lundi 30 août 2010

Au coin du monde

Le pari était de taille au vu des antécédents. Frousse folle quand il s'agissait de monter à la corde, bleus aux genoux quand approchait le 110 mètres haies, souffle court dans les virages et jambes molles sur la poutre, mon corps désarticulé et hypotonique n'a jamais aimé le sport. Sauf au coin du monde.


Les bras souffraient un peu pourtant, le vent était contraire. Il fallait descendre une rivière, puis traverser un lac pour arriver sur une île où se cachait un petit château (non, pas celui où le Roi emmenait ses maîtresses en douce, un autre).
Il m'a prêté une veste un peu étroite pour lui et il a souvent répété Tu peux arrêter si tu veux, et juste regarder. Juste regarder les nénuphars et les libellules, les oies sauvages qui prennent leur envol, les cygnes solitaires, les rides de l'eau, le ciel qui s'embrase. Mais il m'a trouvée têtue, parce que je reprenais vite la pagaie, pour l'aider.
Dans l'unique pièce du château, il y avait des bougies, des allumettes et un joli jeu de cartes mais nous n'y avons pas joué. Il ne fallait pas traîner, Wilma et Johan allaient nous attendre pour le dîner.
Depuis trois ans déjà, ils avaient quitté la Hollande et le rythme effréné auquel ils menaient leur vie pour s'installer dans la maison qu'occupait autrefois le sergent du village, en lisière de forêt, à Salbohed, une ville avec un supermarché minuscule, à une heure de route de Stockholm. Un point à peine visible sur la carte.
Ils ont repeint la maison toute noire d'un joli rouge, ils ont refait toutes les pièces, posé des belles tapisseries, choisi du mobilier chaleureux et des couvertures douces et colorées pour l'hiver, quand il fait nuit dès trois heures de l'après-midi et qu'on a de la neige jusqu'à la taille. La maison du sergent est devenue un très beau Bed and Breakfast où l'on se sent vraiment comme à la maison.
Chaque soir, Wilma propose de préparer le dîner et Johan fait le service, cérémonie joyeuse et un peu timide. Les plats sont simples et délicieux, un gratin de poisson, du saumon grillé, des spaghetti aux herbes et du poisson à la sauce tomate. De la salade et du bon pain. Un gâteau aux myrtilles, avec celles du jardin. Le matin, il y a des fruits dans un cageot, des poires juteuses et parfumées par exemple, ou des pommes minuscules.
Nous sommes restés trois jours là-bas; j'adorais nos soirées, quand après le dessert, ils venaient s'asseoir près de nous, et comme il était agréable de raconter sa vie à des gens que nous ne reverrions jamais et comme j'aimais aussi les écouter parler des hivers suédois, des gens croisés et des élans qu'ils retrouvaient parfois à leur porte.
Le matin de notre départ, ils nous ont embrassé avec la promesse d'une carte postale, quand je passerai ma thèse, l'année prochaine.
Je ne pensais pas que nous reviendrions à Salbohed mais à la fin du voyage, après mille péripéties, quand G. m'a demandé ce que j'aimerais faire avant de rentrer à Stockholm, j'ai dit Faire du canoë et dormir chez Johan et Wilma.
L'accueil fut formidable et elle avait prévu des fruits secs et des fruits séchés pour l'expédition en canoë. J'aimais croquer dans un morceau de noix de coco puis grapiller quelques cranberries. Ce soir-là, nous avons dîné ensemble, et nous avons discuté si longtemps que certaines bougies furent entièrement consummées.
Le lendemain, avant de partir, G. est allé chercher son polaroïd (retrouvé dans une malle chez sa maman) et a photographié le jeu d'échecs et les deux chaises de l'entrée. Nous avons promis de revenir en hiver, un jour, pour faire des raquettes puis rentrer boire un glogg en grignotant des pepparkakor.


Si comme nous vous décidez un jour de parcourir la Suède en voiture (couleur vert pomme), quelques adresses réjouissantes quand on est épuisé par une balade de six heures à travers les bois, quand on est excité par la beauté d'un lieu, quand il faut attendre une heure avant la prochaine visite guidée (obligatoire! Aussi scandaleux que les audioguides dans les musées) d'un château de conte de fée ou juste pour échanger sur des sujets de haute importance (faut-il vraiment retourner à cet antiquaire près du parc pour chercher le vase turquoise?) .


-sur la place principale de Sala, on ne s'y attend pas du tout, mais il y a un salon de thé rose, gris et blanc, le Rombo Gaarden avec un comptoir qui déborde de kanelbullar, de morotskaka, de roulés au chocolat fourrés à la banane et de biscuits à la lavande ou à l'orange. J'en garde le souvenir d'une serveuse charmante, avec une petite tête à la Audrey Hepburn, toute contente de nous dire que la glace à la vanille est maison et qui vient s'assurer que les tartines choisies, au saumon par exemple, sont bien à notre goût.




Je l'ai vue, dans l'entrebaîllement de la porte de la cuisine s'appliquer à faire pour nous une belle boule de glace à la vanille et j'ai été touchée par sa concentration. Tout était très bon, très frais. Et nous n'avons pas été déçu par le kanelbullar dégusté plus tard. C'est un chouette endroit pour vaquer, feuilleter des magazines, faire des dessins et discuter. Et c'est aussi une boutique!


-à Sigtuna, au bout de la rue de l'office du tourisme, vous ne manquerez pas de vous arrêter à RC Chocolat


Il y avait une fille très blonde dont j'ai envié un instant la robe à pois mais mon attention fut rapidement détournée par un chocolat chaud et un petit sandwich trop bon (j'aime bien le salé avec le chocolat, par exemple un oeuf à la coque avec des mouillettes au jambon accompagné de gorgées de mon Poulain orange quotidien me ravissent).


La kardemmumabullar avait une mie bien humide comme j'aime (un jour je vous raconterai comment grâce à Super Loukoum°°°, j'ai vaincu la pâte à brioche) .

-à Uppsala, la ville où Bergman a passé ses vacances d'enfance, là où repose Emanuel Swedenborg, il y a aussi le Eko Cafeet, un café tenu par un étudiant en médecine polonais qui a décidé de faire une pause dans ses études (on a un peu discuté avec lui), son frère et un copain qui se débrouille plutôt bien en cuisine si l'on en croit les boulettes dégustées ce midi-là avec des pommes de terre tandoori et une sauce au yaourt et aux herbes.

L'ambiance est extrêmement décontractée, la clientèle mêle garçons seuls à grandes lunettes en goguette et mamies venues siroter un grand bol de soupe à la tomate avec du bon pain.

De retour à Stockholm, il y a trois endroits où vraiment, on soupire de plaisir:


-Lao Wai, un restaurant chinois végétarien incroyable, qui invite à visiter ses cuisines. J'ai juste jeté un coup d'oeil timide mais j'ai adoré le spectacle des woks bouillants et des mains rapides qui émincent la ciboule. Le mapo doufu (l'un de mes plats chinois préférés! Un jour aussi je vous parlerai de celui que je fais, selon une recette de Mingou) est absolument dément. Et en dessert, la glace au pandan que nous nous apprêtions à dévorer faisait briller d'envie les yeux de la serveuse, à juste titre.


-sur la route du parc Carl Milles, il faut s'arrêter à Gateau pour prendre des biscuits au chocolat, une part d'apple pie, un muffin à la carotte et une petite brioche. TOUT est bon!



-sur les conseils de Julia, lors d'une journée au Djurgaarden, nous n'avons pas manqué d'aller déjeuner au Rosendals Trädgaard. C'est là que j'ai mangé le meilleur morotskaka! Moelleux, pas trop épicé, pas trop sucré, avec un glaçage crémeux et citronné comme il faut.


S'il n'y avait pas eu une si longue file d'attente, j'en aurais repris une deuxième part!
(Et je serais bien restée plus longtemps en vacances)


Salbohed Garden Bed and Breakfast Kopparbergsvagen 40 à Salbohed
Rombo Garden Stora Torget 8 à Sala
RC Chocolat Stora Gatan 49 à Sigtuna
Eko Cafeet Drottninggatan 5 à Uppsala
Lao Waï Luntmakargatan 74 à Stockholm
Gateau Herserudsvägen 1 à Lidingö et d'autres adresses sur le site
Rosendals Trädgaard Rosendalsterrassen 12 à Stockholm

lundi 16 août 2010

Et elle aimait la vie comme vous n'imaginez pas

Vendredi midi à Gaardanas Butik.
Nous avons partagé la grande table en bois peinte en bleu clair avec un petit groupe d'amis qui semblaient tous aimer la moutarde douce.
La jeune femme qui nous a accueillis, jean, tennis roses et tablier en lin chocolat, a annoncé dans un sourire qu'il y avait des boulettes maison ou un ragoût de saucisses avec une écrasée de pommes de terre, une assiette de harengs et de la soupe d'asperges blanches.
Pour patienter, elle a apporté de fines tranches de pain au levain, du beurre délicieux et un jus de pommes artisanal dans une jolie bouteille.
Pour patienter, nous avons photographié les empilements de cageots de bois, les légumes locaux et les bocaux de miel. J'ai bien aimé rajouter un peu de beurre sur l'écrasée de pommes de terre enrichie d'herbes fraîches et de la moutarde au miel sur mes boulettes toutes moelleuses. Autour des autres tables, tout le monde avait l'air content.
Alors que nous parlions de mobilier scandinave, alors que G. sirotait le café qui clôt chacun de ses déjeuners, un homme très âgé s'est avancé dans la salle. Un homme très élégant dans sa démarche lente. Il était suivi de près par une femme toute ridée, qui se déplaçait à l'aide de deux cannes. Lentement. Derrière eux, un ami de la même génération, avec un chapeau. Ils ont serré la main de la jeune femme aux tennis roses et au tablier chocolat, elle s'est empressée d'aller chercher des coussins dans la vitrines, pour adoucir le dossier de leurs chaises. La cuisinière, tablier bleu et grande chemise blanche, est sortie les saluer chaleureusement et les visages si ridés étaient ravis.
Ils ont choisi le hareng, servi avec des oeufs durs, des crackers, de la crème et du fromage. L'ami s'est dit qu'il aimerait une bière bien fraîche pour accompagner ce repas. Comme il n'y en avait pas, il a décidé, posément, d'aller en chercher au supermarché d'à côté. Dix minutes plus tard, la cuisinière déposa sur la table un petit manège à oeufs en bois, le pain et le beurre. La femme entreprit de faire quelques tartines pour son mari et pour leur ami. Elle commença à étaler le beurre sur les petites tranches de ce si bon pain à la croûte fine et croustillante, au coeur moelleux acidulé, à cause du levain. L'ami les a vite rejoints, il a ouvert la canette de bière, en a partagé le contenu dans trois grands verres et sembla très heureux de trouver dans son assiette la petite tranche de pain beurré.
Je ne sais pas bien dire pourquoi mais j'ai été infiniment émue par ces trois personnes, visiblement très âgés, qui se sont dits ce midi-là "Tiens, si on allait déjeuner à Gaardanas Butik?", qui semblent bien s'entendre, qui prennent soin les uns des autres et qui sont à l'écoute de leur désir.


Gaardanas Butik Nytorsgatan 31 à Stockholm
Ju*, avec son bon goût et son érudition habituels, en avait déjà parlé, j'avais oublié de noter l'adresse mais mon inconscient s'en est chargé pour moi!

lundi 9 août 2010

J'ai aimé comment (l'été instantanément)

Dans la petite boutique à la façade bleu azur, il m'a offert un collier* avec quelques minuscules pierres transparentes à peine roses et une fleur blanche. Les deux vendeuses et une de leurs amies, qui s'apprêtait à aller dîner à Hossegor, ont toutes incliné la tête sur le côté et laissé échapper un soupir ému. Il a trouvé ça un peu exagéré quand même. Avec le collier, il y avait une petite pochette avec inscrit ce qui pourrait être un résumé des temps derniers.
Little things make big days.
Cette année, j'ai régardé Biarritz à travers les deux appareils photos instantanés qui me suivaient partout, même si c'était lourd et qu'il faisait chaud, même si cela conduisait à avoir deux sacs alors que le premier est déjà très rempli (un agenda Moleskine noir, un cahier pour les notes de voyages, les dessins et les collages, un porte-monnaie, un porte-carte en cuir bleu doublé de Liberty, une trousse suédoise achetée à Paris en hiver et lourde de crayons de couleurs achetés à Vienne, d'un stylo multi-mines japonais et de deux feutres bleu marine et vert d'eau, un baume à lèvres carotte-citron, un autre norvégien qui a fait ses preuves, des lunettes de soleil, un roman en cours**, un paquet de mouchoirs et parfois, une paire de chaussures dans une pochette). Ainsi furent pris dans une excitation généralisée la disparition du soleil au dessus de la plage des Basques, une main remuant une paille dans un verre de Mojito bu au bord de l'eau, un noeud à une encolure, une glace à l'Italienne en revenant de la plage, un petit-déjeuner à Miremont (leurs toasts très épais grillés, beurrés et confiturés à la framboise trempés dans un chocolat chaud est une délicieuse façon de commencer la journée) ou la Grande Plage façon Martin Parr avec un Polaroïd vintage bouton rouge ou un Lomo complété par sa propre chambre de développement instantané. Certaines photographies noir et blanc ont l'air d'avoir été prises au début des années 30.
J'aurais voulu tout photographier.
La chanson de Daho par hasard dans un atelier de poterie.
La joie matinale, inlassable, au moment de remonter les volets du balcon, en voyant le ciel clair sur les vagues qui embrassaient les rochers pourtant pointus.
La bonne humeur des habitués qui se rassemblaient autour du comptoir de mon endroit préféré pour commencer la soirée autour d'une orange pressée puis d'un verre de vin, le tout avec des tapas divins.
La solitude concentrée de ce garçon, allongé sur sa serviette de plage, avec un roman de chez GF Flammarion qui lui faisait froncer les sourcils.
Le goût des glaces de minuit face à l'océan.
Ses cheveux qui blondissent.
La maladresse assez touchante de l'étudiant en médecine qui a préparé ma crêpe au chocolat (qui a tâché ma robe).
Le regard curieux du libraire.
La voix d'une amie quand il fait très chaud mais qu'il y a quand même du vent à la plage, tu entends?
Chouettes vacances.

*Un peu comme j'évite absolument tout maquillage (par pudeur et timidité), je ne porte jamais de bijoux, sauf la bague achetée il y a trois ans maintenant chez un antiquaire, au début de l'été. L'achat de ce collier constitue donc un micro-évènement.

**Autre liste: Dix livres pour les valises
Le destin de Mr Crump
de Ludwig Lewisohn
Dix heures et demie du soir en été de Marguerite Duras
Roman à clefs d'Alizée Meurisse (acheté à cause de la phrase en quatrième de couverture J'ai un faible pour les biscuits au chocolat, dévoré et adoré)
Agnès de Peter Stamm (ou Sept ans du même auteur)
La chamade de Françoise Sagan
Chez les heureux du monde d'Edith Wharton
La correspondance Simone de Beauvoir/Jacques-Laurent Bost
Sister Carrie de Theodore Dreiser
W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec (même si je sais par expérience que rien ne vaut la lecture de La vie mode d'emploi lors de vacances romaines)
Vous partez déjà? Ma vie avec Harold Pinter d'Antonia Fraser (qui m'agace prodigieusement -j'étais au bord de déchirer des pages, mais j'aime bien quand même les anecdotes sur les doutes de Pinter et les apparitions de Samuel Beckett) (c'est l'auteur de la biographie de Marie-Antoinnette qui a inspiré Sofia Coppola, qui a su en faire l'une des oeuvres que je préfère quand il s'agit d'adolescence)
Et puis les classiques, qui vont bien avec la citronnade: Proust, Flaubert (j'ai justement L'éducation sentimentale dans mon sac-à-livres avec Un balcon en forêt de Julien Gracq), Tolstoï et ma chère Sylvia Plath.
Et puis les livres pour ados à jolie couverture, Mon automne à Kyoto de Karine Reysset, Quatre soeurs de Malika Ferdjoukh, Angleterre de Geneviève Brisac ou Les peurs de Conception d'Agnès Désarthe.

Et vous, vous lisez quoi cet été?