mardi 9 novembre 2010

Tu m'as dit bien sûr que si -minestrone-

Sur le chemin du retour nous n'étions pas d'accord. Les feuilles jaunies viraient au marron sur le bords des trottoirs, le parapluie devenu inutile n'était plus qu'encombrant, j'aurais préféré ne pas avoir oublié mon écharpe mais il a glissé ma main dans la poche de son manteau.
Les scènes tournées dans l'HP lui ont déplu, l'histoire l'a angoissé, il a préféré la brune (normal!) parce qu'il trouvait que la blonde avait le regard dur. Nous avons dépassé l'immeuble décoré de mosaïques. J'ai aimé la défense de Kleist, le mutisme et l'absence résignée de Priss, le personnage de la professeur de flûte, les réparties de Noémie. Pour vous faire une idée, allez voir Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac, qui ne peut pas laisser indifférent.
Irez-vous, comme nous, goûter les crêpes au chocolat de la petite crêperie en face de la grande librairie après la séance?
Irez-vous, également, plonger vos mains gelées dans les bacs un peu sales d'une brocante de vinyls à la recherche d'une pochette de Leonard Cohen?
Serez-vous inhibés par ladite crêpe au chocolat pour vous refuser plus tard une tartine au beurre salé avec un peu de miel crémeux? (nous, non)
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La veille, à côté d'un couple qui n'avait rien à se dire et qui écrasait mollement des filets de maquereau sur leur tartine mal beurrée, nous avons demandé un deuxième moelleux au chocolat et un autre verre de crémant d'Alsace aux alentours de 23 heures au Nabuchodonosor.
Il fut question de collants (prune, vert sapin, bleu électrique), de Bob Dylan (souvenir imprérissable de I want you qui s'échappait d'un café viennois enfumé), d'un homme qui avait entendu J'étouffais de travers quand j'avais éclaté en sanglots au téléphone en articulant laborieusement J'ai tout fait de travers, du sens dans lequel nous ferons, un jour, un road trip à travers les Etats-Unis (l'occasion pour chacun de défendre sa côte préférée. A cause de mes lectures adolescentes et de Woody Allen, j'ai un faible pour l'est), de la nécessité de tirer son épingle du jeu.
Mais je ne suis pas bien sûre d'y arriver. J'ai l'impression malgré les milliards de pages noircies depuis que je sais écrire que je ne ferai rien de mieux que ces histoires pourraves dont l'encre pâlit depuis toutes ces années. Pire encore, je ne fais rien pour me sauver de cette médiocrité, je n'ai aucune discipline, je ne m'attelle pas à la tâche, je ne trouve que des prétextes (oui mais là j'ai déjà la thèse à écrire ou ça n'intéresse personne à part deux-trois filles qui aiment les capes). J'ai longtemps pensé que je n'étais pas faite pour écrire, mais plutôt pour lire les autres, lire Poppies in october de Sylvia Plath, et en avoir des frissons plein la peau.
Je ne sais pas comment faire, je me sens empêtrée. J'aimerais bien faire de l'effet, comme quand j'entends juste Vincent Delerm faire la-la-la-la dans Voici la ville, ou Eric Rohmer quand il filme le dernier plan de Conte d'été. Par exemple. Il y en a tant d'autres.
Que puis-je écrire aussi quand je lis chez Gwendoline Ma vie argentique? Ou le récit d'un week end champêtre par Cléo? Sans parler des billets de Miss Popote...
G. écoute tout cela en silence en se balançant à peine sur le rocking chair blanc qu'il m'avait offert, et je le sens triste de ma propre détresse. Je lis dans son regard qui tremble un peu quelque chose qui me rappelle ce que disait Léonard de Vinci à l'un de ses élèves qui se lamentait de n'avoir aucun talent Dessine Antonio, dessine, et ne perds pas ton temps.
(je vais donc essayer de faire autre chose que d'écrire sur le blog)
(peut-être que ça ne donnera rien du tout)
(mais j'ai envie d'essayer)
Une dernière recette, pour laquelle j'ai aimé éplucher puis détailler en minuscules dés tout un tas de légumes choisis avec soin chez Annie Bertin, la star du marché, en écoutant à la radio quelqu'un qui parlait de Rimbaud.


Minestrone hérétique (mais garanti sans tofu)
Pour une grande casserole
-4 carottes
-1 poireau
-1 tranche de kabocha
-4 pommes de terre à chair ferme
-1 poignée d'épinards ciselés
-4 petites tomates (les dernières!)
-2 oignons
-2 gousses d'ail
-3 tranches épaisses de pancetta
-des petites pâtes courtes
-environ 1,5L de bouillon de volaille
-une croûte de parmesan
-du pesto (maison ou trié sur le volet)

Eplucher tout ce qui le nécessite et tout couper en petits dés.
Laisser fondre dans une bonne huile d'olive les oignons, l'ail, la pancetta, les carottes et le poireau. Quand ils commencent à être bien compotés, ajouter les tomates, la croûte de parmesan puis le bouillon. Laisser cuire une demi-heure sur feu doux. L'occasion d'éteindre la radio et de choisir un disque. Vieilles chansons de Gainsbourg ou de Françoise Hardy feront l'affaire.
Ajouter le kabocha et laisser cuire un peu avant d'ajouter les pommes de terre.
Trois quarts d'heure plus tard, c'est au tour des pâtes puis de la poignée d'épinards, juste avant de servir, juste le temps qu'ils fondent.
Dans le bol, verser la soupe, puis un tourbillon de pesto détendu à l'huile d'olive.
Ne vous brûlez pas.

vendredi 5 novembre 2010

Les fâcheries ont des secrets -un genre de pad thaï-

Au pied du lit, dans mon sac, sur la table du petit-déjeuner, en cachette si le colloque est ennuyeux, dans le métro bondé, avec un thé, quelques grains de raisin, des carrés de chocolat ou un morceau de brioche, Just Kids de Patti Smith ne me lâche pas.
Il y a bien sûr l’ambiance, la chambre 1017 du Chelsea Hotel, qui malgré ses salles de bain miteuses accueille dans ses couloirs moquettés toute la faune artistique new-yorkaise des années 70, mais c’est évidemment sa relation avec Mapplethorpe qui a provoqué chez moi un frisson singulier. Je les imagine, elle avec ses longs cheveux, ses foulards effilochés et ses sandalettes, lui avec un chapeau, les colliers qu’il fabriquait et son tee-shirt transparent, prendre le métro pour Coney Island où les stands de jeu défraîchis, les barbes à papa et les hot-dogs de chez Nathan’s, fourrés à la choucroute, les ravissent. Elle aime aussi les chicken pies, les sandwiches au fromage et à la moutarde avec de la laitue sur du pain au pavot ou ceux aux boulettes de sa maman. Lui adore le lait chocolaté, et il se moque gentiment d’elle quand elle commande non pas un doughnut à la confiture avec son café, mais un french cruller « Le seul truc qui te plaît là-dedans, c’est que c’est français ! »
Je ne saurais comment parler d’eux davantage, de leur amour qui nourrit leur art, de leurs nuits, de sa tristesse parfois. Et de la façon dont tout cela a résonné en moi. Indicible.
Ce début d’automne a le goût des poires pochées à la vanille, des cèpes poêlés avec un peu d’ail et de persil, d’une soupe à la butternut avec quelques ravioles de Romans, mais aussi celui des amitiés définitivement rompues. Un soir, pour la première fois depuis plusieurs mois, j’entends la voix de S. à travers le combiné toujours trop froid du téléphone. En fond sonore, il y a un morceau de piano que je n’identifie pas. Toute tentative d’explication est vaine, chacun est tellement persuadé que l’autre ne l’aime pas assez, voire parfois pas du tout, qu’il paraît impossible d’envisager une relation sereine. Le seul avis commun émis reste Tu m'as trop blessé. Il dit pourtant Si tu crois que je ne pense jamais à toi et je l’entends allumer une cigarette. Mais il sourit je crois quand je reconnais dans son Je suis un peu mélancolique blasé l’une des répliques de Louis Garrel dans La belle personne. Il n’y a que toi pour faire ça. Mais tu sais, même si tu me manques, je ne veux pas te voir.
La vie est compliquée.
Un jour en rentrant du travail, j’ai trouvé dans mon bureau, près des appareils photo, un bouquet de petites roses, rose poudré, dans le vase scandinave que tu avais rapporté d’un week end parisien et solitaire. Quand je pense à cela, ou à ta main dans mes cheveux au cinéma, le thermos de thé avec un petit mot pour les retours de garde, les madeleines que tu es allé chercher pendant une pause au travail, ton indulgence pour mes photos floues et surexposées, ta patience quand tu m’expliques la psychanalyse, ton enthousiasme joyeux devant chacun de mes élans (même si cela concerne l’achat d’une cape*), chacune de nos rares disputes me parait un immense gâchis.
Pour me faire pardonner, quand je me suis méchamment emportée, je glisse sous sa porte des petits dessins (tout comme lui va chercher en cachette des pâtisseries pour des goûters réconciliés) et puis je propose de faire l’un de ses plats préférés, un pad thaï bien relevé.


Pad thaï absolument pas orthodoxe mais vraiment bon
La recette de la sauce est directement inspirée de celle de Pim, et elle change tout. Pour cela, il vous faut du tamarin. Je l'achète en plaquette souple, sans noyaux. Vous en prélevez une petite moitié et vous la dissolvez bien dans 125mL d'eau bouillante, le plus pratique étant d'attendre que la mixture refroidisse et de le faire avec les doigts (propres mais vous n'êtes pas obligés, comme moi après avoir été externe dans des services de chirurgie, de les frotter au savon comme une acharnée pendant cinq minutes). Puis vous filtrez ce mélange et vous le réchauffez doucement dans une petite casserole avec 125mL de sucre de palme et 125mL de nuoc mam. La sauce est prête!
Ensuite, tout dépend des goûts. Vous pouvez faire un pad thaï végétarien au tofu (j'entends déjà la voix de G. exprimer quelques réserves en toussotant discrètement), au poulet, aux crevettes (lui préfère la version poulet ET crevettes).
La marche à suivre est simple et rapide. Veillez à bien avoir tous vos ingrédients à portée. La première fois, c'était au poulet.
Faites chauffer de l'huile dans une poêle, quand elle est très chaude (mais pas fumante, attention!), y verser le blanc de poulet émincé (je le coupe en tout petits bouts) et bien remuer. Au bout de quelques minutes, ajouter une petite gousse d'ail écrasée et un peu de sauce. C'est le moment d'ajouter les nouilles que vous aurez fait cuire au prélable (pendant que les ingrédients de la sauce se mélangeaient par exemple). Verser une généreuse rasade de cette sauce et amalgamer vigoureusement. Ajoutez un oeuf et une petite poignée de ciboule émincée et servez avec le sourire (ainsi que des cacahuètes pilées et un trait de citron de vert et du piment. Libre à vous d'ajouter un peu de sauce à même l'assiette).
(c'est très bon, bien que ma façon de faire soit définitivement hérétique et que la photo ne soit pas à la hauteur de l'objet)

*merci à P. d'avoir supporté les atermoiements capesques!