samedi 18 octobre 2008

Albertine, probablement -les embellies d'automne-

J'ai lu les dernières pages de La VME, debout dans le bus à côté d'une jeune fille qui portait des ballerines argentées. J'ai trouvé ça splendide (Perec, pas les ballerines), ça m'a remplie d'une joie immense et j'ai passé le reste du trajet à regarder les nuages s'étirer dans le ciel pâle en rêvassant à des vies que je n'avais pas vécues.
La veille, entre deux factures et une pub annonçant l'arrivée d'une pizza de cow boy (ne valant certainement celle-là) chez un livreur indépendant, il y avait dans la boîte aux lettres un paquet épais et tendre où s'alignaient tant de jolis timbres que j'ai eu une pensée émue pour l'employé de poste qui y avait apposé les tampons réglementaires. L'expéditrice est une fille charmante qui écrit tellement bien que je peux relire certains de ses billets cent vingt mille fois avec le même plaisir. J'aurais voulu la serrer fort. Le livre a l'air vraiment chouette.


Mercredi midi, j'étais gracieusement invitée à déjeuner avec les patients qui participent à la culinothérapie (j'aime beaucoup le principe. Peut-être que la sortie de ce livre vous aura-t-elle échappé? J'ai bien ri en tout cas). Je crois qu'ils étaient vraiment contents de me montrer ce qu'ils savaient faire. Il y avait de la tarte à l'oignon et du gâteau de riz au caramel que j'ai dégusté avec plaisir tant il était offert gaiement (avec quand même un peu d'appréhension. J'ai bien senti cinq paires d'yeux inquiets me scruter pendant que j'enfournais la première cuillerée) parce qu'en fait, en temps ordinaire, il faut me supplier à genoux et en larmes pour que j'accepte de goûter du riz sucré (j'ai un problème avec ça. Pour moi le riz, c'est bien chaud avec du saumon grillé, de la sauce nuoc mam et de la mangue râpée ou avec des travers de cochon laqué ou sauté avec des légumes et de la saucisse chinoise ou avec de la sauce maggi et des oeufs au plat coulants -qui a frémis d'horreur?- ou mouillé par le jus du poulet rôti ou s'affaissant sous le curry crémeux que ma maman m'a appris à faire (il est terrible! Parfumé au cumbava, à la citronnelle et au curcuma, avec des légumes et de la lotte) et puis la paëlla et puis le risotto... Si je peux l'envisager sucré c'est seulement un peu vinaigré pour finir en sushi) même si la teurgoule que j'ai aperçue un jour au marché de Trouville, dans son pot en terre et avec sa petite croûte de caramel, avait failli me séduire.
La semaine prochaine à l'atelier cuisine du service, c'est au tour de la tarte au citron.
Jeudi soir, ma séance avec madame C. est à 20 heures. Je suis sortie du service à 19 heures et, ne pouvant me résoudre à rentrer à la maison (que je sais malheureusement en désordre -la faute à ces retours après 19 heures-) et parce que G. était en train de boire un verre avec une jeune femme qui aime les manteaux en fausse fourrure (il s'agit juste d'une amie. Je précise parce qu'il pourrait dire que le caractère flou de mon propos est suspect), je me traîne jusqu'à l'Epicerie, une soeur jumelle d'un endroit que ma chère Loukoum°°° avait si joliment décrit dans un billet dithyrambique. Comme l'Epicerie rennaise est encore toute récente, il lui manque l'atmosphère chaleureuse qu'elle décrit. C'est peut-être aussi la faute au patron qui a l'air quelque peu intéressé et pas assez gourmand. Mais bon, j'avoue que j'aime bien boire un thé vert dans de la vaisselle dépareillée en regardant les passants (ou le comptoir à gâteau selon mon affection pour le monde extérieur).


Ce soir-là, pour me consoler de la journée un peu éprouvante, j'ai demandé aussi des tartines grillées et beurrées et puis de la confiture qui était à la mûre et qu'une jeune fille avec un accent charmant m'a apporté dans un bol ébréché.


En sortant de la séance avec madame C., j'ai vu dans la vitrine du CDC une robe à carreaux qui m'a semblée absolument indispensable.
Je me suis baladée un peu sur les pavés, la nuit était fraîche et douce. Je suis rentrée et j'ai mis à réchauffer doucement un ragoût aux épices que ma maman m'avait donné. Ca sentait super bon dans la cuisine quand G. est arrivé.
Vendredi, la première chose que j'ai voulu faire en sortant du travail était d'aller essayer la robe (parfois ma frivolité m'inquiète). Hélas, la vendeuse pourtant aimable m'annonce qu'ils ont vendu la dernière la veille au soir. Argh. Heureusement, la jeune et adorable propriétaire de l'une de mes boutiques rennaises préférées (Même pas peur du loup, pour celles qui peuvent juger sur place) m'avait montré quelques minutes plus tôt les irrésistibles objets Shinzi Katoh qu'elle venait de recevoir. Une vraie mine!
Et puis, pour achever de me faire oublier la robe (elle était vraiment bien, avec des poches sur les côtés et un noeud devant... Bon, peut-être qu'elle ne m'irait pas du tout non plus... On va dire ça) nous sommes allés boire un verre (enfin, un thé pour moi) et je me suis vengée sur une tartine de rillettes (accord étrange certes mais vraiment délicieux).
Toujours pas de recettes dans ce billet mais je doute que vous soyez intéressés par un cake matcha et chocolat blanc, ou un tajine de lapin aux abricots. J'espère que c'est pas grave.

samedi 4 octobre 2008

Et puis finalement pas -il y a quelque chose de mystérieux dans tout ça-

J'ai bu, tenez-vous bien, ma première gorgée de bière. C'était sur la terrasse d'un joli bar du trastevere où le serveur brun au tee shirt gris avait un gentil sourire. Cette bière avait un goût de crème et de caramel, c'était comme du gâteau liquide, et mousseux. Sur le comptoir, on pouvait se servir à loisir de petites choses à picorer et choisir ainsi gaiement entre de la tourte épinards/ricotta, une salade de tomates cerise, des cubes moelleux comme des oreillers d'omelette aux légumes, du prosciutto en tranches extra fines et des morceaux de ciabatta à la mie onctueuse. Juchés sur des tabourets en bois sombre, en écoutant Jolie Holland, nous avons regardé la pluie s'écraser sans fin sur les pavés romains. A un moment, il a fallu aller dîner pour de bon et nous n'avions pas de parapluie (étant donné que le matin même le ciel était terriblement bleu et que la température de l'air m'avait suggéré de porter une jupe rose et des sandalettes). J'ai bien essayé de soudoyer le gentil serveur, j'ai même pensé subtiliser le grand parapluie noir négligemment posé à l'entrée, nous avons finalement été sauvés par un vendeur à la sauvette qui nous a refilé pour quelques menues monnaies un parapluie violet à pois multicolores. On ne peut pas tout avoir.
Nous avons zigzagué sur les pavés trempés, froids et glissants en riant (la première gorgée de bière n'y étant sans doute pas pour rien). Nous sommes arrivés dans un restaurant bondé où les gens parlaient fort et avaient juste l'air extrêmement contents d'être là. Nous nous sommes assis à côté de deux amies dont nous ne pouvions saisir l'enjeu de leur conversation animée car aucun de nous ne parle l'italien. Sur la nappe en papier, une serveuse souriante a balancé les couverts, dépareillés, et le menu, imprimé et protégé par une pochette plastique comme pour les cours de techno (où j'ai laborieusement appris à fabriquer une alarme de tiroir et un tangram en plastique). Il faisait bon, les rigatoni étaient parfaitement al dente, le lapin au citron parfumé fut dégusté sans chichis et le tiramisu de la nonna ne s'est pas mal défendu (G. a dit gentiment "Je préfère le tien quand même").
Pendant ces vacances romaines, j'ai chaque fois mis un temps fou à choisir mon parfum de glace malgré les coups de coude des touristes excités par la gourmandise (ou par cet insatiable désir dévorant de vérifier la véracité des dires d'un guide), j'ai dévoré, affamée, un morceau de focaccia tiède qui avait commencé à laisser des traces de gras sur le papier de soie, j'ai mangé de délicats ravioli au bar entourés d'un délicieux jus de langoustines; le risotto au stracchino et au melon a étonné mes papilles, les framboises du mille-feuille étaient dodues et veloutées, les biscuits du Campo di fiori avaient ma préférence (avec une certaine affinité pour ceux au chocolat et à la confiture d'abricot).
Le soir, allongée sur le grand lit, je lisais avec délectation La vie mode d'emploi, qui est en passe de devenir l'un de mes livres préférés. Les listes infinies de nourriture m'ont absorbée. J'emmenais Georges Perec partout avec moi, dans les cloîtres et les églises, les musées et les parcs. Je le lisais parfois même au restaurant.
C'était bien. J'essayais de ne pas penser que l'avenir était encore incertain.


Dans l'avion du retour, j'ai lu un article de Libé sur la notion de "catastrophe" en mathématiques, expliquée par Albert Jacquart. Je me sentais concernée.
Une jeune femme, dont la destination finale était Philadelphie contemplait avec septicisme ses achats du duty free.
L'hôtesse de l'air, avec son indéfectible sourire, nous a proposé des biscuits à la noix de coco.
A Paris, je me suis félicitée d'avoir mis un manteau dans ma valise rouge.
J'ai bu un thé Marie Antoinette et j'ai dégusté un éclair à la vanille dont les grains croquants réveillaient la douceur dans un salon de thé pittoresque avec une jeune fille délicate qui portait un pull rose pâle avec des petites poches.
De la librairie de la rue de Jouy aux Cahiers de Colette puis à l'Ecume des pages, j'ai passé mon temps à feuilleter des livres, les retourner, les effleurer, hésiter... J'ai trouvé des cadeaux pour S., qui m'envoyait chaque jour des petites nouvelles que je lisais à la sauvette dans des web cafés improbables. Je n'arrive à lui offrir que des livres, pour l'instant.
Même s'il est passé à la télévision, je n'ai pu résister à aller voir La belle personne au cinéma. La salle parisienne était bondée et joyeuse. On a beau dire, Louis Garrel a quelque chose d'irrésistible (enfin, j'y suis plus sensible qu'aux yeux mouillés de Junie disons). J'ai bien aimé les couleurs du film, froides, minérales et pleines de grâce.
G. avait réservé ce soir-là dans un joli restaurant coréen. Leur glace au lait d'amande est terrible (même si j'ai définitivement une préférence pour le salé et que j'ai adoré le bibimbap dans son énorme bol en pierre brûlante).
Le lendemain, au cas où nous aurions faim, j'ai acheté à la boulangerie de la rue du Cardinal Lemoine des nourritures que nous avions oubliées, genre un carré au chocolat et à la crème pâtissière. Nous l'avons soigneusement partagé dans le RER. Heureusement, j'avais pensé à prendre une bouteille d'eau. Pour m'occuper, quand je ne me contentais pas de regarder le paysage, triste et laid, défiler, je faisais une liste des invités imaginaires que je convierais à un pot au feu comme celui que nous apprend à faire Sonia Ezgulian dans un livre délicieux et classe.
Il a fallu attendre deux heures et demi avant d'en savoir plus. Ou plutôt: il y a eu un suspense à couper au couteau pendant deux heures que nous avons passées dans un troquet désuet à boire des thés en sachet et des cafés au lait. A midi, les employés de bureau du quartier ont déboulé pour dévorer des calamars à la provençale ou une andouillette grillée. Nous avions trop mal au ventre pour avoir faim.
Et puis, après une longue attente, j'ai appris, les jambes flageolantes, que j'allais pouvoir être psychiatre pour la vie et que la vie, justement, pouvait se faire sans déménagement et que je n'avais pas à quitter tout ce que j'aimais. G. m'a serrée fort, et j'entendais son coeur qui battait encore la chamade. En sortant de la salle, j'ai appelé S. pour lui dire "Je reste" et dans le petit portable d'une autre époque dont j'ai oublié la batterie dans un hôtel romain, j'ai entendu son sourire.
Je ne savais pas très bien comment vous raconter tout cela. J'aurais voulu écrire un billet à la hauteur de ma joie et de mon soulagement. J'aurais voulu remercier comme il se doit toutes les personnes qui lisent L'alibi et envoient des petits mots gentils, attentionnés, que parfois j'ai envie d'imprimer pour les mettre sous mon oreiller rayé. Merci, merci pour les encouragements, les conseils avisés, les ressentis. Vous avez assuré grave.
Nous avons repris le train pour Rennes.
Nous sommes arrivés tard, nous avons abandonné les valises en vrac dans l'entrée et nous sommes allés dîner au Tire-Bouchon d'une entrecôte saignante et de purée maison. En dessert, il y avait une mousse au chocolat indécente et de la glace au caramel douce comme un heureux retour.


Plein de courage et d'élan pour Marie B. qui lit L'alibi et passe l'internat cette année.