mardi 29 septembre 2009

Attiré par les étoiles, les voiles -le Youpala bistrot-

La réservation avait été faite trois jours avant, j'avais appelé tard un jeudi soir, je venais de finir un empresuré au chocolat assise en tailleur sur le canapé de mon bureau, je reposais mes doigts du piano (et sans doute aussi les oreilles de la voisine du dessous par la même occasion), G. avait proposé d'aller au Youpala bistrot, un endroit dont je lui avais souvent parlé, j'avais lu un article quelque part, je trouvais que le chef avait l'air gentil.
Vendredi, je me souviens d'un kouign amann qui se défendait bien, un sandwich sardines écrasées/purée de tomates/mangue fraîche, une photo de quelqu'un que je n'ai pas vu depuis longtemps, le déchiffrage de Deauville sans Trintignant.
Samedi, je me souviens de yaourts au lait cru, d'une blouse fleurie, de pellicules pour un Lomography et d'un magret au poivre vert de Madagascar avec du potimarron rôti. On s'est couché ce soir-là encore plus tard que d'habitude.
Dimanche matin, chocolat chaud, muffin toasté, beurre salé, confiture de fraises préparée cet été par G., robe de rigueur, on a pris la route. On a parlé de ... en fait je ne me souviens plus. On s'est arrêté dans un endroit où une promenade courait le long d'une baie où dormaient des oiseaux, dans les buissons des mûres énormes, brillantes et charnues et rien pour les ramasser...
Il faut traverser les rues un peu mélancoliques de Saint-Brieuc pour arriver au Youpala bistrot, qui apparaît très discrètement après un virage, dans l'alignement de maisons grises mais fleuries.
J'ai été surprise en entrant de reconnaître un couple de jeunes femmes qui habitent l'immeuble adjacent au nôtre, elles buvaient une coupe de champagne.





Pendant ce déjeuner absolument gracieux, inventif et joyeux, face aux assiettes colorées, j'ai repensé à des promenades en forêt, au bruit des feuilles mortes sous les bottes et celui des rivières qui polissent les cailloux, j'ai repensé à une longue balade à la pointe Saint Mathieu, en plein hiver, il pleuvait, j'ai repensé à Rome la nuit, aux parfums de la cuisine de ma mère, aux baisers évanouis, aux films d'Eric Rohmer. J'ai rarement été émue comme ça au restaurant et je me suis souvenue du soir d'hiver où j'avais feuilleté le beau livre du chef à L'écume des pages (à Paris, c'est vraiment bien, on peut traîner dans des librairies bien fournies jusqu'à minuit). Sous le palais les saveurs se confondent sans s'anéantir, je me souviens des langoustines presque crues et des bouchées de betterave tièdes, j'ai bien aimé aussi la crème de cèpes et le rouget si bien cuit, le sorbet au pamplemousse avec des grains de raisins frais, une prune rôtie, un demi kiwai et puis le sorbet au chocolat très noir avec des figue rôties à la cannelle. C'était bien! (et j'en connais à qui ça plairait aussi!)


Le Fooding aussi aime bien et le site du Youpala donne une petite idée de l'endroit.

mardi 22 septembre 2009

Le mystère des filles de fer

Dix-huit heures trente, le bus tarde à arriver et personne à observer à mes côtés sous l'arrêt en bas de l'hôpital. Trop de fatigue sous les paupières pour lire le roman que j'ai dans mon sac (encore en tissu, celui de cet été; il fait beau et doux ces jours-ci à Rennes) bien que j'en sois presque au terme (la jeune femme de l'histoire a créé une ligne de vêtements qui s'appelle Allons-y, Allons-o, ce nom me met en joie).
Une heure plus tôt dans mon bureau pas très joli, je reçois une jeune fille et ses parents. Mademoiselle T. a des problèmes avec la nourriture, l'objet même de tant de mes pensées (et si j'achetais des carottes violettes pour faire le carrot cake d'Albertine, tiens je pourrais faire des lasagnes ça ferait plaisir à G., ce serait bien de passer chez Cozic prendre de la brioche pour demain matin, il faut à tout prix que je publie ma recette de cailles aux raisins...) est pour elle une torture. Elle l'adore mais s'y refuse, s'y refuse tant que parfois elle cède et s'y perd. Les grands yeux verts me regardent avec défi et douceur "Vous pensez que je peux m'en sortir?"
Au moment de quitter le bureau, elle propose de m'apporter des chewing-gums en guise de paiement puis m'a serré la main avec fermeté.
Dans le bus bondé, je résiste aux virages. J'ai le sentiment à la fois flippant et réjouissant qu'un moment décisif de la vie de mademoiselle T. va dépendre de nos entrevues, une fois par semaine, comme elle me l'a demandé.
J'ai peur de faire des bêtises, d'en dire trop, ou pas assez.
Devant mon thé fumant, j'ai pensé à tout ça en croquant la coque soyeuse, élastique et rassurante de mon daifuku. Et puis je suis allée m'asseoir au piano, j'arrive presque à jouer le petit morceau pour débutants de la page 12.

dimanche 20 septembre 2009

L'omelette vietnamienne de Marguerite Duras

J'ai passé l'âge d'avoir une poupée* (bien que ma relation à cet objet soit assez conditionnée par le fait qu'enfant, je n'en ai jamais eu -si l'on excepte un poupon appelé Carole dont les gros yeux me filaient une peur bleue-, me rabattant avec joie sur ma dînette).
J'ai passé l'âge d'avoir des petites roues à mon vélo.
J'ai passé l'âge d'avoir peur du noir.
J'ai passé l'âge de faire des collages sur un cahier ligné*.
J'ai passé l'âge du chocolat Copaya*. Et des oeufs Kinder surprise.
J'ai passé l'âge d'appeler ma maman quand j'ai perdu un objet.
J'ai passé l'âge d'écrire sur du papier à lettre fleuri*.
J'ai passé l'âge des surprise-parties.
J'ai passé l'âge de la pâte à sel, du collier de nouilles et des pots à crayons avec des boîtes de haricots verts sur lesquels ont été collées des publicités de pépinières (je vous promets avoir fait ça quand j'étais en moyenne section maternelle).
J'ai passé l'âge de ramasser les feuilles en automne pour un cours de sciences naturelles.
J'ai passé l'âge limite pour jouer au docteur Maboul.
J'ai passé l'âge des cahiers de vacances, des récitations de poésie sur l'estrade, des parties de billes dans la cour de récréation.
J'ai passé l'âge des Excellent devoir, Transitions à revoir, Démonstrations peu rigoureuses et, c'est véridique, sur ma première copie de philosophie Cette dissertation n'est pas de vous.
J'ai passé l'âge de devoir demander à ma maman d'allumer le four pour un gâteau, ou de recoudre un bouton de manteau.
J'ai passé l'âge de la pêche à la ligne aux anniversaires des copines (j'ai gagné par ce biais un vide-poche violet en forme de papillon et un petit carnet bleu et jaune avec sur la couverture cartonnée Snoopy allongé sur un transat avec des lunettes de soleil).
J'ai passé l'âge de penser que c'est désespérant, un garçon ça aime forcément le football.
J'ai passé l'âge des petites chaussures en cuir blanc avec des petits trous devant et des robes fleuries avec des smocks et un noeud dans le dos.
J'ai passé l'âge de sourire systématiquement sur les photos.
J'ai passé l'âge de l'appareil dentaire, des boutons disgrâcieux, des pulls tricotés par ma maman, de mon journal où je me lamentais sans fin, des étés longs et désespérés, des déceptions amoureuses. Ouf, la vie n'est pas un long calvaire comme je le pensais quand j'étais ado.
Mais à cette époque-là, il y eut deux évènements qui ont changé le cours des choses: j'avais quinze ans et un après-midi de juin, j'étais allée au cinéma voir Conte d'été. En rentrant, je m'étais empressée de raconter le film avec le plus de détails possibles dans mon journal, je ne voulais pas en perdre une miette. J'avais l'impression qu'Eric Rohmer avait fait ce film tout exprès pour moi. Quelques mois plus tard, deuxième rencontre décisive dans mon lycée super nul, je suis envoûtée par la voix et le discours de monsieur M., un prof qui détonnait franchement dans un établissement vraiment plouc et pas exigeant. Monsieur M. m'a lu Roland Barthes, Bernard-Marie Koltès et Marguerite Duras. Ma vie en a été transformée.
Plus de dix ans plus tard, G. m'a offert le très beau livre de cuisine de Marguerite, photos adorables et textes fidèles au style Duras, il y a des garçons qui font de votre vie un enchantement.
Ce soir en écoutant Irène Jacob lire des livres que je n'achèterai pas, j'ai préparé fenêtres ouvertes l'omelette vietnamienne de Marguerite dont elle dit ceci:
Vous voulez savoir pourquoi je fais la cuisine? Parce que j'aime beaucoup ça... C'est l'endroit le plus antinomique de celui de l'écrit et pourtant on est dans la même solitude, quand on fait la cuisine, la même inventivité... On est un auteur...
L'omelette vietnamienne... Ca commence à faire, le nombre de gens qui me disent que c'est la meilleure chose qu'ils ont mangé de leur vie! Vous vous rendez compte!... Comment voulez-vous que je sois indifférente à ça. J'ai cette faculté-là, de pouvoir refaire les plats quand je les mange et puis dans un restaurant, une fois, elle était particulièrement bonne et je l'ai réinventée à partir de ce soir-là. C'est très long, il faut aller à Paris pour les ingrédients...



Marguerite n'est jamais très précise quant aux proportions, j'ai fait un peu à vue (et au goût)
Il s'agit d'abord de faire tremper dans deux bols d'eau bouillante deux petites poignées de champignons noirs et un peu de vermicelles de riz (genre la quantité qu'il y a dans un petit paquet de nouilles déshydratées prêtes à l'emploi).
Puis il faut émincer très finement de la poitrine de cochon fraîche (pas salée pas fumée ni rien) et dans le même mouvement du blanc de poireau (j'ai utilisé une botte de mini poireaux trouvés ce matin chez Annie Bertin).
Après avoir monté le son de la radio, battre cinq oeufs en omelette.
Dans une grande poêle, verser un peu d'huile d'olive, faire revenir le cochon puis ajouter le poireau.
Pester contre le journaliste de France culture qui vous insupporte depuis quelques années entre midi et deux et qui fait une spéciale ce soir et verser dans la poêle les champignons noirs puis les vermicelles puis deux petites poignées de soja frais. Arroser de nuoc mam et poivrer généreusement. Il faut bien remuer entre chaque ingrédient. Quand tout paraît cuit et a adopté une teinte presque dorée, verser les oeufs et faire cuire à feu très doux, Marguerite prévient: Il m'est arrivé de rater ce plat et je n'ai pas compris pourquoi. Les oeufs devaient avoir trop cuits. Avant d'ajouter Il m'est arrivé aussi de le réussir au-delà de ce que j'avais cru possible, je ne sais pas non plus pourquoi.
En tout cas c'est vraiment délicieux en écoutant la pluie sur le trottoir. En dessert, pourquoi pas sa tarte au citron?

* Un très proche témoin me dit que quand même, je pourrais avouer qu'il y a des choses que je n'ai jamais arrêté de faire.

jeudi 10 septembre 2009

Les gens qui trop écoutent leur coeur se balancer -une virée chez Cozic-

J'ai beau essayer, cacher mes cd derrière des paquets de farine ou des tas de collants roulés en boule, je n'y peux rien, la chanson qui me poursuit en ce moment un peu partout c'est celle-là. J'ai presque envie de la manger tant elle me ravit. N'empêche il y a des choses sur lesquels vous pouvez compter (comme sur une paire de ballerines noires Le Plagiste, un nouveau sac April Showers, un moule à fond amovible, le poulet rôti-purée de Marianne, la tarte aux pommes de ma maman, les chansons de Vincent Delerm), et puis d'autres qui vous déçoivent comme une magnifique entrecôte servie sur une assiette froide. Une douche froide, c'est un peu l'effet que m'a fait le nouveau film de Christophe Honoré jeudi dernier. J'avais beaucoup aimé Les chansons d'amour et encore plus La belle personne (et aussi son texte sur Delerm vous voyez, je ne m'en sors pas!) mais là, vraiment, même si Chiara Mastroianni est épatante, j'ai trouvé ça miteux. Le scénario bâclé, les personnages secondaires inexistants, le frère de Christophe Honoré qui fait du sous Louis Garrel ( très bien dans ma scène préférée, celle du dîner avec sur la table des endives au jambon et de la tartiflette), les plans super moches, Jean-Marc Barr pire que ce que j'imaginais, l'horreur. C'est étrange comme on peut être blessée de ne plus se reconnaître dans le travail de quelqu'un qu'on a tant admiré.


Les temps derniers, il y a eu à la suite plusieurs nuits passées à travailler à l'hôpital. Comme un peu partout, celui- de Rennes est situé un peu en périphérie de la ville et comme un peu partout aussi, le lieu est ceinturé d'un mur en pierre intimidant parce qu'il ne s'agirait pas que quelqu'un s'échappe. A l'hôpital, toutes les portes sont fermées et vous n'avez pas intérêt à oublier vos clefs. C'est comme un village miniature, il y a l'épicerie-café, le potager, les terrains de foot et de tennis, les ateliers poterie, cuir, encadrement, la Poste, la banque, la petite école et même la chapelle et l'aumônerie. La nuit, avec ma sempiternelle tartine de Nutella qui me console de ne pas pouvoir dormir (ou d'être réveillée alors que je commençais à m'endormir. Rien de pire que d'être au lit depuis une demi-heure et d'être réveillée par le téléphone qui vous annonce qu'il faut sortir pour aller voir quelqu'un qui ne va pas bien. Parfois on préfère ne pas se coucher), je fais bien attention de marcher au milieu de la route principale et non sur le côté, les buissons me font un peu peur. On entend au loin la rumeur de la ville et plus proches, les souffleries des cuisines et des portes qui claquent, je n'ai jamais su vraiment où. Je croise des chats et des escargots que je veille à ne pas écraser. Je frissonne à chaque bruit de coquille écrasée. Sur le chemin, entre les tilleuls, les saules pleureurs, les pommiers, je me sens un peu seule.
Mais le grand avantage, c'est que les lendemains de garde sont des repos imposés (et permettent ainsi de recevoir des amies ou d'aller acheter un sautoir ou de traînasser à rêvasser et lire toute la journée) et comme il faut se récompenser, on a le droit de s'offrir un millefeuille Cozic, franchement super bon: feuilletage dense et léger comme un Woody Allen dans une microscopique salle de la rue Champollion quand j'étais ado, crème à la vanille parfumée et pleine de grains sombres, rassurante comme une chanson de... ouais bon je vais pas encore vous faire le coup.



Cozic, c'est vraiment une chouette boulangerie.














Cozic, 10 rue Saint Hélier à Rennes, ouvert tous les jours jusqu'à 20h, sauf le dimanche.

Il y a d'autres nuits qui commencent sur des terrasses, au milieu de petites places entourées d'arbres immenses. J'étais assise face à deux garçons qui commençaient à se connaître. L'air était doux, j'étais bras nus, nous avions traversé la ville après avoir dîné dans mon restaurant japonais préféré, spécialement pour finir la soirée à cet endroit. Dans l'obscurité, à travers le feuillage, on devinait la sihouette imposante d'une église, et en levant la tête, on voyait la lune derrière son clocher. J'ai pris un thé (à la menthe, parce que c'était le seul thé vert qu'ils avaient), ils ont pris une bière, différente. Il ont demandé "Mais ça se passe où déjà A l'ombre des jeunes filles en fleurs?" J'avais oublié.
A la table d'à côté, j'avais reconnu une fille, dont je sais, par diverses sources recoupées, qu'elle est interne en psychiatrie aussi, à Rouen. C'est une grande fille blonde qui portait ce soir-là une mini jupe en jean, un sweat à capuche imprimé de petites étoiles et un foulard écossais. Aux pieds des Vans pastels. Elle allumait cigarette sur cigarette. Autrefois je l'ai croisée au cinéma, sans jamais oser lui parler. A côté d'elle, un garçon brun très maigre, grand nez, lunettes carrées et Converse basses (vertes). Et puis plein d'autres gens autour de la table, qui font à peu près tous la même chose dans la vie.
Je ne sais pas très bien où je veux en venir. Peut-être que je trouve que les internes de Rennes m'attirent moins. Qu'ils sont moins marrants. Que j'ai l'impression de n'avoir pas grand chose à leur dire. Que j'ai souvent peur qu'ils me trouvent nulle et parfaitement incompétente quand ils accueillent certains de mes patients qui vont mal. Qu'il me trouve un peu surannée. Je suis complètement petrifiée dès qu'ils constituent une petit assemblée. G. a dit pour me rassurer quelque chose comme "Oui mais tu sais l'habit ne fait pas le moine" (mais quand même la fille blonde, elle a l'air vraiment chouette!)
Le lendemain j'ai recroisé le garçon maigre en sortant d'un marchand de journaux, il portait des tongs et à l'épaule un sac en tissu. J'ai faillit lui dire un mot, mais en fait non. C'est plus simple d'écouter des chansons de... [ahem]