jeudi 21 mai 2009

La samba des jours avec toi -cabillaud rôti, asperges vertes et sauce au citron-

En ce moment, il écoute de la musique expérimentale. Pour des oreilles habituées aux rivières de janvier, à l'écume des souvenirs, aux matins blêmes et aux bracelets rouges de la piscine, c'est un peu comme goûter pour la première fois de la glace au sésame noir: un voyage en terre étrangère, que l'on aimerait refaire. J'attends qu'il m'emmène à un concert.
Il lit Ondine, soigneusement choisi chez Corti, à côté du Luxembourg où nous n'étions pas allés ce samedi-là parce qu'il pleuvait beaucoup.


Il a grand appétit pour les fraises, les asperges, la rhubarbe, et il attend avec impatience les figues et les pêches (à moins qu'il ne préfère les nectarines, il faudra que je lui redemande).
Il prépare souvent pour déjeuner un petit sandwich au jambon de parme, parfois aussi au saucisson, et cela lui rappelle des vacances passées dans les montagnes avec ses parents.
A Cojean, quand il a demandé un quatrième stick de sucre pour le café, la jeune fille avec le tee-shirt bleu ciel lui a dit "Oh alors vous êtes Monsieur Très Sucre!" (j'y ai vu une tentative de drague mais les avis divergent).
Il ne veut pas mettre sur le pare-brise de la voiture le caducée qui révèle sa profession, parce que bon quand même ça fait un peu genre.
J'aime bien l'écouter m'expliquer qui est le grand Autre, j'aime bien quand il propose de prendre un troisième dessert au Tire-Bouchon (juste un peu de glace au caramel) et puis j'aime bien quand, comme l'autre soir, il vient s'asseoir dans mon bureau (où il a monté une nouvelle petite bibliothèque, chic!)


et feuillette avec moi des livres de cuisine. On a ouvert un opus de Jamie et il a découpé des petits papiers dans des vieilles ordonnances pour marquer les pages. Le samedi suivant, devant le stand d'Annie Bertin et les cagettes d'asperges vertes rutilantes, on a vite fait le lien avec la recette de la page 222: Delicious roasted white fish wrapped in smoke bacon with lemon mayonnaise and asparagus


J'ai choisi du cabillaud parce que celui de Stéphane (c'est mon poissonnier, et c'est un ancien prof de maths) était très frais. A la place du bacon, j'ai pris de la pancetta en tranches très fines, et plutôt que le romarin préconisé, j'ai mis de l'origan. Essayez, tant qu'il y a encore des asperges au marché, parce que leur délicatesse, ainsi que celle du poisson contrastent délicieusement avec la pancetta et la vivacité de la sauce au citron.

Cabillaud rôti, asperges vertes, sauce au citron
Il s'agit de choisir des morceaux de poisson un peu épais.
Sur chaque face, vous poivrez vous zestez un citron bio et vous parsemez modérément d'origan. Vous massez légèrement pour faire adhérer et pénétrer. Vous enveloppez ensuite chaque morceau dans des tranches de pancetta.
Vous faites chauffer un peu d'huile d'olive dans une casserole qui va au four et vous faites dorer sur une seule face les morceaux de poisson, puis vous enfournez la casserole pendant une dizaine de minutes à 160° (poisson cuit et pancetta crousti).
Pendant ce temps, vous faites cuire les asperges à la vapeur et vous préparez une mayonnaise que vous citronnez généreusement.
Pour servir (sur des assiettes chaudes!): le poisson, les asperges arrosées du jus recuilli dans la casserole ayant servi à cuire le poisson, et la sauce au citron.

En ce moment, le travail me pèse un peu et j'ai un net penchant pour la brioche trempée dans le chocolat chaud le matin, les fraises grignotées sans fin et les biscottes beurre salé-gelée de mûres qui allaient très bien avec le bel article de Mia Hansen Love sur la Nouvelle Vague dans Les Cahiers de ce mois-ci (arrachez la couverture et mettez-la à la poubelle si comme moi elle vous insupporte).

samedi 16 mai 2009

Racines

L’adresse et le numéro de téléphone avaient été rapidement griffonés au début de l’année dans mon agenda entre une recette de pasteis denata et l’horaire des séances de Frozen river. On est allé voir Frozen river (très bien), j’ai fait des pasteis de nata (à améliorer mais peut-être que mon nouveau livre de cuisine lisboète offert par G. va m’éclairer) mais plutôt que d’aller à Racines, nous nous étions aventurés jusqu’au fin fond du quatorzième et nous avions passé un délicieux moment à la Régalade, qu’on ne présente plus mais dont on ne peut que vanter la gentillesse du service, le rondeur charnue des Saint-Jacques et le fondant de la poitrine de cochon qu’Estérelle nous avait par ailleurs appris à faire. Un autre soir, Racines avait encore été évincé par Itinéraires, caché dans une petite rue calme où se succèdent des maisons aux balcons fleuris. Les tables voisines étaient un peu trop à droite mais j’ai bien aimé les rillettes de sardines avec le sorbet de cornichon et le carpaccio de champignons aux palourdes et au cédrat. Le baba au rhum était quant à lui irréprochable.
C’est en feuilletant mon agenda pour trouver une recette de cookies que Racines s’est rappelé à moi et j’ai téléphoné le soir même pour réserver. Le garçon au bout du fil avait de la répartie et a promis de garder une table.
Il faisait doux quand nous avons arpenté les trottoirs fréquentés qui menaient jusqu’aux grands boulevards. Racines se cache presque dans le Passage des Panoramas et brouille les pistes tout en annonçant la couleur en arborant l’enseigne d’un marchand de vins. La salle est toute petite ; bois, ardoise, petits carreaux et jolies bouteilles un peu partout. Au fond de la pièce, la cuisine est ouverte. Le patron affiche avec classe queue de cheval et tatouages, le chef a le sourire timide, le sommelier, peut-être plus jeune que moi, est Brestois et porte des lunettes de premier de la classe. Il s’avérera qu’il fait rudement bien son travail et sait parler des vins comme certaines parlent de littérature : avec érudition, malice et gourmandise (à lire absolument, la relation que Julie entretient avec les pommes et les livres).
Assis en terrase, en goûtant un vin blanc qui a su garder son identité dans sa catégorie, j’ai observé les gens avec qui nous allions partager le repas. A la table d’à côté, une famille fête un anniversaire. L’aînée des filles porte une robe en satin noir et des escarpins à talon, sa sœur a un peu froid dans sa robe sans manche au tissu fleuri. Les parents ont l’air content, ils essaient de manger proprement du homard grillé. Dans la salle, des couples d’amoureux, un groupe d’amis qui partagent du lard de colonnata, trois Japonais qui ont tous choisi de manger la même chose.
Sur l’ardoise qu’on nous apporte, l’équation est simple. Trois entrées, quatre plats, un fromage, deux desserts. Tout fait envie et la brièveté de la carte me ravit en ce qu’elle suggère de fraîcheur et d’attention accordée aux plats.
Tout était élégant sans sophistication ostentatoire, tout était extrêment frais, parfaitement cuit et assaisonné. En entrée il y avait une salade de jeunes pousses et de fins légumes dont chaque bouchée était différente, parfois piquante, parfois douce, avec toujours le goût d’un très bon parmesan, pourtant presque invisible . Tous ces légumes venaient de chez Alain Passard et Annie Bertin qui tient son stand tout les samedis au marché des Lices, pas très loin de l’Hôtel des ventes et sans jamais afficher sa notoriété. C’est une petite dame aux joues creuses, aux cheveux gris et bouclés, qui propose des salades ultra fraîches, des herbes pleines de goût, en saison des asperges vertes fines et souples, des betteraves bicolores et du cerfeuil tubéreux.
Il y avait aussi pour commencer le repas, ces mêmes asperges qui accompagnaient un fois gras poêlé parfait. J’ai bien aimé les petites fleurs qui parsemaient l’ensemble.


Ce soir-là, j’ai goûté pour la première fois des ris d’agneau, croustillants au-dehors et moelleux au-dedans, servis avec des couteaux et des oignons nouveaux. Un mélange étonnant et une photo aux couleurs un peu rétro.


Il était impossible de ne pas goûter les deux desserts : une tarte au citron (meringue très légère au miel, presque mousseuse, crème au citron juste acide, pâte à tarte très fine parfumée aux grains de sésame) et une tarte au chocolat et au caroube intense, frôlant l’amertume sans jamais agresser le palais.


Le choix du vin est laissé à l’appréciation du garçon aux lunettes, en qui l’on peut définitivement faire confiance.
Je ne sais pas si c'est parce qu'il s'est installé à la place d'une imprimerie mais Racines est comme un lieu où l'on a l'impression de se redécouvrir et qui donne aussi l'envie de revenir, avec son amoureux ou de vieux amis qui auraient connaissance de certains de nos mystères.

Racines
8, passage des Panoramas
75002 Paris 01 40 13 06 41

La Régalade
49, avenue Jean Moulin
75014 Paris 01 45 45 68 58

Itinéraires
5, rue Pontoise
75005 Paris 01 46 33 60 11