mercredi 23 juin 2010

Le cinéma l'après-midi -et le soir aussi, avec des burgers-

Pendant un mois environ, j'ai organisé mes propres rétrospectives à la maison. Intégrale Rohmer, morceaux choisis des films de Truffaut, j'étais bien contente d'avoir les coffrets empilés sous le piano. J'ai pris les dvd concernés, je les ai mis en vrac dans un grand sac en papier et j'ai plongé la main en aveugle. Contact froid, plastifié et anonyme des jaquettes mais la surprise au moment de rouvrir les yeux est délicieuse. J'ai triché, une fois, pas envie de revoir à ce moment-là La femme de l'aviateur.
Du coup, une nouvelle épaisseur de souvenirs accompagne maintenant ces films adorés et j'avais presque oublié que le première fois que j'avais vu Conte d'été (avec cette scène super ou Melvil Poupaud explique qu'il n'aime pas les groupes), j'étais en classe de première et les deux copines qui m'avaient accompagnée parce qu'elle trouvait l'acteur pas mal n'avaient pas arrêté de ricaner pendant toute la séance -le film était trop lent, il ne se passait pas assez de choses etc. J'avais éclaté en sanglots en rentrant chez moi avec l'impression d'avoir été insultée (vous voyez le genre de fille insupportable que j'étais déjà).
Cette fois-ci, dans l'appartement les volets mi-clos, adossée à un gros coussin gris, sans le jugement de personne à mes côtés mais avec une poignée de fraises, un peu de chocolat ou un millefeuille à la vanille le jour où j'ai revu Le genou de Claire, j'étais bien. J'avais oublié que Dame Tartine, le café à Beaubourg, joue un rôle central dans Les rendez-vous de Paris et que que j'y étais justement allée avec E. quand nous dormions dans cet hôtel tout à fait pourri de la rue des Petits Champs. J'avais oublié que dans L'amour l'après-midi, c'est toute une affaire d'acheter un col roulé mais je me souvenais bien que Delphine, l'héroïne du Rayon vert, était végétarienne et décline poliment une côté de porc dans une scène qui avait beaucoup amusé le G. le soir d'hiver où nous l'avions vu ensemble dans la salle de cinéma d'une fac de lettres. Rohmer aurait-il aimé ces souvenirs?
De l'autre côté de l'Atlantique, il y en a qui n'ont certainement pas raté la Nouvelle Vague si l'on en croit la caméra qui bouge pas mal dans Lenny and the kids (Go get some rosemary), un film que j'ai vu aussi toute seule un mercredi après-midi où j'avais décidé que je voulais changer de prof de piano (je vous raconterai). En attendant le début de la séance, j'ai grignoté un chausson aux pommes et j'ai regretté de n'avoir pas apporté un peu d'eau mais l'histoire de Lenny m'a rapidement fait oublier cet inconfort. Dans la toute petite salle de cinéma, j'ai eu l'impression que la demi-douzaine de gens assis à côté retenait son souffle en découvrant l'histoire de ce papa projectionniste (attention, ne jamais cligner des yeux quand on surveille les bobines!) qui a un peu du mal à endosser son rôle de papa, justement. J'ai bien aimé les deux enfants (qui se voient confier la mission d'aller chercher du romarin pour un poulet qu'ils ne mangeront jamais) et surtout la petite amie de Lenny et le jeu qu'elle invente avec un paquet de céréales. S'il passe encore dans votre ville, n'hésitez pas!
Sinon, celui-là je suis sûre qu'il passe pas très loin de chez vous, faites comme nous et allez manger un kebab (oui oui, ce truc avec la viande qui tourne à l'air libre. Nous on aime bien celui à côté du TNB, et pas seulement parce que le monsieur m'offre toujours un loukoum parce que de toute façon, je n'aime pas les loukoums, sauf ceux qui mangent aussi du kebab!) après une séance de Greenberg. Noah Baumbach travaille avec Wes Anderson, il n'y a pas de hasard. Ben Stiller, complètement déprimé et accroc aux ice-cream sandwiches et au whisky est vraiment très touchant et le personnage de Jennifer Jason Leigh m'a donné envie d'être blonde et de porter des grosses lunettes.
Et puis, si vous en voulez encore, laissez une chance aux Moissons du ciel (Days of heaven) qui avait été injustement mal aimé par le public à sa sortie en 1978. Comme dans tous les films de Terrence Malick, la lumière est incroyable et la voix off vous touche immédiatement et vous rend un peu triste. Dans Les Moissons du ciel, suivez les aventures de Bill qui va travailler dans les champs de blé du Texas avec ses deux soeurs et dont la rencontre avec un riche fermier va transformer leur existence. C'est ce dernier personnage qui m'a le plus émue; fragile, sensible, la sincérité de son amour se paie cher. Mon voisin hier soir a pleuré.
Pour se préparer au film de Malick, il fallait un dîner rustique et réconfortant, j'avais donc décidé de préparer des burgers maison (j'étais un peu obsédée par ça depuis leurs billets) (là vous vous dites que je ne travaille jamais, à regarder tous ces films et à cuisiner, en fait hier j'étais de repos de garde).
Alors évidemment ils sont à déconseiller pour un premier rendez-vous!
Je vous donne juste la recette du pain, depuis longtemps repérée chez des valeurs sûres, il révolutionne le burger parce que je déteste les petits pains archi sucrés du supermarché (mais j'adore les burgers!). Hier soir, recette très simple avec du steak haché maison bien assaisonné, de la mimolette, une fondue d'oignon rouge, une tranche de pancetta bien grillée, de la salade, des rondelles de tomate, de la mayonnaise et du ketchup. Miam. G. a dit "J'en remangerais bien un deuxième".


Comment faire des hamburgers buns?
Pour 12 petits pains qui se congèlent bien
-600g de farine T65
-180g de lait
-150g d'eau
-1 oeuf
-30g de beurre mou
-25 g de levure fraîche
-1 cc de sel
-1 CS de sucre
-du sésame (ou du pavot ou des graines de tournesol...)

Il faut faire en sorte que l'oeuf, l'eau et le lait soient à température ambiante.
Verser la moitié de la farine dans un saladier avec le sucre et le sel.
Faire un puits et ajouter les liquides, l'oeuf et la levure émiettée.
Mélanger (à la main, comme dans le reste de la recette) et quand la pâte devient homogène, ajouter le reste de la farine.
Pétrir jusqu'à obtenir une boule souple, lisse, élastique qui se détache de la paroi du saladier.
Laisser reposer 1h30 sous un torchon humide dans un saladier huilé.
Au bout de ce temps, verser la pâte sur un plan de travail fariné, l'écraser doucement puis la diviser en douze morceaux. Former des boules et laisser reposer sous un torchon pendant dix minutes.
Préparer une assiette avec les graines de votre choix et une autre avec du sopalin plié en quatre et mouillé. Mettre en contact le sommet des boules de pâte avec le sopalin puis avec les graines, pour qu'elles adhèrent. Les poser sur la plaque du four couverte de papier sulfurisé et laisser lever une heure.
Faire cuire une dizaine de minutes dans un four préchauffé à 200°.
Merci Sandra!

mardi 22 juin 2010

Son reflet dans la mer opale

Le samedi soir, sur une plage à côté de Saint-Malo, nous avons tous les quatre retiré nos chaussures, je crois que j'étais la seule à trouver le sable encore chaud.
Presque plus personne sur la plage abandonnée, les vacanciers traînaient en terrasse, les propriétaires de villas somptueuses se préparaient pour le dîner (j'imagine une grande femme blonde un peu pincée venir vérifier les plateaux d'amuse-bouches en cuisine. Forcément, il paraît que son mari la trompe).
La lumière, or et argent, était comme vivante; elle a pris des photographies.
Nous avons parlé de films d'horreur coréens et de Nuit et brouillard, nous avons aussi parlé de Haneke et tout le monde n'était pas d'accord, ils se sont enflammés quand il s'est agit d'Israël, on n'a pas arrêté de dire On a bien fait de s'arrêter là.
On a fait la plage en long, en large, on s'est dit que les goëlands étaient rudement imposants.
Et puis, avant de remonter dans la voiture, on a constaté que le sable était super tenace et qu'on était déjà en retard pour Tanpopo où une table pour quatre avait été réservée pour 20 heures.
(A la fin du dîner, chacun avait un classement différent quant à ses plats préférés parmi les sept du menu Promenade des premiers rayons d'été, moi j'ai adoré le sashimi de seiche et sardine à l'huile de sésame. On s'est endormis ravis cette nuit-là et je souriais en pensant qu'il restait encore la journée du lendemain à vivre, avec eux).

lundi 21 juin 2010

The taste of tea

J'ai essayé pourtant, à plusieurs reprises.
J'ai fait des brouillons, j'ai sélectionné des chansons, j'ai lu des livrets de disque par dizaines, j'ai fait des schémas, j'ai réfléchi à des titres, j'ai consulté le dictionnaire du cinéma, j'ai relu des vieux cahiers, j'ai sélectionné des souvenirs, j'ai visionné des vidéos, j'ai raturé, effacé, pesté, recommencé, faillit abandonné.
Impossible d'écrire un billet. Trop de choses à raconter. Aucune cohérence apparente. Intérêt douteux des évènements parfois. J'ai décidé d'écrire des petits épisodes tous les jours (de quoi vous tenir en haleine pendant au moins une semaine).
Le premier billet de la série pourrait s'appeler The taste of tea*
La devanture est discrète mais si l'on est vigilant, comme G., impossible de rater les délicates théières en terre, les plateaux en bois rainurés et la longue liste des thés.
La serveuse en jean mou et grosses tennis vintage est un peu revêche au premier contact mais s'adoucit rapidement quant il s'agit de décrire les thés en eux-mêmes puis la façon de se les servir (un peu compliqué, les gros thermos proposés étant assez lourds et les tables assez étroites). C'est elle aussi qui fait les additions à l'aide d'un gros boulier. Vitesse de calcul absolument déconcertante.
La carte semble un peu austère mais les raviolis vapeur à la crevette sont terriblement dodus et sensuels, le poulet ivre servi avec sa sauce noire à la ciboulette est tendre et soyeux, le porc à l'encre est comme un voyage. En dessert, seules les boules de riz gluant au thé vert servies brûlantes avec de la purée d'azuki tiède ont été testées, et adorées.
Les thés ont des noms ravissants (Pluie fleurie, Immortelle des eaux...) et sont évidemment délicieux.
Vous avez même une chance de croiser François Simon (scrutez les cravates!)
Tch'a 6 rue Pont de Lodi à Paris
*A visionner avec une grosse théière de thé aux fleurs de cerisier

Demain, j'hésite encore, il sera question de glace au gazon ou de romarin ou de nouilles déshydratées...
A demain!

vendredi 4 juin 2010

A quoi pensais-tu ce soir-là?- pita et kefta-

Disposés sur la table de banquet du "Ladie's Day" il y avait des moitiés d'avocats vert jaune, farcies de crabe et de mayonnaise, des plats de rôti saignant, de poulet froid, et à intervalles réguliers des coupes de verre ciselé remplies de caviar noir. Ce matin-là je n'avais pas eu le temps d'avaler le moindre petit déjeuner à la cafétéria de l'hôtel, sauf une tasse de café bouilli trop longtemps et qui était tellement amer que ça m'avait pincé le nez; j'étais affamée.
Au début de La cloche de détresse (The bell jar), l'héroïne de Sylvia Plath, Esther Greenwood, a remporté un concours de poésie et se retrouve à New York avec les onze autres lauréates, des filles parfois fantasques, qui s'appellent Doreen ou Betsy et qui portent des robes-bustiers ou des déshabillés rose pêche. Les réceptions new-yorkaises, les rencontres dans des bars un peu sombres m'ont ravie mais j'aime surtout les souvenirs d'Esther, sa relation avec Buddy Willard, un garçon de bonne famille qui fricote avec les serveuses du Cape Cod, un type tuberculeux qui étudie la médecine et qui, en guise de divertissement (d'avertissement) entraîne Esther dans une salle d'accouchement. J'ai du mal à quitter ce roman, conseillé par l'avertie Rose; là j'en suis à ses premières rencontres avec un psychiatre, mauvais présage.
Un mois après sa parution lors de l'hiver 1963, Sylvia Plath, dans l'appartement londonien où elle vivait avec ses deux enfants, allume le gaz et attend sa fin, non sans avoir laissé du lait et quelques biscuits sur la table de la cuisine. Ses poèmes sont également magnifiques et m'émeuvent aux larmes.
D'un autre temps, c'est aussi l'effet que m'avait fait E. la première fois que je l'ai croisée dans l'amphi bondé de la première année de médecine. Nous portions les mêmes sandales, les siennes étaient vert pomme, les miennes couleur sable. Elle habitait près de la gare, dans un appartement au septième étage. L'ascenseur ne montait pas si haut, il fallait gravir les dernières marches à pied. Sa colocataire étudiait les mathématiques. E. avait une très jolie chambre sur parquet, avec des étoiles phosphorescentes au plafond. La cuisine était minuscule. J'ai passé beaucoup de temps dans cet appartement, elle m'a consolé de plusieurs chagrins, je restais parfois dormir, nous y avons partagé des crêpes banane-chocolat, des raclettes à quatre sur un appareil fait pour deux, des profiteroles maison, beaucoup de confidences. Un jour en septembre, alors que je devais prendre le train pour Nantes où elle avait emménagé à cause des aléas de la vie, elle m'attendait dans le hall de la gare avec des billets pour Deauville. Nous avons dormi dans une chambre d'hôtes fleurie, nous avons déjeuné aux Quatre chats, il y avait de la tarte aux pommes ce dimanche-là. Je me souviens aussi d'une soupe de poissons à Quiberon, d'une crêpe orange-chocolat quelque part dans le Finistère, deux concerts de Vincent Delerm, Jeanne Balibar sur scène, des lettres, plein de lettres dans des enveloppes colorées.
J'ai été maladroite c'est sûr, j'ai été un peu absente parfois. Je ne sais pas comment réparer. Je ne connais pas ses amis, je ne sais pas où elle part en vacances, je ne sais plus ce qu'elle lit. Sa voix, dans le plastique froid du téléphone, me paraît si lointaine.
****


Les temps derniers, j'ai pensé arrêter d'écrire des billets et cette décision m'a dans un premier temps soulagée: jamais je n'ai vu autant de films depuis mon adolescence (j'en reparlerai), plein de place pour le piano aussi. Je me sentais un peu blessée, c'est difficile à expliquer, plus envie de m'exposer en tout cas. Et puis j'ai lu Sylvia Plath... si elle savait. La vie est vraiment insoupçonnable.
Les jours de grande chaleur, on a envie de manger avec les doigts, si possible quelque chose qu'on imagine avoir acheté sur la plage d'un pays chaud. J'avais décidé de faire des pitas maison et de les garnir de keftas parfumés. Absolument réjouissant.
Pour le pain, facile, j'ai suivi une valeur sûre (j'étais toute contente d'utilier la levure fraîche emballée dans du papier argenté avec une girafe dessus, dénichée par hasard dans une supérette de la place Sainte-Anne. Pour les proportions, il faut en mettre deux fois plus que lorsqu'il s'agit de levure sèche).
Pour les keftas, un petit détour par le boucher un dimanche matin pour acheter 500g d'épaule d'agneau qu'on va hacher avec une petite tranche de pain rassis trempée dans du lait puis essorée, un oeuf, une cuillère à café de cumin, une cuillère à café de ras-el-hanout, un peu de sel, de la coriandre ciselée. On fait des boulettes de la taille d'une noix qu'on enrobe de biscottes réduites en fine chapelure avant de les faire dorer dans une grande poêle avec de l'huile.
Dans une pita tiède, rassembler des tranches de tomate, quelques feuilles de salade, des rondelles d'oignon nouveau, de la sauce au yaourt et des keftas brûlantes. Compliqué à manger proprement mais régressif à souhait.