samedi 15 novembre 2008

Plaisir d'offrir

A vos risques et périls.
Je préfère prévenir que je ne sais pas tricoter, que je ne sais rien dessiner d'autre que des cornets de glace et des bateaux à hublots et que la fois où j'ai voulu faire de la brioche on a faillit petit-déjeuner d'une brique dégoulinante de beurre cuit.
J'avoue aussi que je n'ai jamais tenté de faire des raviolis, ni une pastilla, ni de la pâte à choux, ni même de la limonade.
Je n'ai pas de machine à pain ni de sorbetière ni de yaourtière. Mon fidèle four à gaz est souvent capricieux et mes madeleines sont cramées sur le dessous une fois sur deux.
Je ne sais pas coudre autre chose que les boutons.
L'art du macaron reste pour moi une énigme métaphysique.
La dernière fois que j'ai voulu faire les boulettes à la tomate ultra réconfortantes réclamées par G., cela s'est soldé par un échec cuisant (c'est le mot). Rappelons encore que mes prouesses aux barres assymétriques sont très aléatoires, que je ne sais rien faire de mes longs cheveux et que l'ouverture des huîtres est un sport que j'évite.
N'oublions pas non plus que la découpe des potimarrons s'accompagne chaque fois d'un risque de passage aux urgences, que j'ai déjà balancé à la poubelle un énorme tiramisu trop sucré, et que pour les crêpes, c'est G. qui s'en charge. Je n'ai évidemment jamais essayé de faire du pain, devant tant de désolations.
Mais bon, je suis pleine de bonne volonté et parce que je suis prête à tout pour recevoir un morceau du septième, je propose aux trois premiers téméraires qui se manifesteront dans ce sens dans les commentaires de leur envoyer aussi vite que possible des choses que j'espère belles et bonnes (rassurez-vous, pas de sablés en forme de Vincent Delerm ou de pain d'épices à l'effigie de Proust ou, pire pour certaines, Louis Garrel en pâte d'amande).


Edit de 11h09: Je suis ravie d'apprendre (pendant une garde de samedi -j'aime pas ça, et en plus il paraît que ce midi, c'est côte de porc/courgette-) que Florence, Lisanka et Vanessa n'ont peur de rien, je vais tâcher d'être à la hauteur!

vendredi 7 novembre 2008

Les jours sans lui (5) - Vouloir ce qui n'est pas - Un beau lendemain -

Juste une journée ordinaire de travail.
Un garçon déçu par le nouvel appartement que lui a choisi sa mère ("C'est plus ma vie que je vis, c'est la sienne"), une fille mortifiée par une humiliation infligée par son frère, un homme qui ne se remet pas de sa rupture, un autre qui se croit aimé par une dizaine de femmes, une femme qui voudrait se faire aimer de ses enfants, des tas de gens qui ne dorment plus, depuis longtemps.
Je n'arrive plus à me lever à temps pour prendre le 64 qui permettait d'échanger quelques mots avec I.
Tout ce que je veux est impossible: le goût de ses lèvres, partager un dîner avec mes parents, voir une représentation d'Othello, faire une fête dans un appartement parisien pas trop grand où il y aurait des guirlandes lumineuses et des portraits d'écrivains (Proust, Perec, Virginia, les Marguerite) sur la fausse cheminée en marbre, on boirait du champagne, les filles auraient des robes nouées dans le dos, les garçons auraient des vestes un peu étroites, il y en aurait un pour se mettre au piano pour chanter du Barbara ou jouer du Keith Jarett par dessus la fumée des cigarettes.
J'aurais envie aussi d'une paire de bottes très simple et être certaine que S. ne disparaîtra pas (mais j'ai trop d'orgueil pour lui dire Ne t'en vas pas).
J'ai dîné d'une pizza infecte à même la boîte en carton moche, heureusement à la radio ils lisaient Waves et puis un extrait d'un Ballard.
Il faut croire que je suis une éternelle insatisfaite parce que bon quand même, après une crème au chocolat tout ce qu'il y a de plus industrielle, j'ai sorti ma valise. Je me prépare à retrouver G. et être ailleurs pour quelques jours. Encore une matinée à l'hôpital et hop, je saute dans un train. C'était rudement bien d'écrire tous les jours, j'espère que ça vous a plu aussi.

jeudi 6 novembre 2008

Les jours sans lui (4) - J'aimerais bien te revoir à Paris - Eclair au chocolat et sushis -

Quand j'ai ouvert le volet de la chambre de garde ce matin, je n'ai vu que le ciel gris et mouillé derrière les branchages presque nus désormais. J'aurais pu dormir encore un peu mais depuis plusieurs heures déjà je contemplais le plafond, blottie sous des couvertures que je trouvais bien minces. Il n'y avait pas eu beaucoup de travail mais je n'ai pu trouver le sommeil, préoccupée par une conversation qui n'avait d'inquiétant que ce que je pouvais imaginer derrière des mots sans conséquence. Je n'arrive pas à me faire aux civilités mondaines de rigueur. En attendant le relais, j'ai avancé mes lectures russes.
Dans le bus j'ai voulu prendre des photos du paysage sous la pluie très fine mais j'ai été délogée d'une place de choix par une maman énervée.
L'appartement avait l'air triste, j'avais laissé traîner des magazines et des tasses de thé un peu partout, et j'avais renversé en partant la veille un paquet de semoule fine sur le carrelage de la cuisine en voulant ranger le cacao du matin dans le placard.
J'ai d'abord rangé un peu. Une douche, un chocolat, une conversation trop courte avec G., qui me laisse désemparée et une envie de l'embrasser.


Je bois du thé, je lis une lettre de E. qui annonce que nous nous verrons bientôt et puis des théories sigmundiennes avant de m'apercevoir que je n'ai envie de rien d'autre que de me mettre au lit. Je m'exécute sans forcer. Je me réveille à plusieurs reprises, inquiète pour des choses qui se résoudront sans doute d'elles-mêmes.
Après, il y a eu des petites formalités pratiques à assurer.
Sur une douce suggestion de G. et bien qu'il ne soit plus vraiment l'heure du déjeuner, je traverse toute la ville pour goûter les pâtisseries d'une boulangerie dont on nous a dit le plus grand bien. C'est dans un quartier pas très joli de Rennes mais la marche à pas rapides me détend toute entière. Il y a même un peu de soleil.
Arrivée dans la boutique, je n'ai l'esprit ni d'observer tout ce qui m'entoure ni de prendre des photos. J'ai juste le souvenir de beaux pains dorés de toutes les formes (et notamment un joli pain aux figues) et de gâteaux qui n'ont pas l'aspect figé ou ultra crémeux de plusieurs boulangeries. Je choisi deux micro sandwiches (jambon/mimolette et thon/tomate) et puis un éclair au chocolat parce qu'il constitue un bon test d'approche.
Je goûte les jolis sandwiches alors que le thé n'est pas encore prêt. Le pain qui les constitue, l'un à la tomate et l'autre aux olives, est vraiment délicieux et donne envie de retourner chercher illico du pain aux figues. Quand à l'éclair, même s'il n'a pas été rempli de crème au chocolat par le dessous (je trouve que c'est plus joli plutôt que de les fendre en deux), je suis obligée d'admettre que c'est le meilleur de Rennes jusqu'à présent.
Et puis l'après-midi lui même s'est transformé en sandwich: entre deux tranches de Sigmund et de Léon, une petite tranche de sieste.
Ce soir-là, je devais dîner avec S. mais je pensais vraiment qu'il allait annuler. J'ai peur de l'ennuyer alors j'aurais très bien compris. J'ai attendu le dernier moment pour me préparer. Je ne suis pas restée trop longtemps devant le miroir parce que sinon je ne serais jamais partie.
Finalement on s'est retrouvé devant une multinationale du produit culturel. Il voulait un séminaire lacanien et j'avais envie de jeter un oeil aux livres de cuisine (ça me fait penser qu'il y a de chouettes nouveautés aux éditions de l'Epure).
C'était un restaurant japonais mais il y avait les Beatles en fond sonore. Devant les niguiri sushis que nous avons partagés, j'ai bien aimé quand il a parlé du temps où il allait au Max Linder.

mardi 4 novembre 2008

Les jours sans lui (3) - Pasta e telefono -

Le matin, au lieu de rester dans la cuisine boire mon chocolat chaud en écoutant de lointaines voix radiophoniques, je me blottis dans le canapé et je repense aux rêves de la nuit passée. Je suis restée troublée par une terrible histoire de poitrines dénudées.
Souvent, après des journées de travail comme celle-là, je me dis que plus tard, j'essaierai de travailler en cabinet, pour ne pas me heurter à quelques animosités non dissimulées et qu'il faut pourtant négocier avec diplomatie. J'hésite souvent entre la crise de larmes et la scène de ménage mais je sais rester neutre. C'est dur parfois.
Heureusement il y a des filles de goût qui envoient des cartes charmantes et ont une conversation douce comme l'écharpe que je fantasme sans l'avoir vue et des garçons qui commencent des phrases par "Telle que je te connais..." et qui téléphonent pour ne pas dîner.
Enfin bon, je ne sais pas si c'est grave, mais aujourd'hui, j'ai mangé des pâtes aux deux repas.


Au déjeuner: la pasta cacio e pepe de Peggy vue chez Marion
Au dîner: une improvisation en compagnie d'
Hélène Frappat sur France culture (on peut pas dire que c'était une écoute très apaisante)

lundi 3 novembre 2008

Les jours sans lui (2) - Rester au(x) courant(s) - Il y a un temps pour tout-

De cette journée de travail je n'ai déjà que peu de souvenirs. Je me suis appliquée, j'ai réfléchi et écouté, j'ai dicté des courriers, j'ai regardé la pluie aussi, et saisie d'un frisson sous ma tunique grise à pois bleus, je me suis demandée ce qu'était en train de faire G.
S. n'est plus là bien que pas très loin, nos conversations timides et décousues me manquent.
A midi, la bonne surprise fut une jolie carte d'une chic fille qui a une minuscule boîte aux lettres.
C'est étrange de sortir de l'hôpital à la nuit tombée, je ne suis pas encore habituée.
J'ai foncé à la librairie prise d'une envie soudaine de nouvelles russes et puis ailleurs encore, j'ai cédé à mes élans adolescents et j'ai attrapé le nouveau disque de Vincent Delerm en veillant bien à prendre le dernier de la pile pour être sûre que personne ne l'avait auparavant touché (une variante du fait de choisir les yaourts les plus au fond du rayon non seulement pour l'éloignement de la date de péremption mais aussi pour éviter au maximum les contacts intempestifs. Je-suis-folle-).
A la maison, sur une assiette en mélamine violet et bleu j'ai déposé des carrés de pain d'épices à la banane et à la cannelle, des morceaux d'un fromage industriel dont je tairai par pudeur le nom et des rubans de mortadelle qu'un Italien m'avait coupée en tranches extra fines (assortiment étrange, surtout si l'on sait que j'ai bu avec ça un thé sur le Nil, mais n'oublions pas que dans ma prime enfance, j'étais une adepte du camembert au chocolat. Ne partez-pas) et j'ai écouté Vincent emmitouflée dans mon plaid rouge. Je suis un peu inquiète: mes chansons préférées sont les plus courtes et je n'en ai pas écouté certaines jusqu'au bout. Je suis allée refaire un thé, j'ai repris une tranche de pain d'épices et puis j'ai lu Freud qui parlait déjà de la maman et la putain. J'ai appris ce qu'était le courant tendre et le courant sensuel et ça m'a donné faim. J'ai fait le poulet caramélisé à l'orange d'une chic fille et j'ai dîné sur le bureau de G. en écoutant des gens à la radio parler de Beckett.
Je lis beaucoup, ça me tient compagnie.

dimanche 2 novembre 2008

Les jours sans lui (1) - Avant le départ - Je n'ai pas essayé un manteau bleu soldé-

Jeudi rien d'essentiel. Le lacet de mon soulier gauche a lâché vers 22h30 pendant une garde par ailleurs éprouvante (et pas seulement à cause des tranches épaisses de dinde à la moutarde réchauffées avec de la ratatouille acide. Mais j'avoue, j'en ai mangé. Et à trois heures du matin, pour me donner du courage, j'ai avalé des mouillettes beurrées avec du nutella et de la confiture de fraises en barquette).
Le lendemain était bien plus intéressant. Les cheveux encore mouillés par une douche chaude (prise à la maison parce que la robinetterie de l'internat reste pour moi un insondable mystère) et des chaussures aux lacets intacts aux pieds, nous avons filé à toute allure vers les côtes normandes. Le feuillage roux et mordoré des arbres croisés sur le chemin se détachait sur le ciel pâle, gris minéral.
La chambre d'hôtel deauvillaise était violette et fleurie. La réceptionniste portait une étole grenat et nous recommanda pour déjeuner le restaurant italien où elle avait ses habitudes. Nous y avons goûté un délicieux osso buco dont la sauce aromatique et épaisse incitait à y plonger avec volupté des morceaux de pain blanc à la mie serrée. Juste à côté du restaurant un endroit parfait pour les filles qui aiment les pulls très doux avec des noeuds à l'encolure, les vestes en velours, les sacoches de vélo revisitées en sac à main, la vaisselle vintage, les patères à boules multicolores, les porte-clefs en tissus, les tennis en nubuck et, éventuellement, une très belle paire de lampes des années cinquante qui n'aurait sans doute pas déplu à Jane Austen.
Un peu plus loin, sur le trajet de la plage, il y avait une boulangerie dont la vitrine débordait de pains de shabbat, dorés et joufflus. Nous y avons acheté du flan à l'abricot (sans intérêt) et un feuilleté au chocolat et à la crème pâtissière (plus convaincant). On avait les doigts tout collants, ce qui n'est pas très pratique pour ramasser des coquillages. Nous avons marché très longtemps, dans un froid sibérien, la mer était belle mais pas autant que les cieux.
Au retour, nous voulions éviter l'étourdissement clinquant des boutiques mais je n'ai pu résister à entrer dans un CDC, pour voir s'ils avaient la robe à carreaux qui à Rennes faisait défaut. J'aime quand les désirs s'éteignent sans regret: cette robe m'allait aussi bien que le chou de Bruxelles au cheesecake à la vanille. Nous sommes allés fêter ça autour d'un thé mais rien n'est plus doux et caressant que la main de G. dans mes cheveux.
Ce soir-là, je voulais l'emmener dîner au bistrot des 4 chats, dont je gardais un souvenir ému lié à E. et à un tagine de lotte il y a déjà plusieurs années (je ne portais jamais de jupe à l'époque, et j'avais un sac à dos rouge). En arrivant à Trouville, il m'a paru évident que sa voisine ne pouvait concurrencer son charme délicatement surranné, la proximité des côtes anglo-saxonnes qui confère un goût de scone chaud et une atmosphère de cache-théière en flanelle, l'ombre de Marguerite entre les villas aux volets pâles, les antiquaires pleins de ressources dont l'un notamment (qui avait également séduit une charmante jeune femme) avait eu le bon goût de mettre en vitrine un réveil en forme d'oeil (qui a tout de suite plu au gentil garçon qui m'accompagnait et dont l'écharpe grise volait au vent).
Très bien installés à l'étage des 4 chats, après un accueil paraît-il légendaire et effectivement plus que chaleureux, nous avons jeté notre dévolu sur un flan de langoustines au safran (dont la sauce crémeuse fut ravie de rencontrer le pain aux céréales servi chaud), des saint-jacques à la forme olympique sont parvenues à faire manger à G. avec le sourire une fondue d'endives (qui d'habitude le terrorisent), un carré de veau au caramel au gingembre a pour sa part recueilli mes faveurs. Par coquetterie inutile, je n'ai pas achevé les délicieuses pommes de terre sautées. En dessert, nous avons partagé une glace à la rose délicate et moelleuse comme un baiser.


Le lendemain, il était impossible d'envisager de se séparer du parapluie.
Après le chocolat chaud, le double café et le croissant de rigueur (dans un salon de thé très fréquenté par de grandes dames blondes et ridées aux sacs monogrammés), G. s'est dit que quand même, les lampes austeniennes iraient bien dans mon bureau (où trône encore l'affreuse lampe de mes années lycée avec les petits coeurs autocollants multicolores sur le socle en plastique moche). Vues de près, elles étaient effectivement adorables et j'ai accepté ce cadeau inattendu rougissante de gratitude et d'amour.
Une église aux vitraux mémorables, plusieurs antiquaires (qui auraient réjouis les amatrices de petites cuillères) et une robe encore trop grande plus tard, nous avons déjeuné aux Mouettes, sous une photo de Marguerite, qui on le sait, n'aimait pas que la tarte au citron. Les températures extérieures m'ont décidée à goûter le pot-au-feu dont le bouillon brûlant était aussi bon que la moelle saupoudrée de fleur de sel posée sur le pain toasté. En dessert, une crème caramel parfaite. A la table d'à côté une jeune fille aux cheveux bouclés dont j'enviais le chemisier fleuri essaie de manger aussi proprement que possible son assiette de moules-frites en racontant en anglais ses dernières vacances à Amsterdam à un couple de personnes âgées.


Sur la plage, les cirés furent de rigueur mais nous avons foulé le sable avec un bonheur infini, imaginant gaiement les vies des gens derrière les volets clôts des villas colorées.
A seize heures, une jolie librairie avait ouvert ses portes. J'en suis ressortie avec le portrait de Marcel Proust dans un papier cadeau violet.


On est repassé devant l'antiquaire avec le réveil-oeil. Une Américaine s'apprêtait à acheter des chaises de salle à manger dont la structure métallique "n'est en fait constituée que d'un seul tube" s'évertuait à lui expliquer dans un anglais précaire le propriétaire aux cheveux en broussaille. G. a examiné le réveil (dont le tic-tac n'est cependant pas vraiment discret) et je savais que je ne pourrais sortir du magasin sans le lui offrir tant il le contemplait avec une envie élégante, toute en retenue, mais qui n'en était que plus palpable. J'ai aimé son sourire pendant que l'antiquaire emballait avec précaution l'objet.
C'était l'heure du thé, en écoutant dans un bar de fausse brocante une vieille chanson des Innocents (que j'aime bien). G. dit "On va voir comment c'est Honfleur?"
La route est sinuseuse et traverse des forêts floues. Les rues sont pleines de monde et de bruits. Juste le temps de dire que "C'est vrai que les façades sont jolies mais bon" et de boire un thé en dégustant une tarte au citron aussi onctueuse qu'acidulée (je prends mon courage à deux mains pour demander à la patronne la recette mais elle répond laconiquement "Il y a des oeufs, du sucre..." avant de disparaître en cuisine. Sa collègue me dit "De toute façon, c'est énormément, énormément de travail, ça ne se fait pas comme ça". Je n'ose pas lui dire que hum, je cuisine un peu alors ça ne me fait pas peur. Mais je n'ose pas).
Nous avions réservé ce soir-là chez Isabelle Lallemang, une des rares femmes qui porte avec une classe folle une mini jupe matelassée avec des collants violets et des bottes en peau. Son sourire ravage tout sur son passage, elle est désinvolte et rigoureuse à la fois. Cette dame a une table d'hôte à Trouville et c'est probablement l'endroit en France où je préfère dîner. C'est un lieu indescriptible, éclairé à la bougie, avec des tapis colorés, de la vaisselle chinée, des fauteuils en velours, des miroirs mouchetés, des guéridons en cuir, des coussins fleuris, un piano sous des partitions de Bach... Installés à l'étage, nous dînons autour d'une table basse en marbre, assis dans des fauteuils en tissu lisse et doux couleur vert bouteille et vieil or mêlé. Au rez-de-chaussée, un anniversaire se prépare, deux familles se rencontrent, les habitués s'embrassent, les coupes de champagne circulent. Le menu est unique, et tout est délicieux. D'abord un velouté froid de chou-fleur aux épices, puis un rôti de veau que l'on peut couper à la cuillère avec une purée lisse et crémeuse, des petits légumes gorgés de jus, et puis une tarte aux pommes débordante de compote et de gros morceaux de fruits caramélisés. J'aurais pu passer la nuit là.


Le lendemain, constatant avec bonheur que tout cela est bien réel, après un nouveau chocolat chaud, un double café et un croissant au milieu des monogrammes, nous allons voir la mer à nouveau et comparons les vertus respectives de la nouvelle et du roman. Des voiliers blancs absolument durassiens passent au loin. Une petite fille avec un ciré rouge et un bonnet écossais s'applique à coller des berniques sur les tours de son château de sable.
Nous étions si heureux que nous n'avons pas prêté attention aux club sandwiches du déjeuner. J'avais la tête dans les nuages et c'était rudement confortable.
Et puis, comme prévu, après un long trajet en voiture pendant lequel j'ai résisté de toutes mes forces à l'appel du sommeil pour profiter encore un peu de la compagnie de mon cher G., il m'a accompagnée dans le hall d'une gare quelque peu sordide où j'ai appris que le train qui me ramènerait à Rennes aurait du retard. Lui partait ailleurs, le temps d'une semaine.
Il y eut une longue étreinte, des baisers, des mains caressantes, des cheveux mêlés et de grosses larmes difficiles à retenir, même en étant préparée. Je l'ai regardé s'en aller et j'ai eu un peu froid là où il ne me serrait plus. J'ai distraitement feuilleté des magazines. J'ai observé une petite fille avec des tresses jouer au Rubik's cube. La nuit tombait, le ciel se veinait de rose et de violet.
J'ai retrouvé l'appartement silencieux, tout empli de son absence.
J'ai préparé un thé et des tartines avec du pain ramené de là-bas.
J'ai rangé lentement mes affaires, j'ai reconstitué des piles de livres puis j'ai arrosé les plantes. J'ai mis son gilet gris, que j'ai fermé jusqu'en haut.
J'ai rechauffé une soupe de légumes et préparé avec application une omelette au paprika et au gruyère suisse. Je n'arrivais pas trop à me concentrer sur la pièce de théâtre qui passait à la radio.
J'ai pensé appeler S. mais je n'ai pas voulu le déranger.
Et puis G. a téléphoné, j'ai dit que tout allait bien, qu'il faisait bien chaud à la maison, que j'avais fait bon voyage et que la semaine passerait vite. Pour ne pas pleurer quand il a raccroché, j'ai rangé de la vaisselle japonaise en grignotant du chocolat noir.
C'était vraiment un chouette week end.