mercredi 25 mars 2009

Un déjeuner en Suède

Sans raison apparente, il y eut une fin de semaine parisienne.
Elle s'est passée comme dans un rêve, où des visages familiers et auxquels l'on tient croisent des personnages fantasmés rencontrés dans des lieux exotiques, où les parfums, les goûts et les textures bousculent sans cesse les certitudes (j'ai goûté du sorbet au cornichon avec des rillettes de sardine, un carpaccio de champignons avec des palourdes et de la crème de cédrat, un éclair menthe-chocolat), où les livres s'étalaient en plages infinies et désirables.
Dans ce rêve, il y avait aussi un déjeuner dominical au Café suédois qui donne aussitôt envie de s'envoler pour la Scandinavie ou de regarder un film de Bergman en buvant un chocolat chaud et en grignotant une part de carrot cake sous un plaid un peu usé qui a fait ses preuves.
A Saint-Paul, il s'agit de suivre la rue Pavée puis avancer un peu dans la rue Payenne, jusqu'au Centre culturel suédois. On pénètre dans la cour, et on entre dans le café, à gauche.
Les meubles sont forcément en bois clair, les suspensions sont comme des nuages, les nappes en tissu sont un peu froissées et déploient à l'infini un motif de feuilles de citronniers. C'est terriblement joli.


Sur le comptoir s'alignent dans un appétissant désordre les sandwiches d'une exquise fraîcheur; sur du pain noir ou dans du pain blanc des crudités croquantes côtoient des poissons fumés.


Les gâteaux, dans des moules éprouvés ou sur des présentoirs surannés, se découpent en larges parts qui s'octroient parfois l'escorte d'une crème épaisse et onctueuse. Nous avons choisi de goûter le gâteau à la banane et au chocolat qui était d'une déconcertante légèreté.


Pour les corps refroidis par l'hiver qui dure un peu, il y a aussi des soupes réconfortantes; ce dimanche-là, c'était pomme-carotte, avec un peu de crème acidulée.


Le service est prévenant, les carafes d'eau multicolores sont à disposition, la clientèle mélange amies japonaises, explorateurs en goguette, lecteurs silencieux, familles gourmandes et couples branchés.
C'était un moment hors du temps, comme le goût des fraises sauvages.

Le café suédois, au Centre culturel suédois
11 rue Payenne
75003 Paris
01 44 78 80 11
Ouvert de midi à 18h, fermé le lundi

dimanche 15 mars 2009

Traces mnésiques (3) -Chloé, Claude et Sonia le mois dernier-

"C'est où qu'on descend pour aller à l'hôpital psychiatrique?" a demandé au chauffeur de bus la dame qui portait un grand sac avec un bouquet de narcisses et un ballotin de chocolats. Je ne sais pas pourquoi mais cette scène m'a emplie d'une tristesse infinie.
"Maman est partie à l'hôpital. Je crois qu'elle ne reviendra pas."
"Je veux pas de vos médicaments. J'arrive plus à écrire ma musique avec vos médicaments de merde."
"Je vous promets. Je ne boirai plus."
"Chez moi je fais rien. Je reste couchée et j'attends."
"Vous n'y pouvez rien si je me tue docteur Patoumi. Vous avez fait ce que vous avez pu, mais je suis une malade très compliquée."
Il faut croire que j'aime ça puisque je n'ai pas hésité une seconde quand j'ai vu le dernier roman de mademoiselle Chloé Delaume sur les tables d'une librairie pourtant moche. J'ai beaucoup aimé ce livre, et pas seulement parce que Chloé fait le même cauchemar que moi (à savoir que nous perdons nos dents et que nous nous retrouvons la bouche en sang), aussi parce qu'elle arrive à citer de façon contigüe Etienne Daho et Jacques Lacan sans que cela ne soit gratuit.
Mais quand même, j'aime bien penser à autre chose.


D'où le plaisir infini de feuilleter des petits livres ludiques, colorés et érudits. A savoir Petits larcins culinaires de Claude Deloffre (une Belge qui a beaucoup voyagé et qui sait rendre glamour la tarte au sucre) et Du bon usage des ustensiles de Sonia Ezgulian et Martine Camillieri.


Le premier est gai et enlevé comme un pique-nique (citronnade, petits sandwiches saumon fumé/fromage frais/fines herbes, jambon à l'os/tomates confites/roquette, speck/abricot sec/comté, fruits frais et cheesecake à la vanille) sur le pont d'un bateau avec des gens qui aimeraient bien les pâtes au citron (je dis ça parce que dans le livre, il y a cinq versions de pâtes au citron!)
Le second m'a fait sourire par sa précision et son acharnement à détourner les objets des tiroirs (mal rangés) de nos cuisines. Et si le croque de céleri rave au bleu d'Auvergne me fait le même effet que le vernis à ongles orange, je suis très tentée par le confit de pommes à la chapelure de bananes!

mardi 10 mars 2009

Traces mnésiques (2) -les apparitions d'une apparition-

Je l'aime bien en vendeuse de chaussures qui s'introduit dans la chambre de bonne d'Antoine Doinel et laisse tomber la clé qui scelle leur secret dans un vase étroit (cette scène m'a longtemps empêchée de dormir), je l'aime bien en fée des lilas malicieuse et chantante, je l'aime bien quand elle lit une lettre de sa soeur partie au Canada dans Jeanne Dielman, je l'aime bien en hôte discrète et en invitée charmante dans les dîners bourgeois, mais je l'aime par dessus-tout en amoureuse amnésique et en femme évanescente qui essaie désespérément de se souvenir ce qui s'est passé l'année dernière à Marienbad.


Il y a eu une rétrospective Resnais au TNB. Peu de films mais peu importe parce que j'ai vu Marienbad sur grand écran. J'ai vu le château, les plafonds, les corridors, les miroirs, les marbres, les parties de cartes et de dominos, les jardins, les statues, les robes et les bijoux. J'ai vu le doute, l'angoisse, l'oubli, la vie qu'on reconstruit, les certitudes qui s'effondrent, l'amour qui rôde.

samedi 7 mars 2009

Traces mnésiques (1) -un goûter parisien-

C'était un samedi après-midi à Rose Bakery. A la table d'à côté une bande de garçons en blouson s'était approprié les derniers carrés d'un brownie qui avait effectivement l'air prometteur. Une jeune fille et sa maman, emmitouflées dans de grands châles, appréciaient visiblement les carrés aux azukis. Trois copines un peu vulgaires délèguaient l'une d'entre elles pour aller chercher des cookies à la boulangerie d'en face. Le staff de jeunes gens minces qui travaille pour Rose faisait sa pause en se régalant de pancakes au sirop d'érable, d'omelette froide et de salade de pommes de terre. Pour nous remettre des dessins tourmentés de Fred Deux à La Halle Saint Pierre, nous avions jeté notre dévolu sur un scone tiède servi avec du beurre bien frais et de la marmelade d'abricot ainsi que sur un yaourt fermier délicieux avec un miel au goût délicat. Nous avions bu un cappucino, du sencha au citron. Il faisait bon.
[Très bientôt, un billet qui parle de la plus belle actrice du monde]