Déguster une madeleine façon Pierre H. en pensant à Marcel P.
J'ai commencé La recherche le printemps où j'ai rencontré G. Je l'avais acheté plusieurs années auparavant et chaque été je me promettais de le lire mais j'abandonnais immanquablement au bout d'une dizaine de pages, saisie par un ennui sans nom. Je trouvais alors absolument présomptueux de penser intéresser un lecteur en lui racontant ses insomnies fussent-elles causées par un baiser maternel manqué. Les étés se succédaient et le marque-page "spécial Proust" ne bougeait pas beaucoup.
Juste avant de rencontrer G., et je ne savais pas encore combien cette rencontre allait être décisive, j'ai repris Du côté de chez Swann; l'été n'était pas encore tout à fait là et je pensais ainsi conjurer le mauvais sort. Nous étions en juin, j'avais beaucoup de temps libre, et l'esprit particulièrement disponible. Je pique-niquais souvent dans les jardins du Thabor, près de la fontaine, en face de l'Orangeraie, je regardais pas mal de films, à divers moments de la journée, engraissant ainsi le propriétaire lunatique du Vidéorama, je flânais dans les boutiques et j'ai commencé à acheter des jupes pour la première fois de ma vie, dont une rose chez Petit Bateau, désormais élimée tant je l'ai portée.
J'ai passé une soirée entière à lire le premier tome de La Recherche, happée par le rythme de la syntaxe proustienne et retrouvant de temps en temps des grains de sable me rappelant l'ennui que j'avais éprouvé par le passé avec le même livre. Je ne sais comment expliquer ce retournement de situation, il faut croire que c'était pile le bon moment pour rencontrer Marcel.
Cet été-là, nous passions quasiment tous nos weekends en bord de mer et j'avais toujours les aventures de Marcel à portée de main. Je me souviens d'une longue après-midi sur une plage finistérienne où j'inaugurais une nouvelle serviette de plage toute rose, toute douce et qui n'aurait pas déplut à Albertine (oui je sais, il paraît qu'en fait c'était Albert, mais pour moi, elle reste Albertine, respirant le parfum d'un bouquet de roses). Ce soir-là, nous avions dîné dans un restaurant où j'ai dégusté un inoubliable carpaccio de Saint-Jacques à la mangue et au citron vert. Je me souviens aussi avoir contemplé le ciel se teindre de rose et de violet au dessus de Perros-Guirrec assise avec G. sur le rebord d'une fenêtre d'une très jolie chambre d'hôtel. Je me souviens encore des petits-déjeuners le dimanche matin, sur les places de village. On commence d'abord par choisir une boulangerie (et c'est étonnant comme elles peuvent parfois être nombreuses dans des villes minuscules), on achète quelques viennoiseries, celles qui font envie sur le moment, et puis on s'installe à une terrasse et on se laisse aller à une douce torpeur. Parfois on achète des magazines et on les feuillette distraitement, on regarde surtout les photos. Parfois il y a un marché et les parfums, les couleurs, les bruits et le ballet des gens qui le parcourent est presque vertigineux. Il arrive qu'on y achète le repas du futur pique-nique: un peu de fromage, du bon pain, des abricots... J'adore nos weekends à la mer.
Comme La Recherche représente un certain volume (mais je l'ai en format poche, c'est plus pratique et on peut lire autre chose entre chaque tome si l'envie nous vient -et elle est souvent venue-. Et puis, G. s'était décarcassé pour me trouver chez un bouquiniste une ancienne version chez Folio qui me dispensait des cathédrales marrons de Monet), j'avoue avoir mis un certain temps à le lire. Ainsi l'année suivante, sur la plage de Mirissa, au sud du Sri Lanka, j'ai lu ce qui se passait du côté de Guermantes pendant que G. plongeait avec délice dans des vagues dont la taille me faisait hurler. Nous étions logés dans une structure hôtelière au sein d'une cocoteraie où chacun disposait d'un petit bungalow. Bien que je ne sois pas une grande adepte des vacances dans ce climat et cet environnement (euh oui, ça peut paraître bizarre mais j'aime bien les villes où on a froid), c'était vraiment bien de se lever le matin, de pouvoir mettre les pieds dans l'eau si ça nous chante et face aux vagues de petit-déjeuner de fruits frais, de toasts grillés et d'une divine omelette sri-lankaise savamment épicée. Le soir, nous dînions de poissons grillés au bord de l'eau et de légumes fondants, en dessert, il y avait toujours du Honey and curd, un indescriptible fromage blanc terriblement onctueux arrosé de miel parfumé. Ces quelques jours à Mirissa étaient d'autant plus agréables que nous avions un peu baroudé à travers l'île la dizaine de jours précédents.
J'ai fini de lire les aventures de Marcel lors de vacances automnales en Normandie. Nous étions partis un dimanche midi, juste au moment du générique des Papous dans la tête. A l'intermède musical, Jacques D. et Françoise H. ont chanté "Puisque vous partez en voyage..." Au diagnostic littéraire, je savais que c'était Roland Barthes, mais je n'avais pas osé le dire. Nous nous étions arrêtés dans une petite crêperie et G. avait choisi une galette lard fumé-camembert-pommes au calvados, délicieuse à la première bouchée, un peu écoeurante à la dernière.
Le premier soir, nous avons découvert Etretat, nous avons dormi dans une jolie chambre d'hôte au sommet d'une falaise et au dîner, il y avait une très bonne charlotte orange-chocolat.
Nous avons beaucoup marché, en bord de mer, dans de superbes forêts, bravant parfois le vent et la pluie. Nous avons passés plusieurs jours chez madame P., qui tient une très belle chambre d'hôte au sein de sa ferme, et qui sert des petits-déjeuners pantagruéliques: yaourts maison, neufchâtel, viennoiseries, pain, céréales, fruits, confitures à foison...
Vivement les prochaines vacances...
Marcel aurait adoré les madeleines de Pierre (je sais qu'il paraît qu'il aimait en fait les biscottes dans le thé, mais bon, c'est tellement plus glamour les madeleines); j'ai essayé plusieurs recettes par le passé et celle-ci recueille vraiment tous les suffrages. Pierre les parfume au citron, j'avais des oranges et je ne regrette pas mon choix. Pour la deuxième fournée, la pâte avait eu le temps de reposer au réfrigérateur toute une nuit et j'ai obtenu des madeleines bien dodues avec une belle bosse. Ce n'est rien mais j'étais ravie!
Les madeleines façon Pierre H.
Pour une vingtaine de madeleines
100g de farine
100g de beurre fondu
2 oeufs
120g de sucre
3g de levure
une grosse cuillère à soupe de zestes d'orange
Tamiser la farine et la levure.
Battre les oeufs avec le sucre.
Mélanger les deux préparations.
Ajouter progressivement le beurre fondu puis les zestes.
Laisser reposer la pâte au frais.
Faire cuire 5 minutes à 220° puis une dizaine de minutes à 200°.
Juste avant de rencontrer G., et je ne savais pas encore combien cette rencontre allait être décisive, j'ai repris Du côté de chez Swann; l'été n'était pas encore tout à fait là et je pensais ainsi conjurer le mauvais sort. Nous étions en juin, j'avais beaucoup de temps libre, et l'esprit particulièrement disponible. Je pique-niquais souvent dans les jardins du Thabor, près de la fontaine, en face de l'Orangeraie, je regardais pas mal de films, à divers moments de la journée, engraissant ainsi le propriétaire lunatique du Vidéorama, je flânais dans les boutiques et j'ai commencé à acheter des jupes pour la première fois de ma vie, dont une rose chez Petit Bateau, désormais élimée tant je l'ai portée.
J'ai passé une soirée entière à lire le premier tome de La Recherche, happée par le rythme de la syntaxe proustienne et retrouvant de temps en temps des grains de sable me rappelant l'ennui que j'avais éprouvé par le passé avec le même livre. Je ne sais comment expliquer ce retournement de situation, il faut croire que c'était pile le bon moment pour rencontrer Marcel.
Cet été-là, nous passions quasiment tous nos weekends en bord de mer et j'avais toujours les aventures de Marcel à portée de main. Je me souviens d'une longue après-midi sur une plage finistérienne où j'inaugurais une nouvelle serviette de plage toute rose, toute douce et qui n'aurait pas déplut à Albertine (oui je sais, il paraît qu'en fait c'était Albert, mais pour moi, elle reste Albertine, respirant le parfum d'un bouquet de roses). Ce soir-là, nous avions dîné dans un restaurant où j'ai dégusté un inoubliable carpaccio de Saint-Jacques à la mangue et au citron vert. Je me souviens aussi avoir contemplé le ciel se teindre de rose et de violet au dessus de Perros-Guirrec assise avec G. sur le rebord d'une fenêtre d'une très jolie chambre d'hôtel. Je me souviens encore des petits-déjeuners le dimanche matin, sur les places de village. On commence d'abord par choisir une boulangerie (et c'est étonnant comme elles peuvent parfois être nombreuses dans des villes minuscules), on achète quelques viennoiseries, celles qui font envie sur le moment, et puis on s'installe à une terrasse et on se laisse aller à une douce torpeur. Parfois on achète des magazines et on les feuillette distraitement, on regarde surtout les photos. Parfois il y a un marché et les parfums, les couleurs, les bruits et le ballet des gens qui le parcourent est presque vertigineux. Il arrive qu'on y achète le repas du futur pique-nique: un peu de fromage, du bon pain, des abricots... J'adore nos weekends à la mer.
Comme La Recherche représente un certain volume (mais je l'ai en format poche, c'est plus pratique et on peut lire autre chose entre chaque tome si l'envie nous vient -et elle est souvent venue-. Et puis, G. s'était décarcassé pour me trouver chez un bouquiniste une ancienne version chez Folio qui me dispensait des cathédrales marrons de Monet), j'avoue avoir mis un certain temps à le lire. Ainsi l'année suivante, sur la plage de Mirissa, au sud du Sri Lanka, j'ai lu ce qui se passait du côté de Guermantes pendant que G. plongeait avec délice dans des vagues dont la taille me faisait hurler. Nous étions logés dans une structure hôtelière au sein d'une cocoteraie où chacun disposait d'un petit bungalow. Bien que je ne sois pas une grande adepte des vacances dans ce climat et cet environnement (euh oui, ça peut paraître bizarre mais j'aime bien les villes où on a froid), c'était vraiment bien de se lever le matin, de pouvoir mettre les pieds dans l'eau si ça nous chante et face aux vagues de petit-déjeuner de fruits frais, de toasts grillés et d'une divine omelette sri-lankaise savamment épicée. Le soir, nous dînions de poissons grillés au bord de l'eau et de légumes fondants, en dessert, il y avait toujours du Honey and curd, un indescriptible fromage blanc terriblement onctueux arrosé de miel parfumé. Ces quelques jours à Mirissa étaient d'autant plus agréables que nous avions un peu baroudé à travers l'île la dizaine de jours précédents.
J'ai fini de lire les aventures de Marcel lors de vacances automnales en Normandie. Nous étions partis un dimanche midi, juste au moment du générique des Papous dans la tête. A l'intermède musical, Jacques D. et Françoise H. ont chanté "Puisque vous partez en voyage..." Au diagnostic littéraire, je savais que c'était Roland Barthes, mais je n'avais pas osé le dire. Nous nous étions arrêtés dans une petite crêperie et G. avait choisi une galette lard fumé-camembert-pommes au calvados, délicieuse à la première bouchée, un peu écoeurante à la dernière.
Le premier soir, nous avons découvert Etretat, nous avons dormi dans une jolie chambre d'hôte au sommet d'une falaise et au dîner, il y avait une très bonne charlotte orange-chocolat.
Nous avons beaucoup marché, en bord de mer, dans de superbes forêts, bravant parfois le vent et la pluie. Nous avons passés plusieurs jours chez madame P., qui tient une très belle chambre d'hôte au sein de sa ferme, et qui sert des petits-déjeuners pantagruéliques: yaourts maison, neufchâtel, viennoiseries, pain, céréales, fruits, confitures à foison...
Vivement les prochaines vacances...
Marcel aurait adoré les madeleines de Pierre (je sais qu'il paraît qu'il aimait en fait les biscottes dans le thé, mais bon, c'est tellement plus glamour les madeleines); j'ai essayé plusieurs recettes par le passé et celle-ci recueille vraiment tous les suffrages. Pierre les parfume au citron, j'avais des oranges et je ne regrette pas mon choix. Pour la deuxième fournée, la pâte avait eu le temps de reposer au réfrigérateur toute une nuit et j'ai obtenu des madeleines bien dodues avec une belle bosse. Ce n'est rien mais j'étais ravie!
Les madeleines façon Pierre H.
Pour une vingtaine de madeleines
100g de farine
100g de beurre fondu
2 oeufs
120g de sucre
3g de levure
une grosse cuillère à soupe de zestes d'orange
Tamiser la farine et la levure.
Battre les oeufs avec le sucre.
Mélanger les deux préparations.
Ajouter progressivement le beurre fondu puis les zestes.
Laisser reposer la pâte au frais.
Faire cuire 5 minutes à 220° puis une dizaine de minutes à 200°.
12 Comments:
Enfin quelqu'un qui partage ma passion pour "la recherche". J'ai dévoré la totalité de l'oeuvre il y a trois ans maintenant, puis j'ai lu tout de Proust, puis tout sur Proust. J'envisage d'en entreprendre une seconde lecture à partir de juin prochain (cela se programme, ces choses-là).
Merci pour la recette également, qui a l'air tout à fait savoureuse...
On voyage donc également au sens propre du terme avec certains livres ...
Je l'ai, quant à moi, lu dans le désordre, sans doute en partie seulement aussi. J'ai été longtemps marquée par la tumultueuse relation de Swann avec Odette. Il trouvait qu'elle ressemblait à la fille de Jéthro, dans la fresque de Botticelli. Et l'image de la fresque m'a longtemps habitée ...
Il me semble que ce sont mes dernières lectures de jeune fille. Je me demande si je me replongerai plus tard de nouveau dans Proust.
Ce dont je ne doute pas ce soir, c'est que tes madeleines sont une valeur sûre !
Quel plaisir j'ai eu à te lire.
Et je suis prête à dévorer tes madeleines à l'orange.
Ce n'est rien mais j'etais ravie :)
Et moi je suis ravie de ton ecriture, des petits details qui se baladent, de la jupe rose et de la chambre a Etretat. Je crois que ce billet, je vais le relire.
La recherche pour moi, comme pour Eva, fait partie de mes dernieres lectures de jeune fille. Je l'ai lue d'un seul bloc, refugiee bien tranquille dans une clairiere au milieu d'un champ de mais, il y avait peu de chance qu'on me trouve la.
J'ai re-essaye depuis, pour me rendre compte de ce que mes experiences d'adulte apportaient a ce texte que j'avais adore. Je ne suis pas allee au dela de la 10eme page, le moment est passe.
Je n'ai jamais pu me faire à cette prose. Celle de Marcel, pas la tienne. J'ai cependant des souvenirs d'éclairs de génie qui frappent de plein fouet.
Pour ta madeleine, comment obtiens-tu cette petite bosse? Est-ce la chaleur du four?
Quel beau billet!
Que l'on aime Proust ou pas, tu nous donnes envie de le lire ou de l'aimer.
La lecture forcée de M. P., au collège? lycée?, m'en avait dégoûtée, mais un récent amoureux m'en avait redonné l'envie. Je n'y suis pas arrivée, mais me suis souvenue qu'il m'a fallu 4 tentives pour lire "100 ans de solitude". Alors, "La Recherche", c'est peut-être pour pour un jour ou l'autre.
Continue sur cette voie.
Une année de belles découvertes à toi.
Mag
Quel beau billet!
Que l'on aime Proust ou pas, tu nous donnes envie de le lire ou de l'aimer.
La lecture forcée de M. P., au collège? lycée? m'en avait dégoûtée, mais un récent amoureux m'en avait redonné l'envie. Je n'y suis pas arrivée, mais me suis souvenue qu'il m'avait fallu 4 tentives pour lire "100 ans de solitude". Alors, "La Recherche", c'est peut-être pour pour un jour ou l'autre.
Continue sur cette voie.
Une année de belles découvertes à toi.
Mag
Quelle délicieuse manière de goûter l'instant et d'en restituer la mémoire!
J'adorerais aimer lire Proust...
Léna qui a lu, étonnée, de bons papiers sur la BD "A la recherche..." adaptée par Stéphane Heuet...
Moi j'ai découvert Marcel à 25 ans et je l'ai lu de fond en comble, c'était donc plus des lectures de jeunes femmes que de jeunes filles, j'adorais son style inimitable, je me demande si j'aimerais autant maintenant.
J'aimerais bien aller à Etretat, ça me fait penser à arsène Lupin (eh oui, je n'ai pas lu que Proust) j'ai l'impression que ce doit être délicieusement désuet
Les madeleines, j'en ai fait une fois, sur une recette de Tarzile, aux bleuets et aux pépites de chocolat, et elles avaient leur bosse à ma grande fierté
Bon, moi j'ai entendu sur une radio intelligente ou dans un magazine littéraire que sur les premiers jets des manuscrits raturés de Marcel, c'était du pain rassis.
Du coup, c'est plus dans mes cordes à faire renaître, le pain rassis.
N'en dis pas plus...je suis conquise !
Je reviens longtemps après sur les lieux du crime... Je viens de faire ces madeleines (au citron je le confesse, et avec une touche de miel), elles embaument divinement et ont une gracieuse bosse... Merci Fée Patoumi !
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