naïve et moins sensible aux tissus fleuris, je n'aurais peut-être pas renouvelé l'expérience.
Mais...
Ce jeudi était donc un peu humide et je frissonnais dans mon pull framboise écrasée.
Il y avait une petite table pour fille seule qui m'attendait, avec une vue plongeante sur le comptoir à gâteaux et j'ai reconnu les petits moelleux caramel et chocolat. La propriétaire avait toujours un ruban dans les cheveux et était en grande conversation avec une jeune femme rousse au regard de (mauvaise) tragédienne. Elle fut bientôt rejointe par un jeune homme en manteau noir, manteau qu'il jeta négligemment sur la petite banquette fleurie m'empêchant ainsi de prendre une discrète photo de ce joli meuble. Ce jeune homme, appelé Simon (je mets rarement des prénoms dans mes billets mais il se trouve que ça lui allait comme un gant), fut rapidement mis à contribution par sa jeune compagne:
"Euh Simon, j'ai lancé une machine de pulls, c'est de la laine, c'est fragile alors j'ai mis sur délicat et y'a pas d'essorage sur ce programme-là donc tu vois, il faudrait que tu programmes un essorage à part, mais pas le fort, pas celui de d'habitude, le doux, celui où il y a une seule étoile sur le bouton. Tu vois?
-...
-Ah oui. Hum, je me doutais que tu saurais pas. Bon ben tant pis, je vais repasser à la maison avec toi pour te montrer, j'arriverai juste un peu en retard à mon rendez-vous, c'est tout."
Pendant ce temps, j'avais jeté mon dévolu sur des lasagnes de saumon aux légumes étant donné que j'étais très moyennement convaincue par l'assortiment pâtes au pistou et carottes à la marocaine qui composaient entres autre l'assiette de printemps et encore moins par un crumble au filet mignon avec des noix de cajou. Je n'ai pas compulsé très longtemps le magazine de cuisine que j'avais choisi parce que cinq secondes après un petit "dring" microondesque, mes lasagnes sont arrivées, accompagnées de feuilles de salade géantes recouvertes d'une vinaigrette qui se révèlera trop salée. Mais bon, les lasagnes ne sont pas mauvaises, les légumes fondus ont très bon goût. Le saumon n'a aucun intérêt mais je m'en doutais un peu. A vrai dire, il est tellement cuit qu'on dirait un peu du thon en boîte.
Ne pouvant faire abstraction de la conversation de mes voisins, j'avais un peu de mal à me concentrer sur mon magazine de cuisine en attendant le dessert (quelle témérité! Je m'étonne moi-même), surtout que la salle s'est remplie de filles seules (en veste en velours côtelé) et qu'il y a dans l'assistance des personnes de ma connaissance. Sur le comptoir, il y a du pain perdu amandes et fleur d'oranger qui m'a l'air un peu décrépi, une tarte au citron un peu fatiguée, des sablés au chocolat et un beau clafoutis framboise et vanille qui me tente parce qu'il n'est pas entamé (et qu'il me paraît donc frais, car voyez-vous, Simon commandera lui aussi les lasagnes au saumon et après nos deux parts, elles seront rayées de la carte. C'est quand même un peu suspect, non?). Le clafoutis est tellement frais qu'il est encore tiède, il s'affaisse voluptueusement dans ma jolie assiette sauf que je ne le finirai pas parce qu'elle a oublié de mettre du sucre et j'ai juste l'impression de manger de la bouillie chaude et fade. Je trie les framboises.
Ma naïveté a des limites.
Je regrette que l'on y mange si mal parce que le lieu est vraiment agréable. Alors on peut juste venir boire un thé (d'autant que c'est ouvert jusqu'à 19heures maintenant) et rêvasser à des vacances dans la campagne anglaise en se réchauffant les mains sur une théière fleurie...
Histoire de thés
43 rue de Dinan
35000 Rennes
0299657592
Hier après-midi, après d'interminables colloques avec moi-même, j'ai décidé d'aller voir The Darjeeling limited. Je sais qu'il est sorti depuis longtemps déjà mais G. était très réticent à y aller (pour ne pas dire: il refusait catégoriquement d'y aller) et les horaires n'étaient jamais très convaincants. Mais, comme G. est à Paris et que je suis punie par l'internat à rester au bureau à relire tout un tas de fiches indigestes, je pouvais, en faisant taire ma culpabilité, aller tranquillement à la séance de 18h10 si le coeur me disait.
Le coeur me disait mais la raison m'a retenue jusqu'à 17h55, ce qui fait qu'au dernier moment, dans un élan désespéré, j'ai enfilé les premiers vêtements qui se présentaient à moi (car je travaille en mou insortable) et j'ai filé au cinéma. Il faisait super beau, j'ai cligné des yeux pendant les premiers mètres, je n'étais pas sortie depuis trois jours. Il faisait très chaud aussi, je n'étais pas au courant et j'avais encore mon manteau.
Dans la salle, il y avait un couple d'Allemands qui mangeait du pain aux céréales en faisant beaucoup de bruit.
Je suis sortie enchantée et ravie. J'ai adoré cette histoire de garçons qui ont un peu peur de grandir, qui ont du mal à s'accomplir, j'ai adoré le regard de Sweet lime, les repas dans le train, les hésitations et les doutes, les malentendus, et j'ai adoré, avouons-le, Adrien Brody, parfaitement irrésistible en migraineux à lunettes chaussant du 45 et abordant, comme Antoine Doinel en d'autres lieux et d'autres époques, avec une anxiété certaine, sa future paternité. Je crois que j'ai un truc avec les garçons qui ont un grand nez.
Je suis rentrée, même mes cheveux souriaient tant ce film m'a plu, et j'ai préparé des ravioli au fromage, avec une sauce au mascarpone et au gorgonzola et un peu de jambon de parme. C'était bon, je revoyais les images du film, défiler comme un train.
Le titre n'a rien à voir avec tout ça, mais j'ai réentendu cette chanson de Souchon ce matin, sur une vieille cassette, chantée par Vincent Delerm. Et j'aime bien.
La première fois que nous y étions allés, c'était l'été dernier, déjà. Un samedi midi, nous avions fait un détour après le marché, malgré la chaleur, le poids des cabas et le fait que nous habitons à l'exacte opposée. Je crois me souvenir que notre motivation à y déjeuner était le fruit d'une précédente frustration. En effet, quelques temps auparavant, nous avions voulu nous installer à la terrasse de ce salon de thé, en fin d'après-midi, mais nous avions été éconduits, parce qu'il était trop tard, selon la propriétaire. Pour ma part, je jugeais que 17h00 était une heure convenable pour boire un thé mais bon. En temps ordinaire, j'aurais renoncé à cet endroit, mais c'est aussi une librairie et il y avait du cheesecake à la carte.
Ce samedi-là, j'avais vraiment regretté de ne pas avoir pris d'appareil photo, car le lieu est très joli et saurait plaire à toutes les amatrices de Jane Austen. Tissus liberty, vaisselle dépareillée, théières fleuries, coussins dodus. Et pour ne rien gâcher, plein de livres, que l'on peut feuilleter ou acheter, des magazines de décoration et toute la presse culinaire supportable (c'est à dire pas des trucs moches, impersonnels et avec autant de fautes d'orthographe que de publicités).
Sur un petit comptoir, gâteaux et biscuits s'étalent en parfaite décadence sucrée.
Ce qui dépare un peu, c'est la maîtresse de maison. Dans ce cocon fleuri et hors du temps, on s'attendrait à voir surgir des cuisines une femme un peu ronde, aux joues aimables, une brune avec un chignon, des fossettes pourquoi pas, un tablier blanc festonné noué sur une robe avec des poches, d'une couleur subtile en tout cas, un ton profond. Elle aurait un sourire doux et gourmand. Bon, la dame qui vous acccueille est en fait un paradigme vivant de la parfaite bourgeoise rennaise. Elle est brune, d'accord, il y a un ruban un peu apprêté qui retient ses cheveux mais elle porte une robe de créateur et des chaussures pointues. Et surtout, il n'émane d'elle aucune chaleur gourmande, on dirait qu'il ne faut surtout pas qu'elle se tâche et elle fait le service avec une froide préciosité qui aurait dû m'alerter. Parfois je suis d'une naïveté confondante.
De ce déjeuner, je me souviens d'un gaspacho fraise-tomate, délicieux, servi dans une tasse en porcelaine fine, ajourée d'un filet d'or. Je ne me souviens plus vraiment de l'assiette estivale, si ce n'est qu'il y avait une terrine de fromage de chèvre aux herbes, rien de renversant. Je me souviens surtout du gâteau chocolat et caramel du dessert, absolument infect et que je n'aurais pas fini.
Si j'étais moins naïve et moins sensible aux tissus fleuris, je n'aurais peut-être pas renouvelé l'expérience.
Mais...
Ce jeudi était donc un peu humide et je frissonnais dans mon pull framboise écrasée.
Il y avait une petite table pour fille seule qui m'attendait, avec une vue plongeante sur le comptoir à gâteaux et j'ai reconnu les petits moelleux caramel et chocolat. La propriétaire avait toujours un ruban dans les cheveux et était en grande conversation avec une jeune femme rousse au regard de (mauvaise) tragédienne. Elle fut bientôt rejointe par un jeune homme en manteau noir, manteau qu'il jeta négligemment sur la petite banquette fleurie m'empêchant ainsi de prendre une discrète photo de ce joli meuble. Ce jeune homme, appelé Simon (je mets rarement des prénoms dans mes billets mais il se trouve que ça lui allait comme un gant), fut rapidement mis à contribution par sa jeune compagne:
"Euh Simon, j'ai lancé une machine de pulls, c'est de la laine, c'est fragile alors j'ai mis sur délicat et y'a pas d'essorage sur ce programme-là donc tu vois, il faudrait que tu programmes un essorage à part, mais pas le fort, pas celui de d'habitude, le doux, celui où il y a une seule étoile sur le bouton. Tu vois?
-...
-Ah oui. Hum, je me doutais que tu saurais pas. Bon ben tant pis, je vais repasser à la maison avec toi pour te montrer, j'arriverai juste un peu en retard à mon rendez-vous, c'est tout."
Pendant ce temps, j'avais jeté mon dévolu sur des lasagnes de saumon aux légumes étant donné que j'étais très moyennement convaincue par l'assortiment pâtes au pistou et carottes à la marocaine qui composaient entres autre l'assiette de printemps et encore moins par un crumble au filet mignon avec des noix de cajou. Je n'ai pas compulsé très longtemps le magazine de cuisine que j'avais choisi parce que cinq secondes après un petit "dring" microondesque, mes lasagnes sont arrivées, accompagnées de feuilles de salade géantes recouvertes d'une vinaigrette qui se révèlera trop salée. Mais bon, les lasagnes ne sont pas mauvaises, les légumes fondus ont très bon goût. Le saumon n'a aucun intérêt mais je m'en doutais un peu. A vrai dire, il est tellement cuit qu'on dirait un peu du thon en boîte.
Ne pouvant faire abstraction de la conversation de mes voisins, j'avais un peu de mal à me concentrer sur mon magazine de cuisine en attendant le dessert (quelle témérité! Je m'étonne moi-même), surtout que la salle s'est remplie de filles seules (en veste en velours côtelé) et qu'il y a dans l'assistance des personnes de ma connaissance. Sur le comptoir, il y a du pain perdu amandes et fleur d'oranger qui m'a l'air un peu décrépi, une tarte au citron un peu fatiguée, des sablés au chocolat et un beau clafoutis framboise et vanille qui me tente parce qu'il n'est pas entamé (et qu'il me paraît donc frais, car voyez-vous, Simon commandera lui aussi les lasagnes au saumon et après nos deux parts, elles seront rayées de la carte. C'est quand même un peu suspect, non?). Le clafoutis est tellement frais qu'il est encore tiède, il s'affaisse voluptueusement dans ma jolie assiette sauf que je ne le finirai pas parce qu'elle a oublié de mettre du sucre et j'ai juste l'impression de manger de la bouillie chaude et fade. Je trie les framboises.
Ma naïveté a des limites.
Je regrette que l'on y mange si mal parce que le lieu est vraiment agréable. Alors on peut juste venir boire un thé (d'autant que c'est ouvert jusqu'à 19heures maintenant) et rêvasser à des vacances dans la campagne anglaise en se réchauffant les mains sur une théière fleurie...
Histoire de thés
43 rue de Dinan
35000 Rennes
0299657592
Hier après-midi, après d'interminables colloques avec moi-même, j'ai décidé d'aller voir The Darjeeling limited. Je sais qu'il est sorti depuis longtemps déjà mais G. était très réticent à y aller (pour ne pas dire: il refusait catégoriquement d'y aller) et les horaires n'étaient jamais très convaincants. Mais, comme G. est à Paris et que je suis punie par l'internat à rester au bureau à relire tout un tas de fiches indigestes, je pouvais, en faisant taire ma culpabilité, aller tranquillement à la séance de 18h10 si le coeur me disait.
Le coeur me disait mais la raison m'a retenue jusqu'à 17h55, ce qui fait qu'au dernier moment, dans un élan désespéré, j'ai enfilé les premiers vêtements qui se présentaient à moi (car je travaille en mou insortable) et j'ai filé au cinéma. Il faisait super beau, j'ai cligné des yeux pendant les premiers mètres, je n'étais pas sortie depuis trois jours. Il faisait très chaud aussi, je n'étais pas au courant et j'avais encore mon manteau.
Dans la salle, il y avait un couple d'Allemands qui mangeait du pain aux céréales en faisant beaucoup de bruit.
Je suis sortie enchantée et ravie. J'ai adoré cette histoire de garçons qui ont un peu peur de grandir, qui ont du mal à s'accomplir, j'ai adoré le regard de Sweet lime, les repas dans le train, les hésitations et les doutes, les malentendus, et j'ai adoré, avouons-le, Adrien Brody, parfaitement irrésistible en migraineux à lunettes chaussant du 45 et abordant, comme Antoine Doinel en d'autres lieux et d'autres époques, avec une anxiété certaine, sa future paternité. Je crois que j'ai un truc avec les garçons qui ont un grand nez.
Je suis rentrée, même mes cheveux souriaient tant ce film m'a plu, et j'ai préparé des ravioli au fromage, avec une sauce au mascarpone et au gorgonzola et un peu de jambon de parme. C'était bon, je revoyais les images du film, défiler comme un train.
Le titre n'a rien à voir avec tout ça, mais j'ai réentendu cette chanson de Souchon ce matin, sur une vieille cassette, chantée par Vincent Delerm. Et j'aime bien.