lundi 26 mai 2008

Un rendez-vous avec soi-même

C'est dans une semaine.
C'est dans une ville où l'on arrivera après quatre longues heures de voiture. Peut-être que l'on écoutera les Nouveaux chemins de la connaissance, consacrés cette semaine, comme un encouragement malicieux, au bonheur.
C'est dans une ville qui bien que de taille respectable, ne compte pas de restaurant Fooding (même si là n'est pas le propos de ces jours décisifs).
Presque toutes les nuits, depuis quelques semaines, je fais ce même cauchemar où je cherche désespérément ma chambre dans un pensionnat (un internat?) labyrinthique qui tombe en ruines.
Je ne me suis jamais sentie aussi proche de Paul Dédalus (pas le nouveau du Conte de Noël qui m'a terriblement déçue un mercredi soir, le vieux, celui qui met dix ans à écrire sa thèse et fait des malaises en faisant du footing entre des arbres immémoriaux). Mettre tant de temps à finir ses études de médecine frôle le pathologique.
"Un brillant avenir" m'avait-on prédit. Mais c'était sans compter mes failles, mes hésitations, ma velléité et, tout simplement, mon insuffisance.
Lors d'un mariage dans les montagnes (après un interminable trajet dans une petite voiture inconnue sur des routes à la fois ascendantes et sinueuses qui m'avait refilé une profonde nausée que le champagne âcre et le guacamole bon marché n'ont guère arrangée), je me suis retrouvée à dîner face à un jeune homme au regard triste qui l'avait passé à deux reprises, sans succès. Contemplant avec perplexité le morceau luisant de cochon de lait rôti qui refroidissait dans son assiette, il me dit, avec une amertume abyssale: "Il est difficile, d'accepter que l'on ne fait qu'échouer". Dans mon gosier, une raviole pourtant mollasse, s'est étranglée.
"On n'est pas que ce que l'on fait" m'avait écrit un garçon qui étudiait les mathématiques. Alors peut-être que l'on est ce que l'on sait faire et je m'effraie à penser que je ne suis pour l'instant pas grand chose.
Quelques autres phrases bien senties, quoique dénuées de mauvais sentiment, proférées par un garçon qui fume des cigarettes mentholées ne cessent de me hanter. Quelque chose comme "Pendant que tu passes tes journées entières à réviser pour un concours que j'ai eu avec facilité, moi j'absorbe tout ce que je peux de cinéma, de littérature et de psychanalyse." Je suis mortellement jalouse.
G. dit "Tu te fais des idées"
Oui, des idées toutes sombres, pleines de rancoeur, de doute, d'angoisse aussi gluante que ma médiocrité. Parce que c'est dans une semaine et que je suis morte de peur.

dimanche 4 mai 2008

Au niveau collant c'est mieux -des tartelettes chocolat au lait, passion, ananas rôti-

Une heure avant de partir, parce que j'avais voulu manger avec les doigts une part brûlante d'une pizza fort à propos baptisée Etna, je fis gicler avec très peu de classe une certaine quantité d'huile pimentée sur une jupe gris bleu qui, évidemment, sortait tout juste de la machine. Dans une sorte d'élan désespéré et irréfléchi, j'aspergeai la flaque rouge sang qui s'élargissait à vue d'oeil d'une vive pression de produit vaisselle... et continuai en restant digne de dévorer, avec des couverts, ma part de pizza.
"Est-ce que j'ai vraiment besoin de me changer? Non parce que bon, j'ai un peu la flemme et personne ne fera attention: y'a jamais beaucoup de lumière dans les concerts"
Regard très réprobateur de G. Un truc qui pourrait dire: "Je sors peut-être avec une radine mais pas avec une souillon" mais il a juste dit: "Non mais attends, c'est du pur gras!"
De toute façon, ce n'était pas sérieux. Je ne pouvais envisager de me rendre à un concert de Moriarty, même si le fait d'y aller relevait quelque part du hasard, avec une jupe crasseuse. Je parle de hasard parce que je ne connaissais pas bien le groupe; G. avait pris des places depuis longtemps déjà, mais quand je me décidai à écouter l'album, c'était plus fort que moi, passée la première chanson, je préférais toujours réentendre le dernier disque de PJ Harvey.
Ma culture musicale frôle malheureusement le zéro, les pages musiques des Inrocks me sont incompréhensibles, j'en suis toujours à écouter les mêmes vieux trucs (sauf parfois les nouveautés de l'ordre de PJ) et j'avoue que je n'éprouve guère d'intérêt pour ce qui se fait. G. avait faillit renoncer à aller à ce concert parce que "Non mais même ma mère a le disque!". C'est vrai, c'est rageant mais bon.
Dans le hall attenant à la salle de concert, où essayait vaille que vaille le groupe de première partie de garder encore quelques spectateurs, j'attendais, les cheveux attachés et la jupe propre, un gobelet de bière à la main, que G. revienne (c'était sa bière parce que, je ne sais pas exactement pourquoi, j'ai cette idée un peu stupide m'a-t-on expliqué à plusieurs reprises, que les filles et la bière ça ne va pas ensemble. La bière, c'est pour les garçons. Comme le gratin de frites ou le pied de cochon. Les filles, c'est sensé boire du vin ou du mojito mais surtout pas de bière. Je devrais sortir plus souvent n'est-ce-pas?). J'essayais d'avoir un air un peu dégagé parce que j'étais toute seule avec mon gobelet alors que la plupart des gens était en groupe et riait fort. Bon et là bim, une jeune femme me sourit et se dirige vers moi d'un pas décidé. C'est la dame qui tient ce restaurant, Les pieds dans le plat.
"Ah tiens bonjour! Vous allez bien?" etc.
Entre autre "Hmmm... Vous avez un beau manteau!" (et une jupe propre aurais-je eu envie de lui faire remarquer) mais je dis juste "Oh, merci. Mais peut-être que j'aurais dû mettre autre chose parce que si quelqu'un renverse de la bière dessus..."
"Oui enfin bon, c'est pas un concert de punk, ça devrait aller..."

Je n'arrive pas à retranscrire l'ambiance exact de et échange, c'était agréable et surprenant. J'étais très étonnée qu'elle m'ait reconnue et surtout qu'elle ne me confonde pas avec quelqu'un d'autre, ce qui arrive parfois (genre je vais à Alphagraph, la librairie indépendante un peu cracra de la rue d'Echange. Je m'apprête à dire au revoir et là Jérôme, le libraire, me dit "Ah, c'est vous qui m'aviez demandé des renseignements sur la scène rock new-yorkaise des années 80?"
Ah non, c'est pas moi. "Mince alors. En tout cas, la personne qui m'a demandé ça, elle vous ressemble vachement".
J'aurais bien aimé discuter davantage avec cette jeune femme qui fait bien la cuisine mais pour cela... j'aurais dû boire une bière.
Le concert, quant à lui, était un peu trop électrique à mon goût (pas de thé à la vanille, de chemisiers défaits ou d'écharpes en hiver) mais la chanteuse était délicieuse (et très polie. Ils étaient d'ailleurs tous extrêmement bien élevés. Je me demande si la chanteuse boit de la bière) et le garçon à l'harmonica troublant de virtuosité.
C'était quand même une sortie pleine d'oxygène dans des temps plutôt sédentaires.
C'est d'ailleurs étrange comme en mai on fait rarement ce qui nous plaît. D'abord, ça fait quelques élections présidentielles qu'en mai, on a le coeur un peu de travers, une gueule de bois qui ne passe pas avec un plat de pâtes. De plus, alors qu'on nous promet jus de pamplemousse en terrasse, jupe courte, sandalettes et festival de Cannes, cela fait des années que je passe le mois de mai à réviser pour des examens, un concours ou je ne sais quoi d'autre du même acabit. En mai, travaille sans arrêt.


Pour partager avec des garçons et des filles que l'on aurait voulu croiser en vrai les déceptions des mois de mai compliqués, je ne peux que vous proposer de (re)voir Les amants réguliers "la patiente chronique de quelques énoncés qui n'ont pas su se dire et que personne n'a entendus" (et en premier lieu, les mots que n'a pas trouvés le beau personnage de Louis Garrel pour dire à celle qu'il aime "Reste avec moi") .
Mais vous pouvez aussi opter pour Toutes les nuits, le premier film d'Eugène Green où celui qui réussit est peut-être celui qui disait :"Je ne crois pas que je sois fait pour aller loin". C'est un film grave et malicieux qui m'a rendue très optimiste.


Pour le retour de G., après ses parisiennes vacances, j'avais d'abord voulu faire une tarte chocolat-caramel et puis, je suis tombée sur ce billet de Fanny où, outre le fait qu'elle annonce un choix de vie décisif, elle m'a mis l'eau à la bouche avec ses jolies tartes chocolat au lait-fruit de la passion (car dans mon souvenir, c'est le parfum de macaron herméen que préfère G.) Quant à l'ananas rôti qui achève de rendre ce dessert irrésistible (pour être honnête, je n'ai rien fait d'aussi bon depuis longtemps), je n'ai pas tout à fait suivi la recette initiale (d'ailleurs, pour la pâte non plus, et la ganache a aussi été quelque peu adaptée à mon absence de thermomètre), me souvenant que mon papa m'avait offert il y a plusieurs années déjà un livre de cuisine qui s'appelait Recevoir paresseusement et où l'auteur livrait une recette d'ananas rôti à la vanille qu'elle tenait de Pierre Hermé (ce livre porte assez mal son nom vu qu'éplucher et rôtir un ananas n'est pas précisément l'activité idéale quand vous avez décidé de flemmarder. J'ai aussi fait par le passé une charlotte vanille, poire et chocolat qui me laisse des souvenirs de vaisselle pas très reposants non plus).
J'ai préparé la pâte la veille, c'est très rapide, et l'ananas aussi, à dix heures du soir, en écoutant du Shakespeare à la radio et en dégustant des sushis que j'étais allée chercher au Fuji. Le parfum de sucre cuit et de vanille qui envahit la cuisine compense largement tout ce temps passé à arroser consciencieusement votre petit rôti. Trois heures avant le dessert, j'ai fait cuire les fonds de tarte et j'ai préparé la ganache que j'ai répartie encore chaude sur la pâte cuite, puis j'ai entreposé le tout au réfrigérateur. Juste avant de servir, j'ai découpé l'ananas et l'ai réparti aussi joliment que possible (hum).
En réalité, je n'ai fait que trois tartelettes mais la pâte se congèle très bien, la ganache se mange à la petite cuillère (que probalement vous lècherez) et l'ananas est délicieux avec du fromage blanc.


Les tartelettes chocolat au lait, passion, ananas rôti
Pour 6 tartelettes de 11cm de diamètre

La pâte sucrée
-230g de farine de blé
-20g de farine de maïs
-95g de sucre glace
-1 oeuf battu
-150g de beurre très mou
-30g de poudre d'amandes
-2 pincées de fleur de sel
-une demie gousse de vanille

L'ananas rôti à la vanille
-un ananas épluché et apprêté comme décrit ici
-125g de sucre roux
-250mL d'eau
-2,5gousses de vanille fendue + la gousse dont vous aurez récupéré les graines pour la pâte

La ganache chocolat au lait-passion
-le jus de six fruits de la passion
-200g de chocolat au lait
-150g de crème fraîche
-40g de beurre

Pour la pâte, utiliser les crochets du batteur électrique.
Malaxer le beurre pour l'assouplir puis ajouter le sucre glace, la poudre d'amandes, la vanille grattée, l'oeuf et enfin les farines en mélangeant bien entre chaque ingrédient.
Arrêter de battre quand la pâte forme une boule. La placer dans du papier film, l'écraser un peu en un disque un peu épais et la laisser au réfrigérateur. Au moment de la cuisson, foncer les moules à tarte et faire cuire la pâte à blanc pendant une dizaine de minutes dans un four précauffé à 180°. Retirer l'attirail de haricots secs et remettre la pâte quelques minutes dans le four éteint. Réserver.
Pour l'ananas rôti, transpercer le fruit de part en part avec une brochette en bois et insérer dans les espaces ainsi créés les gousses de vanille dont vous aurez récupéré les graines. Faire un caramel à sec en faisant précautionneusement chauffer le sucre à feu doux. Quand il commence à bronzer, verser l'eau doucement et laisser cuire un peu. Ajouter les grains de vanille puis verser ce caramel sur l'ananas et faire rôtir à 200° pendant une heure en arrosant souvent. Réserver au frais.
Pour la ganache, concasser très finement le chocolat puis verser le jus des fruits de la passion. Faire bouillir la crème et la verser sur le chocolat. Mélanger précautionneusement.
Remplir les fond de tarte avec la ganache encore un peu tiède, les laisser au moins une heure au réfrigérateur.
Au moment de servir, répartir des morceaux d'ananas.
C'est juste divin.


Lundi, un nouveau semestre commence. Plus de labo Alsa mais un poste en psy, là où j'ai travaillé l'été dernier. Et puis, dans un mois, il y a l'internat où il faudra faire en sorte que jamais plus je n'aie à retourner dans des labos et que pour toujours je puisse faire de la psy, pas une fois comme ça de temps en temps. Devant mon empressement à accrocher mon badge Jacqueline Lacan sur un nouveau gilet très Larzac, G. a dit: "Euh... tu vas quand même pas mettre ça pour aller à l'hôpital?"
On verra.