vendredi 31 juillet 2009

Un petit vent, les parasols

Premier jour de vacances.
La nuit dernière, garde éprouvante. Je passe mon temps à voir des gens qui viennent de la prison ou qui en ont fait. Vies qui basculent.
Au dîner, il y avait un mystérieux hachis ardéchois, pas aussi affligeant que les ficelles picardes de la semaine dernière mais quand même c'est pas facile de manger du hachis parmentier au poireau de l'hôpital (avec du gruyère râpé dessus, c'était un peu mieux). Avec l'externe d'origine sarde qui conseille Amici mei, nous avons, pour nous consoler, fait un sort au pot de nutella fraîchement ouvert. A sept heures du matin, j'ai hésité à dormir, je voulais lire un peu (L'Amérique de Kafka, un autre obsessionnel sympathique) mais la fatigue a eu raison de mon désir en me laissant quand même le temps d'écouter Vincent Delerm et Keren Ann chanter Tout doucement, ce vieux tube de Bibie que fredonnait ma mère. J'adore la façon qu'ils ont de dire "fermer pour cause de sentiments différents..."
Deux heures plus tard le réveil n'a pas sonné, je l'avais mal programmé, il ne restait que quatre minutes avant que l'interne a qui je devais passer le relais n'arrive. J'ai balancé toutes mes affaires dans mon sac violet, enfilé un tee shirt propre et je suis descendue dans la cuisine; P. versait du lait froid sur des Chocapic. J'étais soulagée de lui donner le bip. J'ai fait un chocolat chaud (même en été, le chocolat chaud est de rigueur chaque matin) en attendant que G. n'arrive avec le reste des bagages.
Dans la voiture, je fus accueillie par un parfum de viennoiseries et G. m'a tendu un sachet en papier blanc où se côtoyaient croissants et chocolatines dodues. J'ai mis des miettes partout.
Il a fait très chaud sur la route, j'ai dormi un peu, nous avons déjeuné sur la terrasse d'une maison du sud, sa maman avait préparé des toasts à la tapenade. J'ai commencé le Kafka sur le canapé et j'ai trouvé vraiment chouette le détail de la mortadelle de Vérone. Les vacances commençaient, je vais essayer d'écrire un billet tous les jours, là il faut que j'aille me préparer pour aller dîner dans un endroit mystérieux. A demain.

mercredi 8 juillet 2009

On a une relation comme ça

La première fois que j’ai rencontré Vincent Delerm, c’était dans une microscopique salle, au sous-sol d’une grande enseigne mondialiste dans une galerie marchande assez sordide. L’été touchait presque à sa fin et je me souviens, je portais un pantalon en lin rouge, un peu large, et une chemise bleue, un peu étroite. J’avais à l’épaule un grand sac indien avec des fleurs et je venais de commencer Du côté de chez Swann.
Son premier disque tournait en boucle depuis plusieurs mois déjà dans mon minuscule appartement et je n’écoutais plus que ça. J’étais absolument fascinée par cette voix préoccupée par le fait qu'on ait revu un peu Agathe, par les tisanes qui refroidissent quand on est triste, les filles qui ramassent des jonquilles et les blanquettes maternelles du dimanche soir. J’aimais par dessus-tout Deauville sans Trintignant, cette histoire de mariage qui se noie, les cheveux mouillés,  dans une fin pleine de cruauté pudique. J’avais l’impression d’avoir rencontré quelqu’un qui me comprenait parfaitement (phénomène identique : Eric Rohmer et Conte d’été, François Truffaut et Domicile conjugal, Woody Allen et Annie Hall, Arnaud Desplechin et Comment je me suis disputé, Jean eustache et La maman et la Putain, Sophia Coppola et Marie-Antoinette, Frédéric Chopin et tout ce qu’il a pu produire) et, pour être honnête, je n’étais pas insensible à la barbe de trois jours et aux cheveux pas coiffés, un détail indispensable et un point commun indéniable (et je remarque qu’une fois de plus, il s'agit  d'un garçon avec un grand nez).
Ce jour-là, la première fois, il était arrivé un peu en retard, il n’y avait pas beaucoup de monde, je lisais en attendant, un peu excitée et pas intimidée ; j’avais l’impression d'aller à la rencontre de quelqu’un que je connaissais très bien. J’étais assise au premier rang et j’ai éprouvé un ravissement indéfinissable, la voix qui m’accompagnait chaque jour depuis des mois s’était enfin matérialisée. Il y avait des chansons qui n’étaient pas sur le disque et j’ai longtemps été hantée par une histoire de pique-nique où un couple découvre que la rupture est toute proche sur fond de salade aux avocats (là comme ça, ça a l’air ridicule mais en fait non).
A la fin du concert, j’ai tendu aussi dignement que possible mon cd (ahem) et puis nous avons parlé un peu, de Deauville et de Conte d’été.  Il a dit "Ah oui, c'est celui avec Poupaud" et j'ai eu l'impression qu'il pensait "Oui je vois, j'ai connu une fille qui l'aimait bien aussi..." Je ne suis pas restée très longtemps, je l’ai trouvé charmant, et persistait ce sentiment étrange de l'avoir toujours connu.
Quelques jours auparavant, une fille m’avait accostée alors que je sortais de la dernière séance d’un film un peu lourdingue. Dans la nuit de l'été finissant, elle s'est excusé d'avoir ri un peu fort et pour se faire pardonner, elle a proposé « Ca te dirait de venir boire un thé à la maison ? ». J’avais ainsi découvert son appartement près du canal avec les Télérama sur la table basse, les boîtes de thé Mariage Frères, les collages sur du papier quadrillé. Elle venait juste de rompre avec son petit ami avec qui elle avait prévu d’aller au concert de Vincent Delerm, dans une vraie salle, un peu en périphérie de la ville. Elle m’a demandé de l’accompagner (il faut dire que j’avais parlé avec beaucoup d’effusion de mon rapport à ses chansons et l’effet hautement positif de la précedente rencontre).
Le jour du concert, Gé. (la fille Mariage et Télérama) m’attendait près du métro, elle portait un nouveau pantalon un peu masculin, à la Annie Hall. Nous étions en retard sur l’horaire prévu, elle trépignait, à peine. Elle avait apporté une bouteille de vin rouge et des gobelets en plastique. Nous avons juste bu un verre. On a pris le métro, puis le bus où nous avons abandonné vin et verres et nous sommes arrivées à temps pour avoir une place dans les premiers rangs.
J’ai un souvenir merveilleux de ce concert, l’émotion qui m’a saisie, l’humour et la douceur des chansons, les histoires qui rappellent quelque chose. A la fin, il dédicaçait des posters. Les gens faisaient la queue, ils échangeaient un petit mot. J’étais juste derrière lui et je ne disais rien. Gé. fumait une cigarette, un peu à distance. Quand il n’y eut plus de posters à signer, il s’est retourné et il a dit « Tiens, comment tu vas ? » (la galerie marchande, c’était la veille), nous avons parlé un peu. J’ai un souvenir très précis de ce moment, surprenant et ravissant. Après, il a fallu qu’on trouve, avec Gé., quelqu’un pour nous ramener à Rennes (je nous avais fait rater le dernier bus avec mon immobilité silencieuse), une jeune femme nous a invitées à monter dans sa vieille 205 blanche, nous avons beaucoup ri pendant le trajet.
Il y eut alors une période très adolescente où je guettais tout ce qui pouvait se rapporter à Vincent Delerm. J’enregistrais des émissions de radio et aussi de télé un peu pourries, je constituais ma petite compilation, je découpais des articles de journaux (mon entourage, à qui je parlais abondamment du garçon en question, s’amusait à m’envoyer des photos arrachées dans divers magazines), j’avais même écrit à un certain « Ben » qui proposait sur internet de me faire parvenir un enregistrement pirate de plusieurs titres.
Je me souviens avoir lu quelque part quelque chose comme « J'avais le fantasme que juste trois étudiantes pouvaient m’écouter en boucle dans leur studio et passeraient leur temps à chercher convaincre leurs amis que c'est vraiment bien… »J’ai eu la lubie, cette année-là, d’aller à presque toutes les dates de concert en Bretagne. Je traînais désepérement qui voulait avec moi, comme pour dire « Regarde, écoute, c’est une partie de moi et si tu n’aimes pas alors on ne pourra pas s’entendre ». Je ne me lassais pas du tout de la répétition, j’étais juste charmée.
Un jour, il devait venir dans une librairie nantaise et, à cause d’un cours de dermato, il m’était absolument impossible d’y aller. J’avais ainsi chargé E., qui partageait mon engouement, de lui remettre une enveloppe avec une lettre, une carte de Trivial Poursuit en relation avec John McEnroe et puis aussi un livre (c’était L’agrume de Valérie Mréjen que j’aime beaucoup et qui manie avec la même délicatesse amusée les détails du quotidien et des relations amoureuses). Je serais parfaitement incapable de refaire ce genre de truc ridicule. Toujours est-il que j’avais aussi joint à tout ça ma carte d’abonnée au TNB, pour être sûre d’avoir une réponse parce que de toute façon, il fallait me renvoyer ma carte. J’ai reçu quelques jours plus tard, sur du papier bleu ciel, une lettre très gentille, et drôle.
J’ai adoré aller à cette série de concerts, même le soir où j’ai un peu pleuré avec E., qui avait quitté Rennes à mon désespoir depuis quelques temps déjà, à cause de cette chanson.
Ce premier disque de Vincent Delerm, intimiste et malicieux, est resté mon préféré. J’ai acheté les suivants avec beaucoup d’enthousiasme mais même si j’adore certaines chansons, je ne leur porte pas la même affection (je crois que c’est aussi à cause des orchestrations, mes chansons préférées sont plutôt celles en piano-voix). Pour des raisons diverses et pas toujours valables, je n’étais plus allée à aucun concert, et je guettais moins aussi les promotions télévisées ou radiophoniques, j’avais l’impression que le succès le rendait plus lointain. En général, je n’aime pas partager les gens que j’aime bien.
Mais j’ai quand même regardé avec beaucoup d’émotion le dvd du dernier concert à la Cigale et j’aime bien l’album Favourite songs (en fait j’aime bien quand il chante les chansons des autres et je suis toujours émue d’entendre Tout doucement ou On se cache des choses ou La ballade de Johnny Jane avec sa voix)
J’avais acheté le dernier disque, Quinze Chansons, alors que G. était absent et j’ai ainsi écouté et chanté à tue-tête pendant quelques jours les histoires d’acteurs d’un autre temps, l’ennui des longs étés adolescents, les trajets en voiture avec des michokos dans la boîte à gants. Et puis, un soir où j’étais très énervée à cause du travail (enfin, j’imagine que c’était à cause de ça), j’ai pris deux billets pour le concert au Bataclan, samedi dernier.
Je portais un haut fleuri, une jupe bleue et les éternelles sandales en cuir brun que je rachète chaque été. Pour patienter dans la file attente où nous occupions une position très raisonnable, nous avons bu du jus de pamplemousse.
A l'entrée, un garçon distribuait des éventails qu’il aurait été indécent de refuser vue la chaleur ambiante et nous avons pris place au sixième rang, derrière deux jeunes filles qui m’ont fait penser au premier concert avec Gé. Derrière nous un tout petit garçon curieux et enthousiaste à qui le papa explique qui est Fanny Ardant. J’avais dit à G. « Bon si ça te plait pas et que c’est insupportable, tu peux sortir et m’attendre à une terrasse » (alors qu’en fait c’est pas du tout son genre de faire ça) mais il se trouve qu’il a beaucoup souri pendant le concert (je l’observais discrètement).
C’était trop bien ! Même si ma voisine chantait trop fort, j’ai adoré; j’ai adoré le numéro de Life avec Woody Allen en couverture posé sur le piano avec le générique d’Annie Hall, j’ai adoré entendre la lettre de François Truffaut à Alain Souchon et l’interprétation de L’amour en fuite, j’ai adoré chanter Tes parents et reprendre Le lundi au soleil , j’ai adoré les interludes délicieusement écrits et terriblement drôles, et puis aussi les petits films. J’aurais voulu que les rappels, pourtant nombreux, ne s’arrêtent jamais, mais les lumières se sont toutes rallumées, le public s’est lentement dispersé. Avec G. à mes côtés, des chansons et des images plein la tête, je me sentais parfaitement bien, dans la nuit qui tombait à peine. Je fredonnais doucement. J’entendais encore sa voix, et je le revoyais aussi, disparaissant définitivement de la scène dans une pirouette, le regard radieux et presque étonné de l’enthousiasme épatant du public.
Nous avons remonté plusieurs rues, j’avais réellement l’impression que je venais de revoir pendant deux heures un ami qui s’était un peu éloigné et que je retrouvais encore plus proche de moi que lorsque nous nous étions quittés.

jeudi 2 juillet 2009

Les consolations de madame Durand

Un jour d'automne, quelque mois après les premiers émois, G. m'avait invitée à un goûter émouvant de douceur et de délicatesse chez madame Durand. A l'époque, je n'avais pas osé révéler mon net penchant pout tout ce qui se mange et qui s'y rapporte; je n'avais encore rien cuisiné pour lui et nos repas se simplifiaient à de grandes salades sans audace sur son beau plateau ovale, de tartines fromage-confiture ou, après l'acquisition de l'indispensable panier vapeur en bambou, des dim-sum que nous avons avalés sans nous lasser pendant plusieurs semaines. La seule concession faite à mes secrets relatifs à mon goût pour la nourriture fut l'aveu de mon affection pour le chocolat et ses diverses déclinaisons. Cela tombait bien parce que G. faisait précisément un très bon gâteau au chocolat, très intense, très fondant et qu'il faudrait consommer avec modération mais qui a un goût de "J'en reprendrais bien un peu. Juste un petit morceau." (un jour, il a voulu faire une variante de ce gâteau en remplaçant l'habituel chocolat noir par du Galak... Expérience mémorable)
Je connaissais Madame Durand depuis longtemps parce que j'avais l'habitude d'acheter à Nöel un sachet de truffes pour mes parents, et puis aussi des gros marrons glacés emballés dans du papier doré mais je n'avais jamais fréquenté le salon de thé à l'étage.
Je n'ai pas de souvenirs précis de la pièce, qui désormais n'existe plus et où je ne serai allée qu'une seule fois (quel dommage!), j'ai juste quelques images qui me reviennent, les nappes blanches, la fenêtre ouverte sur le jardin fleuri, l'argenterie, la délicatesse du serveur qui saura me conseiller le thé parfait pour accompagner la tranche de ganache au chocolat et à l'orange que j'avais choisie (je ne sais plus si cela s'appelait "Andalousia" ou "Valencia").
Ainsi, à quelques pas de la maison, il y a cet endroit minuscule et élégant, au rez-de-chaussée d'un immeuble à la façade sculptée. Il y fait toujours frais, chocolat oblige, je ne sais jamais vraiment quoi choisir mais je sais que je ne serai déçue.
Ce qui a fait la notoriété de madame Durand, ce sont ses chocolats numérotés, des petits carrés qui renferment des ganaches subtiles (fleur de sureau, anis sauvage du bord de mer, earl grey, gingembre-citronnelle, vanille, framboise, menthe fraîche, miel-piment d'espelette -celui-là, je ne l'aime pas trop-...) avec un numéro apposé à la feuille d'or qui renvoie au parfum concerné. C'est la ponctuation parfaite d'un dîner entre amis, avec une tasse de café (bien que je n'en boive jamais), parce qu'en général, les invités aiment à deviner le parfum de la ganache. Fleur de sel, orange et basilic-citron sont sans doute mes préférés.
Sur les étagères en bois sont alignées des tablettes de chocolat classées selon l'origine du cacao (j'aime bien "Sao Tomé", à cause de la sonorité), du chocolat à pâtisser, des écorces d'agrumes chocolatées, des rochers au chocolat, des pâtes de fruits, du nougat, des caramels, des biscuits aux épices, des caramels à tartiner...
La vitrine de pâtisseries n'expose plus les terrines de ganache comme autrefois mais je suis toujours absorbée par l'observation des macarons, des cookies, des brownies, des fondants au chocolat replets saupoudrés d'un voile de sucre glace, des florentins, parfois des éclairs, des tartes au citron ou aux pommes façon Alain Passard (les tranches de pommes sont enroulées sur elle-mêmes façon bouton de rose), du cake anglais aux fruits confits et de mystérieuses parts de gâteaux désuet à l'angélique ou à l'orange confite. Bien rangés à l'arrière, la série de cakes pour les jours de flemme: framboise-pavot, rhum-chocolat et orange-grand-marnier (goûté et apprécié).
En réalité, Madame Durand s'appelle Madame Roussel mais comme sa boutique porte ce nom, je m'acharne à l'appeler ainsi. C'est une petite dame très sérieuse, très gourmande, très attentive à la présentation et au bon goût des choses dont elle essaie toujours de préserver le goût naturel (cela fait que lorsqu'on croque le chocolat à la menthe, le parfum de la ganache est si puissant qu'on a l'impression de croquer des feuilles fraîches).
En début de semaine, pour oublier la malhonnêteté de certains; l'hypocrisie des autres, les déceptions et les rancoeurs, je suis allée chosisir chez madame Durand sa tarte chocolat-caramel à laquelle j'aurais juste un reproche à faire: j'aime bien quand la pâte est un peu plus épaisse, mais les deux ganaches (noir et lait-caramel) étaient exquises.


Elle n'a pas fait long feu, et en plus Raphaël Enthoven parlait de Voltaire.


Chocolaterie Durand
5 quai Chateaubriand
35000 Rennes

Leur site avec la liste des chocolats numérotés: http://www.durandchocolatier.fr/