mercredi 18 juin 2008

Le regard de Steffi Graf ce jour-là -un gâteau très anglais aux nectarines-

Un samedi après-midi, l'esprit encore engourdi par la garde de la veille et les papilles frustrées par une salade de magret à la mangue qui s'était révélée bien moins prometteuse que ne l'annonçait l'ardoise, je feuilletais distraitement des livres de cuisine dans une librairie malheureusement capitaliste quand mon regard tomba sur la quatrième de couverture d'un livre placé en vis-à-vis sur les étagères transparentes. Aux côtés de Martina Navratilova avec ses grosses lunettes et de Jim Courrier en pleine action, on voit, en noir et blanc, une photo où Monica Seles, avec sa queue de cheval et son sourire radieux de petite fille, s'apprêter à recevoir la coupe que l'on remporte à Roland Garros. A côté d'elle, tête baissée, Steffi Graf a le sourire discrètement poli et je suis frappée par son regard, déçu, triste et comme se demandant encore ce qui lui a échappé. La cruauté infinie de faire supporter de si près au vaincu le triomphe du vainqueur m'apparaît alors comme l'ultime châtiment du sportif et un élan de sympathie aussi intense et insoupçonné qu'éphémère envers Steffi m'a saisie.
J'ai repensé, dans un flot continu d'images, et sans que cela n'exige de moi aucun effort, à des petites vignettes, comme autant de scènes télévisuelles auxquelles j'ai assisté sur le vieux poste de mes parents: un autre match de tennis, celui de Chang contre Lendl, l'annonce du décès de Bérégovoy en sous-titre pendant une insupportable sitcom étatsunienne, Kouchner un sac de riz sur l'épaule, le premier Sidaction, la photo du petit Grégory, Rostropovitch devant le mur de Berlin, la courbe du chômage qui dépasse trois millions, le visage d'enfants ayant fait les frais de "l'affaire du sang contaminé", les casques bleus en Bosnie Herzégovine, Maïté assassinant une anguille, le procès de Klaus Barbie, les meetings Touche pas à mon pote avec tous ces gens qui portaient sur leur veste ces mains colorées autocollantes...
Malgré mes efforts, j'ai beaucoup de mal à lutter contre ma naturelle velléité et, hormis une lecture assidue du journal d'adolescence de Virginia Woolf (ces pages, écrites après le décès de sa mère et sa première dépression décrivent avec une très touchante minutie la texture de la pluie, les promenades à vélo, les visites des uns chez les autres et Virginia parle déjà, l'air de rien, de se jeter à l'eau), et quand je ne suis pas à l'hôpital, je passe beaucoup de temps à rêvasser, à faire des petits dessins dans un carnet rouge, à aller flâner dans des brocantes d'où l'on ramène des livres sur la couverture desquels des princesses semblent manger des éclairs, à écouter Les variations Goldberg en pensant à un reportage sur Glenn Gould ou à lire Valérie Mréjen parlant de Jeanne Dielman. Des activités en pointillés.


Et puis, parfois, on est rattrapé par certains de ses penchants et je décide de faire un gâteau, le premier depuis plusieurs semaines. Ce dimanche soir, pas très envie de choses compliquées, et j'ai choisi de faire l'english apple cake de Nigel Slater en remplaçant les pommes par des nectarines blanches étonnamment parfumées. C'est officiellement un gâteau d'automne mais il est parfois bon d'être hors-saison.

Un gâteau très anglais aux nectarines
Pour trois à quatre personnes

-100g de beurre salé mou
-50g de sucre
-un oeuf battu
-65g de farine complète
-1 cuillère à café de levure
-4 nectarines coupées en morceaux
-un peu de jus de citron
-du sirop de vanille (décidément hors saison, je suis dans une phase lait chaud-vanille)
-un peu de rapadura
-de la chapelure (je mixe du pain un peu sec ou du pain de mie grillé)

Mélanger les fruits avec le jus de citron, le sirop et le rapadura. Goûter pour ajuster à votre goût (et à la qualité des fruits). Laisser reposer.
Pour la pâte, fouetter le beurre et le sucre.
Ajouter l'oeuf battu puis la farine et la levure en mélangeant bien entre chaque ingrédient.
Verser la pâte dans un moule, disposer les fruits dessus (en versant le jus qui s'est formé), saupoudrer de chapelure, répartir quelques noisettes de beurre et un voile de sucre.
Faire cuire environ 45 minutes dans un four préchauffé à 180°.

A manger tiède, à la cuillère à même le plat, pourquoi pas.

15 Comments:

Blogger Natalia Kriskova said...

Ta naturelle velléité, je n'y crois pas un instant !
Joli gâteau, avec tout ce beurre il me semble réconfortant pour les vaincus de toutes sortes. Et encourageant pour ceux qui veulent gagner, mais n'osent y croire !

18 juin, 2008 18:48  
Blogger stef said...

être hors saison a du bon parfois! quel plaisir de te lire, je radote mais cela m'étonne à chque billet, contente de te retrouver!

18 juin, 2008 20:50  
Blogger (les chéchés) said...

hmm.. cette cruauté dont tu parles... je l'ai un peu ressenti ces jours ci... dur...
mais ton gâteau est une belle douceur, une promesse de réconfort... merci!

18 juin, 2008 22:09  
Anonymous Anonyme said...

Toujours autant d'émotion à te lire. J'aime la tessiture de la pluie. Aussi. Pour des images tennistiquement mentales, voilà ce livre : de l'art de prendre la balle au bond de Denis Grozdanovitch.

Bien à toi,

18 juin, 2008 23:24  
Anonymous Anonyme said...

A même le plat, sans hésiter. Amitiés et courage

Lisanka

19 juin, 2008 08:07  
Anonymous Anonyme said...

Même souvenirs de télé, même émotions qui passent....et au final un gâteau très tentant et yummiesque!

19 juin, 2008 09:39  
Anonymous Anonyme said...

Nous avons dû regarder les mêmes finales de Roland Garros... et le journal de Virginia a l'air parfait pour un début d'été un peu pluvieux.

19 juin, 2008 15:19  
Blogger Gracianne said...

Il avait vraiment eu un sac de riz sur l'epaule pour de vrai, Kouchner? je croyais que c'etait sa marionnette.
je vois que tu te regales de Slater. ca fait du bien non?

19 juin, 2008 15:35  
Blogger Flo Bretzel said...

A croire que c'est une année à nectarines, toutes celles que j'achète depuis le début de la saison sont exceptionelles. Pourvu que ça dure!

19 juin, 2008 21:37  
Anonymous Anonyme said...

La princesse de Clèves qu'est ce que j'ai aimé ce livre. Quand à Steffi Graf et Seles, à l'époque je n'avais pas vu tout ça (la tristesse du sportif) j'avais plus vu l'incroyable détermination de Seles : ses cris , sa hargne, j'étais très impressionnée.
Contente de voir que tu as repris le chemin de ton blog.

20 juin, 2008 07:04  
Anonymous Anonyme said...

Moi aussi le sac de riz sur l'épaule de Kouchner m'a marquée. C'est bien de lire des choses comme ça... à ces images il peut être bon de superposer ses propres clichés plus heureux: gâteau aux nectarines, la truffe de mon chien, l'odeur de la pluie. Rendre les choses supportables...

20 juin, 2008 11:54  
Blogger Mingoumango (La Mangue) said...

J'ai eu mal pour Steffi Graf à l'époque. Je l'adorais. Je trouvais qu'elle avait une classe folle, et la voir perdre face à cette sale gamine m'était pénible. Mais tout passe.
Ce qui est précieux, dans la vie, ce sont ces moments qu'on croit inutiles et perdus...

21 juin, 2008 11:22  
Blogger patoumi said...

Natalia: et si, je suis l'oisiveté incarnée. J'ai du mal à passer à l'action, je préfère la contemplation.
Stef: merci pour ta fidélité!
Les chéchés: mais ça s'est bien fini! Il faut être fier de soi, et profiter de l'été qui commence.
Emilie: ah oui, j'avais bien aimé le petit traité de désinvolture. Merci pour le conseil.
Lisanka: je suis une adepte des trucs à même le plat, ce n'est pas très distingué mais bon.
Tellou: aurions-nous le même âge?
Rose: ce journal est incroyable. Elle passe ses journées à lire, traduire du Tite Live, manger des biscuits et de la glace à la fraise, faire les magasins, rendre visite aux gens... Incroyable vie.
Gracianne: comme tu le sais, c'est mon livre de chevet!
Flo Bretzel: oui oui, ça promet! J'aime bien aussi dans les plats salés, genre du canard.
Gourmeline: je vais bientôt me pencher sur cette princesse.
Maya: ta dernière phrase... Je n'aurais pas dit mieux.
Mingou: mais oui, j'étais absolument dégoûtée pour Steffi. Je te trouve pleine de sagesse...

22 juin, 2008 00:57  
Blogger (les chéchés) said...

avec quelques nectarines un peu abîmées, l'envie d'un petit dessert à manger tiède, pour oublier la journée sous la pluie... faire un gâteau, en imaginant avec qui on voudrait le partager... un délice... merci!

04 septembre, 2008 09:03  
Anonymous Anonyme said...

Il n'y a aucune tristesse à avoir pour Graf, elle a eu la plus belle carrière qu'une joueuse de tennis puisse avoir. C'est au contraire pour Seles qu'il faut avoir un petit pincement au coeur car la détermination et la rage de vaincre de cette jeune femme a été anéantie par un fou et non par une joueuse plus forte qu'elle.
Très bel article sur ce blog que je découvre.

27 novembre, 2008 10:57  

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